Le Royaume des Rats

Chapitre 10 : Il y a quelque chose de pourri à Sueño

7235 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/01/2019 12:38

Femmes-rates, hommes-rats,

 

Je viens de me rendre compte de quelque chose d’assez gênant.

 

Je publie cette histoire sur une demi-douzaine de sites Internet de fanfictions, en anglais et en français. En première page, j’ai mis l’adresse d’une page DeviantArt où j’expose les images en rapport avec mes fanfictions, avec le pseudo « ChildrenOfPsody ». Or, sur certains de ces sites, le lien vers la page a été purement et simplement effacé par le moteur.

 

J’ai corrigé tant bien que mal les choses sur les sites en question, mais au cas où, je vous rappelle l’adresse ici. Enregistrez-la en supprimant tous les « underscore », le tiret de la touche 8 du clavier, que j’ai dû rajouter pour que l’adresse complète soit bien affichée.

 

https_:_/_/_childrenofpsody_._deviantart_._com/

 

N’hésitez donc pas à consulter cette page, je transmettrai aux artistes vos commentaires. Je vous assure, ça vaut le coup d’œil, les quelques travaux d’illustrateurs mis en ligne sont dignes d’être appréciés, à tel point que j’ai adopté le design des personnages suggéré par les artistes comme étant « canoniques » dans mon œuvre. Et si vous voulez ajouter vos propres créations, dites-le-moi par MP, je vous enverrai mon adresse mail afin de recueillir vos travaux et les publier à votre nom.

 

Merci de votre compréhension, et surtout, je vous souhaite une nouvelle année 2019 pleine de réussites et d’aventures extraordinaires.

 

Gloire au Rat Cornu !

 

 

Le convoi avait franchi la frontière deux heures plus tôt. Le temps était beau, les nuages filaient dans le ciel bleu, poussés par un vent puissant. L’herbe des plaines moins irriguées qu’à Vereinbarung était sèche et jaunie, la route était rocailleuse et les chevaux laissaient sur leur passage une traînée de poussière.

 

Eusebio Clarin n’était pas à l’aise. Sa calèche était assez grande et confortable, et conçue de manière à bien encaisser les cahots. Il était également habitué à la chaleur qui rappelait certains coins de son Estalie natale. De toute façon, il avait sa gourde pleine d’eau dans un petit compartiment à portée de main.

 

Le vrai problème était l’atmosphère qui régnait dans le petit espace clos et mobile. Face à lui se tenait Sigmund Steiner. Bras croisés, il le fixait avec un regard alourdi de soupçons, comme s’il s’attendait à voir se refermer sur lui un piège. Cette mesure était pourtant nécessaire : si les Skavens pouvaient aller et venir en liberté dans Vereinbarung, il n’en était rien en dehors de ses frontières. Pour éviter de prendre le risque d’effrayer les paysans et villageois en chemin, le diplomate avait demandé au Skaven Noir de rester dans le carrosse. Celui-ci s’était aussitôt mis en colère, avait crié, et menacé l’Estalien. Heureusement, si le capitaine de la garde qui accompagnait le diplomate avait promptement dégainé son épée, Clarin n’avait pas perdu une once de patience. Il avait dû déployer des trésors de diplomatie et lui promettre de bien veiller sur sa jument pour finir de convaincre le jeune homme-rat de coopérer.

 

Et donc, cela faisait déjà deux bonnes heures que l’ambassadeur soutenait le regard de Sigmund. Il n’était pas irrité, simplement attristé. Il se risqua à parler :

 

-         J’ai pris le temps de réfléchir sur votre comportement envers moi. Vous n’avez pas l’air de beaucoup m’apprécier, Messire Steiner.

 

Le grand Skaven Noir ne répondit pas. L’Humain ne s’en offusqua pas pour autant.

 

-         Je regrette que cette posture vous soit inconfortable, mais nous sommes bien obligés ! Les habitants de Sueño ne sont pas aussi ouverts d’esprits que ceux de Vereinbarung.

 

Le regard de Sigmund s’alourdit de reproches. L’Humain sentit monter une légère inquiétude.

 

-         Sérieusement, vous êtes quelqu’un d’intelligent, de bien élevé. Vous n’allez pas encore me hurler dessus ou me menacer pour que je me taise, n’est-ce pas ?

