Le Royaume des Rats

Chapitre 38 : Bataille oratoire

9915 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/01/2021 18:22

Enfants du Rat Cornu,

 

Cette année 2020 aura été particulièrement éprouvante pour bon nombre de personnes. À l’heure où je publie ces lignes, on annonce que, peut-être, les plans sournois des Pestilens qui mettent à mal notre monde depuis plus de neuf mois seraient totalement analysés, et les réponses appropriées pourraient être appliquées. Nous verrons bien où ça nous mènera.

 

J’ose espérer qu’à l’instar de la Tempête du Chaos, une fois les Pestilens repoussés, le monde réussira à se reconstruire, mais j’ai peur que les cultistes de Slaanesh et Tzeentch n’en profitent pour étendre leur influence malsaine sur notre société bien mise à mal. Les dieux seuls savent ce qui nous attend à l’aube de cette nouvelle année.

 

Quoi qu’il en soit, je vous suis reconnaissant de continuer à suivre cette aventure. Les dernières semaines ont été plutôt éprouvantes pour moi, et l’écriture m’aide à garder la tête sur les épaules. Même s’il n’y a pas beaucoup de retours de votre part, je sais au moins que vous continuez à me lire, et c’est un soutien de taille.

 

Par ailleurs, j’ai appris qu’en septembre 2020, un courageux Chevalier du Graal a malheureusement quitté notre monde pour partir en Avalon. Je n’ai pas eu la chance de le rencontrer en personne, mais je voudrais vous parler de Philippe Beaubrun, alias Sire Lambert d’Udécor. Ce pionnier de la branche française de Games Workshop était passionné par la Bretonnie. Dans les années 90, il était membre de la rédaction française du magazine White Dwarf, et j’ai notamment le souvenir d’une chronique très intéressante où il expliquait comment monter une armée de Bretonniens de manière intelligente avec une enveloppe mensuelle raisonnable. Puisse la Dame du Lac guider vos pas jusqu’à elle, Sire d’Udécor !

 

Et bien entendu, je souhaite à vous tous, fidèles lectrices, fidèles lecteurs, de passer une excellente nouvelle année 2021 !

 

Gloire au Rat Cornu !

 

 

Comme toute ville bâtie selon le modèle impérial, Steinerburg disposait d’un Grand Temple consacré à Verena, qui servait également de tribunal. C’était, par ailleurs, l’endroit où travaillait Bianka. Mais le cas de Johannes Schmetterling était différent. En tant que Commandant de l’armée, c’était à un tribunal militaire qu’incombait la responsabilité de juger de son cas, et en toute discrétion. L’exécution d’un assassin comme Larn pouvait avoir un effet cathartique sur la foule, mais le jugement de la plus haute autorité du Royaume après celle du Prince devait rester inaperçu le plus longtemps possible.

 

Le tribunal était présidé par le Prince Steiner lui-même. Cette assignation ne lui avait pas tellement plu ; il craignait manquer d’objectivité. Le prévôt Tomas lui avait fait comprendre que personne n’aurait la moindre objectivité dans tout le Royaume, en revanche le respect de l’autorité du Prince restait une valeur sûre. Ludwig Steiner avait conscience qu’il devait rendre un jugement le plus juste possible. C’était une mise à l’épreuve pour lui : la confiance des habitants de Vereinbarung dépendait de son verdict. Un verdict qui devait être juste, impartial, et ferme.

 

L’accusateur désigné était Frère Arcturus. C’était le prieur responsable de la parole de Sigmar dans le Royaume des Rats. Frère Arcturus était un grand homme, fortement charpenté. Comme tous les fidèles de la divinité principale de l’Empire, son crâne était rasé, et une épaisse barbe châtain recouvrait complètement son menton, sa bouche et ses joues. À l’instar des prêtres de ce culte ayant choisi de vivre au Royaume des Rats, il faisait preuve d’une ouverture d’esprit peu coutumière des fidèles du fondateur de l’Empire. Jusqu’alors, il n’avait jamais manifesté la moindre antipathie raciste envers un Skaven. Le Prince avait confiance en son aptitude à pousser les menteurs dans leurs derniers retranchements pour les distinguer des gens sincères.

 

En revanche, il n’y avait pas de jurisconsulte militaire ou religieux pour défendre le Commandant.

 

Le jury était constitué de ses anciens lieutenants, d’autres militaires des deux sexes et des deux races. Et au banc des témoins, il y avait le Maître Mage et son deuxième fils, Eusebio Clarin, les Jumeaux Gottlieb et Nedland Grangecoq.

 

Johannes Schmetterling était assis à la barre. Il n’avait pas l’air spécialement inquiet pour son sort. Il n’était nullement impressionné par la trentaine de personnes qui allait assister au procès, non plus. Au lieu de cela, il affichait sans retenue une contrariété certaine, tout en serrant nerveusement ses doigts bandés.

 

Devant la chaire du Prince, quatre petits objets étaient posés sur une grande table, chacun accompagné d’un petit carton avec un numéro. Le premier objet était la boîte métallique cachée dans l’arbre. Le deuxième objet était le carnet de notes que Psody avait trouvé dans le terrier d’Iapoch. Le troisième objet était la lettre de menaces envoyée au Prince Calderon. Enfin, le quatrième objet était une simple page de papier ordinaire avec un texte écrit dessus.

 

Le Prince leva la main, et les voix dans la salle se turent.

 

-         Mesdames, Messieurs, je vous remercie d’être présents en ce moment délicat où nous allons devoir traiter une question particulièrement compliquée. Nous sommes ici pour examiner le cas du Commandant Johannes Schmetterling, officiellement accusé de haute trahison, sous forme de collaboration avec l’ennemi. Avant de commencer, Commandant, je rappelle à la Cour que vous avez choisi de vous défendre par vous-même, c’est votre droit.

