Souviens-toi des jours heureux

Chapitre 2 : Brouillard matinal

2989 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 7 jours

Je ne puis jamais trouver le sommeil. Couchée dans mon lit, les yeux posés sur le plafond, j'attendais que mon réveil sonne. Un hublot surmontait mon lit et offrait un panorama incroyable sur le ciel étoilé. Nous étions loin de la pollution du centre-ville et le spectacle était à couper le souffle, au point de me demander si le ciel avait toujours été ainsi ou s'il s'agissait simplement du côté magique de la montagne avoisinante. Cependant, ce n'était pas ce divertissement qui me tenait éveillée, ni même le stress de la fête à venir. Rencontrer de nouvelles personnes était toujours une expérience enrichissante. J'étais nerveuse, bien sûr, mais il fallait bien que je passe par cette case de toute manière.


La seule chose qui m'occupait l'esprit, c'était le gâteau que je m'étais promise de ramener à la dite-fête. Je savais bien que m'inquiéter pour des raisons aussi futiles était idiot, et, après tout, personne n'était au courant que j'avais prévu de ramener un gâteau, mais c'était plus fort que moi.


Je jetai un coup d'œil au réveil. Trois heures du matin. Ce n'était que trois heures de moins par rapport à d'habitude. C'était rattrapable. Je repoussai la couverture et sortit de la chambre. Après m'être assurée que Neelam dormait plutôt que de jouer sur sa console, je me dirigeai vers la cuisine, le sourire aux lèvres. Je poussai quelques boîtes qui gênaient sur le comptoir et sortit quelques ingrédients du carton des provisions.


Dès que je posai mon plat sur la table, un miaulement angoissé suivi de plusieurs bruits de pattes pressées accourut des escaliers. Chamallow se figea à quelques pas de moi. Il lança un regard vers la nuit perçante à l'extérieur de la porte fenêtre, puis vers moi. Lorsqu'il réalisa amèrement que ce n'était pas l'heure de manger, il se retourna pour me montrer ses fesses, vexé, et retourna se coucher sur le canapé. J'étais sûr que s'il pouvait parler, il m'insulterait à cet instant. Je le laissai bouder pour me concentrer sur ma recette.


Cookies, brownie, gâteau au chocolat, tiramisu... Je n'arrivais pas à choisir. Je regardai l'heure une nouvelle fois. Trois heures et dix minutes. Ce serait les quatre. J'attaquai la pâte à cookies.


Quatre heures plus tard, une odeur de chocolat chaud emplissait toute la maison. Allongée dans le canapé, Chamallow sur le ventre, j'observai mon œuvre de loin, fatiguée mais heureuse. J'avais même préparé un gâteau supplémentaire pour le petit déjeuner. Des pas dans le couloir me sortirent de l'état léthargique dans lequel je me trouvais depuis une trentaine de minutes. Neelam me bloqua la vue sur la table du salon, les mains sur les hanches.


— Tu as recommencé ! m'accusa-t-elle. Tu as encore cuisiné pendant la nuit ! Tu avais dit que tu ne le ferais plus !


— J'étais stressée ! plaidai-je.


— Qu'est-ce qu'on va faire de tout ça ? Je suis sûre qu'il n'y a même pas de place dans le frigo pour tous les ranger.


— C'est pour la fête de cet après-midi.


— Cheyenne, ton gâteau au chocolat, il est déjà pour quinze personnes. Ils ne vont jamais tout manger !


Je croisai les mains sur mon torse, boudeuse. C'était moi l'adulte ici, et j'étais en train de me faire disputer par une gamine de huit ans. D'accord ! Peut-être que Neelam avait raison sur la taille exagérée du gâteau au chocolat, mais quand même ! Elle pourrait être moins intransigeante. J'avais toujours cuisiné pour vingt personnes jusqu'à il y avait quelques jours, ça manquait simplement d'ajustement sur les proportions, voilà tout.


Le bruit strident de la sonnette nous fit toutes les deux sursauter. Qui pouvait bien sonner à cette heure-là ? Je me redressai difficilement du fauteuil, confiai Chamallow à Neelam et allai ouvrir. Je fus surprise de me retrouver nez à nez avec Undyne. En tenue de policier, elle était bien plus impressionnante que la veille. Il y avait un quelque chose d'autoritaire qui se dégageait d'elle naturellement que je n'avais pas forcément capté la veille. Une truffe humide vint me renifler les jambes. Je baissai la tête sur un gros chien labrador chocolat. L'animal battait de la queue et tentai de me pousser pour rentrer. Undyne le retenait par le collier.


