Le Royaume des Rats

Chapitre 31 : "Jamais Wüstengrenze ne tombera !"

7267 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 14/08/2020 10:04

Enfants du Rat Cornu,

 

N’hésitez pas à voter pour votre enfant Steiner préféré. Pour le moment, je n’ai eu que cinq votes, et les résultats donnent deux des cinq enfants à égalité.

 

Bonne lecture, et gloire au Rat Cornu !

 

 

La compagnie avait grossi pendant le trajet. Le Commandant Schmetterling avait mené une campagne d’enrôlement efficace. Les Jumeaux Gottlieb avaient fait des merveilles, et les hommes en état de se battre avaient été nombreux à répondre à l’appel. Même les paysans les plus démunis avaient emporté une fourche ou une faux pour en découdre avec l’envahisseur. Le Commandant avait dû cependant utiliser des méthodes plus coercitives pour quelques citoyens moins motivés. C’était la guerre, et telle était la loi.

 

Les guerriers avançaient d’un pas rapide en chantant. Jochen, qui chevauchait en tête juste derrière le commandant, secoua la tête.

 

Peut-être que les trois quarts d’entre nous vont se faire massacrer par les Peaux-Vertes, et ils chantent ! Pauvres fous !

 

Marjan était plus songeuse. En effet, ils avaient laissé derrière eux le domaine d’Helga Schmidt. Comme l’avait expressément demandé le Prince juste avant leur départ de Steinerburg, ils avaient fait un petit détour dans cette direction et avaient passé une heure à patrouiller. Ils n’avaient croisé aucun Orque. La maîtresse du domaine avait remercié le commandant, et de sa fenêtre, avait aussi encouragé tous les soldats présents.

 

La grande Humaine savait reconnaître une femme de valeur quand elle en voyait une. Et cette propriétaire aux cheveux sombres lui était apparue plutôt exceptionnelle : débrouillarde, indépendante, elle savait ce qu’elle valait et ce qu’elle voulait. Sur certains points, oui, elle lui rappelait leur mère.

 

Elle approcha sa monture de celle de son frère.

 

-         Hé, Jochen ?

-         Mh ?

-         Que penses-tu de Dame Schmidt ?

 

Le jeune homme fit une petite moue songeuse, et cracha :

 

-         Pas assez gironde.

-         Je ne te parle pas de ça, abruti ! Sa personnalité, sa réussite…

-         Oui, bon, d’accord, elle a de la ressource.

 

En réalité, Jochen ne voulait pas discuter. Il ne pouvait penser qu’à une chose : allaient-ils arriver à temps ? Parviendraient-ils à sauver Wüstengrenze et ses habitants ? C’est à peine s’il entendit un sergent ricaner derrière lui.

 

-         Moi, personnellement, je la prends où elle veut, quand elle veut !

 

Il fut aussitôt sanctionné par une claque sur la nuque de la part de Marjan.

 

-         Sergent, n’oubliez pas qu’une femme n’est pas seulement un trou dans lequel fourrer votre rapière !

 

Elle tourna la tête vers un Skaven qui souriait ironiquement.

 

-         Et ça vaut pour les Skavens qui penseraient à se taper sa fille ! Deux fois plus ! N’oubliez pas que le Royaume des Rats doit être un exemple d’égalité entre hommes et femmes, quelle que soit leur race !

 

Le commandant Schmetterling s’impatienta.

 

-         Ça suffit, maintenant, capitaine ! On n’est pas là pour avoir un débat sur la condition féminine dans le royaume, mais pour le protéger, alors restez concentrée, par le marteau de Sigmar !

 

La compagnie sortait de la forêt. Au loin, on distinguait les rochers plus grands et acérés, au milieu desquels apparaissait la forme des remparts de Wüstengrenze. Mais contrairement à ce que le commandant s’attendait à voir, il y avait bien quelques traces de campement, comme des déchets et des tentes encore dressées, mais aucune présence d’Orques.

 

-         Quoi, ils sont tous partis ? s’interrogea un soldat à voix haute.

-         Non, c’est pire. Regardez !

 

Jochen pointa le doigt en avant. De leur position, ils pouvaient voir l’horreur : la grande double porte d’entrée avait été enfoncée, et les Orques étaient entrés dans la ville !

 

Marjan se mordit la lèvre inférieure.

 

-         C’est pas vrai… Nous arrivons trop tard !

 

Schmetterling s’empressa de tempérer les craintes.