-         Que j’utiliserai sans hésiter. J’ai l’impression de ne pas pouvoir faire confiance à qui que ce soit d’autre, ici…

 

Il y eut déjà une première rumeur. Le Prince leva de nouveau la main.

 

-         Je vous en prie, Commandant, faites-nous grâce de ce genre de commentaire. J’appelle le prieur Arcturus.

 

Le prêtre de Sigmar se leva.

 

« Je vous remercie, votre Altesse. J’ai été attiré par l’idée de fonder une société nouvelle, un défi particulièrement ardu quand on voit le visage de ceux qui constituent cette société, mais chaque avancée implique une prise de risque. Il y a trois ans, j’ai choisi de prendre ce risque, comme tous les Humains arrivés à Vereinbarung avant moi l’ont fait. J’ai été heureux et fier de participer à cet effort. Pendant tout ce temps, nous nous sommes appliqués à reproduire au mieux le système dans lequel nous avons été éduqués, un système où chacun a sa place, où nous faisons tout pour vivre en harmonie sous le regard bienveillant des dieux. »

« Malheureusement, aucune société n’est parfaite, et il arrive parfois que ceux qui l’habitent ne soient pas satisfaits de leur position. Certains de ces insatisfaits choisissent de rester dans la passivité fataliste, et passeront leur vie à se plaindre sans faire quoi que ce soit pour améliorer leur sort. D’autres prennent les choses en main et décident d’agir pour changer leur vie. Et parmi eux, on peut reconnaître ceux qui acceptent de suivre les règles… et ceux qui décident de les contourner, de les ignorer, ou même de les enfreindre. »

« Aujourd’hui, nous examinons l’affaire concernant le Commandant Johannes Schmetterling. Ce militaire a mené jusqu’à présent une carrière plus qu’honorable : états de service irréprochables, des années sous la responsabilité du Comte Électeur Boris Todbringer, et l’on ne trouvera rien à redire sur son action à Vereinbarung… du moins, jusqu’à présent. Le Commandant avait toujours suivi les règles, mais il a été tenté de les enfreindre par un esprit malveillant, et au lieu d’accomplir son devoir de loyauté envers la Couronne, il a choisi de s’abandonner à cette tentation. »

« Notre nation a été attaquée sur deux fronts : les Orques ont assiégé Wüstengrenze, et les Skavens Sauvages ont envahi un coin reculé, certes, mais ils se préparaient à une invasion d’une plus grande ampleur. Et le Commandant Schmetterling, nous allons y venir, a été un des acteurs de cette infamie : il a explicitement et délibérément collaboré avec le Prophète Gris Iapoch qui lui a proposé une rémunération contre son aide à petite ou grande échelle. Il espérait ainsi voir notre Royaume tomber entre les griffes des Skavens Sauvages, et a manœuvré en ce sens, afin d’obtenir un paiement qu’il aurait utilisé à des fins sans doute préjudiciables au Royaume des Rats. »

« Nous ne pouvons nous permettre d’avoir des soldats corrompus dans notre armée alors que notre royaume est encore bien fragile et notre société balbutiante. Et cela est d’autant plus grave qu’il s’agit de la tête de cette armée. La trahison est venue de la personne qui aurait dû être la moins encline à s’y adonner. C’est pourquoi, votre Majesté, mesdames et messieurs du jury, je préconise la peine capitale envers le Commandant à titre d’exemple. »

 

Un bref silence suivit le réquisitoire. Le Prince demanda :

 

-         Commandant Schmetterling, pouvez-vous nous expliquer les circonstances de votre arrestation ?

-         Certainement, votre Altesse. Nous sommes d’accord, notre armée compte bien un traître. Mais vous vous trompez de cible. Il n’est pas dans mes principes de trahir la nation à laquelle j’ai juré fidélité. Comme vient de l’expliquer le Prieur Arcturus, si la situation dans laquelle je vis ne me convient pas, je m’arrange pour en changer. À la cour du Comte Électeur, quand j’ai entendu parler du Royaume des Rats, j’ai compris que j’avais une opportunité de devenir quelqu’un de plus important encore que je n’étais déjà, et c’est ce qui s’est passé. J’ai quitté l’Empire pour prêter serment auprès de la Couronne de Vereinbarung. Je suis Commandant, je suis la personne la plus puissante de tout le Royaume en dehors de votre Altesse, je me sens parfaitement à ma place, et je n’ai aucune raison de vouloir changer. Et donc, quand j’ai appris qu’un traître se cachait dans nos rangs, j’ai demandé à un soldat envers qui j’avais une confiance absolue de mener une enquête pour moi. Nous parlions par messages codés, chacun laissait dans un endroit précis un message avec la localisation du point de rendez-vous suivant. J’étais sur le point de récupérer le dernier message qu’il avait laissé à mon attention avant de partir pour Kreidesglück. C’est là que je suis tombé dans un traquenard, sans doute organisé par le véritable traître pour me réduire au silence.

 

Il y eut quelques marmonnements indignés. Le Prince donna un coup de maillet.

 

-         Silence, je vous prie ! C’est un point de vue qui semble tenir la route, mais nous allons nous en assurer en examinant les pièces à conviction et en écoutant les témoignages. Prieur ?

 

Le prieur Arcturus annonça :

 

-         Je voudrais entendre le témoignage de Maître Sigmund Steiner.

 

Sigmund se leva, et s’installa docilement sur le siège des témoins.

 

-         Maître Steiner, avant d’écouter votre témoignage, je vous demande de jurer, devant cette assemblée, de vous soumettre à l’autorité de Verena, et ne répondre aux questions que par la vérité la plus absolue.

 

Le Skaven Noir répondit :

 

-         Je jure sur mon âme de ne dire que la vérité, tant que Verena a les yeux posés sur moi, dans ce tribunal.

-         Fort bien. Alors, Maître Steiner, pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé pour que le Commandant Schmetterling se retrouve au banc des accusés ?