 

Toujours pas de réponse. Clarin n’en démordit pas.

 

-         Écoutez, je vous assure que nous avons de bonnes intentions. Si le Prince Calderon voulait vraiment vous poser des problèmes, il vous aurait lancé une déclaration de guerre ! Dans les Royaumes Renégats, les choses peuvent aller très vite. Une principauté peut changer de prince trois fois en moins de deux ans. Votre grand-père me fait confiance, et je lui fais confiance. Tout comme je vous fais confiance en étant face à vous, sans armes ! Vous pouvez faire de moi ce que vous voulez, je n’aurai pas le temps de me défendre !

 

Sigmund restait silencieux. Le diplomate tenta une autre approche qu’il voulut empathique.

 

-         Vous savez, les Estaliens ne sont pas toujours très bien considérés hors de leur pays. Quand j’étais étudiant à Nuln, les dames étaient intéressées par mon côté exotique, mais les hommes ne voyaient en moi qu’un étranger, quelqu’un qui préparait toujours un mauvais coup au bénéfice de sa patrie. Certains étudiants m’ont même vu comme un espion. Vous savez que les meilleures universités de l’Empire sont à Nuln ? On m’a souvent considéré avec froideur et suspicion, alors que j’étais aussi Humain que les autres. Je ne peux pas comprendre pleinement votre ressenti face aux Humains qui n’ont pas choisi de vivre avec vous. Mais j’espère vous paraître sincère quand je vous dis que je vois en vous des gens bien, vous et votre famille. Votre sœur Bianka m’a très bien accueilli et guidé. Votre père fait preuve d’une sagesse que je ne pensais jamais observer chez un Skaven. Et vous… je sens que vous êtes quelqu’un sur qui je peux compter. J’aurais aimé avoir quelqu’un comme vous à mes côtés, à Ubersreik. Et j’espère vraiment que vous nous aiderez à régler ce problème. Vous êtes les mieux placés pour ça.

 

Enfin, le faciès du Skaven Noir commença à se dérider.

 

-         Bianka est ma sœur jumelle, Maître Clarin.

 

Clarin ne put réprimer un haussement de sourcils. La bouche de Sigmund se crispa en un rictus ironique.

 

-         Oui, on ne dirait pas, comme ça. Mais c’est ainsi. Ma venue en ce bas monde précède la sienne de quelques minutes seulement.

-         Cela doit vous rapprocher d’elle davantage.

-         Je ferais tout pour elle.

-         J’en suis certain. C’est une jeune personne adorable.

-         Vous trouvez ? Pourtant, je le reconnais, il n’est pas toujours facile de lui parler.

-         Ce n’est pas l’impression qu’elle m’a laissée. Au contraire, elle n’a pas cessé de me questionner, et a répondu de bon cœur à mes questions.

-         C’est parce que vous êtes un Humain intelligent et cultivé, Maître Clarin. Elle peut paraître froide face à des gens qu’elle ne connaît pas et qui ne partagent pas son instruction.

-         Ah. Oh… vous voulez dire qu’elle peut être méprisante ?

-         Au premier abord, on pourrait croire, mais son cœur est en or massif.

-         Tout comme le vôtre, jeune homme. Vous adorez votre sœur, et vos parents. C’est évident.

 

L’expression de Sigmund se détendit enfin complètement, et passa de la méfiance à l’interrogation.

 

-         Comment pouvez-vous en être si sûr, Maître Clarin ?

-         C’est mon métier. Quand on travaille dans la diplomatie, on doit apprendre à décoder les petits signes que les gens émettent sans forcément s’en rendre compte. Vous pouvez mettre à profit cette science pour déstabiliser un adversaire politique, ou bien pour rassurer un interlocuteur. Hier, vous n’avez pas hésité à défendre votre père devant moi. Vous pensiez avoir affaire à un étranger prétentieux venu s’extasier devant des êtres qu’il considérait comme « inférieurs », et qui voulait se moquer des gens que vous aimez. Je vous jure que ce n’est pas le cas, Messire Steiner.

-         Vous êtes sûr que vous n’êtes pas magicien ? Vous ne savez pas lire dans les pensées ? demanda Sigmund, réellement interloqué.

-         Dans les pensées, non. Mais dans les petits signes inconscients, je peux voir beaucoup de choses. Entre autres un véritable amour d’un fils envers son père. Votre voix, votre regard… vous étiez bien trop impliqué émotionnellement pour faire ça juste par souci d’apparence.

