Le Royaume des Rats

Chapitre 30 : Plan de bataille

7664 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 12/05/2021 10:07

Enfants du Rat Cornu,

 

Ma reprise de travail à la Bibliothèque nationale de France se fait en douceur. Je souhaite qu’il en soit de même pour vous.

 

J’aimerais vous rappeler que ma proposition de commande de dessin est toujours valable. Pour faciliter le recueillement de réponses, j’ai ouvert un sondage, où je vous invite à choisir quel membre de la fratrie Steiner vous souhaitez voir illustré par Ziegelzeig. Je ferai la commande en septembre.

 

Les sites de fanfictions ont une fâcheuse tendance à effacer tout ou partie des caractères des lignes de lien. Je ne peux donc pas vous transmettre directement l’adresse du sondage. Par contre, je vous invite à aller sur la page DeviantArt nommée ChildrenOfPsody – c’est la mienne – et d’aller voir la déviation « A new Steiner ». Vous y trouverez le lien vers le sondage.

 

Merci par avance pour qui jouera le jeu et s’exprimera.

 

Gloire au Rat Cornu !

 

 

Psody et Romulus progressaient côte à côte dans les couloirs de la demeure Steiner. Le Skaven Blanc riait doucement.

 

-         Je n’y ai pas cru une seule seconde-seconde, Romulus.

-         Il était si peu convaincant ?

-         La seule chose qui me faisait peur-peur, c’était de craquer et d’éclater de rire devant lui tellement c’était ridicule-grotesque ! Tout était bidon ! Il n’a même pas fait attention à ses paroles !

-         Comment ça ?

-         Il m’a reproché d’avoir tué Vellux. Pourtant, tuer-tuer son maître est dans l’ordre des choses pour tous les Prophètes Gris !

-         Oui, et en plus, je vois mal ton dieu te blâmer d’avoir éliminé un Skaven Blanc plus faible que toi, et donc indigne de lui. Mais fais attention, Psody ! Cela veut dire qu’il t’en veut personnellement. Peut-être que c’était un ami de ton ancien maître ?

-         Vellux n’avait pas d’amis, seulement des esclaves ou des rivaux.

 

Les deux amis entrèrent dans un endroit particulier. Le manoir Steiner disposait d’une salle pour recevoir un conseil de guerre. C’était une très grande pièce sobre, avec une table suffisamment large pour y dérouler plusieurs cartes. D’ailleurs, il y avait justement une carte de Vereinbarung posée dessus. Des bancs étaient disposés tout autour de la table, ce qui permettait à plusieurs dizaines de personnes d’assister à une réunion où l’on discutait des stratégies à venir, en vue d’une importante bataille.

 

Près de la table étaient déjà rassemblés le Prince, le Mage Flamboyant Mainsûre, Marjan et Jochen Gottlieb, ainsi que le Commandant Johannes Schmetterling et Nedland Grangecoq. Et tout autour, il y avait une vingtaine de soldats installés sur les bancs. Hommes et femmes, Humains et Skavens échangeaient quelques opinions.

 

Le visage du Prince s’éclaira à la vue des deux hommes.

 

-         Ah, mon ami ! Mon fils ! On n’attendait plus que vous deux.

 

Tout le monde fit silence. Le Prince prit alors la parole :

 

« Mesdames, messieurs, grâce à vous et aux hommes d’armes que vous commandez, la paix est effective depuis notre arrivée à Vereinbarung il y a six ans. Je vous remercie, tous autant que vous êtes, le Commandant Schmetterling en tête. Malheureusement, cette paix est aujourd’hui menacée. Vous avez peut-être perçu des signes inquiétants ces dernières semaines : des rumeurs, des soupçons, des craintes… j’ai le devoir de vous dire que nous sommes victimes d’une tentative d’invasion de Skavens Sauvages. Jusqu’à présent, ils avaient épargné votre Principauté, mais nous avons fini par attirer leur attention, et l’un de leurs maîtres mystiques nous a déclaré la guerre. »

« Il y a eu une tentative d’assassinat. Vous le savez, son auteur a été publiquement… exécuté. Mais nous avons eu d’autres attaques, plus discrètes mais plus vicieuses encore. Notre ennemi est un Prophète Gris, un maître spirituel chez les Skavens Sauvages. Il a voulu utiliser ses pouvoirs maléfiques contre nous. Or, ce faisant, il a commis une grave erreur : il a manqué de prudence, et nous avons pu le repérer. Normalement, il ne sait pas encore que nous l’avons percé à jour. Maître Mainsûre ? »

 

Le grand Elfe s’approcha de la table.

