Le Royaume des Rats

Chapitre 11 : Le petit Miracle

8779 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/09/2020 00:47

Salutations,

 

Une fois n’est pas coutume, je profite de mes brèves vacances pour vous donner un chapitre plus tôt que d’habitude. Je tâcherai de ne pas perdre le rythme habituel. Bonne lecture, et encore bonne année, Enfants du Rat Cornu !

 

-         Où est donc ce scribe de malheur ?

 

Bianka Steiner traversa les couloirs du Grand Temple de Verena d’un pas pressé, le visage figé par une grimace énervée. L’affaire qui opposait un Skaven à son oncle Humain était enfin sur le point de se terminer, mais mobilisait encore trop de son temps et de son énergie à son goût. Il lui tardait d’en finir avec cette histoire, d’autant plus qu’elle pressentait que son jumeau ne rentrerait pas au bercail avec de bonnes nouvelles.

 

Elle poussa d’un coup sec le battant de la porte de la salle d’études, et son regard tomba sur deux hommes en train de discuter, un Humain entre deux âges, mince, à la mâchoire carrée et aux cheveux grisonnants, qui portait une pile de livres, et un Skaven au bureau du fond. Son sang ne fit qu’un tour.

 

-         Eh bien, Bernhardt ?

 

L’employé assis sursauta, brutalement pétrifié.

 

-         J’avais dit « le procès-verbal de l’affaire Vanger, et vite ! » Qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans cette phrase toute simple ? Quand je dis « vite », je ne dis pas « demain », ni « ce soir », ni « dans une heure », je dis « maintenant » !

-         Dame Steiner… je…

-         Quoi ?

 

Le dénommé Bernhardt Reitherman était un jeune Skaven gris clair, un peu ventripotent, qui portait une paire de bésicles aux verres épais. Il était le bibliothécaire du Grand Temple de Verena depuis quelques mois, et avait jusqu’alors plus ou moins bien assuré ses fonctions. C’était quelqu’un que la plupart des gens qualifieraient de « correct », conscient de ses devoirs, soucieux de les accomplir, et veillant à garder un bon contact avec son entourage. Malheureusement, avec le temps et le manque de clercs, il devait assurer de plus en plus de tâches à la fois, ce qui ne l’arrangeait guère, car il détestait être bousculé.

 

Pire que tout, il perdait tous ses moyens face à Bianka Steiner.

 

Il se défendit mollement en bredouillant :

 

-         Je fais ce que je peux ! Je me suis retrouvé avec tout un lot offert par un ami du Prince à cataloguer !

-         Et… ?

 

Le jeune bibliothécaire ne put en dire davantage. Quelque chose d’indéfinissable le retint. Il se contenta juste de lui tendre un parchemin qui traînait sur le bureau. Bianka lui arracha de la main d’un coup sec.

 

-         Ne vous en prenez pas à Bernhardt, ma Dame, intervint l’Humain. C’est moi qui l’ai distrait.

-         Rutger, je me passe très bien de vos explications !

-         Je vous dis que c’est ma faute ! Bernhardt est un gentil garçon, vous n’avez pas à vous en prendre à lui comme ça !

-         Et vous n’avez pas à vous mêler de mes affaires ! Je n’ai pas besoin de quelqu’un de gentil. J’ai besoin de quelqu’un d’efficace et de prompt. Pas l’un ou l’autre, les deux à la fois ! Vous n’êtes pas un imbécile, Bernhardt, alors prouvez-moi que vous êtes quelqu’un de capable, ou je demanderai au juge Tomas de vous trouver un remplaçant !

 

Et sans attendre, la jeune fille quitta précipitamment la pièce.

 

L’Humain poussa un soupir méprisant.

 

-         Quelle garce, celle-là !

-         Oh, il… il ne faut pas dire ça !

-         Ah oui ? Tu lui trouves des qualités, toi ?

-         Euh… Elle est jolie.

 

La bouche de Rutger se plissa en une moue de réflexion.

 

-         Bon, je peux comprendre que tu puisses la trouver jolie, mais qu’est-ce qu’elle est peau de vache ! Les prêtresses Elfes Noires sont réputées pour être jolies, elles aussi ! Franchement, tu ne devrais pas te laisser marcher dessus comme tu le fais par cette pimbêche ! Défends-toi, bon sang !

-         Je ne peux pas !

-         Et pourquoi pas ?

-         C’est une vraie princesse !

-         Tu veux rire ? Elle n’est pas la princesse, ni la duchesse, ni rien du tout !

-         Ben, si ! Son grand-père est le Prince du Royaume des Rats. Sa mère est la fille adoptive du Prince, ce qui fait d’elle une princesse, et donc comme ça se transmet par le sang, c’est aussi une princesse, automatiquement !

-         Pas sûr, Bernhardt. Seul l’aîné des enfants hérite du titre et du trône. Et à ce que je sache, c’est Kristofferson le premier-né de la mère de cette harpie. Autant la famille royale assise sur le trône, on ne peut rien leur dire sans risquer la prison ou le billot, autant celle-là, elle n’a pas tous les droits ! Alors, à ta place, j’arrêterais d’écraser devant elle et je lui dirai calmement de me parler poliment, ou d’aller se faire foutre !