 

Le Skaven Noir baissa les yeux.

 

-         Je ne savais pas que ces signes existaient.

-         C’est normal, vous êtes un tout jeune homme. La señorita Bianka a accepté de me révéler son âge, qui est aussi le vôtre, puisque vous êtes son jumeau. Et donc, vous n’avez pas encore l’expérience pour percevoir ces petites subtilités. Mais ne vous en faites pas, je suis sûr que ça viendra.

 

L’Humain se permit un léger sourire.

 

-         Votre grand-père pourra déjà vous enseigner quelques bases. Lui aussi est un homme qui a tout mon respect. En vérité, vous avez de la chance d’avoir une famille comme celle-ci, Messire Steiner.

-         Vous avez de la famille, Maître Clarin ?

-         Un frère et deux sœurs. Ils sont restés au pays. L’argent de nos parents leur permet de bien vivre, et ils n’ont pas l’esprit aussi aventureux que moi. Mais qu’ils m’appellent pour une affaire urgente, et je quitterai tout pour les rejoindre en Estalie.

 

Un cheval caracola à la hauteur du carrosse. Il était monté par Felipe Antoninus, le capitaine de l’escorte de Clarin. Il tapa au carreau. L’ambassadeur ouvrit la fenêtre.

 

-         Que se passe-t-il ?

-         Il y a un problème, Maître Clarin. Il faut arrêter le convoi !

-         Faites donc, mon ami.

 

Quelques instants plus tard, le carrosse était à l’arrêt, entouré des gardes montés. Clarin descendit, et invita Sigmund à en faire autant.

 

-         Qu’est-ce qui s’est encore passé ? murmura l’homme-rat.

 

Ils se trouvaient à l’entrée d’un petit village composé d’une quinzaine de maisonnettes. Une rivière coulait non loin, à quelques milles de distance, et il y avait plus de végétation. On distinguait même une forêt de pins.

 

Mais pas un son, pas un mouvement, aucun signe de vie n’accueillit la procession.

 

Les bâtiments étaient à peu près intacts, mais quelqu’un avait ravagé les potagers et massacré le bétail. Il y avait, pêle-mêle dans la boue, les corps de quelques malheureux paysans, partiellement dévorés. Les animaux morts portaient tous les traces évidentes d’une sauvage mastication.

 

Clarin approcha sans bruit de Sigmund, et murmura à son attention :

 

-         C’est le village de Rabanera. Une communauté sans histoire, Messire Steiner.

-         Jusqu’à aujourd’hui. C’est tout récent.

-         En effet, je suis passé par là en venant à Steinerburg, et tout allait bien.

 

Le visage du jeune Skaven Noir se plissa d’appréhension. Clarin lui demanda :

 

-         Vous pourriez faire une étude du terrain, je vous prie ?

-         Je suis venu pour ça. Autant commencer tout de suite.

-         Ils ont été très rapides.

 

Sigmund sentit le regard des hommes qui composaient la patrouille peser sur lui. Il grogna.

 

-         Je sais ce que vous vous dites : ce ne serait pas arrivé si nous étions venus plus tôt.

-         C’est moi qui ai décidé de rester plus longtemps que prévu, Messire Steiner. Et puis, si nous étions venus plus tôt, nous aurions fini comme ces pauvres gens.

 

Sigmund fit quelques pas jusqu’au centre du village, balaya du regard les alentours.

 

-         Où sommes-nous, exactement, Maître Clarin ? Je veux dire, « géographiquement » ?

-         Nous sommes dans un domaine qui se situe près de deux frontières : celle de Vereinbarung, bien sûr, mais au nord-ouest s’étend un autre royaume voisin, le royaume de Jahreszeiten, dirigé par le Prince Leopold Frühling.

-         Quelles relations entretenez-vous avec ce Prince ?

-         Correctes, jusqu’à présent. Je crois qu’il vient du Stirland.

-         Dites à vos hommes de fouiller les lieux, il y a peut-être des survivants. Moi, je vais vous dire qui a fait le coup, précisément.

-         Les hommes-rats, c’est évident ! grommela Antoninus.

-         Peut-être, capitaine, mais les apparences peuvent être trompeuses.