 

-         Le Prophète Gris a utilisé la magie du Warp pour tenter de faire peur à notre ami Prospero. Et cet idiot a laissé des traces de magie dans toute la pièce ! J’ai pu relever ces traces. J’ai passé les deux derniers jours à les analyser, à faire des calculs selon les vents de magie, et je suis maintenant en mesure de vous dire précisément d’où viennent ces flux de la magie Warp. Notre petit farceur se cache très exactement…

 

Il posa un doigt ferme sur la carte.

 

-         Là.

 

Le Prince, le Maître Mage et le Commandant se penchèrent à leur tour sur le plan.

 

-         « Kreidesglück »… Grangecoq ?

-         C’est une ancienne mine de calcaire, votre Majesté. Nous l’avions repérée assez vite à notre arrivée dans le pays, mais nous l’avons rapidement cataloguée comme « structure abandonnée ». La roche qu’elle contient est bien trop friable pour être pleinement exploitable. Gotrek Gurnisson nous avait trouvé des gisements de bien meilleure qualité dans d’autres secteurs C’est une carrière à ciel ouvert, mais elle comprend également de nombreux tunnels.

-         La cachette idéale pour les Skavens Sauvages, commenta Schmetterling.

 

L’Elfe observa :

 

-         Vous remarquerez, votre Altesse, que Kreidesglück n’est pas du tout à proximité de la frontière avec Sueño. Le royaume du Prince Calderon se situe au nord, un peu vers l’est, tandis que cette carrière est pleinement au nord-ouest. Je peux me tromper, mais je me demande si ces Skavens Sauvages sont bien les mêmes que ceux qui ont attaqué le Domaine Nichetti ?

-         Vous pensez qu’il y aurait deux colonies dirigées par le Skaven Blanc qui menace Sueño ?

-         Peut-être bien.

 

Le Skaven Blanc sentit une petite piqûre désagréable à l’estomac.

 

-         Et si ce n’était pas le même ? Et si le Skaven Blanc que nos hommes ont vu au Domaine Nichetti était différent de celui qui se cache-cache dans cette carrière ?

-         Ça, mon ami, il n’y a qu’un moyen de le savoir : lui mettre la main dessus ! Pour cela, nous aurons besoin de toutes nos ressources.

-         Nos hommes sont habitués à affronter les Skavens Sauvages, rappela Schmetterling. Bien sûr, ils préféreront se battre sous terre, mais nous pourrons les vaincre. Idéalement, il faudrait qu’on les force à se battre à l’air libre.

-         Nous devons mettre toutes les chances de notre côté de toute façon, Commandant. Psody, ton masque d’or sera sans doute bien utile !

 

Psody regarda son père adoptif d’un air navré.

 

-         Il faudra se passer de mon masque, Père. Je l’ai utilisé pour purifier le Domaine Nichetti. Or, le rituel a demandé une dépense d’énergie magique particulièrement élevée-importante !

 

Le Prince fronça les sourcils.

 

-         Es-tu en train de me dire que ton masque ne pourra plus jamais marcher ?

-         Non, Père, il reste fonctionnel. Seulement, il a besoin de temps pour se recharger. Il faudra encore plusieurs semaines, peut-être plus d’un mois.

-         Et nous n’avons pas un mois, maugréa Schmetterling.

-         J’ai une autre idée. Peut-être que les inventions de ton fils pourraient nous aider ?

-         Possible. Il faudrait le lui demander ?

 

Steiner fit sonner la cloche destinée à appeler un domestique. Un Humain en livrée entra dans la pièce.

 

-         Allez me chercher Gabriel !

 

Le serviteur s’inclina et disparut. Deux longues minutes plus tard, le petit Skaven gris clair passa son museau à travers la porte, et franchit timidement le seuil. Derrière lui, sa grande sœur Bianka regardait avec anxiété. Psody lui fit signe d’approcher.

 

-         Entre, Gab. N’aie pas peur.

 

Mais il était déjà trop tard. Le jeune inventeur se retrouva littéralement pétrifié par toutes ces grandes personnes qui le regardaient. Subitement, cette situation lui rappela un cauchemar qu’il faisait régulièrement : il avait l’impression d’être tout nu devant toute une foule de géants qui riaient à gorge déployée, le montraient du doigt, et se moquaient de lui.