 

Bernhardt ne répondit pas. Il baissa la tête, le cœur gros.

 

-         Non, sérieusement, mon pote. Elle veut en parler au juge Tomas ? On va en parler, au juge Tomas, et on va lui dire qu’elle devrait cesser de péter plus haut que son cul face aux autres membres de notre clergé !

 

Le jeune Skaven resta silencieux. Il soupira de résignation, et se remit au travail.

 

*

 

Pour la quatrième fois, Bianka vérifia les registres des naissances récemment enregistrées. Elle eut un petit sourire satisfait. Ses estimations correspondaient aux résultats, et la population du Royaume des Rats allait croissante.

 

-         Mam’zelle Steiner ? B’jour ! On m’a dit qu’j’vous trouv’rais ici !

 

La jeune fille releva la tête, et son museau se fronça.

 

Devant elle se tenait un homme. Un Skaven visiblement issu de la campagne, si l’on en jugeait ses vêtements rapiécés, taillés dans des étoffes grossières sans le moindre ornement, la légère odeur de fumier qui flottait autour de lui, ses ongles sales qui serraient nerveusement sa calotte, sa fourrure brune maladroitement peignée à la main, et son phrasé rude et simple.

 

Bianka cligna des yeux, regarda aux alentours pour voir si un des clercs de Verena qui travaillaient dans la salle d’étude réagissait, mais il fallait se rendre à l’évidence : elle allait devoir gérer ce personnage.

 

-         Qu’est-ce que vous voulez ?

-         Euh… je vous demande bien l’pardon, Mam’zelle Steiner. Mais… j’ai à parler.

-         D’accord… Qui êtes-vous ?

-         J’m’appelle Gustavus Finston. J’habite à Hemsbach.

-         Connais pas.

-         C’est tout p’tit, mam’zelle.

-         Vous m’étonnez ! Et de quoi voulez-vous parler ?

-         Ben… en fait… je dois voir votre père, le Maître Mage.

 

La fille-rate eut un petit sursaut.

 

-         Rien que ça ? Vous n’y allez pas par quatre chemins !

-         J’dois lui parler. J’aimerais déclarer une naissance.

-         Félicitations, mon vieux. Donnez-moi le nom de l’enfant, je l’inscris, il pourra vivre heureux et faire de vous des parents comblés, et vous pourrez rentrer chez vous. Alors ?

 

Bianka reprit son registre, trempa sa plume dans l’encrier, et attendit. Mais le paysan resta silencieux. Elle releva la tête, et soupira d’agacement.

 

-         Allez, je n’ai pas toute la journée !

-         Je dois vraiment voir vot’ père, Mam’zelle ! Lui, et personne d’autre !

-         Mon père est un homme très occupé. Je ne peux pas le déranger comme ça, surtout pour un… quelqu’un qui est un parfait inconnu.

-         J’insiste, Mam’zelle ! C’est important ! Il y a… y a un risque de scandale.

 

À ces mots, la jeune fille sentit monter une sueur froide.

 

-         Mais qu’est-ce que vous racontez ?

-         Euh…

-         Vous allez me dire tout de suite ce qui se passe, ou faut-il que je m’énerve ?

 

L’étranger paniqua en un instant.

 

-         Mais… Mam’zelle, faut pas vous énerver !

-         C’est du chantage que vous me faites là ? cria Bianka.

-         Non ! J’vous jure, Mam’zelle !

 

Derrière, les clercs s’étaient arrêtés, et regardaient la scène, interloqués.

 

-         Un problème, jeune fille ? demanda une voix claire.

 

Les deux Skavens tournèrent simultanément la tête vers la femme qui attendait sur le pas de la porte latérale.

 

-         Oh, Dame Gottlieb ! Vous tombez bien, j’ai affaire à un drôle d’oiseau !

 

Franzseska Gottlieb avança posément vers le paysan.

 

-         Un drôle d’oiseau, vraiment ? Il n’a pas l’air bien méchant, votre oiseau.

-         Euh… le bonjour, M’dame.

 

La grande femme blonde, qui n’était pas née de la dernière pluie, comprit immédiatement à qui elle avait affaire.

 

-         Vous avez l’air bien loin de chez vous. Qu’est-ce que vous venez faire ici ?

-         J’dois parler au Maître Mage Steiner. C’est… très important.

-         C’est une tentative de chantage, je le sens !

 

L’agriculteur tremblait jusqu’au bout de la queue, et semblait prêt à pleurer. Dame Gottlieb se passa la main sur le front.

 

-         Bianka, vous voyez le mal partout ! Vous croyez vraiment que ce brave homme représente un danger ?

-         On n’est jamais trop prudent !

-         Et vous, vous l’êtes beaucoup trop.

 

Dame Gottlieb fit un signe vers Gustavus.

 

-         Allez, venez, on va régler ça ensemble.

-         Dame Gottlieb ! protesta Bianka avec une tape sur le bureau.

-         J’en prends la responsabilité.

 

La jeune fille-rate grommela encore, mais ne fit rien d’autre. Quand le paysan eut quitté la pièce, elle se replongea dans son étude.

 

 

Trois coups firent résonner le bois de la porte du bureau du Maître Mage.