-         Oui, votre Honneur : le Commandant Schmetterling a été surpris sur une route, en pleine nuit, pour récupérer un objet ; plus précisément un petit coffret dans lequel il devait trouver le paiement de sa trahison.

-         Est-ce que vous sauriez reconnaître ce petit coffret ?

-         Tout à fait, votre Honneur, c’est la pièce à conviction numéro un.

-         Vous en êtes sûr ?

-         Je l’ai ramassé moi-même.

-         Et quel était son contenu ?

-         Des cailloux.

-         D’accord. Je récapitule : le Commandant Schmetterling a voulu remettre la main sur une boîte cachée dans cet arbre, et cette boîte ne contenait qu’une poignée de cailloux ?

-         C’est cela, votre Honneur.

 

Frère Arcturus se pencha vers Schmetterling.

 

-         Alors, Commandant, votre soi-disant contact devait vous laisser des cailloux ? Ils étaient peints selon un code de couleurs ?

-         Bien sûr que non, Frère Arcturus. J’aurais dû retrouver une feuille de papier avec un message codé écrit dessus. Il est évident que les personnes arrivées avant moi pour me cueillir avaient déjà remplacé le contenu de la boîte.

-         J’en prends note. Je n’ai pas d’autre question sur ce sujet pour le témoin.

 

Le Commandant se tourna alors vers Sigmund.

 

-         Maître Steiner, vous avez donc trouvé dans cette boîte des cailloux ordinaires ?

-         Parfaitement ordinaires, Commandant.

-         Vous n’avez pas touché à la boîte avant le moment où vous l’avez ramassée devant moi, pendant que vos complices me passaient les menottes ?

-         Je n’ai jamais posé les doigts sur cette boîte avant ce moment, en effet.

-         Admettons que vous ayez raison, Maître Steiner ; qu’est-ce qu’aurait pu contenir cette boîte si elle avait été laissée en paiement à un traître ?

 

Le Skaven Noir fit mine de réfléchir.

 

-         De l’or ? Des bijoux ? Peut-être de la malepierre ?

-         De la malepierre ? Nous savons qu’il s’agit d’une matière hautement toxique. Personnellement, j’ai participé à des Récoltes, et j’ai vu son effet sur les gens. Vous pensez que j’aurais été suffisamment inconscient pour accepter un paiement en malepierre ?

-         La boîte a l’air d’être faite dans un matériau qui isole de la malepierre, Commandant. Quelqu’un comme vous pourrait s’en servir pour transporter des jetons de malepierre raffinée sans danger pour les remettre à quelqu’un d’autre, comme un sorcier intéressé par l’étude de cette matière.

-         « A l’air », « pourrait », « quelqu’un d’autre »… Vous n’avez pas l’air très sûr de vous, Maître Steiner.

-         Je suis un homme d’action, pas un homme de science, Commandant.

-         Oui, en effet. Un homme d’action.

 

Le Commandant laissa alors planer un court silence. Instinctivement, Sigmund sentit que quelque chose de désagréable se profilait.

 

-         Vous avez été à de nombreuses reprises au cœur de l’action, Maître Steiner. Y compris à la Bataille de Kreidesglück. J’ai l’impression que tout ceci ne vous a pas été très profitable.

-         Comment ça ?

-         Vous avez personnellement été frappé par l’assaut sur les troupes du Prophète Gris Iapoch : votre frère a été blessé, et aujourd’hui, nous ne savons pas encore s’il survivra à cette terrible blessure.

 

La ruse du Commandant marcha : Sigmund sentit la colère monter dans son estomac.

 

-         Qu’est-ce que Kit vient faire là-dedans ?

-         Vous avez peur pour votre frère, ce qui est tout à fait normal. Votre aîné, votre exemple, blessé par un Skaven Sau…

-         Fichez-lui la paix ! coupa Sigmund.

-         Vous avez peur, mon garçon, et cette peur altère votre jugement d’ordinaire déjà bien précaire. Vous êtes un honorable citoyen, mais votre esprit est sujet à la Rage Noire, nous le savons bien.

-         Et alors ? rétorqua brutalement le Skaven Noir.

-         Vous avez envie que quelqu’un paie pour votre frère, Maître Steiner. Peut-être suivez-vous votre instinct, peut-être les instructions de votre famille, mais vous n’êtes sûr de rien concernant cette boîte et son contenu. Vous avez l’occasion de vous venger sur un innocent, et c’est ce que vous êtes en train de faire, d’une manière aussi sale et déshonorante que le jour où vous avez publiquement massacré cet espion !

-         Objection ! s’exclama Frère Arcturus.

-         Refusée, répondit le Prince. Allez jusqu’au bout de votre raisonnement, Commandant, je vous prie. Mais surveillez vos paroles et votre ton.

 

Sigmund était bouillonnant de rage. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Psody et Clarin le regardaient fixement. L’Estalien le supplia de ne pas se laisser emporter.

 

Opa, pourquoi le laisser cracher ces saloperies ? Parce que… parce que vous avez votre rôle de juge impartial à jouer !

 

-         Je pense que le témoignage de Maître Sigmund Steiner n’est pas fiable. Compte tenu de son caractère passionné et de son inquiétude actuelle, il ne serait pas très prudent de s’appuyer sur ses paroles. Bien sûr, d’ordinaire, Maître Steiner est quelqu’un de bon, et plusieurs personnes de confiance vous le confirmeront. Néanmoins, je mets en doute son témoignage. En particulier depuis que nous savons qu’il a tendance à noyer son chagrin dans l’alcool.

-         Vous me traitez de menteur ou de poivrot ? aboya Sigmund.

-         Doucement, Sigmund ! intima le Prince.

-         Non pas, Maître Steiner. Mais je suis dans la position de l’accusé, et j’ai le droit de considérer tous les éléments pour me défendre. Vous dites la vérité, mais peut-être que vous n’êtes pas au courant de tout vous-même ? Ou vous croyez dire la vérité alors que votre passion et la boisson vous poussent à voir des choses qui ne sont pas exactes ?

