Souviens-toi des jours heureux
Chapitre 1 : Un nouveau voisinage
2604 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour il y a environ 1 mois
— Neelam, est-ce que tu pourrais venir m'aider ? répété-je d'une voix agacée.
Une petite tête brune apparut derrière le canapé, encore chargé dans le camion. Un coffre à jouets aussi gros qu'elle dans les mains, elle zigzagua entre les nombreuses piles d'objets qui se trouvaient sur son passage et sortit me rejoindre. Elle sauta tant bien que mal sur le trottoir et s'arrêta, les bras tendus. Je regardai autour de moi, saisit un des cartons les plus légers et le posa au-dessus de sa boîte. Sans tarder, elle repartit vers la porte de la maison ouverte pour un énième aller-retour. Je m'assurai qu'elle ne se trompait pas de chemin, et repris la fouille minutieuse de ce qu'il reste à décharger.
Mes mains agrippèrent un miroir poussiéreux. Je passai une main sur sa surface où mon reflet parvenait à peine à apparaître. Le nuage de poussière qui vola tout autour me fit éternuer. Foutues allergies. Je devrais faire avec. La majorité de ce que contenait ce camion sentait le vieux, le renfermé et la poussière. Ce n'était pas idéal, mais c'était un début. Ce déménagement, c'était la chance d'une nouvelle vie. Heureusement, celle-ci serait meilleure que celle que nous avions connu avant. Après quinze années compliquées, j'avais décidé de nous offrir mieux. Enfin, à la hauteur de nos moyens.
Notre nouvelle maison ne payait pas de mine. La façade était abîmée, il manquait des tuiles sur le toit et le vendeur nous avait dit qu'il y avait une fuite dans les toilettes. Ce n'était pas pour rien qu'elle était la moins chère du quartier. Ebott City proposait des réductions aux humains qui voulaient s'installer dans le quartier historique de la ville, au plus proche de la montagne. Comme toujours, il n'y avait pas eu foule au portillon. Cette partie de la ville était peuplée en majorité de monstres, contrairement aux banlieues, plus mixtes. Les humains étaient frileux de se mêler à cet autre peuple. Pour ma part, je n'avais rien contre eux. Ils étaient là depuis plus de huit ans maintenant, il était temps que les râleurs se fassent une raison.
Et puis, je devais la vie à ces monstres. Les dernières années, je les avais passées avec une femme lapin et de ses dix-sept garnements. Dans le cadre de l'insertion des monstres à leur sortie de la montagne, un programme de famille d'accueil avait vu le jour. On avait refilé tous les orphelins « invendables » pour libérer de la place. Orpheline à l'âge de treize ans, je faisais partie de ceux-là. Personne ne voulait d'une adolescente. On préférait les nourrissons, comme Neelam à l'époque, ma petite sœur. Oh, ils avaient essayé de nous séparer, mais j'ai toujours refusé. Ne sachant que faire de nous, ils nous ont laissé au soin d'une de ces familles d'accueil nouvelle génération. Comme le disais ma « maman d'adoption », deux de plus ne pouvaient pas faire de mal. Dès que j'ai eu vingt-et-un ans, le mois dernier, j'ai décidé de prendre mon indépendance. Fière de moi, elle avait insisté pour payer le loyer jusqu'à ce que je trouve un travail et de m'offrir quelques vieux meubles dont elle ne se servait plus pour aider. Je lui en étais extrêmement reconnaissante. Elle avait été d'un grand soutien toutes ces années, bien plus que l'avait été ma propre mère en treize ans.