 

Il resta paralysé, tremblant, les yeux écarquillés, la bouche tremblante. Il sentit son estomac se contorsionner douloureusement quand il repéra l’impatience sur les visages des Humains et des Skavens. Ses dents claquèrent à une telle vitesse qu’il faillit se mordre la langue. Même le sourire rassurant du prieur Romulus n’eut pas le moindre effet positif.

 

Ce fut Bianka qui prit les devants. Elle avança vers son frère, le prit par la main et chuchota :

 

-         Tout va bien, ne t’en fais pas, on a juste besoin de toi.

 

Et ils avancèrent ensemble lentement vers la grande table, dans un silence étouffant. Les adultes suivaient les deux jeunes Skavens du regard. Certaines figures se firent sévères, d’autres restaient impassibles. Au passage, l’un des lieutenants s’amusa à faire un geste brusque vers le frère et la sœur. Gabriel bondit en arrière avec un petit cri. Bianka s’empressa de le serrer contre elle et de le frictionner.

 

-         Je vous en prie, un peu de tenue ! s’exclama la jeune fille. C’est déjà bien assez difficile comme ça !

 

En voyant l’air indifférent du soldat, le Skaven Blanc poussa un soupir agacé. Steiner déclara calmement :

 

-         Commandant Schmetterling, vous ferez une retenue sur sa solde.

-         Bien, votre Altesse.

-         Et tâchez de mieux tenir vos hommes si vous ne voulez pas être le prochain.

 

Le grand Humain roux ne répondit rien, mais cette fois-ci, il sentit l’énervement titiller son épine dorsale. Le petit Skaven gris avançait péniblement, les yeux fixés sur ses orteils pour ne croiser aucun regard. Sa grande sœur le guida jusqu’à la table, ses mains délicatement posées sur ses épaule.

 

Le Prince Steiner sentit qu’il allait devoir déployer des trésors de patience pour réussir à faire parler Gabriel sans le traumatiser. Il détendit autant qu’il put son visage pour rassurer le petit homme-rat.

 

-         Gabriel, notre armée va devoir affronter les Skavens Sauvages.

-         Affronter ? Guerre ? Nous… nous sommes en guerre ?

-         Oui, hélas.

-         Il va… des blessés ? Des… morts ?

-         Nous ferons tout pour que ça n’arrive pas. La meilleure façon de nous battre avec le minimum de risques serait d’utiliser ton gaz soporifique. Il va nous en falloir de très grandes quantités. Ils se cachent dans une carrière avec des tunnels. Si on les bombarde de gaz, tous ceux qui seront dehors seront neutralisés, et nous pourrons en répandre dans leurs galeries.

 

Gabriel, en sueur, déglutit bruyamment.

 

-         Malheureusement, Opa, ça n’est pas possible.

-         Mais pourquoi ?

-         Parce que… parce que… d’abord, c’est un endroit très aéré. Mon gaz est très volatile. Dans les tunnels, il reste efficace longtemps, mais à l’air libre, il peut juste endormir quelques personnes, et ça ne suffira pas pour une armée, il sera dispersé trop vite.

 

Le Commandant Schmetterling voulut trouver quelque chose à dire pour encourager le petit jeune homme-rat.

 

-         Eh bien, s’il est efficace dans les tunnels, il y a des puits, des cheminées d’aération… Nous pourrons lancer des grenades. Ensuite, nous poursuivrons ceux qui ne seront pas neutralisés par le gaz.

 

Le petit Skaven gris clair pivota vers le commandant, mais fixa nerveusement ses orteils.

 

-         Il… y a… un autre problème… Monseigneur : je n’en ai plus !

-         Tu n’as pas fait de réserves ? demanda Steiner.

 

Gabriel osa relever la tête pour regarder son grand-père de travers.

 

-         Ce gaz perd toute son efficacité en deux ou trois semaines, même s’il est conservé. Je devrais pouvoir l’améliorer, mais il me faut encore du temps pour trouver une meilleure formule. C’est pour ça que je n’en fabriquais jamais plus que nécessaire quand il y avait une Récolte.

 

Psody se souvint de quelque chose.

 

-         Et le gaz qui a servi pour le mannequin piégé dans mon lit ? Il fallait régulièrement le changer, aussi ?

-         Non, c’en est un autre, mais encore plus… volatile. En plus… il est très long… à distiller. Il faudrait… que je réussisse… à mélanger… les deux… formules.

 

Le petit Skaven gris clair baissa le nez, et ses larmes tombèrent sur le tapis.

 

-         Je… je suis… désolé.