 

-         Peut-être pas, capitaine. Regardez mieux : d’ici, on ne voit pas grand-chose, mais déjà, je peux voir qu’il n’y a pas de trace d’incendie. Quand bien même ils seraient entrés juste après le départ du fils Steiner, ils auraient foutu le feu à toute la ville, et après quelques jours sans pluie, on verrait encore de la fumée, mais pas de bâtiment debout.

-         Mais ils ont peut-être massacré tout le monde à l’intérieur avant de foutre le camp !

 

Le commandant acquiesça d’un signe de tête.

 

-         Il va falloir envoyer quelqu’un repérer les lieux. Un volontaire ?

-         Commandant, regardez ! répondit un sergent Skaven.

 

Le grand homme roux pivota, et son front se creusa. Il vit sortir du bois un gaillard à barbe brune aussi grand que lui, et plus large d’épaules, avec une hache de bûcheron attachée en bandoulière. Il avait l’allure de quelqu’un qui avait passé les derniers jours à se cacher dans les bois pour échapper à des traqueurs : le souffle nerveux, les vêtements sales et déchirés par endroits, le regard fuyant.

 

-         Enfin ! Je vous attendais. Je savais que vous viendriez !

-         Commandant Johannes Schmetterling et son bataillon. Qui êtes-vous, citoyen ?

-         Baldur Gottwald. C’est Maître Kristofferson qui vous envoie ?

-         Oui, il nous a tout raconté.

-         Taal soit loué, il a échappé aux Orques !

-         Certes, mais… et vous ? Que faites-vous-là ?

-         Pendant que Maître Kristofferson a forcé le barrage, je suis passé de l’autre côté en descendant la falaise. Je me suis rendu à Eigeltingen où j’ai fait envoyer un pigeon voyageur vers Steinerburg.

-         Pourquoi n’êtes-vous pas resté à l’abri à Eigeltingen, alors ?

 

Maître Gottwald se frappa la poitrine du poing.

 

-         Parce que c’est ma ville, c’est mes amis, c’est ma famille ! Je refuse de rester sans rien faire pendant que vous agissez !

-         Hum… D’accord, tout bras assez fort sera le bienvenu.

-         Maître Kristofferson est avec vous ?

 

Ce fut Marjan qui répondit.

 

-         Non, Maître Gottwald. Nous savons qu’il vous a promis de revenir, et croyez bien qu’il a lourdement insisté pour ça, mais il a dû partir avec un autre bataillon.

-         Quoi ? Il y a d’autres Orques ailleurs ?

-         Pas des Orques, des Skavens Sauvages, répondit Jochen.

-         Oui, enfin, cela ne nous concerne pas pour le moment, alors n’en parlons plus ! intima Schmetterling. Faites donc votre rapport, Maître Gottwald.

 

Le contremaître s’essuya le nez sur son bras.

 

-         J’ai pris le risque d’aller jeter un œil à l’intérieur de la ville pendant la nuit. Ils ont dressé un deuxième camp aux portes de la vieille ville, devant le grand pont. Je n’ai pas entendu de bruit de bataille, depuis. Ils y sont toujours, et doivent attendre.

-         Vous pensez que la porte qui mène à la vieille ville est assez solide pour les contenir ?

-         Peut-être pas s’ils décident de vraiment la forcer.

-         Beaucoup de dégâts sur les habitations ?

-         Non, monseigneur, ils n’ont pratiquement rien cassé. Par contre, depuis hier, ils sortent régulièrement pour chasser du gibier dans la forêt.

-         Ils continuent leur siège, marmonna le commandant.

-         Ce n’est pas très habituel, chez les Peaux-Vertes, si ?

-         Non, Maître Gottwald. C’est vrai, ça n’a aucun sens. Les Orques massacrent et pillent sans subtilité. S’ils voient des gens trop leur résister, ils vont voir ailleurs.

 

Marjan vit alors du coin de l’œil quelque chose qui attira son attention.

 

C’était le Magister Flamboyant Brisingr Mainsûre. L’Elfe aux cheveux flamboyants était à l’écart. Il scrutait le ciel de ses yeux plissés, à l’affût de quelque chose. Il s’assit en tailleur sur l’herbe, baissa les paupières, et ouvrit ses sens. Comme tous les Mages du Collège du Feu, il était spécialement réceptif au vent Aqshy. Mais il était tout aussi capable de déceler d’autres formes de sorcellerie. Il savait que les Orques écoutaient les conseils d’un chamane, comme toute tribu respectable. Il était bien décidé à l’affronter. Son rôle était également de repérer n’importe quel piège d’origine magique.