C'était elle qui m'avait aiguillé vers cette maison. La rue était tranquille et se terminait en cul-de sac. J'avais trois voisins : une maison à gauche de la mienne, une autre qui fermait la rue, et celle en face de chez moi. Il y avait même un petit parc avec un étang. Les monstres construisaient grands, si bien que chaque habitation était pourvue d'un grand jardin et d'un étage. C'était plus que ce que j'espérais, peu importe l'état de l'intérieur. Le panorama n'était pas non plus des plus désagréables : nous nous trouvions à seulement quelques mètres de la montagne. Le sentier qui permettait de monter vers les Souterrains, dont j'avais tant entendu parler, commençait au bout de la rue. J'espérais trouver le temps d'y aller. Depuis le temps que Neelam le réclamait. Je n'avais jamais osé demander à ma tutrice de nous y emmener, de peur qu'elle le prenne mal. De ce que j'avais compris, certains monstres refusaient de mentionner quoi que ce soit de leur vie d'avant, comme si mentionner le nom de la montagne pouvait raviver les mauvais souvenirs. Quelque part, je pouvais comprendre. Moi-même avait de nombreux mauvais souvenirs que j'espérais enfouir à jamais.
— Woah ! C'est un sacré tas de carton que vous avez là !
Surprise, je me retournai de manière trop brusque. Mon bras heurta la bibliothèque. En essayant de la rattraper pour ne pas qu'elle tombe du camion, je perdis l'équilibre et me retrouvai sur les fesses, abasourdie. Un rire féminin accueillit ma chute et, bonne joueuse, je ricanais nerveusement avec. L'inconnue attrapa la bibliothèque d'une main et la repoussa pour qu'elle se remette droit. J'en restai bouche bée. Elle était gigantesque. La peau bleue et écailleuse, ses longs cheveux rouges lui tombaient jusqu'en bas des fesses, accrochés élégamment derrière deux oreilles qui ressemblaient à celles qu'elle avait pu voir sur plusieurs poissons dans cet aquarium à quelques kilomètres d'ici. Elle me tendit une main qui me rappela que j'avais encore du travail à fournir en musculation pour en arriver un jour à ce résultat et me tira pour me remettre sur mes pieds comme si je ne pesais rien. Je dus me forcer à relever les yeux vers son visage, plutôt que de fixer béatement son T-shirt à l'effigie d'une héroïne d'anime qui m'était inconnue.
Neelam revint à ce moment-là, et avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, elle accourut devant moi, les yeux écarquillés. Elle se retourna vers moi, les mains tendues vers la femme-poisson, choqué.
— Oh mon dieu ! cria-t-elle. Cheyenne ! C'est Undyne ! C'est vraiment Undyne, dit-elle en pointant la femme-poisson du doigt, surexcitée.
— N... Neelam ! couinai-je en baissant rapidement sa main et en la ramenant contre moi. Désolée... Elle a lu beaucoup de livres sur les Souterrains, et Frisk et... C'est une grande fan.
— Oh, ce n'est pas un mal, répondit-elle, les joues un peu plus bleues qu'auparavant. J'ai l'habitude. Je pense que tu vas être ravie de voir qui sont tes autres voisins, dit-elle à ma petite sœur avec un grand sourire mystérieux. J'habite juste à côté, ajouta-t-elle en pointant la maison collée à la nôtre. J'étais en train de faire un footing quand j'ai vu que vous... Tu étais en train de sortir les cartons. Ma femme fait la sieste, donc si jamais tu veux un coup de main pour décharger... Ça ne me dérange pas.
— Ce serait trop bien ! répondit Neelam à ma place. Allez, Cheyenne, dis oui... S'il te plaît ! Je mettrai même la table ce soir !
Je levai les yeux au ciel. Avec un tel argument, comment pouvais-je seulement refuser ? J'acceptai volontiers la proposition d'Undyne. Je n'étais pas certaine de réussir à décharger les meubles les plus lourds seulement avec les bras de ma petite sœur de huit ans de toute manière. Neelam attrapa un nouveau carton et, avec plus de vigueur que les premières fois, courut vers la maison pour le ranger, me laissant seule avec ma nouvelle voisine.
— Elle est mignonne, sourit Undyne. C'est ta fille ?