 

Sur ordre de leur supérieur, les soldats se dispersèrent, inspectant les maisonnettes une par une. Trois d’entre eux restèrent près des meneurs. Le Skaven Noir ferma les yeux, huma l’air longuement, voulut s’imprégner de la tragédie qui avait brisé toutes ces vies. Il sentit le rythme de son cœur onduler au fur et à mesure qu’il devinait les crissements des Skavens Sauvages, les gémissements terrifiés des Humains taillés en pièces.

 

Ce sont des Skavens Sauvages. Je veux affronter les Skavens Sauvages.

 

Il fut interrompu dans ses pensées par des bruits de botte qui s’enfonçaient dans la boue, près de lui. Il releva les paupières et vit un soldat qui le fixait d’un air interrogateur. Vexé, il cracha :

 

-         Arrêtez de me regarder comme ça, je vous prie ! Si je voulais vous trahir ou vous attaquer, je ne le ferais pas devant tout le monde à quinze contre un !

 

Le soldat répondit en estalien, ce qui agaça davantage l’homme-rat.

 

-         Qu’est-ce que vous dites ?

-         Il ne vous a pas compris, intervint Clarin.

 

En quelques mots de sa langue natale, le diplomate entreprit de rassurer les membres de son escorte. Puis il se tourna vers Sigmund.

 

-         Nous vous suivons, Messire Steiner. Faites vos observations, je traduirai au fur et à mesure.

 

Clarin avait trouvé les mots et le ton juste pour apaiser l’esprit fougueux du jeune homme-rat. Sigmund reprit son analyse. Son œil habitué aux détails qui révélaient la plus petite disharmonie ne le déçut pas, une fois de plus. Il détecta rapidement toute une série de signaux qui lui racontaient les derniers événements aussi clairement qu’un conteur. Il sourit malgré lui.

 

Des Skavens Sauvages !

 

Heureusement, il avait la conviction d’avoir raison. Son jugement ne pouvait pas avoir été altéré par une envie d’en découdre avec les Fils du Rat Cornu. Il déclara avec satisfaction :

 

-         Pas de doute, ce sont bien des Skavens Sauvages. Pas des Hommes-bêtes ou des Humains déguisés. Vous aviez raison, capitaine Antoninus.

-         Ravi de l’apprendre, mais qu’est-ce qui vous fait penser cela, Messire Steiner ?

-         Trop de choses qui coïncident.

 

Il tendit le doigt vers un tas de terre fraîchement retournée.

 

-         Ça, c’est un de leurs tunnels. Ils ont attaqué en jaillissant du sol.

 

Il montra une vieille dague rouillée plantée dans un cadavre.

 

-         De la récupération. C’est une dague Naine, son pommeau est finement sculpté. Volée sur un Nain, n’oublions pas que nous ne sommes pas très loin des montagnes où ils habitent. Les Hommes-bêtes traînent généralement dans les forêts. Ils bricolent grossièrement leurs armes ou les volent sur les cadavres des Humains, et ne sont en contact que très rarement avec les Nains. Celui qui a utilisé cette dague ne pouvait pas être un Nain, car un Nain ne l’aurait jamais laissée dans cet état. C’était soit un Gobelin, soit un Skaven. Et les Gobelins ne creusent pas de tunnels en dehors des montagnes.

 

Puis il désigna un graffiti sur un mur : trois lignes qui s’entrecroisaient pour former un triangle.

 

-         Le symbole du Rat Cornu. Oui, quelqu’un d’autre qui connaît l’Empire Souterrain aurait pu le dessiner, mais il y a les tunnels et les armes.

 

Sigmund leva le doigt.

 

-         Et puis, il y a l’odeur.

-         L’odeur ? répéta Antoninus.

-         Le nez des Humains n’a pas la même sensibilité que celui des Skavens. Je peux distinguer pas mal de choses que vous ne pouvez sentir. Entre autres… ça !

 

Il s’approcha d’une des maisonnettes.

 

-         Venez là, mais restez à distance.

 

Le capitaine Antoninus se plaça aux côtés du Skaven Noir.

 

-         Vous voyez ce petit trou dans le mur ?

-         Oui.

-         C’est l’impact d’une balle. Mais regardez les traces de brûlure autour du trou.

-         Oh… on dirait qu’il y a comme une sorte de petite lumière verte ?