 

Il laissa son esprit s’élever peu à peu, flotter au gré des vents de magie. Tout le champ de bataille apparut autour de lui. Il distingua les formes colorées des soldats groupés derrière lui. Les brins d’herbe, les insectes, les oiseaux résonnaient à leur façon dans la trame du tissu qui constituait le monde. Une bande de corneilles en particulier piaillait à une centaine de pieds de hauteur. Le Magister sourit nerveusement.

 

Ces oiseaux-là vont pouvoir se régaler d’ici peu. J’espère qu’ils aiment la viande verte.

 

Brisingr allait mouvoir son esprit plus loin, lorsqu’il s’arrêta. Il avait senti quelque chose de louche. Il scruta plus attentivement les alentours…

 

Rien, cependant. Seulement une impression étrange, celle d’être déjà observé.

 

Pourtant, il n’y a rien ici à part…

 

Il ouvrit brutalement les yeux, se leva d’un bond, et regarda vers le ciel. Le vol de corneilles était déjà revenu au-dessus des remparts. L’Elfe sentit ses sourcils se froncer.

 

-         Un problème, Mainsûre ? demanda le commandant.

 

Le Mage Flamboyant pivota vers le grand homme roux, l’air inquiet. Il balaya de la main une mèche de cheveux qui lui chatouillait le visage.

 

-         Nous sommes repérés, Commandant. La subtilité n’est plus de mise.

-         Comme c’est réjouissant…

 

Comme pour rajouter du poids aux paroles de l’Elfe, le son d’une corne d’alarme retentit derrière les murs de la ville. Le jeune Gottlieb serra les rênes de sa monture.

 

-         Nous devons y aller ! s’écria Jochen. Soldats, apprêtez-vous à charger !

-         Non ! cria alors la voix puissante de Schmetterling.

 

Tous les regards se tournèrent vers le commandant. Le grand Humain roux avait levé la main.

 

-         Tout le monde reste en position, soldats. Il n’est pas question de charger.

-         Quoi ? Mais vous êtes fou !

-         Réaliste, au contraire, capitaine. Si nous entrons dans la ville, ce sera un carnage généralisé.

-         De quoi parlez-vous ? aboya Marjan.

-         Notre armée n’est pas faite pour les échauffourées dans les rues ! Eux sont beaucoup plus mobiles et nerveux que nous, ils nous déborderont rapidement, et auront le dessus.

-         Alors quoi ? On va rester là, à regarder les Peaux-Vertes massacrer les nôtres ?

-         Je n’ai pas dit ça, capitaine.

-         Eh bien moi, je vous dis « merde » !

 

Jochen talonna aussitôt son cheval, et voulut partir vers la ville. Mais à peine arriva-t-il à la hauteur de Schmetterling que celui-ci lui décocha un solide coup de poing au menton. Le jeune homme tomba de la selle et roula dans l’herbe. Marjan descendit aussitôt de sa monture et se précipita à ses côtés. Le jeune Gottlieb avait la lèvre saignante. Du haut de son destrier, Schmetterling l’écrasa d’un regard méprisant.

 

-         Je devrais vous faire passer en cour martiale, capitaine, vous avez tenté de désobéir à un ordre de votre supérieur devant témoins. Par considération pour votre noble mère, je ne le ferai pas. Mais faites bien attention, la prochaine entourloupette de ce genre ne sera pas acceptée. Et comme je le disais tantôt, on ne va pas non plus abandonner nos concitoyens à leur triste sort.

 

Il balaya du regard la compagnie entière.

 

-         Écoutez, ils sont nombreux, mais ils ne peuvent pas nous échapper. Nous allons rester ici, nous sommes en position de force. Tous les Orques qui sortiront tomberont directement sous nos assauts. Pour le moment, ils sont rassemblés devant la porte intérieure. Il va falloir quelques volontaires pour une mission particulière : entrer, puis attirer leur attention pour les pousser à vous poursuivre jusqu’ici. Les Orques n’ont pas l’habitude de réfléchir, provoquez-les, ils vous courront après. Quand ils vous auront suivi jusqu’à nous, nous les taillerons en pièces !

 

La voix claire de Marjan résonna :

 

-         Commandant ? Et s’ils décident de passer à l’attaque et de forcer les portes de l’ancienne ville Naine ?

-         Alors, il faudra espérer que les gens à l’abri en profitent pour les repousser jusqu’à dehors.

-         Ou alors, on détruit le pont !

 

Toutes les têtes se tournèrent vers Brisingr Mainsûre. Gottwald s’esclaffa.

 

-         Vous avez déjà vu un pont de fabrication Naine, Maître Mage ? Trop solide !