— Non, ma petite sœur. Il n'y a que nous deux, me sentis-je obligée d'ajouter comme si c'était nécessaire.
— Oh, d'accord ! Elle a l'air contente d'emménager ici en tout cas. Tu viens d'arriver à Ebott City ?
— J'y ai toujours habité, avoué-je. J'étais en famille d'accueil chez madame Pompon. Mais comme je suis en âge de vivre toute seule, j'ai décidé de déménager.
— Ça changera sans aucun doute des cris de sa marmaille, se moqua Undyne dans un sourire. Oui, je la connais, répondit-elle à ma question silencieuse. Elle tenait la boutique de Snowdin, tout le monde passait par elle quand on avait besoin de produits frais. Tu as fait le bon choix en venant ici. Il y a peu d'humains, mais on n'en a pas besoin pour avoir de l'agitation.
Elle se tourna vers le camion et attrapa une première boîte. Un sourire nostalgique se dessina sur son visage. Je me penchai au-dessus de son épaule. C'était le livre de Neelam sur l'histoire des Souterrains.
— C'est une drôle de coïncidence, dit-elle. Cette maison, c'était celle de Gerson. C'est l'une des premières qui a été construite. Il voulait me garder à l'œil, qu'il disait.
— L'historien ? Pour de vrai ?
— Oui. Il a déménagé il y a quelques mois. Avec ses problèmes de dos, il ne pouvait plus se permettre d'habiter une maison avec des escaliers. Il a bougé vers la mer maintenant. Je pourrais te le faire rencontrer un jour. Il adorerait dédicacer ce livre.
— Oh, avec plaisir. C'est quelque chose que Neelam voudra faire absolument.
— Ça me fait penser, tu as déjà rencontré les voisins ?
— Non, avouai-je. Nous sommes arrivées il y a seulement une heure et demie.
Undyne sembla réfléchir, ses doigts tapaient en rythme sur le livre à l'intérieur de la boîte en carton. Je n'osai pas l'interrompre et feignait de m'intéresser aux petites fleurs dorées qui longeaient notre allée.
— Oh, je sais ! s'exclama-t-elle. Demain, on organise une petite fête pour fêter le retour de Papyrus. C'est un des frères squelettes, ils habitent en face, dit-elle en pointant la maison face à la nôtre. Il est à l'université en ce moment. L'autre c'est Sans. La fête se passera dans l'autre maison, au bout de la rue. C'est celle de Toriel et Frisk.
— T... Toriel ? Comme Toriel Dreemur ? Et Frisk, l'ambassadeur ?
— C'est ça, rit-elle. Et la maison d'à côté, c'est la mienne et celle d'Alphys. Oh, d'ailleurs... On a trois chats et ils se promènent souvent dans ton jardin. J'espère que ça n'est pas trop dérangeant... Sinon je...
— Oh non, pas de problème ! D'ailleurs...
Je me retournai vers le camion. Je poussai mes pieds pour atteindre une petite cage de transport derrière une pile de carton. Je la ramenai vers moi. Elle contenait un chat persan écaille de tortue, qui poussa un miaulement rauque pour exprimer son mécontentement.
— C'est Chamallow, annonçai-je fièrement. C'est un des seuls mâles écailles de tortue de son espèce. Il le vit mal. Il fait souvent la tête, mais il n'est pas méchant. Peut-être qu'un peu de compagnie l'encouragera à faire de l'exercice.
Les yeux de ma voisine s'illuminèrent de mille étoiles. Elle se pencha devant la grille et agita son doigt entre les barreaux dans une suite de gargouillis enchanté. De mauvais poil, Chamallow lui donna un coup de patte et cracha. Loin d'être impressionnée, Undyne réussit lui toucher le bout du nez. C'en fut trop pour Chamallow. Outré, il se retourna dans sa cage de transport et lui montra ses fesses. Il boudait.