 

-         Entrez-entrez !

 

La porte s’ouvrit sur Dame Franzseska et un jeune campagnard.

 

-         Ce jeune homme veut vous parler, Prospero. Il paraît que c’est important.

-         Vraiment ? À quel point ?

-         Votre fille y voyait une tentative de chantage.

-         Alors, ça doit être très-vraiment important ! Je vous remercie, Dame Gottlieb.

 

La grande femme se retira. Psody s’adressa directement à Gustavus.

 

-         Entrez, je vous prie. Asseyez-vous.

 

Le paysan obéit. Il semblait à la fois terrifié et subjugué par le Skaven Blanc.

 

-         Détendez-vous, si vous n’êtes pas venu me créer des problèmes, vous n’avez aucune raison-raison d’avoir peur. Je vous intimide ?

-         Je… j’vous ai jamais vu avant c’te jour, Maître.

-         Si, vous m’avez vu, mais vous ne vous en souvenez pas. J’ai participé à toutes les Récoltes. Vous étiez parmi les ratons que moi et mes hommes avons tirés des griffes-pattes des Skavens Sauvages.

-         Ah… J’vous en r’mercie, Maître Mage.

 

Psody sourit avec bienveillance.

 

-         Je vous en prie, Maître… Maître qui, au juste ?

-         Je m’appelle Gustavus. Gustavus Finston.

-         Enchanté, Maître Finston. Alors, que puis-je pour vous de si important-important ?

-         Eh bien… depuis une semaine, je… je suis papa.

 

Le Skaven semblait avoir encore du mal à prononcer ces mots, comme s’il n’avait toujours pas assumé ce fait.

 

-         Oh, vraiment ? Félicitations, Maître Finston. Votre vie va en être bouleversée, ce ne sera pas facile tous les jours, mais je puis vous garantir que ça vaut le coup. Il y aura de nombreux moments inoubliables, et je vous assure que vous ne regretterez jamais d’être père, même si vous dites un jour le contraire !

-         J’en suis sûr, Maître Steiner.

 

Le Skaven Blanc sentit son front se plisser.

 

-         Pourtant, j’ai l’impression que quelque chose ne va pas ?

-         Euh… en fait…

-         Y aurait-il un souci-souci ?

-         Non ! Enfin… un peu. C’est plutôt gênant.

-         Parlez sans crainte-crainte, je vous en prie.

-         C’est que… Dame, j’ai peur de me montrer… insultant envers vous.

-         Quoi ? Mais comment pourrais-je me sentir insulté par un heureux Skaven qui vient m’annoncer qu’il est devenu père ?

-         Il y a… un truc bizarre avec mon enfant.

 

Tout au fond de lui, Psody sentit quelque chose. Comme si une toute petite voix lui chuchotait ce que ce jeune père allait lui dire. Celui-ci continua :

 

-         Comprenez bien, j’aime ma femme, et j’sais qu’elle m’aime… aussi, j’suis sûr que l’explication n’est point celle qu’on pourrait penser.

-         Quelle explication ? De quoi parlez-vous ? Exprimez-vous !

 

Le jeune Skaven se racla la gorge, et dit d’une traite :

 

-         Mon p’tit garçon, Emil, il est pas ordinaire. Il… il a la fourrure blanche, et on peut voir sur sa tête deux petites cornes.

-         Comme les miennes, je suppose.

-         J’sais que ma femme m’est fidèle, et que vous êtes fidèle à la vôtr’ ! Y a forcément un truc !

 

Psody leva la main. Il parla lentement, d’un ton rassurant et amical.

 

-         Vous avez raison, Gustavus, et il est inutile de paniquer. Depuis votre mariage, votre femme n’a jamais aimé personne d’autre que vous, et jamais je ne serai infidèle à mon Heike. Vous êtes bien le père de cet enfant. Seulement, c’est ainsi. Ce genre de chose est rare, mais arrive de temps en temps, et ne s’explique pas plus que ça. C’est une décision des dieux. Votre fils est un Skaven Blanc. Pour tout vous dire, depuis la fondation de Vereinbarung, il est le premier-premier, à notre connaissance. Mais il n’y a rien d’anormal. Et cela ne se transmet pas forcément d’une génération à l’autre. Moi-même, à ce que je sache, je suis né d’un père qui n’était pas Blanc. Et je n’ai aucun enfant avec de tels traits. Par contre, vous connaissez mon fils Sigmund ?

-         Dame, comme tout le monde !

-         C’est bien mon fils, et ça, c’est une certitude ! Aucun autre Skaven ici n’était en âge d’avoir des enfants, à part moi et mon épouse, quand il est né. Trouvez-vous vraiment qu’il me ressemble-ressemble ?

 

Le Skaven Blanc éclata de rire, et le jeune Skaven brun se détendit un peu.

 

-         Sérieusement, ça peut arriver chez n’importe qui. Cependant, je peux comprendre votre embarras, alors on va prendre les devants. On préviendra-avertira vos voisins, histoire qu’ils ne se mettent pas à s’imaginer des choses et à jaser. Comme je suis le seul Skaven Blanc adulte ici, ça pourrait prêter à confusion !

 

Psody se leva.

 

-         Vous habitez loin d’ici ?