-         Si vous frappez suffisamment fort au bon endroit, vous pouvez casser un morceau qui soutient la structure. Ajoutez le poids de centaines d’Orques dessus, et il ne tiendra pas longtemps. Les Orques seront coincés entre nous et le gouffre.

-         Et les gens qui se retrouveront prisonniers dans la vieille ville ?

-         On trouvera bien un moyen de faire une passerelle de cordes de fortune pour les évacuer quand la bataille sera finie. Ensuite, nous engagerons des Nains pour construire un autre pont.

 

Schmetterling plissa les lèvres en un sourire ironique.

 

-         Les citoyens seront sans doute ravis de payer la facture !

-         Ils seront sans doute encore plus ravis d’être toujours en vie pour la payer !

-         Oui, évidemment. Et comment vous comptez « frapper suffisamment fort au bon endroit » ? Avec votre magie ?

-         Absolument, Commandant.

-         Donc, pour que ce plan marche, vous avez intérêt à rester en vie !

-         J’ai affronté bien plus dangereux que ces Peaux-Vertes, Commandant. Faites-moi confiance. Et puis, je crois savoir que j’ai un chamane à éliminer ?

 

Sans attendre de réponse de la part du commandant, l’Elfe bondit sur son cheval et galopa vers la ville.

 

Les soldats le regardaient s’éloigner, certains semblaient désorientés par la désinvolture du Magister. L’un d’eux demanda à haute voix :

 

-         Et s’il se fait tuer avant de détruire le pont ?

-         J’espère ne pas en arriver là, soldat, mais la seule solution sera de lancer un assaut sur la ville. Ou de les laisser massacrer nos concitoyens coincés à l’intérieur. Bon, à présent, il me faut des volontaires pour appâter les Peaux-Vertes !

 

Marjan se leva.

 

-         Moi, Commandant !

-         Bien évidemment. Qui veut accompagner le capitaine Gottlieb ?

-         Les capitaines ! rétorqua Jochen. J’y vais aussi.

-         Très bien. Deux capitaines Gottlieb, c’est logique.

 

Une dizaine de Skavens et d’Humains levèrent la main à leur tour.

 

-         Rappelez-vous : l’idée est de les amener à diviser leurs forces. Si vous pouvez en éliminer quelques-uns, faites-le, mais ne prenez pas de risques inutiles. Ils ne vous suivront probablement pas tous en une fois, ils ne sont pas idiots à ce point-là. Mais si nous réussissons à entamer leurs rangs de manière significative, ce sera alors un bon point. Quand Mainsûre aura détruit le pont, où que vous soyez, ne réfléchissez pas : cassez-vous, et revenez ici. Nous mènerons l’assaut à ce moment-là. Allez, tâchez de nous en ramener un maximum !

 

Les membres de la petite troupe qui étaient à pied prirent une monture, et la douzaine de volontaires se dirigea à son tour vers Wüstengrenze.

 

*

 

Marjan et Jochen Gottlieb étaient en tête. Derrière eux, un jeune Skaven nommé Lionel Steinmetz les regardait, et ne pouvait pas s’empêcher de prêter une attention toute particulière à leur armure. En effet, les Jumeaux étaient nés de parents particulièrement vigoureux. Leur père disparu était connu pour être un véritable géant, costaud et brutal. Leur mère, originaire du Kislev, avait hérité des longs cheveux blonds et des yeux clairs des femmes de cette contrée lointaine, ainsi que d’une force de caractère et une endurance peu communes. Et les deux jeunes gens avaient chacun tiré parti du meilleur du sang de leurs parents. Grands, costauds, impressionnants dans leur armure.

 

Quand on les voyait chevaucher côte à côte, il n’était pas si simple de les distinguer. Tous deux portaient une armure faire selon le même schéma : sans fioriture ni décoration outrageuse, mais robuste et solide. Ces armures étaient identiques, et lorsque les Jumeaux portaient leur casque, on ne pouvait les reconnaître qu’à la couleur du métal qui composait intégralement leur protection. Ainsi, l’armure de Jochen était forgée dans un métal sombre, qui la faisait paraître presque noire. Celle de Marjan était bien plus claire, et la lumière du soleil illuminait les diverses pièces qui la composaient avec des reflets colorés, comme si elle avait été taillée dans un bloc de nacre.