 

Le Prince se pencha vers le jeune homme-rat. Gabriel se recroquevilla et crispa son visage de toutes ses forces, comme s’il anticipait une gifle. L’Humain tendit le bras, posa une main bienveillante sur son épaule, et murmura d’une voix douce :

 

-         Ce n’est pas grave. On va faire autrement. Je suis sûr que tu as fait tout ce que tu as pu. Tu peux partir, maintenant.

 

Gabriel avala sa salive, recula, pivota sur ses talons, et courut vers la porte avec des halètements effrayés aussi vite qu’il put. Les moins attentifs n’eurent que le temps de voir le bout de sa queue rose disparaître par l’ouverture.

 

Les mines étaient défaites. Il y eut même quelques soupirs agacés. Ce qui n’échappa guère à l’ouïe affûtée du Skaven Blanc.

 

-         Mon fils est comme il est. Grâce à ses inventions, vous avez fait les dernières Récoltes sans la moindre blessure-mort. Quelqu’un a quelque chose à dire-dire ?

 

Personne ne répondit.

 

-         Bien. Nous allons devoir agir-procéder d’une manière plus conventionnelle.

 

Bianka se retira à son tour. Steiner demanda :

 

-         Commandant Schmetterling, comment voyez-vous les choses ?

-         Eh bien, cette carte ne nous donne pas une configuration très précise des lieux. Je peux envoyer un éclaireur dès maintenant pour qu’il observe et nous fasse un premier rapport. Mais toutes les carrières se ressemblent. Ils feront tout pour rester dans les tunnels ? Eh bien, nous les y enfermerons. Je préconise de prévoir une bonne quantité de poudre à canon, et nous ferons des bombes pour faire s’écrouler le terrain. Comme nous n’avons aucun usage de cette carrière, autant y aller carrément. Ceux qui ne mourront pas dans les explosions seront broyés par les éboulements, et tous les autres s’enfuiront.

-         Une stratégie qui en vaut une autre. Je suis convaincu que Maître Mainsûre se fera d’ailleurs un plaisir d’apporter son concours.

 

L’Elfe eut un sourire malicieux.

 

-         Votre Majesté est on ne peut plus dans le vrai.

 

Le Prince leva l’index.

 

-         Par contre, il est primordial de mettre le Prophète Gris qui les mène hors d’état de nuire ! Si on le laisse filer, il risque de vouloir revenir se venger.

-         Les Skavens Sauvages ont la rancune tenace ? demanda Schmetterling.

-         Vous ne savez-imaginez pas à quel point !

-         Vous savez de quoi vous parlez, Maître Mage. Très bien, nous ferons le nécessaire. Retour à la caserne, nous partons demain matin au lever du soleil !

 

Sur ces paroles, le Commandant Schmetterling quitta la salle du conseil, immédiatement suivi par ses hommes.

 

Il ne restait plus que le Prince, le Maître Mage, le Magister Flamboyant, l’aumônier, l’éclaireur Halfling et les Jumeaux Gottlieb.

 

-         Tout ceci ne m’amuse pas, maugréa Romulus. Je crains qu’il n’y ait de lourdes pertes.

-         Tu dis vrai, mon ami. Mais quitte à perdre des citoyens, mieux vaut les soldats qui ont choisi de se battre pour leur principauté que des femmes et des enfants.

-         Le gaz de Gabriel nous aurait été utile, murmura Jochen.

-         Il faudra nous en passer, alors n’y pensons plus !

-         Une autre chose m’ennuie, observa Psody.

-         Quoi donc ?

-         Le traître était probablement parmi nous.

 

Un silence gêné suivit cette phrase. Silence que le Prince rompit.

 

-         Malheureusement, il fallait bien réunir le conseil de guerre, mon petit.

-         Peut-être qu’il aurait fallu faire venir juste-seulement Schmetterling ?

-         Sauf si c’est lui, ton traître, ironisa Marjan.

 

Steiner se racla la gorge.

 

-         J’ai recruté Schmetterling quand j’ai appris qu’il avait été sous les ordres directs du Comte Électeur Boris Todbringer. Pour moi, cela reste un gage de loyauté. Le Royaume des Rats a été pour lui une opportunité de devenir commandant lui-même, et jusqu’à présent, il a toujours rempli son rôle. D’accord, il n’est pas tendre, mais c’est un militaire. Un militaire efficace. Je n’attends pas de lui le caractère concessionnaire d’un prêtre de Shallya. Pour les autres, de toute façon, tôt ou tard, Schmetterling leur aurait transmis le plan. Le traître en aurait eu vent.

-         Peut-être que ce traître n’existe que dans notre imagination ? suggéra Brisingr.