 

Un léger craquement résonna dans la salle. Jochen avala sa salive quand il comprit que c’était le bruit des phalanges de son ami qui serrait les poings. Le Skaven Noir ferma les yeux, inspira profondément, et son esprit se ferma à tout ce qui l’entourait. Il n’avait plus qu’une seule idée en tête :

 

Maîtrise la Rage Noire !

 

La voix de Ludwig Steiner le tira de sa transe.

 

-         Bien, Commandant, avez-vous quelque chose d’autre à demander à ce témoin ?

-         Non, votre Majesté.

-         Alors qu’il regagne sa place.

 

Sans mot dire, le grand Skaven Noir recula, et se rassit sur le banc des témoins. Son oreille pivota quand il entendit un léger « pst ! ». C’était Psody. Le Skaven Blanc lui fit un petit clin d’œil.

 

L’accusateur Arcturus fit un ample geste du bras.

 

-         J’appelle à la barre Frère Sander du temple de Verena.

 

Un Humain resté en retrait se leva. C’était un homme mince, de taille moyenne, d’une bonne quarantaine d’années. Sa tête était cerclée de cheveux bruns bien taillés, qui laissaient apparaître un front brillant. Il était rasé de près, et portait une paire de lunettes à monture de cuivre. Un grand écusson représentant la Balance de Verena était cousu sur sa robe de clerc.

 

-         Frère Sander, en tant que prêtre de Verena, nous savons déjà que vous avez prêté serment de dire toujours la vérité dans des cas comme celui qui nous concerne, je vous ferai grâce de réitérer cet engagement maintenant. J’aimerais que nous parlions de la pièce à conviction numéro deux.

-         Comme il vous plaira, votre Honneur.

-         Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est cette pièce ?

-         Parfaitement, votre Honneur : il s’agit d’un carnet appartenant au Prophète Gris Iapoch. Dans ce carnet, on peut lire des rapports, des comptes de ressources, des inventaires de machines de guerre et d’armes, le tout rédigé en queekish, le langage de l’Empire Souterrain. Sur les dernières pages, Iapoch s’est exercé à écrire dans notre langue.

-         Pouvez-vous confirmer l’authenticité de ce carnet ?

-         Oui, votre Honneur. le Maître Mage Prospero nous l’a apporté au temple et nous a prévenus : les pages de ce carnet sont des parchemins fabriqués à partir de peau humaine. L’encre utilisée pour écrire ces notes contient de la malepierre diluée. Nous avons dû appliquer un léger traitement sur ce carnet relié pour pouvoir l’examiner sans danger, et le présenter ici.

-         Contient-il des informations nommant explicitement l’accusé, Frère Sander ?

-         Non. Cependant, ce carnet nous a été utile à d’autres fins. Il nous a permis d’établir un lien certain entre le Prophète Gris Iapoch, l’accusé, et l’assaut sur la province de Sueño.

-         Intéressant. Pouvez-vous développer ?

-         J’allais solliciter l’accord de sa Majesté pour cela.

-         Allez-y, répondit le Prince Steiner.

 

Frère Sander se leva et montra du doigt la table.

 

-         Je voudrais vous parler de la pièce à conviction numéro trois. Puis-je la manipuler ?

-         Oui, Frère Sander.

-         Je rappelle qu’il s’agit de la lettre reçue par sa Majesté le Prince Calderon. Elle a été traitée, et l’encre de malepierre est trop appauvrie pour causer le moindre mal à quiconque, maintenant. C’est la première fois que nous nous permettons de la montrer telle quelle à un public.

 

Frère Sander demanda par-dessus son épaule :

 

-         Pouvez-vous apporter le pupitre, je vous prie ?

 

Deux commis, un grand Humain et un Skaven Noir, amenèrent d’un coin de la pièce un grand pupitre de bois sur lequel était fixé un bras articulé de cuivre. Le bras était équipé d’une lentille convexe d’une quinzaine de pouces de diamètre. Cet objet permettait ainsi de grossir optiquement ce qui était présenté sur le pupitre. Et donc, lorsque Frère Sander posa la lettre sur la planche de bois verni, les jurés purent nettement lire son contenu qui disait toujours :

 

« La chose-homme Calderon mourra prochainement. Les Fils du Rat Cornu ont déjà commencé à remodeler ses terres. Bientôt, nous arriverons, et nous vous tuerons-dévorerons. Nos esclaves choses-hommes vous affaibliront, puis nous passerons à l’attaque, et vous apprendrez à nous craindre avant de mourir-mourir. »

« Psody le Prophète Gris du Royaume des Rats ».

 

-         Je suis expert en graphologie, reprit Frère Sander. J’ai pu comparer les pages écrites dans le carnet d’Iapoch avec cette missive. Les deux écritures concordent, sans le moindre doute, sur tous les points. C’est donc bel et bien Iapoch qui a provoqué la Principauté de son Excellence l’Ambassadeur Clarin. Maintenant, permettez-moi d’établir une concordance supplémentaire avec la pièce à conviction numéro quatre.

 

Le prêtre de Verena saisit délicatement la feuille de papier. Il s’agissait d’une lettre. Si le papier était parfaitement ordinaire, l’écriture elle-même était très nerveuse, agressive, toute en lignes tracées avec violence.

 

« Choses-vertes en route vers Wüstengrenze selon mon plan-calcul. Chose-homme Schmetterling doit préparer-mener cet assaut, mes troupes affaibliront-détruiront les traîtres que le Prince des choses-hommes enverra à Kreidesglück. Récompense dans le grand arbre troué à l’est de Steinerburg. »

 

Frère Sander sortit de sa poche une petite baguette, et montra quelques caractères de la lettre.