 

Le seul ornement que les deux Gottlieb s’étaient autorisés à arborer était leur blason, directement gravé dans le plastron. Le Prince avait proposé à son intendante et à ses enfants de nouvelles armoiries pour refléter leur nouvelle vie à Vereinbarung, et laisser à tout jamais le passé avec le cadavre de Wilhelm Gottlieb, enterré dans son fief du Middenland. Ils avaient ensemble composé les symboles qui étaient désormais liés à leur famille : un loup noir bondissant au milieu d’un soleil d’or à la couronne rouge.

 

Steinmetz secoua la tête pour se concentrer de l’objectif qui était à présent tout près. Plus ils approchaient, plus les chevaux étaient nerveux. L’odeur des Peaux-Vertes et de leurs montures agaçait leur odorat.

 

Jochen serra les dents.

 

-         J’espère qu’il n’y a pas de Gobelins…

-         Pourquoi donc, capitaine ? demanda Steinmetz.

-         Parce qu’ils ont l’habitude de chevaucher des loups, et qu’ils feraient peur aux chevaux, répondit Marjan.

-         Kristofferson n’a pas parlé de Gobelins. Mais ne t’illusionne pas, soldat, les chevaux n’aiment pas non plus les sangliers des Orques, et ça, on sait qu’il y en a.

 

Ils arrivèrent aux abords des remparts. Le cheval de Brisingr Mainsûre attendait, les rênes attachées à une lance plantée dans le sol. Marjan s’adressa aux membres de l’escouade.

 

-         Nous allons entrer discrètement, puis que nous arrivons à leur campement, on les attire en leur criant dessus un bon coup, puis on se barre. Contrairement à ce que vous pourriez croire, ils ne sont pas assez stupides pour lâcher leur plus grosse proie, seule une fraction d’entre eux va nous courir après. Et il y a de fortes chances pour que ça énerve suffisamment les autres pour qu’ils s’excitent sur la porte de la vieille ville. On les houspille en espérant qu’il en viendra un maximum. Mais en aucun cas on n’engage le combat, soldats ! On fonce vers la sortie au plus vite s’en s’arrêter ! Sans même les attendre ! Ce sont des Orques, je vous garantis qu’ils ne nous lâcheront pas, même s’ils nous perdent de vue au coin d’une rue !

 

Les soldats acquiescèrent, puis suivirent les deux capitaines. Les chevaux marchaient au pas, et personne n’osa prononcer un mot. Seul le bruit des sabots sur les pavés ponctuait le silence de plus en plus lourd. Marjan pouvait presque sentir les frissons qui parcouraient l’échine des plus jeunes recrues. En effet, même si les Orques n’avaient pas encore massacré toute la ville, de nombreuses traces de leur passage étaient visibles : quelques armes tordues ou cassées, des morceaux de bois, des taches de sang rouge ou vert.

 

Steinmetz chuchota :

 

-         Capitaine Gottlieb ?

-         Quoi ? siffla Jochen avec impatience. On a dit « discrètement » ! Qu’est-ce qu’il y a ?

-         Comment se fait-il qu’il n’y ait aucun cadavre ? Vous croyez que les nôtres étaient déjà planqués dans la vieille ville quand les Peaux-Vertes ont enfoncé la porte ?

-         Y a des chances, mais je pense aussi qu’il restait quand même quelques miliciens pour leur résister. Et ceux-là… regarde dans les crottes de sanglier, tu les retrouveras. Maintenant, ferme-la ! Tout le monde se tait !

 

Steinmetz déglutit bruyamment. Plus personne n’osa ajouter une syllabe. Au fur et à mesure qu’ils traversaient la ville désertée, la sensation de pression sur les tripes grandissait. Les cris d’un vol de corneilles firent sursauter un Skaven, qui serra nerveusement l’épée rangée à son côté. Bientôt, Marjan se rendit compte qu’une rumeur lointaine lui titillait les oreilles depuis déjà quelques minutes. Elle posa sa main sur l’épaule de son frère. Celui-ci répondit d’un « oui » de la tête. Quelques yards plus loin, le doute n’était plus permis. Cette rumeur qui enflait lentement mais sûrement, c’était l’odieux concert des voix rocailleuses des Orques dans leur camp. Des aboiements graves, des jappements brefs, des bruits de coups sur la chair ou l’acier, les Orques ayant l’habitude de se battre entre eux entre deux batailles.