-         J’vis à Hemsbach.

-         Ah… Il va falloir que je m’absente quelque temps, je crois. J’aimerais voir votre enfant.

-         C’est-à-dire qu’on est v’nus avec ma femme et not’ petiot, j’voulais pas les laisser seuls.

-         Excellente initiative ! répondit le Skaven Blanc avec une moue admirative.

 

 

Une demi-heure plus tard, ils étaient dans le quartier de la Souricière, escortés par une demi-douzaine de gardes. Comme Psody s’y attendait, les Finston s’étaient arrêtés au Chat qui Pêche, l’auberge la plus misérable des alentours. Quand ils entrèrent dans la bâtisse, tout le monde se tut. Ce fut à peine si le tenancier Humain osa saluer le Skaven Blanc. Gustavus le conduisit au plus vite vers la chambre où l’attendait sa femme.

 

Erika Finston était une femme plutôt grande, au visage fin, au pelage clair, à la poitrine généreuse et aux hanches larges. Elle correspondait bien à l’image que le Maître Mage avait des paysannes. Fortes, capables d’accomplir aussi bien les travaux fermiers que les hommes, tout en donnant naissance à de nombreux enfants et en les éduquant avec amour et fermeté. Elle était allongée dans l’unique lit de la pièce. Quand elle aperçut le Skaven Blanc, elle fit mine de se lever.

 

-         Je vous en prie, ma Dame, restez couchée. C’est déjà bien assez courageux-courageux d’avoir fait la route si tôt !

 

La jeune mère eut les larmes aux yeux, secouée par l’émotion.

 

-         Maître Mage, j’suis si heureuse de vous voir !

-         Votre mari m’a tout raconté-expliqué.

 

Psody prit place près du lit, et s’agenouilla pour être à la hauteur du visage d’Erika.

 

-         J’ai honte de l’dire, Maître Mage, mais j’ai peur !

-         Il n’y a aucune honte, Erika.

 

Il serra doucement entre ses doigts la main de la paysanne.

 

-         C’est votre premier enfant ?

-         Dame, oui !

-         Vous l’aimez ?

 

La mère Finston éclata en sanglots.

 

-         Tous les Royaumes Renégats suffiraient pas à contenir tout l’amour que j’ai pour lui, monseigneur ! Mais j’ai tellement peur ! J’ai peur de pas être une bonne mère !

 

Le Skaven Blanc passa ses phalanges sur la joue de la femme.

 

-         Rien d’anormal, Dame Finston. Quand j’ai eu mon premier-premier enfant, j’ai eu peur, moi aussi. D’accord, mes enfants ne sont pas Blancs, mais moi, je le suis. Et j’ai été élevé par un Prophète Gris, une sale petite brute qui m’a appris à haïr-détruire les Humains. J’ai eu peur de faire les mêmes bêtises que lui, heureusement, j’ai eu des amis pour me guider-conseiller. Vos parents Humains sont encore en vie ?

-         Oui, tous les quatre, précisa Gustavus.

-         Donc, vous pourrez toujours compter sur eux pour vous aider en cas de coup dur. Quand je vous vois, tous les deux-deux, je pense qu’ils se sont bien occupés de vous.

 

Psody se releva.

 

-         Est-ce que je peux le voir ?

-         Dans not’ berceau, là, répondit Erika en montrant du doigt un assemblage de planches clouées posé dans un coin de la pièce.

 

Le Skaven Blanc approcha à pas de loup vers le berceau. Quand il vit son occupant, il ne put retenir un sourire attendri. Dans le petit lit bricolé dormait paisiblement un bébé, un minuscule Skaven, qui dormait à poings fermés sur un coussin. Son pelage à ras de peau était d’un blanc éclatant, et deux petites cornes pointaient sur le dessus de sa tête triangulaire.

 

-         Coucou, Emil, chuchota Psody.

 

Le Skaven Blanc releva la tête.

 

-         Je vais l’examiner, mais je vais avoir besoin de votre aide.

 

À la demande du Skaven Blanc, Gustavus souleva précautionneusement son fils hors du lit. Emil se réveilla et geignit aussitôt. Sa mère s’empressa de lui donner la tétée. Une fois nourri, Erika déshabilla son enfant et l’allongea sur le matelas. Les deux parents maintinrent délicatement entre leurs mains le petit bébé tout nu. Le Maître Mage leva ses huit doigts au-dessus du nouveau-né, ferma les yeux et se concentra.

 

Ils restèrent ainsi une longue minute. Les parents inquiets regardaient alternativement leur fils et le magicien, à l’affût de la moindre crispation chez l’un ou l’autre. Enfin, le visage de Psody se détendit. Il inspira un bon coup, releva les paupières et fit un beau sourire.

 

-         Vous pouvez être rassurés, votre petit garçon est en parfaite santé ! En tout cas, je n’ai ressenti aucune énergie maléfique en lui.

-         Taal et Rhya soient loués, murmura Erika.

-         J’ai fini, vous pouvez le rhabiller.

 

La femme-rate remit sa layette à son petit enfant, et le garda dans ses bras.

 

-         Vrai, vous avez rien trouvé de mauvais en lui ?