-         La blanchisseuse n’a pas été occise par notre imagination, répliqua Jochen.

-         Je vous demande de tous rester très prudents, déclara Steiner. Ne faites confiance qu’aux personnes qui se trouvent dans cette pièce. Faites au mieux, tâchez de revenir en vie, et gardez les yeux ouverts. Et trouvez-moi ce Prophète Gris !

-         Et que doit-on faire de lui quand on l’aura ? demanda Brisingr.

 

Le Skaven Blanc se tourna vers le Mage Flamboyant. Son visage se plissa de colère.

 

-         Il a utilisé l’image du Rat Cornu pour me faire peur. C’est un sacrilège-sacrilège. Pour ça, le Rat Cornu le punira à sa guise. Mais ce n’est pas le plus grave, pour moi ; il m’a poussé à rejeter ma femme et mes enfants, et m’a ordonné de les exterminer ! C’est une insulte mortelle ! Ce Prophète Gris mérite de mourir !

 

Marjan posa sa main sur l’épaule du Skaven Blanc.

 

-         Je comprends ton ressenti, Psody ; si quelqu’un devait utiliser de tels procédés pour briser mes liens avec Jochen, je l’étranglerais avec ses intestins. Néanmoins, tu dois te rappeler qu’il connaît probablement pas mal de secrets qu’il pourrait nous être utile de connaître à notre tour.

-         Marjan, j’étais un Prophète Gris, moi aussi. Je ne vois pas ce qu’il pourrait m’apprendre !

-         On ne sait jamais, Psody. Et s’il avait sous sa responsabilité des ingénieurs du Clan Skryre qui auraient développé de nouvelles armes ? Et s’il avait effectivement un complice qui se cache après avoir lancé la corruption sur le Domaine Nichetti ? Un ennemi capturé vivant est plus précieux qu’un cadavre.

-         Surtout quand cet ennemi capturé a un complice dans nos rangs, rappela Jochen. On lui fera cracher le morceau sur le traître.

 

Le Prince regarda gravement toutes les personnes autour de lui.

 

-         J’aimerais vous accompagner. En tant que Prince, je devrais être au front. Mais je pressens qu’il me faut rester ici. Ma fille et mes petits-enfants ne bougeront pas de la maison, et je veux être auprès d’eux. Je peux me tromper, mais j’aime autant être là si quelqu’un de mal intentionné profitait de la situation pour semer le trouble ici.

-         Nous comprenons, votre Altesse, murmura gravement Marjan.

-         Quoi qu’il en soit, cela m’ennuie profondément de le dire, j’espérais ne jamais devoir prononcer ces mots, mais le Commandant a raison : c’est la guerre.

 

Le conseil se termina sur ces sinistres paroles.

 

*

 

Le souper se terminait. Bianka et Isolde étaient déjà couchées, et Gabriel, toujours sous le choc, était resté enfermé dans son atelier. Le Prince en avait profité pour inviter Maître Mainsûre à sa table. Les Jumeaux Gottlieb étaient également présents. Jochen voulut en connaître davantage sur leur ennemi.

 

-         Prospero, je n’ai jamais affronté de Prophète Gris, je me demande ce qu’il faut craindre le plus ?

-         Leur pugnacité. Ils sont des élus-élus du Rat Cornu, et toute leur vie, on leur a rappelé. Ils sont donc persuadés d’être supérieurs aux Skavens ordinaires. Et donc, tant qu’ils ont l’avantage, ils se battent avec une férocité redoublée.

-         Ouais… Mais quand il va se retrouver avec les deux Gottlieb sur le râble, il va devoir se montrer quatre fois plus pugnace, pas vrai, Marjan ? Marjan ?

 

Jochen se tourna vers sa sœur. Celle-ci regardait vers la fenêtre.

 

-         Hé, sœurette ? Ça ne va pas ?

-         Attendez ! Vous n’entendez rien ?

 

Tous firent silence. Bientôt, le bruit du galop effréné d’un cheval parvint à toutes les oreilles. Heike se leva et voulut observer ce qui se passait dans la cour. Elle ouvrit de grands yeux en reconnaissant la silhouette qui venait de s’engouffrer dans le manoir.

 

-         Kristofferson ?

 

Quelques réactions surprises et un instant plus tard, le jeune Skaven brun entra dans la salle à manger, transi, essoufflé, les yeux exorbités. Sa mère se précipita vers lui.

 

-         Kit ! Qu’est-ce qui se passe ?

 

Le jeune homme-rat se força à reprendre de l’air pour pouvoir gémir :

 

-         Les Orques attaquent Wüstengrenze !