 

Jochen leva la main, toute ta compagnie stoppa. Le grand Humain mit pied à terre, et continua d’avancer prudemment, à moitié accroupi. Il se plaqua contre la paroi d’un bâtiment, et passa lentement la tête au-delà de l’angle. Il put voir la situation désastreuse dans son ensemble : les Orques étaient bien là, rassemblés sur la grande place qui donnait accès au pont de pierre de conception Naine. Ils se préparaient à la bataille, et semblaient bien décidés à en découdre. L’air était chargé d’effluves de sueur, de viande et d’excréments. Jochen estima rapidement leur nombre. Il y en avait des centaines, peut-être plus d’un millier. Le bataillon de Schmetterling comptait environ trois mille combattants, mais un bon tiers était constitué de paysans qui ne s’étaient jamais battus de leur vie. Un Orque pouvait facilement venir à bout de deux civils. La bataille n’était pas gagnée, et de toute façon, elle allait sans doute coûter cher en vies Humaines et Skavens.

 

La seule chose sur laquelle les habitants de Vereinbarung pouvaient peut-être compter était le manque d’organisation des Orques. Déjà, il y avait un grand désordre, et de nombreuses disputes éclataient un peu partout. Les Peaux-Vertes réglaient volontiers leurs différends à coups de poing, y compris au beau milieu d’une bataille. Il fallait en tenir compte.

 

Le jeune Humain fit glisser son regard à travers tout le campement jusqu’au pont lui-même.

 

Mainsûre est vraiment confiant quand il dit qu’il va l’exploser !

 

Comme toutes les constructions du peuple des Karaks, le pont qui enjambait le gouffre au fond duquel coulait le fleuve semblait aussi vieux que solide. Cet immense ouvrage d’une centaine de pieds de large n’était pas occupé par l’ennemi, et ne présentait aucun point faible. Les pavés clairs se déroulaient sur plus d’une trentaine de yards, au bout desquels se tenait une immense porte de bois renforcé de multiples pièces de fer forgé. La porte elle-même était haute de plus de quarante pieds. Sa base portait de nombreux impacts, mais jusqu’à présent, elle avait tenu bon. Jochen distingua sur les remparts les silhouettes de quelques gardes de Wüstengrenze, arquebuse prête à tirer. Il chercha sa mère, mais ne la vit pas.

 

Elle doit être à l’intérieur. Tenez bon, Mère, nous arrivons !

 

Il fila le plus discrètement possible vers le groupe et se remit aussitôt en selle.

 

-         Tenez-vous prêts ! ordonna le jeune homme.

 

Il cavala vers la place, arrêta sa monture à la vue des Orques, et cria de toutes ses forces :

 

-         Hé, bande de crevures ! Amenez vos culs verts que je les botte !

 

Le résultat ne se fit pas attendre. Aussitôt, une vingtaine de guerriers Orques aboyèrent de colère et se précipitèrent vers l’enclos à sangliers. Jochen talonna son cheval et rejoignit vite les autres. Il ne ralentit même pas et dépassa le groupe qui le suivit au galop. Derrière eux, les cris de rage des Orques retentirent à travers les rues.

 

*

 

Le chamane Orque plissa ses lèvres ridées en un sourire cruel.

 

Ce n’était pas pour rien qu’on l’appelait « Wozza le Klairvoyan ». Grâce à ses dons de chamane, conférés par Mork, le Dieu de la Magie chez les Peaux-Vertes, il pouvait voir bien plus loin qu’un Orque ordinaire. Un exercice dans lequel il excellait était le lien avec les animaux. Il était capable de relier magiquement son cerveau aux yeux d’un animal afin de voir à sa place. Les animaux de petite taille tombaient d’ailleurs rapidement sous son contrôle.

 

La grosse corneille au centre d’un vol d’oiseaux noirs, par exemple.

 

Grâce à cet allié de circonstance, Wozza avait vu les Zoms arriver, accompagnés par les Gros Rats. Sans doute voulaient-ils empêcher Targhân Trwadwa d’obéir à la volonté de Gork et Mork… C’était vraiment pathétique !

 

Il pouvait voir les Zoms et les Gros Rats, à cheval, en train de cavaler entre les baraques. Ils n’étaient pas très nombreux. Les guerriers de la Waaagh lancés à leur poursuite allaient les rattraper et les massacrer. La corneille vola plus haut, et le chamane put voir plus loin. Les autres, dans la plaine, étaient plus nombreux, mais n’arriveraient pas à temps pour sauver les intrus.

 

Wozza ricana. Les ennemis pouvaient toujours courir, jamais ils n’échapperaient à son œil. C’était une situation doublement jouissive pour le vieil Orque : voler comme un oiseau était déjà agréable, mais traquer les Zoms et les Gros Rats, les regarder fuir devant la Waaagh, rendait la chose encore plus amusante.