-         Comment une si petite chose, si innocente, pourrait être maléfique, Gustavus ? Mais attention ! Ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien.

-         Comment ça ?

-         Eh bien, j’ai senti un très, très léger vent de magie qui vient de lui.

-         Qu’est-ce que vous voulez dire ?

-         Qu’il pourra probablement utiliser les vents de magie quand il sera grand.

-         Quoi ? Mon fils, un sorcier ?

 

Erika semblait avoir du mal à y croire.

 

-         C’est normal, Dame Erika, les Skavens Blancs ont la magie dans le sang.

-         Faut s’attendre à quoi, Monseigneur ?

 

Le Skaven Blanc réfléchit, pesa ses mots, et expliqua :

 

-         Ce ne sera pas facile pour lui tous les jours, car les enfants de son âge risquent de se méfier de lui. Il faudra leur expliquer que ce n’est pas une maladie ou une punition d’un dieu. Les Skavens Noirs sont différents, et sont rares, et les Skavens Blancs sont aussi différents, et encore plus rares. Ce qui l’aidera le plus, c’est votre amour. Soyez très patients, car ce sera quelque chose qu’il devra assumer, il y aura des jours où ce sera plus difficile.

-         Bien, Monseigneur. J’savais qu’on pouvait compter sur votre sagesse.

-         Mon ami, il y a autre chose. Quand votre fils aura un peu grandi, il aura peut-être de nouvelles questions.

-         Des questions ? Quel genre ?

 

Psody marcha un peu de long en large.

 

-         Eh bien, lorsqu’un Skaven Blanc arrive à l’âge adulte, il lui arrive quelque chose. À l’aube de ma cinquième année, j’ai… le jour de ma première expérience avec une fille, j’ai éprouvé un vertige particulièrement renversant. L’émotion, bien sûr, mais également une sorte de « contact » avec mon dieu, le Rat Cornu. Il est très possible qu’Emil entende un jour l’appel de la divinité des Skavens Sauvages.

 

Erika prit un air épouvanté.

 

-         Êtes-vous en train de dire que des dieux noirs voudraient… l’emporter ?

-         Non, Dame Erika. Emil est votre enfant, et personne ne vous le prendra, en dehors peut-être de sa future épouse, ce qui ne devrait pas trop vous déranger. Mais il est possible qu’il se mette à voir des choses dans son sommeil, ou même alors qu’il est éveillé. Des choses qui pourraient paraître très réelles. Des choses qu’il pourrait ne pas comprendre, et qui pourraient lui faire peur. Et si ça devait arriver, surtout ne le repoussez-rejetez pas. Il aura besoin plus que jamais de votre amour. Et s’il cherche vraiment des réponses… j’aimerais sincèrement que ce ne soit pas le cas, mais j’ai bien peur d’être le seul qui puisse lui en apporter, ici.

-         C’est un fait, Maître Mage, répondit Gustavus. Vous êtes le seul Skaven Blanc de Vereinbarung. Si telle est sa destinée, nous vous l’enverrons.

-         Non, répondit fermement Psody. Ce sera à lui, et à lui seul, de décider de sa destinée. Je serai toujours disposé à l’aider à répondre à ses questions. Mais il doit rester maître de ses choix. Seuls les Prophètes Gris endoctrinent les petits Skavens Blancs pour en faire leurs serviteurs. Ça m’est arrivé, et je sais à quel point c’est différent de l’éducation des Humains. Je refuse de l’arracher à votre foyer. Autrement, je me conduirais comme mon propre maître, ce que je refuse catégoriquement.

 

Le Skaven Blanc se dirigea vers la sortie.

 

-         Bien, à présent, je vais vous laisser vous occuper-occuper de votre fils. N’oubliez pas que ce dont il a le plus besoin, c’est votre amour-attention. Je suis sûr que vous en ferez un vrai petit homme ! Vous pensez pouvoir reprendre bientôt la route ?

-         Demain, monseigneur. Faut pas que je néglige mon boulot !

-         Vous n’avez pas d’assistant ?

-         Dame, je suis bien trop pauvre pour ça !

-         Hum… Vous serez accompagnés par une escorte, pour plus de sûreté. Et j’en profiterai pour vous donner un berceau un peu plus confortable.

-         J’l’ai bricolé comme j’ai pu, monseigneur, mais j’suis un gars des champs, pas un menuisier !

-         Bien sûr. Disons que ce sera un petit cadeau-encouragement de ma part.

 

*

 

-         Et donc, tu crois qu’il pourra pratiquer la magie ?

-         S’il apprend à le faire, Père. Il ne sera sans doute pas le seul-seul. Je pense que nous devrions tout de même penser à ouvrir une école de magie, ici.

 

Ludwig Steiner se gratta le crâne.

 

-         C’est une opération qui demandera du temps et de l’argent ! D’abord, il faut des mages volontaires, ensuite nous devons être sûrs que ça n’indispose pas Karl Franz, qui reste la personne la plus puissante de cette partie du monde, et qui a l’autorité sur la magie selon les lois que nous avons calquées. Mais ce petit miracle mérite en effet qu’on se penche sur la question.

 

Le Prince bâilla.

 

-         Enfin, ça attendra demain. Je ne sais pas si c’est l’âge, mais j’ai envie de me coucher tôt, ce soir.