 

-         Là encore, comme vous pouvez le constater, c’est toujours la même main qui a écrit ce message. La manière dont la plume a pressé le papier, la tendance à griffonner nerveusement, en particulier lorsque l’auteur a « doublé » les mots, comme le font les habitants de l’Empire Souterrain. C’est Iapoch qui a écrit ces directives adressées au Commandant Schmetterling, dont le nom apparaît ici en toutes lettres.

-         Merci, Frère Sander, répondit Frère Arcturus. Alors, Commandant, que pouvez-vous nous dire au sujet de cette quatrième pièce à conviction ?

 

Schmetterling eut un sourire ironique.

 

-         Je sais déjà à quoi vous pensez, et je sais déjà que vous ne me croirez pas quelle que soit ma réponse. Mais ce n’est pas grave, je parlerai quand même.

-         Alors, allez-y, Commandant, ne faites pas durer le suspense, invita Frère Arcturus sur le même ton.

-         Je n’ai jamais reçu ce courrier, je ne sais pas qui jette le discrédit sur mon nom. N’importe qui peut écrire n’importe quoi. Cette lettre est un faux.

 

L’accusateur répondit :

 

-         Vous avez raison, nous savions déjà que vous répondriez cela. Et si vous voulez être cru, vous vous allez sans doute pouvoir nous expliquer pourquoi on vous a retrouvé en train de farfouiller dans l’arbre dont il est question ?

-         Je devais retrouver un message codé de l’un de mes contacts. Après la tentative d’assassinat du Maître Mage Prospero Steiner, nous avons tous pris conscience qu’il y avait un traître dans nos rangs, un inconscient qui a été appâté par le Prophète Gris qui nous a déclaré la guerre sans se rendre compte de la gravité de cet acte.

-         D’après cette lettre, vous êtes cet « inconscient », Commandant. Et vous avez été surpris à la recherche de votre « récompense ».

-         Je connais suffisamment les Skavens Sauvages pour savoir qu’ils n’écrivent pas sur du papier importé d’Altdorf, mais sur des parchemins en peau. Cette lettre est factice, je le répète.

-         Sur ce point-là, vous n’avez pas tort, Commandant. Nous avons dû effectivement recourir à Frère Sander pour reproduire l’original afin de pouvoir le présenter à ce tribunal.

-         Comme c’est pratique, répliqua Schmetterling. Votre copiste n’aurait pas accidentellement changé une ligne ou deux, par hasard ?

-         La copie a été faite auprès du prévôt Tomas et trois de ses auxiliaires, tous assermentés de Verena. Vous ne mettrez pas leur parole en doute, j’espère ?

-         Je serais curieux de savoir où est l’original, dans ce cas ? Pourquoi montrer une copie ?

-         L’original n’est pas en mesure d’être présenté. Il a été détruit par vos soins après réception.

-         Cela reste à prouver, accusateur.

-         On va y venir. Mais parlons plutôt de votre homme de confiance, celui qui vous avait soi-disant laissé un message dans l’arbre, si vous le voulez bien. D’abord, pouvez-vous nous révéler son identité ?

-         Je peux, Frère Arcturus. C’était le lieutenant Bruno Kretschmann.

-         Peut-on le faire venir à la barre des témoins ?

-         Ce ne sera pas possible, répondit alors le Commandant avec un petit sourire victorieux. Le malheureux est tombé à Kreidesglück. Je vous invite à vérifier.

-         Quel dommage ! La seule personne qui aurait pu confirmer votre version des faits s’avère être l’une des victimes de cette guerre ! Ce n’est vraiment pas de chance !

-         Non, en effet. Si j’avais su, je l’aurais fait mobiliser pour Wüstengrenze, il aurait sans doute survécu.

-         Qu’est-ce qui nous dit que vous ne venez pas d’inventer cette histoire en choisissant le nom d’un soldat au hasard parmi les disparus, pour être sûr qu’on ne puisse pas exploiter cette piste davantage ?

-         Ma parole de Commandant de l’Armée de Vereinbarung.

-         Vous n’avez pas une correspondance avec ce soldat Kretschmann ?

-         Bien sûr que non, nous étions prudents, nous ne parlions que par messages codés, et chaque message était brûlé après lecture !

-         Ah, j’aimerais bien vous croire… Je n’ai pas d’autre question, votre Honneur.

 

Schmetterling se racla la gorge.

 

-         Eh bien moi, j’en ai, des questions. Un certain nombre, même. Pour commencer, je souhaiterais revenir sur le carnet. Frère Sander, vous avez étudié les pages écrites par le Prophète Gris Iapoch, c’est bien ça ?

-         Tout-à-fait, Commandant.

-         Comment avez-vous pu l’étudier, si son seul contact était dangereux ? Je rappelle qu’il s’agit de peau humaine imbibée d’encre de malepierre !

-         Vous avez raison, c’est pour cela que nous avons utilisé un petit enchantement pour neutraliser les vibrations de malepierre, comme je vous l’ai dit tantôt.

-         En un mot, vous avez altéré ce carnet.

-         D’une certaine façon, Commandant.

-         Comment peut-on être sûr que son contenu n’ait pas été changé ? Les pages d’écriture en reikspiel ont peut-être été rajoutées ? Par vous, peut-être ? Vous êtes expert en graphologie, Frère Sander, c’est bien ça ?

-         Objection ! s’écria le prêtre de Sigmar.

-         Accordée, déclara le Prince. Commandant, ce n’est pas Frère Sander l’accusé du jour, je vous rappelle.

 

Le visage du prêtre de Verena était devenu rouge vif. Il marmonna entre ses dents serrées :

 

-         Commandant, je ne vis que pour la Vérité. J’ai prêté serment sur l’autel de Verena de Nuln de me battre pour la Vérité. Jamais il ne me viendrait à l’idée de fabriquer de fausses preuves. Ce serait une trahison envers Verena d’une part, et mes principes d’autre part. Ce carnet est authentique, et je n’ai pas changé, ajouté ou retranché une seule virgule.