-         De la poudre de malepierre. Tout comme le projectile qui est encore coincé dans la brique. Vous ne la sentez peut-être pas, mais moi, je la perçois.

-         Comme quoi, vous aussi, vous savez décoder des signes que je ne sais pas distinguer ! observa Clarin avec un grand sourire.

-         C’est vraiment de la malepierre ?

 

Sigmund tourna la tête vers le capitaine.

 

-         La malepierre a une odeur très caractéristique. Les Skavens Sauvages vivent avec depuis des temps immémoriaux. Elle a altéré notre sang, elle en fait même partie, à tel point que même un Skaven qui n’a jamais mangé de la malepierre, ou vécu dans un environnement avec de la malepierre dans les alentours, peut tout de même reconnaître instinctivement son odeur.

-         Vous n’avez jamais touché à la malepierre, Messire Steiner ? demanda Clarin.

-         Jamais. Et j’aimerais que ça reste comme ça le plus longtemps possible. Seuls les Skavens Sauvages lui voient une quelconque utilité. La vérité, Maître Clarin, si vous me permettez l’expression, est que la malepierre est une sacrée merde. Pire que les plus envoûtantes des drogues.

 

Une voix s’éleva de l’autre côté de la place centrale du village. Un soldat appelait le capitaine Antoninus avec de grands gestes.

 

-         ¡Capitán! ¡Hay dos niños aquí!

-         ¿En qué estado?

-         ¡Vivo, pero en serio agitado!

-         ¡Llegamos! répondit Clarin.

 

Sigmund, qui n’avait rien compris à l’échange, s’énerva :

 

-         Que se passe-t-il ?

 

Clarin lui parla avec un air un peu inquiet.

 

-         Je suis désolé, Messire Steiner, mais je crois que vous feriez mieux de retourner dans la calèche.

-         Et pourquoi ça ? Dites-le-moi, tout de suite !

-         On a trouvé deux enfants. S’ils vous voient, ils pourraient paniquer.

 

Sans dire un mot, le Skaven Noir remonta dans le carrosse, ferma la porte, et tira le rideau.

 

Clarin et Antoninus se dirigèrent ensemble vers le bâtiment surveillé par le soldat. Celui-ci ajouta alors :

 

-         Capitaine, ils... ils tenaient en respect un de ces monstres !

-         Quoi ? Vous voulez dire qu’il y a un Skaven vivant avec eux ?

-         Jorge le garde en joue, en attendant vos ordres.

 

Le capitaine soupira et pressa le pas, talonné par l’ambassadeur. Tous deux entrèrent dans l’écurie.

 

La première chose qui frappa Eusebio Clarin au-delà du seuil fut l’odeur, une puanteur mêlant sang, viande pourrie, sueur et excréments, forte à en arracher les narines. Puis le furieux bourdonnement de milliers de mouches roula sur ses tympans comme un tambour militaire. Enfin, ses yeux perçurent un fort triste spectacle.

 

Les boxes où étaient normalement parqués les quelques chevaux du village étaient inondés du sang et des boyaux en pagaille arrachés aux carcasses des bêtes de somme. Les outils éparpillés dans tous les sens – une hache de bûcheron était plantée dans le dos d’un Skaven mort sur le sol. Et au fond de l’espace où les villageois stockaient le foin, deux enfants, un garçon et une fille n’ayant sans doute pas plus d’une dizaine d’années, tremblaient de tous leurs membres. Le garçon brandissait une fourche, et la fille tenait fermement une pelle. Tous deux étaient debout face à un Skaven Sauvage. Clarin ne put réprimer un frisson. Depuis son arrivée dans les Royaumes Renégats, il n’avait pas eu à supporter la vue d’un Skaven Sauvage bien vivant. La rencontre avec les habitants de Vereinbarung lui avait donné une toute autre image bien meilleure des hommes-rats. Celui-ci fut un brutal rappel de toute l’horreur qu’il avait vécue à Ubersreik.

 

En vérité, le Skaven Sauvage inspirait davantage la pitié. C’était une misérable créature, malingre, haute d’à peine quatre pieds, avec pour tout vêtement une pièce de tissu immonde enroulée autour de ses reins. Son pelage trop court peinait à recouvrir sa chair rose maculée de terre et de fluides corporels, les dents qui lui restaient semblaient prêtes à tomber de ses gencives, ses yeux jaunes clignaient à toute vitesse.