— Excuse-moi de te déranger aussitôt, c'est une urgence. Est-ce que tu aurais vu un squelette hier soir ou ce matin ? Il est... grand comme ça, dit-elle en positionnant sa main à hauteur de sa poitrine. Un peu rond, un sourire sur le visage.


— Non, m'excusai-je. Pourquoi ? Il a fait quelque chose de mal ?


— Non, pas du tout. C'est... Sans. Tu sais, le voisin d'en face. J'allai partir au travail quand j'ai vu que sa porte était ouverte. C'est sa chienne, dit-elle en pointant le labrador. Elle s'appelle Antoinette. Elle est venue gratter à ma porte ce matin pour me prévenir. Sans n'est pas chez lui, et c'est inquiétant. Sans a... des problèmes de mémoire. Il a souvent des crises comme ça où il sort et se perd quelque part. D'habitude, il ne va pas très loin, mais je n'arrive pas à remettre la main sur lui aujourd'hui.


— Laisse la chienne ici, réagis-je aussitôt, je vais t'aider.


Undyne parut soulagée. Elle poussa gentiment Antoinette dans la maison. La chienne s'invita sans difficulté. Je la confiai aux bons soins de Neelam. Le regard de Chamallow dans ses bras hurlait à la haute-trahison, mais nous n'avions pas le temps de nous occuper des états d'âme du persan. Je suivis Undyne vers la route, où une troisième personne attendait. C'était une petite femme aux écailles orange, dans un peignoir à l'effigie du même personnage d'anime qu'avait Undyne sur son T-Shirt la veille. Elle m'adressa un petit salut nerveux de la main.


— Alphys, Cheyenne, Cheyenne, Alphys, présenta Undyne rapidement.


— Oh ! Tu es la femme d'Undyne ! m'exclamai-je en me rappelant avoir entendu son nom hier.


— C-C'est moi, répondit-elle, les joues rouges.


— On fera plus ample connaissance tout à l'heure, la coupa Undyne. Je vais aller chercher sur le sentier de la montagne. Alphys, reste dans la rue au cas où il réapparaît. Cheyenne, essaie de patrouiller le quartier. Si tu le trouves, parle lui doucement pour éviter qu'il ne se téléporte ailleurs et appelle-moi.


— Il peut se téléporter ? m'inquiétai-je.


— C'est une longue histoire.


J'hochai la tête et décidai de ne pas poser plus de questions. Undyne s'éloigna au pas de course. Je vis Alphys se diriger vers le petit parc à côté de la maison du fameux Sans. Quant à moi, je m'engageai dans une rue au hasard, en pyjama, avec pour seul ami mon téléphone portable pour joindre Undyne en cas de problème. Je n'avais pas imaginé ma première sortie dans le quartier de cette façon. Ce n'était pas une première impression très réussie. Il était encore tôt cela dit, et je pourrais passer inaperçu si je me dépêchais de retrouver le squelette.


Mais par où chercher ? Je ne connaissais même pas les environs. Avec hésitation, je pris la première à gauche. Une longue route boisée s'ouvrit devant moi. C'était aussi pour cette raison que j'avais accepté d'habiter ici : la végétation. En centre-ville, il n'y avait que des bâtiments partout et il fallait marcher plusieurs dizaines de minutes pour trouver un parc. Ici, les arbres étaient partout. J'allais enfin pouvoir respirer. Lorsque l'on retrouverait le voisin, cela allait sans dire. Peut-être que je devrais commencer à interroger des gens ? C'était ce que l'on faisait dans ce genre de cas, n'est-ce pas ?


Je regardai autour de moi, à la recherche de passants. Il y en avait justement un en face de moi. Il me tournait le dos, la capuche de son hoodie bleu vissé sur la tête. Sans doute un jogger matinal, en déduisis-je à son pantalon de sport et ses... pantoufles roses ? Je me rappelai de mon pyjama : je n'étais pas en état de juger. Je fis attention qu'aucune voiture n'arrivait et traversai pour l'aborder.


— Bonjour ? appelé-je d'une voix timide. Je suis à la recherche de mon voisin, est-ce que vous pourriez m'aider ?


Pas de réponse. Je restai derrière lui, l'air bête et le doigt levé en l'air. Il ou elle n'avait pas l'air de m'avoir entendue. Je décidai d'être un peu plus entreprenante et tapotait gentiment sur son épaule. Peut-être qu'il ou elle avait ses écouteurs, ça m'arrivait tout le temps. L'inconnu fit volte-face et j'eus juste le temps de me relever qu'une salve d'os bleu me traversa le corps. Par chance, je n'avais pas bougé. La magie bleue ne faisait des dégâts que lorsque l'on s'agitait. C'était ce que m'avait dit Neelam une fois. Son vieux livre d'histoire se révélait finalement précieux. Peut-être que je gagnerais à le lire, moi aussi.