 

Heike se leva de table.

 

-         Moi aussi, Père, si vous le permettez.

-         Je t’en prie.

-         J’ai vraiment besoin de m’aliter. Ça doit être le changement de saison…

 

La femme-rate passa derrière son compagnon, qui s’était aussi levé. Bianka, assise à quelques pieds de Psody, eut un sursaut. Elle n’avait pas mal vu : sa mère avait discrètement mis une petite tape sur la fesse du Skaven Blanc. Celui-ci accéléra le mouvement et la suivit en pressant le pas.

 

 

Une heure plus tard, Bianka était dans son lit. Mais le sommeil ne venait pas. Elle se tourna et se retourna, cherchant une position plus confortable. Rien n’y fit. Avec un soupir agacé, elle se leva. Elle chercha à tâtons les rideaux qu’elle tira, ouvrit les volets, et resta à la fenêtre.

 

Tout était calme dans la propriété Steiner. Au loin, on entendait les bruits de la vie nocturne de Steinerburg. Et dans le ciel, la lune de malepierre Morrslieb était au plus haut. Des nuages passaient devant le globe d’émeraude, sans pour autant altérer la luminosité du ciel.

 

Quelle journée…

 

Bianka passa en revue tout ce qu’elle avait fait durant la journée précédente, à la recherche de quelque chose, le petit détail qui avait tout fichu en l’air au point de l’empêcher de dormir.

 

Soudain, elle comprit. Les larmes lui montèrent aux yeux.

 

Eh oui… J’ai beau être plus instruite et bien plus riche que la plupart des habitants du Royaume des Rats, je n’en suis pas moins une fille étriquée qui sort péniblement de l’adolescence, avec ses joies, ses peines… et ses frustrations.

 

Elle contempla encore Morrslieb qui brillait de son éclat verdâtre par la fenêtre, tentant vainement de penser à autre chose. Elle balaya du regard la chambre éclairée par cette lumière de mauvais augure, et son regard tomba sur son grand lit. Elle réfléchit quelques instants, et prit finalement une décision. Elle s’étendit de tout son long sur le matelas et soupira pour la deuxième fois, de manière bien plus profonde. Elle jeta un petit coup d’œil vers la porte d’entrée, mais se ravisa. À cette heure-ci, tout le monde dormait.

 

Elle prit délicatement la bordure dentelée du bas de sa chemise de nuit, et remonta lentement le tissu jusqu’au-dessus de ses seins. Le petit vent frais la fit frissonner. Puis elle caressa son corps dénudé du bout des doigts, les faisant glisser de ses cuisses à sa poitrine. D’abord très léger, le contact se fit de plus en plus prononcé, de plus en plus rapide. Elle laissa sa main gauche chatouiller son buste, et guida la droite en cercles progressivement concentrés vers son bas-ventre. Elle écarta lentement les genoux, et la sensation se mua en sensualité. Sa respiration se fit haletante au fur et à mesure que les battements de son cœur accéléraient. Ses yeux se plissèrent, alors que des larmes perlèrent sur ses pommettes. Elle inspira un grand coup, et sa lucidité bascula dans le vertige.

 

 

Gabriel sursauta. Il avait cru entendre du bruit dans la chambre voisine, celle qu’occupait sa grande sœur. Une sorte de gémissement, à mi-chemin entre la douleur et… autre chose d’indéfinissable. Le petit Skaven tendit l’oreille, surpris et inquiet, mais rien d’autre que le vent dans les arbres ne titilla ses tympans.

 

J’ai dû rêver ! se dit-il en haussant les épaules, avant de se rendormir.

 

*

 

-         Qui es-tu ?

 

Psody était debout, ses orteils sentaient le contact de planches de bois chargées d’échardes. Il regarda brièvement aux alentours, et comprit qu’il se trouvait sur l’estrade de la grande nef du temple du Rat Cornu de la colonie de Brissuc, la colonie où il était né. Ses quatre frères étaient près de lui. Tous se tenaient l’oreille, ou avaient un linge ensanglanté posé dessus. Ils venaient de recevoir la scarification rituelle faisant d’eux de vrais Skavens adultes. C’était maintenant son tour. Il devait répondre à la question rituelle que venait de lui poser la plus grande autorité du terrier, le Prophète Gris Vellux, son maître. Il bredouilla timidement :

 

-         Je suis Psody, un Skaven Blanc… je suis votre serviteur, et celui du Rat Cornu.

 

Il savait qu’il ne devait pas commettre d’erreur. Toute erreur le ridiculiserait, aux yeux du Rat Cornu, et de tous les citoyens Skavens qui formaient l’assistance. Le grand Skaven Blanc demanda avec une voix forte et inquisitrice :

 

-         Pourquoi es-tu né ?

 

La réponse était évidente pour le jeune homme-rat.