 

Jorge, le soldat qui braquait son arquebuse vers le Skaven Sauvage, approcha d’Antoninus sans quitter sa cible du regard.

 

-         Capitaine, cette créature est recroquevillée dans son coin depuis mon entrée, mais je devine qu’ils viennent de passer un long moment à se surveiller les uns les autres.

-         Vous avez fait au mieux. Je crois qu’à présent, cette horreur n’osera pas bouger.

 

Antoninus sortit son pistolet à son tour, et murmura aux enfants :

 

-         C’est bon, vous pouvez sortir, on vous protège.

 

Aussitôt, les deux petits laissèrent tomber leurs armes improvisées et coururent maladroitement aussi vite qu’ils purent jusqu’à l’extérieur. Une fois dehors, ils s’assirent par terre, se jetèrent dans les bras l’un l’autre, et éclatèrent en sanglots bruyants.

 

Dans le carrosse fermé, Sigmund sentit son cœur se serrer. Il vit sa main descendre vers la poignée de la porte, mais se rappela qu’il ne ferait qu’aggraver la situation.

 

Clarin rejoignit les deux petites victimes et s’accroupit face à elles.

 

-         Vous avez été très courageux. De vrais petits héros.

-         Ils… ils sont… partis, articula péniblement le garçon.

-         Depuis combien de temps vous êtes là ?

-         Je ne sais pas, monsieur !

-         Ils ont enlevé les autres ! éclata la fillette.

-         Quoi ? Vous voulez dire que ces monstres ont emmené les villageois ?

-         Oui, monsieur !

-         Par où sont-ils partis ?

 

Les deux enfants suspendirent leurs larmes pour réfléchir, mais leurs pleurs redoublèrent.

 

-         C’est pas grave, on les trouvera, soupira Clarin.

 

Antoninus rejoignit le trio, et murmura :

 

-         Vous allez vous réfugier au temple de Shallya à Esperanza. Les nonnes prendront soin de vous, et on tâchera de vous trouver un endroit où vivre.

 

Il fit un geste en direction de deux des soldats restés dehors.

 

-         Vous deux ! Emmenez-les tout de suite à Esperanza et rejoignez-nous au plus vite.

-         À vos ordres, capitaine !

 

Les deux soldats désignés s’empressèrent de monter leur monture. Antoninus aida les deux enfants à monter en croupe sur les chevaux. Une minute plus tard, ils avaient déjà disparu.

 

Clarin et Antoninus revinrent dans l’écurie. Jorge et deux autres hommes d’armes braquaient toujours leurs armes vers Skaven Sauvage.

 

-         Qu’est-ce qu’on va faire de cette créature ? On la tue ?

-         Non, attendez ! Peut-être qu’il pourrait nous dire où sont les survivants.

-         Vous sauriez le faire parler ?

-         Pas moi, capitaine. Ne le lâchez pas, je reviens.

 

Le diplomate courut à petites foulées vers la calèche.

 

-         Messire Steiner ?

 

La fenêtre s’ouvrit, laissant passer la tête du Skaven Noir.

 

-         Qu’y a-t-il ?

-         Les deux enfants ont emprisonné un Skaven Sauvage.

-         Ah. Et ?

-         Tous les villageois ne sont pas morts. Certains ont été faits prisonniers par ses congénères. J’ai quelque chose à vous demander : savez-vous parler leur langue ?

-         Évidemment, mon père m’a appris.

-         Alors, pourriez-vous l’interroger ?

-         Hum… Idée intéressante, mais j’en ai peut-être une meilleure. Est-ce qu’il est bien habillé ?

-         Oh non, il porte juste un pagne.

-         Donc, pas d’équipement de valeur sur lui ?

-         Rien qu’un bout de tissu.

-         Il a l’air costaud ?

-         Non. Pour deux enfants, il est impressionnant, mais n’importe quel soldat pourrait l’assommer d’une claque.

-         Alors, c’est un esclave. Pas de possession, mal nourri, ça ne peut être qu’un esclave. Il ne sait sans doute pas grand-chose… contrairement à son chef.

-         Qu’est-ce que vous proposez ? De le forcer à nous dire où trouver ce chef ?