 

Il poussa la corneille à se détacher du banc d’oiseaux pour voler plus haut et ainsi avoir une meilleure vue d’ensemble. Les dix fuyards allaient avoir une surprise désagréable. Grâce à l’étendue de ses pouvoirs, Wozza le Klairvoyan était capable d’invoquer la magie de Gork et Mork et de la déchaîner à travers les yeux d’un animal sous son contrôle.

 

Il anticipa le chemin que les Zoms et les Gros Rats allaient emprunter. Il marmonna alors une formule magique apprise du chamane qui lui avait appris à communiquer avec les dieux des Orques, tout en sentant son cœur accélérer. Ses oreilles vibrèrent aux mugissements des Orques. « Waaagh ! Waaagh ! » Tel était le nom qu’ils avaient l’habitude de donner à leurs communautés. C’était un cri de guerre. C’était aussi un son spécial, à travers duquel l’énergie magique liée aux Orques circulait. Pour rester simples, les chamanes Orques appelaient cette énergie la « Magie Waaagh ». La puissance de la Magie Waaagh était proportionnelle au nombre de Peaux-Vertes à travers desquels elle pouvait circuler.

 

Wozza sentait la Magie Waaagh faire tressaillir ses muscles. Grâce à son point de vue céleste, il repéra l’endroit précis où il allait la faire tomber. Déjà, il pouvait voir un nuage de brume verte se matérialiser au-dessus des maisons. Encore quelques instants, quelques efforts… La brume se solidifia, des contours se dessinèrent, et finalement l’ombre d’un gigantesque pied vert grand comme une galère d’Ulthuan cacha le soleil aux cavaliers.

 

-         Stop ! Tout le monde ! cria Marjan.

 

L’énorme pied d’énergie Waaagh s’abattit dans un grand fracas sur la ruelle, juste devant les éclaireurs. Heureusement, personne ne se trouva juste en dessous, mais le choc fut si violent que quatre des chevaux tombèrent dans un concert de hennissements affolés.

 

-         Debout ! Debout ! ordonna Jochen, qui jetait déjà des regards affolés vers la ruelle.

 

Les cris des Orques ricochaient déjà contre les murs. Lorsque le dernier soldat à terre se remit enfin en selle, les Peaux-Vertes surgirent du coin, au grand galop sur leurs sangliers déchaînés. Ils brandissaient d’énormes haches, épées et gourdins, avides de carnage.

 

Soudain, une explosion de feu éclata juste devant les barbares. Les flammes se répercutèrent sur les murs, léchant les briques, les colombages et les tuiles. Les premiers moururent sur le coup. Ceux de derrière se retrouvèrent prisonniers d’un tourbillon de flammes. Les rugissements firent place à des cris de douleur gutturaux. Les Orques se roulèrent par terre, les sangliers ruèrent et se percutèrent les uns les autres.

 

Enfin, au bout d’une très longue demi-minute, les cris cessèrent. Et en moins d’une seconde, toute présence de feu s’évanouit.

 

Wozza ne comprit pas. Il obligea la corneille à regarder fébrilement de tous les côtés. Les fuyards étaient sur le point de se faire rattraper par les boyz de Targhân Trwadwa. Le pied de Gork les avait immobilisés. Et puis, d’un seul coup, quelque chose avait provoqué un gigantesque et violent incendie qui avait réduit les boyz en cendres ! Qui avait osé faire ça ?

 

C’est alors que quelque chose attira son attention. Sur un toit, non loin du groupe de Zoms, il y avait une silhouette dégingandée. Détail curieux, elle avait une crinière orangée sur la tête. Wozza focalisa les yeux de l’oiseau noir sur cette étrange figure. Il eut tout juste le temps de distinguer un bras tendu vers lui… puis soudain, la corneille brûla vive en une seconde, perdit l’équilibre et alla se fracasser dans une ruelle.

 

Repoussé en arrière par le choc, Wozza le Klairvoyan se retrouva allongé de tout son long sur les pavés. Il se releva péniblement en grognant, la nuque meurtrie. Quelque chose lui chatouilla la narine gauche. Il écrasa la droite sous son pouce, et souffla un bon coup par le nez. Un filet de sang vert gluant jaillit et dégoulina à ses pieds. Le chamane se tourna vers le chef, l’air inquiet.

 

-         Ohé, Targhân ! Les Zoms et les Gros Rats ont un sorcier ! Il a fait brûler nos Boyz ! Ils vont attaquer !

 

L’immense chef Orque gronda de colère.

 

-         On va les réduire en miettes !

-         Mais attends, Targhân ! Les Zoms qui sont dedans les murs vont aussi nous attaquer de leur côté ! On va être coincés entre les deux côtés !