-         D’accord, d’accord, Frère Sander. Venons-en à cette lettre qui était adressée à moi. Vous affirmez que l’écriture est la même que celle du carnet et de la lettre de menaces au Prince Calderon ?

-         Je l’affirme sans hésitation.

-         Cette lettre est une reproduction. Certes, elle a été réalisée en présence d’honorables servants du Temple de Verena, mais elle n’en est pas moins une reproduction. Où est l’original ?

-         Nous n’avons jamais retrouvé la lettre originale. Je me suis appuyé sur un autre support pour rédiger cette copie. Il m’a fallu un certain temps pour ça.

-         Hum… J’y reviendrai. Je demanderai juste qui vous a fourni cet « autre support » ?

-         Le Maître Mage Prospero Steiner.

 

Le Commandant se tourna alors vers le Skaven Blanc, et articula posément :

 

-         Cela ne me surprend pas tant que ça, au bout du compte. Votre Honneur, je n’ai pas d’autre question pour ce témoin.

-         Bien. Merci, Frère Sander, veuillez regagner votre place.

 

Une fois le graphologue assis, Frère Arcturus continua :

 

-         Je voudrais tirer au clair une bonne fois pour toutes ce qui a précédé votre arrestation, Commandant. Que faisiez-vous-vous près de ce chêne ?

 

L’Humain soupira d’agacement.

 

-         Je vous dis que j’étais là pour retrouver une communication du soldat Kretschmann !

-         Vous alliez chercher le prix de votre trahison, la « récompense » promise par votre complice, le Prophète Gris Iapoch.

-         Ce coffret devait contenir un message codé !

-         Ce n’est pas tout, Commandant : vous avez tenté d’abattre le Capitaine Gottlieb.

-         Il a menacé de me faire taire, j’ai voulu défendre ma vie !

-         Une quinzaine de témoins ont affirmé que vous avez été le premier à tirer.

-         Oui, je n’ai pas hésité à ouvrir le feu. Je le connais, il m’aurait tué si je n’avais pas pris les devants ! Et je l’aurais tué si son complice, Nedland Grangecoq, ne m’avait pas volé mon arme quelques heures plus tôt ! Tout ceci est un coup monté, Frère Arcturus !

-         Nous avons entendu le témoignage de chaque soldat : d’après eux, quand vous avez vu que la boîte ne contenait que des cailloux, vous avez clairement exprimé la frustration de l’homme qui s’est fait piéger !

-         C’est leur parole contre la mienne ! Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à mentir qu’ils ont raison. Et je parierais même que les Capitaines Gottlieb ont fait pression sur eux pour qu’ils vous racontent cette histoire ! Le Prince Steiner est entouré par des canailles intéressées qui font tout pour se débarrasser de moi !

-         Donc, vous pensez que les plus hautes instances de Vereinbarung sont indignes de confiance ?

-         Je ne le pense pas, Frère Arcturus, je le sais !

-         Alors, peut-être que nous devrions poser la question à une personne extérieure ?

 

Frère Arcturus pivota vers le banc des témoins.

 

-         Maître Eusebio Clarin, Représentant de la Principauté de Sueño, voudriez-vous bien apporter votre témoignage ?

 

Sans un mot, l’élégant Estalien s’installa.

 

-         Maître Clarin, vous êtes un fidèle agent au service de son Excellence le Prince Roderigo Calderon, mais les lois des dieux sont au-dessus des lois du peuple, aussi je dois vous demander, en conformité avec les lois de notre Royaume où vous vous trouvez actuellement, de prêter serment de dire la vérité.

 

Clarin leva la main et annonça :

 

-         Avec la bénédiction de Manann, et afin de faire honneur au Prince Calderon, moi, Eusebio Clarin, m’engage à respecter les commandants de Verena, et à ne répondre aux questions qui me seront posées dans l’enceinte de ce tribunal que par la vérité.

-         Très bien, Excellence. Pouvez-vous nous dire ce qui a poussé le Prince Calderon à prendre contact avec le Prince Steiner ?

-         La pièce à conviction numéro trois, Frère Arcturus. Il y a quelques semaines, mon pays a été soumis coup sur coup à quatre assauts menés par des Skavens Sauvages. Le premier a eu lieu sur Chiringuito. Salograr a été leur deuxième cible. Nous pensions régler le problème par nous-mêmes, mais quelques survivants de l’attaque de Salograr nous ont assuré qu’un Skaven Blanc était à la tête du bataillon qui avait rasé le village. Le Prince Calderon connaissait de réputation sa Majesté le Prince Steiner, ainsi que l’identité de ses enfants adoptifs, qui ne se sont jamais cachés depuis leur arrivée dans les Royaumes Renégats, à juste titre. Après ce deuxième assaut, le Prince a reçu la lettre que vous pouvez voir sur cette table. C’est à ce moment-là que le Prince Calderon a voulu s’assurer que notre ennemi n’était pas le Maître Mage Prospero. Sur son ordre, je me suis rendu à la Cour du Prince Ludwig Steiner. Le Prince Steiner a dépêché son petit-fils, Maître Sigmund, pour examiner les traces laissées chez moi par les Skavens Sauvages. Le temps de revenir à Sueño, un troisième village, Rabanera, était tombé à son tour. Enfin, Maître Sigmund nous a aidés à prévoir où arriverait la quatrième attaque, au village d’Oropesa.

-         Vous avez affronté le Prophète Gris qui menait ces Skavens Sauvages ?

-         Oui, votre Honneur.

-         Était-ce le Maître Mage Prospero Steiner ici présent ?

-         Pas du tout, votre Honneur. C’était un autre Skaven Blanc.

-         Fort bien. Est-ce que c’est le Skaven Blanc que nos troupes ont vaincu à Kreidesglück ?

 

Le diplomate hésita un peu avant de répondre à la question.

 

-         Votre Honneur… je l’ignore. Quand j’étais à Oropesa, je n’ai pas eu l’occasion de voir de près leur chef. Je ne saurais dire s’il s’agissait bien d’Iapoch, ou de quelqu’un d’autre.