 

-         Pour… pour… pour transmettre la parole sacrée du Rat Cornu. Ses mots guident le peuple des Skavens, et sa magie détruit ses ennemis. Je suis…

 

Il tourna nerveusement la tête, et soudain, son cœur bondit dans sa poitrine. Sur sa gauche, il y avait un lourd rideau de tissu rouge sombre. Un visage apparaissait dans l’ombre, sur le côté, dans les coulisses. Quelqu’un le regardait. Il n’arrivait pas à distinguer précisément les traits de l’individu, mais il repéra ses yeux qui étincelaient dans l’obscurité, et un sourire narquois qui tordait son visage. Il réalisa que Vellux attendait la suite de son argumentation, et s’empressa de reprendre :

 

-         Son très humble serviteur. Je suis né pour le servir… pour vous servir, mon maître.

 

Il tourna la tête, de nouveau vers le visage derrière le rideau, mais celui-ci avait disparu. Le Prophète Gris approcha en levant lentement sa dague, et taillada son oreille à trois reprises, gravant ainsi dans sa chair son appartenance à la colonie.

 

-         Que ceux qui t’entendent n’entendent que le Rat Cornu. Que ceux qui subissent ta colère ne voient que la volonté du Rat Cornu. Que ceux qui te suivent soient bénis par le Rat Cornu.

 

Psody était à la fois soulagé, heureux, et fier. Enfin, il était un vrai membre à part entière du terrier de Brissuc. Enfin il était un vrai Fils du Rat Cornu. Vellux ordonna alors :

 

-         Holà ! Amenez les sacrifices !

 

Les sacrifices ? s’étonna Psody.

 

Trois Vermines de Choc amenèrent sur l’estrade six Skavens, nus, attachés l’un à l’autre par une lourde chaîne enfilée dans les colliers qu’ils portaient. Psody vit trois mâles et trois femelles. Les mâles lui parurent relativement jeunes. Celui en tête, un Skaven brun, avait l’air un peu plus âgé que lui. Le deuxième, un Skaven Noir, semblait distancer le premier d’un cycle saisonnier, tout au plus. En revanche, le petit Skaven à la suite était maigrelet, et tout jeune. Les trois femelles étaient autrement plus surprenantes : sveltes, marchant sur leurs deux jambes, rien ne laissait supposer qu’elles sortaient d’une couveuse ; elles n’avaient pas été traitées à la malepierre. L’une d’elles était toute petite, et n’avait sans doute pas vécu plus de trois cycles saisonniers complets. Une autre relevait la tête avec une insolence fort déplaisante, considérant l’assemblée avec mépris. Mais ce fut la dernière du cortège qui frappa le Skaven Blanc d’étonnement.

 

D’abord, elle semblait âgée, peut-être était-elle aussi vieille que le Prophète Gris Vellux. Ensuite, elle était vraiment troublante. Au fond, tout au fond de lui-même, Psody sentit quelque chose. Cette femelle-là avait quelque chose de spécial. Il ne sut dire quoi. Quelque chose de profond, de viscéral. C’était une parfaite inconnue à ses yeux, et pourtant, il avait l’impression qu’il y avait un lien entre eux.

 

-         Voici la lie du Rat Cornu, reprit Vellux. Ils ne sont pas de notre monde. Ils ne sont pas de notre race. Ils ne sont pas des nôtres.

 

En effet, Psody remarqua qu’aucun des six prisonniers n’arborait la scarification d’appartenance au terrier sur l’oreille gauche. Vellux leva les bras, et se tourna vers l’immense idole dressée à l’arrière de la scène. Cette statue haute de plus de vingt pieds représentait un Skaven avec deux paires de cornes, les deux poings tendus vers le plafond et la mâchoire grande ouverte sur un cri de défi à l’attention du monde de la surface. Le petit Skaven Blanc savait que les Technomages du Clan Skryre avaient sculpté cette idole en assemblant des quantités de morceaux de métal. L’intérieur de la tête était creux, et un brasier de malepierre jaillissait de ses yeux et de sa bouche.

 

-         Vois, ô Rat Cornu ! invectiva Vellux. Nous avons trouvé toute une bande de traîtres-mécréants ! Ces enfants indignes du Rat Cornu ont choisi de vivre parmi les choses-hommes ! Avec leur langage, leurs habitudes, même leurs vêtements !

 

Toute l’assemblée explosa en huées, en ricanements, en cris d’indignation. Les Skavens attachés étaient tous pétrifiés de terreur. Soudain, le mâle le plus petit tendit la main en avant, et jacassa quelques sons incompréhensibles d’une voix aiguë. La femelle mature ouvrit de grands yeux, et gémit à son tour, larmes aux yeux. Une fois encore, le petit Skaven Blanc ne comprit rien.

 

-         Ce ne sont pas des Guerriers des Clans dignes-dignes ! Vous autres, occupez-vous d’eux comme ils méritent-méritent !

 

Chitik, Diassyon et Klur approchèrent des prisonniers, l’air menaçant. Moly, resté en retrait, sortit une clef de sa poche et détacha les cadenas qui retenaient les six traîtres à leur chaîne. Il en profita pour poser ses pattes verruqueuses sur les femelles, au passage. Les trois autres frères de Psody agrippèrent les trois mâles. La Vermine de Choc traîtresse et le Skaven brun tentèrent de se défendre, mais Chitik assomma le Noir d’un coup de poing, tandis que Diassyon et Klur agrippèrent les bras du Skaven brun et l’immobilisèrent sur le plancher. Le petit Skaven clair tenta de fuir, mais le Pestilens bondit sur lui, le plaqua au sol, et lui trancha net la gorge avec sa dague rouillée, avant de le mordre au cou et de sucer goulument son sang chaud.