 

Targhân glapit derechef.

 

-         Qu’est-ce qu’on doit faire, à ton avis ?

 

Wozza ferma les yeux, et réfléchit une dizaine de secondes avant de montrer la lourde porte du doigt.

 

-         Faut qu’on attaque ceux-là, et on se cachera derrière les remparts à notre tour !

-         Mais Gork et Mork veulent qu’on les laisse crever de faim ! C’est toi qui nous l’as dit !

-         C’est vrai, mais je ne suis pas sûr, Targhân.

 

À ces mots, Targhân attrapa le chamane par la peau du cou.

 

-         Quoi ?

-         J’ai pas entendu Gork et Mork me parler depuis qu’on est là, chef !

-         Sinistre con ! T’es en train de me dire qu’on est coincé entre tous ces Zoms parce que t’as mal compris nos dieux ?

 

Le chef leva le poing, prêt à défoncer le crâne de Wozza, lorsqu’il se souvint qu’il avait le chamane de la tribu au bout du bras. Craignant le courroux des dieux, il le lâcha.

 

-         Je ne comprends pas, Wozza ! Que disent Gork et Mork, maintenant ?

-         Ils ne disent rien pour le moment, Targhân. Mais je suis sûr que si on reste ici sans rien faire, tous les Zoms vont nous découper en petits morceaux, et ça, Gork et Mork n’aimeront pas ! Il faut se battre !

 

Targhân regarda tout autour de lui. Tous ses fidèles guerriers avaient écouté avec anxiété la conversation. Conscient d’être leur meilleure chance contre la peur et la défaite, il saisit l’énorme hache qu’il portait dans le dos, la brandit, et cria de toutes ses forces :

 

-         D’accord, on va se les faire ! Pour Gork ! Pour Mork !

 

Puis il poussa le cri de la Waaagh, immédiatement imité par tous les guerriers. Il braqua son arme vers la double porte renforcée.

 

-         Ceux-là sont plus affaiblis, ils sont plus vulnérables ! On va tous les tuer !

-         Waaagh ! répondirent les Orques.

-         Après, on s’occupera des autres qui arrivent ! Quand ils auront vu leurs amis tous morts, ils seront affaiblis à leur tour, et on les tuera tous aussi !

-         Waaagh !

 

Un Orque s’avança.

 

-         Mais, boss, comment on va faire pour tuer ceux qui sont à l’abri ? Ils sont protégés par les portes qui ont l’air très lourdes !

 

Cette fois, ce fut Wozza qui ricana :

 

-         Pas pour longtemps, sombre crétin !

 

*

 

Appelée par les gardes qui avaient repéré l’agitation montante des Orques, Dame Franzseska Gottlieb se trouvait sur le rempart. À ses côtés se tenait le capitaine Müller.

 

-         Ma Dame, les gardes ont signalé de l’agitation il y a quelques minutes. Et maintenant, cette explosion !

-         Quelqu’un doit être en train de les harasser. Enfin, nous avons nos renforts !

 

Le vieux soldat n’était pas aussi enthousiaste. Au contraire, l’agglutinement d’Orques l’inquiéta.

 

-         Regardez, ma Dame ! Ils s’apprêtent à lancer l’assaut !

 

Dame Franzseska grogna d’agacement, puis elle se tourna vers l’intérieur du rempart. Derrière la lourde porte, tous les soldats valides attendaient avec anxiété. Certains tremblaient au point de presque lâcher leur arme. La grande femme blonde décida de ne pas laisser la peur étouffer les habitants de la ville qui comptaient sur elle.

 

-         Habitants de Wüstengrenze, soyez braves ! Les renforts sont enfin arrivés, et ont commencé à laminer l’envahisseur ! Les Peaux-Vertes vont repartir à l’attaque, et cette fois, ils ne s’arrêteront qu’avec la mort. Ils croient qu’ils vont nous soumettre, mais nous allons leur montrer que nous savons défendre nos terres et notre vie !

 

Elle vit les visages présenter peu à peu des expressions déterminées. La peur cédait sa place à la combativité. Elle continua d’alimenter les passions.

 

-         Vous êtes l’âme du Royaume des Rats ! Tant que vos cœurs garderont cette flamme que je vois dans vos yeux, personne ne nous vaincra !

 

Des cris enthousiasmés s’élevèrent au-dessus du bataillon. Pour finir de motiver les troupes, Dame Franzseska brandit son épée au-dessus de sa tête, et cria de toutes ses forces :

 

-         Jamais Wüstengrenze ne tombera !

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