-         Je vous remercie, Excellence, je n’aurai pas d’autre question. Commandant, je vous laisse ce témoin.

 

Le Commandant Schmetterling fixa le diplomate droit dans les yeux. Les deux hommes se jaugèrent ainsi quelques secondes. Chacun savait très bien à qui il avait affaire. L’échange s’annonçait animé.

 

-         Excellence, quel avis portez-vous sur le peuple du Royaume des Rats ?

-         Jusqu’à présent, Commandant, je n’ai rien à dire de spécial. Je suis en contact régulier avec des Skavens depuis quelques semaines, maintenant, et la seule différence que je perçois avec les Humains, bien entendu, c’est le physique. Autrement, tous les habitants de Vereinbarung me semblent aussi dignes de confiance les uns les autres.

-         Vous êtes avant tout un fidèle serviteur de la couronne de votre Principauté, c’est tout à votre honneur. Les intérêts du Prince Calderon passent avant ceux du Prince Ludwig… et votre propre vécu.

-         Que voulez-vous dire, Commandant ?

-         Avant que toute cette mascarade à mon intention ne débute…

-         Commandant ! interrompit le Prince. Attention, vous insultez la Cour ! Cette « mascarade » est un procès en bonne et due forme !

-         Oui, votre Altesse. Donc, je disais, avant que ne débute le procès, j’ai pris soin de me renseigner sur vous. Vous êtes un invité de marque, mais les consignes sont les mêmes pour tout le monde. Le Prince Steiner m’a ordonné d’obtenir toutes les informations possibles sur chaque personnalité importante qui viendrait se présenter devant lui. Je l’ai fait. J’ai appris que vous étiez personnellement rattaché à la famille du Prince Calderon. Est-ce exact ?

-         Je le suis, en effet, par mariage.

-         J’ai également appris que vous aviez été au cœur de la tentative d’invasion Skaven d’Ubersreik… C’est juste ?

-         C’est juste.

-         C’était quelque chose d’épouvantable, n’est-ce pas ? Toute cette destruction, ces morts, cette souffrance… Vous avez eu peur pour votre vie ?

-         Oui, Commandant. Je ne suis pas un soldat.

-         Même un soldat peut légitimement avoir peur de ce qui s’est passé. Compte tenu des circonstances, je peux comprendre parfaitement votre point de vue sur les Skavens.

 

Le diplomate se permit une petite pique :

 

-         Vous avez l’air d’être plutôt bien au fait de ces événements, Commandant… Pourtant, vous n’y étiez pas ?

-         Non, en effet, mais j’étais à Middenheim pendant la Tempête du Chaos. Une invasion bien plus terrible et destructrice que celle d’Ubersreik… enfin, je m’égare, ce n’est pas un concours. Là où je veux en venir, c’est que je ne serais pas surpris de voir que vos sentiments envers nos amis Skavens soient quelque peu mitigés ?

-         Où voulez-vous en venir, Commandant ?

-         Voulez-vous nous dire ce que vous pensez vraiment des Skavens ? Je vous rappelle que vous avez juré de dire la vérité, Excellence. Que dit votre cœur quand vous vous trouvez face à n’importe quelle personne dans cette salle dont les traits vous rappellent ceux qui vous poursuivaient à Ubersreik ?

 

Les lèvres de Clarin se plissèrent en un sourire triste, tandis qu’un petit soupir lui échappa.

 

-         J’ai été confronté aux Skavens Sauvages à Ubersreik. Le Prince Calderon le savait très bien, et pourtant c’est moi qu’il a envoyé à votre rencontre. Il savait que je me méfierais d’instinct du peuple de Vereinbarung. Comment pourrait-il en être autrement ? Les horreurs d’Ubersreik sont encore bien fraîches dans mon esprit. Quand j’ai franchi pour la première fois la frontière de votre royaume, j’ai senti l’inquiétude en voyant les gardes, des membres de la race de l’Empire Souterrain. Mais pendant les quelques jours qui m’ont été nécessaires pour atteindre Steinerburg, il ne s’est absolument rien produit de fâcheux. J’ai été alors accueilli par la señorita Bianka Steiner, la fille du Maître Mage Prospero Steiner, son père et par son frère. Tous trois m’ont réservé un accueil digne d’un fidèle ami. Certes, je l’avoue, j’ai préféré rester prudent en présence de Maître Sigmund, qui avait clairement affiché une certaine hostilité à mon égard. Mais j’ai appris à le connaître comme vous le connaissez : un homme de parole, loyal, qui se bat de toutes ses forces pour venir en aide aux personnes en danger. Je mettrai ma vie entre ses mains sans hésiter. Voilà ma réponse, Commandant : je déteste les Skavens Sauvages de l’Empire Souterrain, mais il est clair que le peuple qui habite cette principauté s’est émancipé de la volonté du Rat Cornu, à l’image de son plus célèbre représentant, le Maître Mage Prospero. Ce sont des gens honorables.

-         Merci pour eux, et merci pour votre sincérité. Le Prince Calderon est vraiment quelqu’un de très prévenant. D’ailleurs, c’est grâce à son intervention directe que notre armée a vaincu les Skavens Sauvages de Kreidesglück, n’est-ce pas ?

-         Le Prince Calderon a ordonné au Capitaine Felipe Antoninus de conduire un bataillon pour aider les forces du Prince Steiner à vaincre le Prophète Gris Iapoch. J’ai tenu à l’accompagner.

-         Pourquoi donc risquer votre vie pour un peuple qui n’est pas le vôtre ?

 

L’Estalien se leva, et soutint le regard du Commandant.