-         Quoi ?

 

Ludwig Steiner se leva d’un bond. Il saisit l’un des serviteurs qui débarrassait la table par la manche.

 

-         Allez vite me chercher le Commandant Schmetterling à la caserne, et dites-lui de me retrouver dans la salle d’état-major !

 

Le valet s’empressa de quitter la pièce. Kristofferson s’écroula sur une chaise. Sa mère s’empressa de lui servir un verre d’eau.

 

-         Repose-toi. Tu es arrivé, c’est bon, tu es à l’abri.

 

Le Skaven brun bout à grandes goulées, et regarda Psody.

 

-         Père, mais… Qu’est-ce qui t’est arrivé ? T’as une sale tête !

 

Le Skaven Blanc sentit un coup au cœur. Ils ne s’étaient pas vus depuis plusieurs semaines, et donc son glissement d’un état de satisfaction sereine à l’angoisse qui lui faisait perdre le contrôle était d’autant plus brutal pour son fils. Il serra les dents.

 

-         Un Prophète Gris tente de me faire des misères depuis notre dernière Récolte.

-         Par la balance de Verena !

-         Autant que tu le saches ici-maintenant : il a passé les dernières semaines à jouer avec moi, il a voulu me faire peur, il m’a même poussé à faire du mal à ta sœur !

-         L’ordure ! Il doit payer !

-         Oh oui, il va payer. Plus cher qu’il ne l’imagine ! Mais d’abord, nous devons nous occuper de ces Orques.

 

Steiner se tourna vers les deux autres Humains.

 

-         Les enfants, je suppose qu’il est inutile de vous demander si vous comptez rester là, ou si vous souhaitez aller porter secours à votre mère ?

-         Excellente supposition, votre Altesse ! Nous allons de ce pas rassembler un contingent de soldats !

 

Ils se levèrent, et se dirigèrent vers la porte. Kristofferson leva la main.

 

-         Ils ont un chamane !

-         Allons bon ! s’agaça le Prince. Bien, il va falloir une réponse appropriée. Maître Mainsûre ?

-         Oui, votre Majesté ?

-         S’ils ont un chamane, vous devriez vous y rendre, il vaut mieux un sorcier dans nos rangs pour l’affronter.

-         Entièrement d’accord, approuva l’Elfe. Désolé, Prospero, il faudra vous passer de mon aide.

-         En tout cas, je pars avec vous ! déclara fermement Kristofferson.

-         Non, Kit, coupa alors le Prince. Tu restes ici.

 

Kristofferson sentit son cœur bondir dans sa poitrine.

 

-         Quoi ? Oh non ! Je retourne à Wüstengrenze avec Maître Mainsûre et les Jumeaux, au plus vite !

-         J’ai dit non, Kristofferson. Tu veux te battre, c’est convenu. Tu le feras auprès de ta famille, à la carrière de Kreidesglück.

-         J’ai promis à Sœur Carolina de revenir avec des renforts !

-         Eh bien les renforts arriveront. Ce n’est pas une personne de plus qui y changera quelque chose.

 

Kristofferson baissa la tête. Soudain, il entendit un craquement retentir au fin fond de son cœur. Il se releva d’un bond et tapa du poing sur la table.

 

-         Tout Klapperschlänge est mort à cause de ces putains de Peaux-Vertes ! J’ai échoué dans ma mission de protéger mes concitoyens ! Les morts veulent que je les venge ! Les Orques vont tous me le payer !

 

Sa respiration était haletante. Sa mère prit peur, et son père n’était pas rassuré. Même le Prince fut choqué de le voir dans cet état. Brisingr Mainsûre resta en retrait. Seul Sigmund se permit d’avancer vers lui. Il lui posa une main rassurante sur l’épaule.

 

-         Wally et Pol ne sont pas idiots, ils comprendront et l’expliqueront aux autres.

 

Kristofferson repoussa fermement la main de son frère d’une claque sur l’avant-bras.

 

-         Toi, à ta place, je me ferais tout petit.

-         Pardon ?

-         Tu sais de quoi je parle ! Boire comme un trou, ça ne te suffit pas ?

 

Sigmund ne répondit que par un soupir. Son frère aîné continua :

 

-         Tu es pitoyable ! Vraiment, j’ai eu la honte de ma vie en lisant le courrier de Bianka ! Et quand mes amis, restés à Wüstengrenze, vont apprendre que mon frère est un ivrogne et un boucher, j’aurai l’air de quoi ?