-         Mieux que ça, Maître Clarin : il va nous conduire à lui en toute confiance. Je peux sortir, maintenant ?

-         Oui, les deux petits sont en route vers un abri.

 

Sigmund sortit du véhicule, puis s’approcha d’une pile de corps. Il arracha deux capes, une tunique et un manteau, prit les vêtements sous le bras et entra dans la grange du village. Surpris, l’Estalien hésita quelques secondes, puis le suivit discrètement. Il repéra la grande silhouette du jeune Steiner de dos. Celui-ci avait posé les vêtements à ses pieds et était en train de défaire l’attache de son pantalon. Il se rendit compte de la présence de Clarin, tourna la tête, et grogna avec agressivité :

 

-         Vous voulez me regarder faire ?

-         Qu’est-ce que vous fabriquez ? demanda l’Estalien, hésitant s’il devait comprendre ou pas ce qu’il était en train de voir.

-         Je perfectionne mon camouflage.

-         En vidant votre vessie sur ces nippes ?

 

Sigmund poussa un petit soupir agacé.

 

-         Les Skavens Sauvages ont l’habitude d’uriner sur leurs possessions, ça les marque de leur odeur personnelle. Ce n’est pas très ragoûtant, mais j’ai déjà trompé plusieurs Skavens Sauvages de cette façon. À présent, veuillez sortir.

 

L’ambassadeur était encore surpris, mais il obtempéra. Un instant plus tard, Sigmund parut revêtu des vêtements déchirés et souillés. Il se roula dans la boue, en colla de belles poignées sur son dos, sa tête et ses bras, et tourna le dos à Clarin.

 

-         Messire Steiner ?

 

Le grand Skaven Noir pivota sur ses talons d’un mouvement et frappa le sol du pied. Il se courba en avant, rentra nerveusement sa tête entre ses épaules, et glapit quelque chose que personne ne comprit.

 

Clarin se sentit mal à l’aise en reconnaissant la sensation de peur et de dégoût qu’il avait éprouvée devant l’une des brutes d’Ubersreik. La voix douce de Sigmund l’aida à revenir à l’instant présent.

 

-         Alors, Maître Clarin, c’est convaincant ?

-         Oh, ça oui !

-         Très bien. Alors écoutez attentivement ce que nous allons faire.

 

*

 

Koursh avait très peur. Ses camarades l’avaient abandonné entre les mains des choses-hommes. Comme il avait pris un mauvais coup sur la tête, il s’était caché dans la baraque où les choses-hommes parquaient leurs bêtes. Il s’était réveillé à cause des cris stridents. Il s’était alors levé d’un bond, et s’était retrouvé face à deux jeunes choses-hommes. Elles l’avaient menacé, elles avaient eu le culot de le retenir prisonnier. Il était resté face à elles sans bouger, guettant la plus petite occasion. Et puis, ces autres choses-hommes étaient arrivées. La peur l’avait alors saisi aux tripes. Face à toutes ces choses-hommes, il était perdu. Les deux petites choses-hommes étaient sorties, les autres choses-hommes le menaçaient toujours. Ils n’allaient pas l’épargner. Le chef l’avait dit encore la veille : les choses-hommes n’épargnent jamais les Fils du Rat Cornu.

 

Soudain, ses oreilles se dressèrent. Il entendit des crissements dans sa langue natale. Trois autres choses-hommes entrèrent dans l’écurie, elles tenaient fermement une Vermine de Choc. Le grand Skaven Noir se débattait, criait, mais les trois choses-hommes étaient trop lâches pour l’affronter à égalité. L’une des choses-hommes sortit une corde. Toutes les choses-hommes forcèrent le Puissant à s’asseoir. Sous la menace de trois arquebuses, ils poussèrent Koursh de manière à coller son dos à celui de la Vermine de Choc. Après quoi, la chose-homme à la corde attacha fermement les deux Skavens dos à dos, après avoir fait passer la corde dans un anneau de fer fixé au mur. Enfin, les choses-hommes quittèrent la baraque en ricanant, et fermèrent la lourde porte.

 

Koursh, toujours mort de peur, pleura en silence.

 

-         Tais-toi ! ordonna fermement la Vermine de Choc.

-         Argh ! Je veux pas mourir-crever !

-         Tu ne vas pas mourir-crever, idiot ! Calme-toi. Respire lentement.