Je levai les yeux vers le visage du joggeur mystérieux, outrée, avant de me figer. Tête ronde, sourire figé, des orbites noires... Un squelette !


— Vous... Tu es Sans, c'est ça ?


Il resta silencieux. Je sentis comme un malaise s'installer entre nous. Je n'étais pas certaine qu'il m'entendait vraiment. Je n'étais même pas sûre qu'il me regardait vraiment. Comment savoir s'il était réveillé ? Quand elle était petite, Neelam faisait des crises de somnambulisme. Et même endormie, elle avait plus d'expression faciale que le monstre que j'avais en face de moi.


Je sortis mon téléphone et par réflexe, prit une photo du squelette. Je m'attendais à ce qu'il dise quelque chose, mais il n'en fit rien. J'envoyai la photo à Undyne, accompagnée d'un « C'est lui ? ». La réponse ne se fit pas attendre. Elle m'ordonna de lui envoyer ma position et de garder le squelette près de moi et de lui parler. J'obéis. Je n'avais pas grand-chose d'autre à faire de toute façon.


— Monsieur squelette ? Undyne arrive pour venir vous... te... chercher ?


Deux billes blanches venaient d'apparaître dans les orbites noires de mon interlocuteur. Inquiète quant à la possibilité d'une nouvelle attaque, je me tins prête à esquiver. Cependant, le squelette n'en fit rien. Vraisemblablement perdu, il regarda autour de lui, confus, avant de poser les yeux sur moi. Il me détailla de la tête au pied d'un air ahuri.


— Je suis où ?


— Euh... Je ne suis pas sûre. Le quartier est par là-bas, dis-je en pointant vaguement là d'où je venais. J'ai prévenu Undyne, elle arrive.


— Oh, réagit-il mollement. Et vous êtes ?


— Cheyenne ! m'exclamai-je, ravie de changer de sujet. Je suis votre... ta... votre... voisine d'en face.


— Gerson n'y habite plus ? demanda-t-il, l'air réellement surpris. Tu... Tu peux me tutoyer, le vouvoiement me fait me sentir vieux. Je suis peut-être fait d'os, mais je n'en suis pas encore à hanter les cimetières. Je m'appelle Sans. Sans le squelette.


— Enchantée, Sans ! Undyne m'a dit que l'ancien propriétaire avait déménagé il y a quelques mois. Tu n'étais pas au courant ? J'espère que ça ne dérange pas.


Des bruits de pas vigoureux se firent entendre derrière moi. Undyne ne tarda pas à apparaître à l'horizon et les rejoignit en quelques foulées. Même si elle semblait avoir couru plusieurs kilomètres, elle paraissait toujours en forme. J'en fus jalouse. Deux cents mètres de course et je ne tenais plus sur mes jambes.


— Merci, me dit-elle. Sans, tu vas bien ?


— Euh... Oui, répondit le squelette. J'ai encore recommencé, n'est-ce pas ?


— Oui, c'est la troisième fois en deux semaines, le gronda-t-elle comme un enfant. Tu as encore laissé les clés sur la porte d'entrée, tu sais que tu ne peux pas faire ça. On l'a noté sur les post-its dans le salon.


— Ne me parle pas comme si j'étais complètement idiot, grogna Sans, plus froid.


Ses pupilles avaient encore disparu de ses orbites. Un frisson involontaire remonta le long de ma colonne vertébrale. Je détestais ça. Il y avait quelque chose de terrifiant dans ce visage vide.


Undyne se reprit, nerveuse.


— Ce n'est pas ce... Rentrons, ça vaut mieux, souffla-t-elle.


— Attends ! Où est Antoinette ?


Il regarda autour de lui, paniqué. Sa respiration devient sifflante et les larmes lui montèrent aux yeux en quelques secondes. Il nous regarda l'une après l'autre. Je tendis les mains en signe d'apaisement, nerveuse.


— Antoinette, c'est le labrador, c'est ça ? demandai-je.


— Oui ! cria Sans. Où est-elle ?


— Elle est chez moi, tentai-je de le rassurer d'une voix douce. Undyne l'a laissée là le temps qu'on te retrouve. Elle va bien.


Il se calma doucement, l'air plus rassuré. Undyne m'adressa un regard désolé, puis elle avança vers le quartier. Elle nous fit signe de la suivre. Je lui emboîtai le pas, Sans sur les talons. Le petit bonhomme me faisait de la peine, aussi décidai-je de détourner l'attention.


— La fête tient toujours ce soir ? demandai-je, incertaine.


— Bien sûr ! répondit Undyne avec un grand sourire. J'ai senti du gâteau au chocolat chez toi et il est hors de question qu'on rate ça ! Et puis, mon grand gaillard me manque.