-         Ce n’est pas ton problème, déclara alors Psody d’un ton péremptoire.

-         Père, enfin ! Je…

 

Mais lorsqu’il vit l’éclat de ses yeux roses, Kristofferson sentit les mots se bloquer dans sa gorge. Le Skaven Blanc continua :

 

-         La conduite de ton frère n’est pas de ta responsabilité, Kristofferson. Je comprends-comprends que tu te soucies de l’image que doit donner la famille princière, mais c’est à moi et à ta mère de régler le problème de Sigmund. Toi, tu as ta place, et tu dois t’y tenir-tenir.

-         C’est surtout mon rôle, Kit, intervint alors Steiner. Jusqu’à preuve du contraire, le Prince, c’est moi. De toute façon, ce n’est pas le bon moment pour en parler ; d’ailleurs, Maître Mainsûre n’est sans doute pas intéressé. Mainsûre, veuillez nous attendre à la salle d’état-major, je vous prie.

-         Immédiatement, votre Majesté.

 

L’Elfe s’empressa de filer. Le Prince s’adressa de nouveau à l’aîné de ses petits-enfants.

 

-         Nous avons une situation plus urgente à gérer, et j’ai besoin de toi pour ça.

 

Kristofferson passa de la colère à la peur. La voix nouée, il gémit :

 

-         Opa, ma sanction n’est pas terminée ! Il faut que j’y retourne !

-         Tout le monde sait à quel point tu es dévoué à notre cause, mon petit. Personne ne dira rien. Surtout si tu prouves que tu ne laisses pas tes passions obscurcir ton jugement. Je te relève de ta sanction. Maintenant, va t’apprêter.

 

Le jeune Skaven brun décida d’être pleinement honnête :

 

-         Mes meilleurs amis sont là-bas ! Je dois les aider ! Enfin… Je veux les aider ! D’accord ? Wally et Pol comptent sur moi, tout comme Sœur Carolina et le capitaine Müller ! Et les Jumeaux y vont, eux ! Père, Opa, comprenez : Jochen et Marjan sont mes frère et sœur Humains, je me suis toujours battu à leurs côtés ! Je veux être près d’eux pour défendre les habitants, pour Vereinbarung !

-         Et moi, je veux que tu sois aux côtés de ton père. Il va devoir affronter son propre passé, une fois de plus.

-         Ce sont ses affaires ! Les miennes sont à Wüstengrenze !

-         Ce n’est pas si simple, Kit. Ton père aura besoin de tout le soutien de ceux qui l’aiment. Contre un Prophète Gris, je préfère savoir qu’il pourra compter sur ses deux meilleurs éléments. Je suis certain que Franzseska saura gérer les Orques avec ses deux propres enfants. Et ton frère a raison : tes amis comprendront.

 

Psody ajouta :

 

-         Oui, je veux t’avoir à mes côtés. J’ai peut-être une chance de battre ce Prophète Gris, mais avec toi et ton frère près de moi, ce sera une certitude-certitude.

 

Kit distingua alors sa mère du coin de l’œil. La pauvre avait l’air aussi prête à pleurer. Il n’y avait pas besoin de réfléchir longtemps pour comprendre pourquoi : aucune mère ne souhaitait voir son enfant partir à la guerre.

 

*

 

Un peu plus tard, Steiner, Psody, ses deux grands garçons, le Maître Mage, Nedland et Schmetterling étaient rassemblés une fois de plus dans la salle au conseil de guerre.

 

Le Prince résuma la situation au Commandant.

 

-         Comme si les Skavens Sauvages ne suffisaient pas… Voilà que les Orques nous tombent dessus !

-         Commandant, je vous charge de vous rendre à Wüstengrenze avec les capitaines Gottlieb et Maître Brisingr Mainsûre.

-         Il va falloir nous partager les troupes. Je vais prendre la moitié de notre garnison, et je prendrai tous les hommes en état de se battre sur le chemin.

-         Vous pouvez vraiment faire ça ? demanda Sigmund.

-         Mobilisation générale. C’est la guerre, jeune homme.

-         Parfait. Kristofferson, Sigmund, je vous charge de la même mission. Demain matin, vous partirez vers Kreidesglück avec Nedland, et en chemin vous ferez la tournée des villes avoisinantes pour recruter tout Humain ou Skaven apte à prendre les armes.

-         Voulez-vous que je désigne un de mes officiers pour diriger vos troupes ?

-         Ce ne sera pas nécessaire, Commandant. Prospero est mon fils adoptif, il a donc l’autorité nécessaire pour se faire obéir.