 

L’esclave fut ébahi. Pour la première fois depuis très longtemps, un Fils du Rat Cornu lui avait parlé sans directement le menacer. Il obéit, et tâcha de ralentir sa respiration effrénée. Et au bout de quelques instants, il se sentit mieux.

 

-         Comment tu t’appelles ?

-         Koursh, ô immense-gentil Puissant du Rat Cornu.

-         Je suis Treb. Écoute-écoute moi, fais ce que je te dis, et nous pourrons partir.

-         Nous… pourrons… partir ?

-         Oui. Mais toute ma patrouille a été décimée.

-         Ta patrouille ? Oh, tu es une Grande Griffe !

-         Oui, et je suis le seul à avoir résisté aux choses-hommes.

-         Je… je sais où sont les Guerriers des Clans que je sers.

-         Parfait ! Je vais t’accompagner.

-         Mais… nous sommes prisonniers ! Comment faire ?

-         T’inquiète pas pour ça, Koursh. Nous devons attendre la nuit.

-         Ah… d’accord.

 

Koursh était complètement perdu, mais il avait encore trop peur pour contester. Les deux Skavens restèrent dos à dos, sans échanger un mot de plus.

 

Quelques heures plus tard, les derniers rayons de soleil qui passaient par les petites ouvertures se dissipèrent.

 

-         Koursh ?

-         Oui, Treb ?

-         On y va.

-         Comment ?

 

La Vermine de Choc se contorsionna.

 

-         Ces andouilles ont oublié de me fouiller complètement.

 

Sigmund avait presque honte d’utiliser un procédé grossier, mais face à un esclave Skaven Sauvage, il n’avait pas besoin de s’embarrasser avec le réalisme. Il utilisa sa longue queue pour retirer de sous sa cape un étui de cuir dont il sortit un petit couteau. Il n’eut pas de mal à couper la corde, et quelques minutes plus tard, les deux Skavens étaient libres.

 

Koursh dansa d’un pied sur l’autre.

 

-         Merci, merci, ô merveilleux Puissant du Rat Cornu !

-         Chut, imbécile ! Tu vas nous faire repérer !

 

L’esclave plaqua vivement ses deux mains sur sa bouche.

 

-         Bien. Maintenant, nous devons sortir de là.

-         On tue-tue les choses-hommes !

-         Si on fait ça, ils nous sauteront tous dessus, crétin-crétin ! Non, nous devons rester discrets, comme les Eshin.

 

Cette comparaison plongea Koursh dans une transe fascinée.

 

-         Comme les… Coureurs d’Égout ?

-         Oui, comme les Coureurs d’Égout.

 

Koursh fut comme enchanté. Lui, un misérable esclave, allait utiliser les mêmes ruses qu’un redoutable assassin du Clan Eshin, sous la tutelle de cette Grande Griffe ! Et si la Grande Griffe était contente de lui, peut-être qu’il le prendrait à son service ! Et les esclaves des Grandes Griffes étaient souvent enviés par les autres. Quelle belle perspective !

 

La rêverie de l’esclave fut interrompue par un grincement. Le Skaven Noir poussait doucement le lourd panneau de bois.

 

-         Ils ont oublié de bloquer la porte ! ricana la Grande Griffe.

 

Encore une fois, Sigmund serra les dents. Il fallait vraiment avoir affaire à un esclave conditionné à ne pas réfléchir pour utiliser avec succès une ruse aussi minable !

 

-         Maintenant-maintenant, tu me suis et tu ne fais pas de bruit.

 

L’esclave s’appliqua à poser ses orteils précisément aux endroits où avait marché son sauveur. Dehors, la nuit était bien tombée. Il restait quelques choses-hommes par-ci par-là, mais tous étaient en train de dormir.

 

-         On ne tue-tue pas ? C’est sûr ?

-         Certain-certain. Pas maintenant. Mais nous reviendrons, et nous tuerons-pillerons !

-         Ouais !

 

Quelques minutes de marche silencieuse plus tard, les deux Skavens étaient à la sortie du village. Le grand Skaven Noir tapa l’épaule de l’esclave.

 

-         Tu dois m’emmener devant ton chef, tout de suite !

-         Suis le pauvre Koursh, Treb !

 

Sans hésiter, le petit Skaven Sauvage s’enfonça dans la forêt, talonné par Sigmund.


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