 

Les trois femelles crièrent ensemble si fort que les oreilles du Skaven Blanc sifflèrent. Vellux leva le poing.

 

-         Sacrifice ! Sacrifice !

 

Klur, Chitik et Diassyon entreprirent alors de massacrer les deux autres mâles, à coups de lames, de griffes et de crocs. Des poignées entières de poils accrochés à des lambeaux de peau volèrent, des viscères se répandirent, et le sang gicla à flots. Chitik, Diassyon et Klur se régalèrent des deux plus grands, tandis que Moly déchira le petit corps du jeune mâle à pleines bouchées.

 

Au fur et à mesure que ses frères accomplissaient leur terrible besogne, Psody se sentait de plus en plus mal. Son cerveau carburait à toute vitesse. Pourquoi donc une telle réaction ? Tout ce qu’il voyait n’était que justice : ces trois jeunes mâles avaient pactisé avec les choses-hommes, et avaient donc trahi le Rat Cornu. Et ces trois femelles faisaient preuve d’une outrecuidance démesurée, à oser s’imaginer égales aux Guerriers des Clans ! Il aurait dû se réjouir de voir ainsi accomplie la volonté du Prophète Gris, et celle de son dieu. Il aurait même pu donner lui-même l’ordre d’exécution ! Peut-être le ferait-il une prochaine fois, une fois son titre de Prophète Gris gagné ?

 

Pourtant… il n’était pas si contrarié que ça de ne pas avoir ordonné ce carnage.

 

Psody réalisa soudain que les cris s’étaient tus. Les trois mâles étaient désormais en pièces, leurs tripes répandues sur les planches de bois, leurs membres arrachés. Derrière, les trois femelles étaient serrées l’une contre l’autre, pétrifiées de terreur.

 

Le Prophète Gris Vellux leva la main, et pointa un doigt ferme vers elles.

 

-         Et maintenant, fils du Rat Cornu, je vais achever d’exaucer sa volonté.

 

L’assemblée fit silence, tandis que le grand Skaven Blanc approcha. Il se délecta des effluves de peur qui émanaient des trois pondeuses. Il les contempla longuement en se léchant les babines. Puis il attrapa par le bras la jeune femelle qui n’avait pas perdu son air arrogant. Il la tira vers lui et la jeta sur le plancher. Après quoi, il fit un geste vers l’assemblée.

 

-         Toi, et toi, hors de ma vue !

 

Trois Skavens masqués déboulèrent sur la scène, saisirent de leurs pattes griffues la vieille pondeuse et la petite, et les précipitèrent dans la fosse. L’effet fut immédiat. Les Guerriers des Clans du premier rang se jetèrent sur les deux femelles avec des crissements surexcités. Avant de disparaître, ensevelie sous une masse de Skavens en rut, la femelle mature cria d’une voix désespérée :

 

-         Psody ! Psody !

 

Le cœur de Psody s’arrêta net. La pondeuse venait-elle de prononcer son nom ?

 

Près de lui, Vellux plongea sur la femelle restée sur la scène, la retourna, et s’allongea sur elle, l’écrasant de tout son poids. Il retroussa sa robe, et flanqua de violents coups de reins à la pondeuse. Ses gémissements de plaisir se mêlèrent aux cris désespérés de la jeune reproductrice. Cris qui se turent bientôt, tellement la souffrance était forte. La femelle tourna la tête vers le petit Skaven Blanc, qui perçut l’éclat de ses yeux entre deux hoquets. Un regard lourd, chargé de regrets et de reproches.

 

Vellux, en pleine extase, se cabra vers l’arrière et poussa un puissant :

 

-         Gloire au Rat Cornu !

-         Gloire au Rat Cornu ! répétèrent les Skavens de l’assemblée.

 

Bientôt, la formule fit écho dans tout le temple, sans interruption. Klur, Diassyon, Moly et Chitik reprirent le refrain, enchantés d’être désormais de vrais Skavens, citoyens de Brissuc, avec les mêmes droits.

 

-         Gloire au Rat Cornu ! Gloire au Rat Cornu !

 

Le petit Skaven Blanc vit ses frères l’encourager à clamer la même phrase avec eux. Toujours abasourdi par ce qu’il venait de voir, il tenta tant bien que mal de s’affirmer.

 

-         Gloire au…

 

Mais Psody ne put articuler une syllabe de plus. Un terrible chagrin lui écrasa les intestins, et les larmes lui montèrent aux yeux. Incapable de détacher son regard de celui de la jeune pondeuse saillie devant lui, il bredouilla :

 

-         Non… Non !

 

 

-         Quoi ?

 

Psody se réveilla en sursaut, réprimant difficilement un petit cri de frayeur.

 

-         Que se passe-t-il ? demanda la voix de sa femme.

-         Hein ? Oh… oh… rien.

-         Un mauvais rêve ?

-         Ça va passer. Rendors-toi, ça va passer…

 

Mais le Skaven Blanc ne sut s’il voulait rassurer Heike ou se rassurer lui-même.

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