 

-         Parce que j’ai eu envie d’aider ce peuple, Commandant. À Rabanera, Maître Sigmund s’est montré assez méfiant à mon égard, sans le dissimuler. Pourtant, quand nous avons compris qu’il y avait des villageois prisonniers des Skavens Sauvages, il n’a pas hésité à risquer de se faire tuer pour les sauver. J’ai voulu faire la même chose à mon tour, pour paraître plus sympathique aux yeux du Prince Steiner, il est vrai, mais aussi parce que j’ai eu envie. Les membres de la famille Steiner que j’ai côtoyés jusqu’à présent m’ont tous donné envie de travailler avec eux, et de les aider à résoudre leurs problèmes. Tous autant qu’ils sont. La señorita Bianka est une personne à la conversation délicieuse et à la culture exceptionnelle. Dame Heike est la douceur et la générosité personnifiées. Sire Kristofferson s’est battu de manière héroïque, tout comme son frère Sigmund. Et enfin, le Maître Mage Prospero Steiner est quelqu’un que j’aimerais un jour avoir pour ami. J’agis pour l’intérêt du Prince Calderon, mais si ça n’affecte pas ma mission, j’ai le droit d’écouter mon cœur et de faire ce que j’estime juste. Et j’estime que créer des liens avec la famille Steiner et tout ce qu’elle représente est juste.

 

Schmetterling hocha la tête.

 

-         Voilà qui est généreux de votre part, Excellence. Peut-être même un peu trop généreux ?

-         En quoi serais-je « trop généreux », Commandant ?

-         Votre générosité vous a poussé à outrepasser vos droits, Maître Clarin.

-         J’ai hâte d’entendre votre explication, Commandant.

 

Le Commandant Schmetterling prit son inspiration, et s’appuya sur son pupitre.

 

« Vous êtes un fidèle serviteur de la Couronne de Sueño, nous l’avons clairement établi. Aussi, je considère que vous n’êtes pas le plus coupable, car vous n’avez fait qu’obéir aux ordres de votre Prince. Mais voilà, en tant que Commandant de l’Armée de Vereinbarung, j’ai été confronté à quelque chose que je ne peux pas accepter. »

« Alors que nous étions sur le point de partir à Kreidesglück, le jeune Kristofferson Steiner est venu nous avertir que les Orques arrivaient sur Wüstengrenze. Nous avons dû alors diviser notre armée en deux groupes distincts pour pouvoir combattre sur deux fronts à la fois. Si j’accordais une quelconque importance à la pièce à conviction numéro quatre, je pourrais même penser que c’est Iapoch lui-même qui a poussé les Orques à attaquer Wüstengrenze, sans doute par quelque pouvoir magique de Prophète Gris, mais comme je considère cette lettre d’instructions comme nulle, je n’irai pas plus loin dans cette direction. »

« Quoi qu’il en soit, si votre aide a été capitale, il n’en est pas moins qu’elle est restée secrète. C’est normal, avec l’existence connue d’un traître, toutes les précautions doivent être prises. Mais ce que je ne peux pas accepter, c’est d’avoir été tenu à l’écart de ce plan, moi, le Commandant de l’Armée. Personne ne m’a prévenu que Sueño allait nous envoyer des renforts. J’ai même plutôt l’impression de passer après les intérêts du Prince Calderon, aux yeux du Prince Steiner et des vôtres. En ce sens, c’est moi qui devrais me sentir trahi. »

 

Il y eut encore des murmures et quelques haussements de voix, réprimés par le Prince.

 

-         Commandant Schmetterling, prenez garde, aujourd’hui, je suis juge, mais hier, comme demain, je suis votre Prince !

-         Je ne le nie pas, votre Altesse, mais l’Histoire regorge de trahisons et d’évictions abusives, et j’aimerais être certain que nous ne sommes pas en présence d’une telle tentative contre moi. Maître Clarin, pouvez-vous me dire qui savait que vous interviendrez ? N’oubliez pas que vous êtes toujours sous serment.

-         Je ne l’oublie pas, Commandant.

-         Parlez sans crainte, vous êtes le Représentant du Prince Calderon, vous n’avez rien à craindre de la part du Prince Steiner.

-         Même si j’étais directement sous son autorité, je ne le craindrais pas davantage, Commandant. Le Prince Steiner a fait la demande auprès du Prince Calderon, et à ma connaissance, à la Cour de Vereinbarung, seules trois autres personnes savaient : le Maître Mage Prospero Steiner, le Magister Vigilant Brisingr Mainsûre, et Maître Nedland Grangecoq.

 

Le Commandant Schmetterling fit la moue.

 

-         Bien, bien… Le Maître Mage est le fils adoptif du Prince, j’entends bien qu’il ait sa confiance. Par contre, je suis plutôt surpris de voir que son Altesse ait préféré mettre dans cette confidence un Magister étranger venu d’Altdorf pour des raisons obscures, et un mercenaire Halfling qui a volontiers fui la justice de son pays natal. D’ailleurs, je constate que le Magister Mainsûre n’a pas été convoqué à ce tribunal ?

-         Il est en pleine négociation pour la reconstruction du pont de Wüstengrenze, répondit le Prince Steiner.

-         Dommage, j’aurais bien aimé recueillir son avis. Je vous remercie pour votre honnêteté, Maître Clarin, je n’ai pas d’autre question à vous poser.

 

Clarin regagna le banc sans rien ajouter. Il s’assit à côté de Sigmund, qui lui fit un discret petit signe de tête. Frère Arcturus prit la parole à nouveau :

 

-         J’appelle à la barre le Capitaine Marjan Gottlieb.

 

La grande et jeune femme s’était habillée pour l’occasion d’une tunique ornementée et de chausses à rayures. Une broche précieuse à l’effigie du blason de la famille Gottlieb maintenait sa cape. Son ensemble laissait transparaître sa féminité tout en lui permettant de se battre sans être gênée par de longues étoffes le cas échéant. Elle s’installa avec assurance au pupitre, leva la main, et déclara :

 

-         Je promets, sur l’honneur de la Famille Gottlieb, de dire toute la vérité devant cette cour. Qu’Ulric me punisse si je mens.

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