— Quelle fête ? demanda Sans.


— Papyrus revient ce soir, dit-elle gentiment.


— Vraiment ? s'exclama le squelette, de l'espoir plein les yeux.


— Oui, vraiment. Il t'a appelé hier soir pour te le rappeler, tu te rappelles ? On lui a organisé une surprise chez Toriel.


— Oh ! C'est vrai !


Un grand sourire illumina son visage, ce qui me fit sourire également.


— Je ne sais pas qui est Papyrus, mais j'ai hâte de le rencontrer, dis-je pour ne pas donner l'impression d'être mal à l'aise.


— Il va t'adorer, approuva Undyne. Il n'y a pas grand monde qu'il n'aime pas de toute manière.


Nous regagnâmes la petite rue qui retournait dans le quartier résidentiel. Alphys devait déjà être au courant puisqu'elle avait déjà déserté les lieux. Undyne s'arrêta devant chez moi.


— Tu peux lui rendre sa chienne et s'assurer qu'il rentre bien chez lui ? me demanda-t-elle. Je suis en retard pour le boulot.


— Bien sûr. À tout à l'heure, Undyne !


Elle me prit brièvement dans ses bras, puis courut vers sa voiture. Je lançai un regard vers Sans qui observait la devanture de ma maison, perplexe. Quelque chose semblait le chiffonner, encore plus lorsqu'il me vit marcher dans l'allée.


— Où est Gerson ?


— Il... Il a déménagé il y a quelques mois, répétais-je patiemment, un peu gênée. C'est ma maison maintenant.


— Ah, tu me l'avais déjà dit, c'est vrai. Désolé...


— Ce n'est rien.


J'ouvris la porte et l'invitai à rentrer. Il hésita sur le pas, puis me suivit jusqu'au salon. Allongée dans le canapé, un paquet de chips à la main et Antoinette allongée à côté d'elle, Neelam sursauta. La jeune fille se redressa et tenta de cacher le sachet derrière elle. Chamallow la trahit en allant renifler à l'exact endroit où elle venait de le fourrer.


— Neelam ! criai-je, outrée. Les chips ne sont pas un petit-déjeuner !


— Je n'ai pas retrouvé les gâteaux ! Tu ne peux pas m'en vouloir de ne pas me laisser mourir de faim !


— Mais j'avais fait du gâteau au chocolat pour ce matin... grinçai-je des dents.


Je soupirai. Antoinette dressa la tête lorsqu'elle aperçut le squelette derrière moi, puis bondit du canapé pour aller saluer son propriétaire. Le labrador chocolat lui lécha gentiment la main. Sans s'accroupit et la serra contre lui, rassuré. La chienne battit gentiment de la queue, patiente.


— Merci, murmura-t-il. Je ne sais pas ce que je ferai sans elle.


Il se tourna vers Neelam, avec un sourire en coin.


— Je t'en dois une, on dirait.


— On dirait, répondit Neelam.


— Ne fais pas attention à ce qu'elle dit, soufflai-je. C'est Neelam, ma petite sœur.


— Je sais ce que c'est, rit-il. Moi aussi j'ai un petit frère plein de surprises. Enchantée Neelam, je suis Sans.


Il se releva et s'approcha d'elle avant de lui tendre la main. Neelam plissa les yeux, avant de la saisir avec précaution. Un bruit de pet sonore retentit brusquement dans la pièce. Je pouffai, avant de poser mes deux mains sur ma bouche. Sans se retourna et m'adressa un clin d'œil.


— Le coup du coussin péteur dans la main, c'est toujours hilarant, dit-il en levant la main.


Le fait qu'il puisse fermer ses orbites m'impressionna bien plus que la petite blague qu'il venait d'orchestrer à ma petite sœur. Ce squelette me parut plein de surprises.


— Je l'aime bien, me dit Neelam.


— Comme c'est étonnant, répondis-je en levant les yeux au ciel. L'autre jour, elle a caché une tapette à souris sous mon oreiller.


— Un grand classique, j'approuve.


Il se retourna dans ma direction, un petit sourire aux lèvres.


— Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Merci de m'avoir raccompagné, et d'avoir gardé un œil sur Antoinette. On se revoit ce soir, à ce que j'ai compris, donc ce n'est qu'un au revoir.


Je le raccompagnai à la porte. Nous discutâmes encore quelques secondes, puis il traversa la route. Je m'assurai qu'il rentre bien chez lui, comme Undyne me l'avait demandé. La petite fête aurait lieu dans la soirée, ce qui me laissait quelques heures pour continuer à déballer mes cartons et me reposer. Motivée, je remontai mes manches et me remis au travail.


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