Undyne rit de son sale caractère, puis se décida subitement à se mettre au travail. Elle attrapa la grosse commode collée au bord du camion et la souleva au-dessus de son épaule avant de se diriger vers la maison. Je restai de longues secondes à fixer le vide. Il avait fallu quatre personnes pour la rentrer dans le camion tellement elle était lourde. Comment avait-elle réussi cet exploit toute seule ? Je me repris, consciente que rester plantée au milieu de la route n'aidait pas, et j'attrapai quelques cartons pour les rentrer.
*********
Avant la fin de l'après-midi, tout était à l'intérieur. Undyne m'aida à placer les meubles les plus lourds - et par là j'entends qu'elle les portait à bout de bras d'un bout à l'autre de la maison - et s'occupa même d'accrocher les rideaux. Dans la famille, la taille avait toujours été un problème. Neelam semblait par ailleurs prendre le même chemin.
Après tant d'efforts, je lui avais proposé une tasse de café. Cependant, ne pouvant retrouver la cafetière, je dus me résoudre à trois tasses de chocolat chaud. Lorsque je les apportai sur la table tout juste installée, Chamallow explorait la pièce à tâtons, méfiant. Undyne et Neelam étaient en grande conversation, à propos du travail d'Undyne dans la garde royale, un nom gardé des Souterrains pour désigner la police des monstres.
— Quand je serais grande, j'entrerais dans la garde royale ! s'exclama sa petite sœur. Et je serai super forte, et j'arrêterai tous les méchants. Comme ceux qui ont fait du mal à Papa et Maman.
Undyne m'adressa un regard inquiet. Je balayai le sujet des mains.
— C'est... C'est une longue histoire, m'empressai-je de dire avant qu'un malaise ne s'installe. Nous n'avons pas vraiment eu une enfance facile. L'essentiel, c'est que ça va mieux maintenant.
— Ah, je comprends, répondit-elle gentiment. Je suis aussi orpheline, tout comme les deux frères en face. Rebondir aide à effacer les traces du passé, même si elles apparaissent toujours de temps à autre. Je suis contente de voir que la petite est motivée. J'ai toujours grand plaisir à entraîner des recrues, et puis... Pour l'instant, aucun humain n'a tenté de nous rejoindre. J'avais dit à Asgore que garder le nom pompeux les feraient fuir, mais il a insisté pour que l'on garde notre identité. Et puis maintenant qu'on est voisine, dit-elle à Neelam, je pourrais même t'entraîner. Il faut avoir le cran ! Et la passion ! Mais en général, ça vaut le coup. Et puis, ça me manque. Maintenant que Papyrus est parti, je n'ai plus personne pour remplir mes mercredis après-midi.
Neelam se figea et se tourna vers moi pour me demander silencieusement si elle avait bien entendu. J'hochai la tête positivement. Elle bondit de sa chaise et bondit partout, excitée, ce qui nous fit rire toutes les deux.
Éventuellement, Undyne dut repartir chez elle, après plusieurs messages de sa bien-aimée qui se demandait où elle était passée. Elle me griffonna son numéro de téléphone sur un bout de papier, papouilla une dernière fois Chamallow qui tenta de lui mordre un doigt, puis elle courut vers la porte en me rappelant de ne pas oublier son invitation pour demain soir. Je lui promis de venir et referma la porte derrière elle, le sourire aux lèvres.
Jusqu'à présent, ce déménagement se passait plutôt bien. Je n'avais même pas eu à sortir pour socialiser et me faire une première amie. Alors que je me remettais au rangement, je songeais à quel type de gâteau je pourrais ramener pour la fête. Il devait me rester quelques aliments pour monstres dans un carton, ça suffirait amplement à préparer ma petite surprise.
J'espérais que les autres habitants du quartier soient aussi sympathiques que l'était Undyne. Après tout, vu le loyer du centre-ville et d'ailleurs, je n'étais pas prête de bouger d'ici. Autant rendre l'expérience la plus plaisante possible, n'est-ce pas ?