-         Bien sûr, mais a-t-il l’expérience du combat entre armées ? Une bataille à grande échelle, c’est autre chose qu’une Récolte !

-         Vous avez raison-raison, Commandant. Je n’ai pas votre connaissance du combat de masse. Mais j’ai un Halfling.

 

Le grand homme roux haussa les sourcils.

 

-         Grangecoq ?

 

L’éclaireur ricana.

 

-         Hé, j’ai participé à un certain nombre de batailles dans la compagnie du capitaine Ludviksson. Les batailles, ça me connaît. Je saurai conseiller notre ami Maître Mage.

 

Schmetterling grommela, mais n’ajouta rien. Il s’inclina et se retira. Le Prince s’adressa à ses deux petits-fils.

 

-         Allez vous coucher, vous deux. Vous allez avoir besoin de toutes vos forces.

 

Les deux frères Skavens quittèrent la pièce sans ajouter un mot. Ils montèrent jusqu’à l’étage des appartements familiaux. Au moment où Sigmund allait franchir la porte de sa chambre, Kristofferson pointa un doigt rageur vers lui.

 

-         Siggy, je te préviens : si jamais je constate que tu as bu ne serait-ce qu’une goutte d’alcool demain matin, tu le regretteras !

 

Le Skaven Noir fit une grimace contrariée, mais ne prononça pas un mot. Une fois la porte fermée, Kristofferson n’entra pas tout de suite dans sa propre chambre. Il retraversa le couloir sur la pointe des pieds, redescendit l’escalier, et quitta la propriété pour se rendre au temple de Shallya.

 

*

 

-         Voilà, Prieur, vous savez tout.

 

Le prieur Romulus joignit les mains, et fit une moue pensive.

 

-         Je ne connais pas cette Helga Schmidt, mais à en croire ce que tu m’as décrit, elle m’a l’air d’être une femme de caractère, en effet.

-         C’est sûr, et à présent, j’ai honte. J’aimerais revenir auprès d’elle pour présenter mes excuses, et aussi demander comment réparer, mais elle risque de me faire étriper !

 

L’Humain regarda avec insistance le jeune homme-rat.

 

-         Au fond de toi, tu avais vraiment envie de les violenter ?

-         Non ! Dame Miranda m’a paru touchante, même ! Seulement, je n’ai pas réfléchi. Il fallait que je vous rejoigne au plus vite !

-         Tu es jeune, fougueux, et tu ne réfléchis pas toujours. Je comprends ton point de vue, d’autres auraient fait comme toi, ou pire. Sigmund n’aurait pas hésité à tout casser !

-         Je vous en prie, Prieur, ne parlons pas de Sigmund !

 

Le jeune Skaven soutint le regard du prieur.

 

-         Lui aussi a mal agi, et ton grand-père l’a mis face aux conséquences de ses actes. Toi, c’est un peu différent : tu as agi dans l’urgence, et personne n’a été gravement blessé.

-         Oui, mais j’ai fait peur à ces deux femmes ! C’est réprouvé par nos lois !

-         Tout comme retenir quelqu’un contre son gré. Tu as voulu accomplir ta mission pour sauver tes amis, Dame Schmidt a voulu t’en empêcher pour aider les siens. Dans les deux cas, le but était honorable, mais les moyens discutables.

 

Kristofferson baissa la tête. Romulus eut un sourire bienveillant.

 

-         Voilà ce que nous allons faire : tu vas quitter ce temple. Ensuite, tu prendras le missel de Verena, tu liras la parabole de Kaspar l’Infortuné, et tu réciteras trois fois la prière de la Miséricorde de Verena avant d’aller te coucher. Je rendrai visite à Dame Helga quand tout sera terminé. En tant que représentant du Prince, elle verra que son cas est pris au sérieux, et nous conviendrons tous, en adultes responsables, d’un arrangement qui permettra de réconcilier Steiner et Schmidt.

-         J’espère seulement qu’elle ne demandera pas à ce que j’épouse sa fille !

-         Et pourquoi pas ? Si c’est une jeune fille belle et intelligente…

 

Devant l’air déconfit du jeune homme-rat, l’aumônier éclata de rire.

 

-         Je plaisante. Si tu n’es pas allé plus loin que quelques caresses, sa mère n’a aucun moyen de pression, il ne lui viendrait pas à l’idée de lancer un tel défi à la famille princière, elle aurait tout à perdre. Non, nous trouverons bien une solution plus matérielle. Va, maintenant. Des moments bien plus pénibles nous attendent, j’en ai peur.

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