Horrortale : Pomme Pourrie
Couché dans son lit, Frisk comptait les heures qu'il lui restait avant son transfert. Il avait perdu toute notion du temps, enfermé dans cette petite pièce sans accès à l'extérieur depuis des jours. Il arrivait au bout de ce qui lui était possible de supporter. Le manque d'hygiène, le seau qui lui servait de toilettes qui sentait dans la pièce, cette maudite chaîne qui l'empêchait d'atteindre le bout de la salle... Il avait l'impression de perdre pied un peu plus chaque jour, seulement soutenu par Chara et Asgore, de plus en plus inquiets.
Il avait refusé toute nourriture depuis quatre jours. Son corps ne supportait plus les morceaux de pains moisis, même lorsque Chara prenait le contrôle pour venir à son secours. Il n'avait plus la force de se lever, et hurlait parfois de douleur la nuit tant son estomac lui faisait mal. Il voulait que tout s'arrête. Il voulait retourner sous la Montagne, quitte à s'y perdre à jamais. Ces derniers jours enfermés lui rappelaient amèrement pourquoi il avait tenté de s'enfuir.
— Tu as réussi à dormir quelques heures ?
Frisk leva les yeux vers Chara, debout à côté de son lit. Il secoua la tête en signe de négation. La jeune fille poussa un soupir et s'installa au bout de son lit, les yeux dans le vague.
— Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ? S'ils t'emmènent, tu vas encore t'éloigner plus de la montagne.
— Je sais... J'aimerais faire plus pour tout le monde, mais... Je ne sais pas si je vais pouvoir tenir ma promesse et revenir. Je n'arrête pas de penser à ce qu'ils sont en train de vivre dans les Souterrains. Asgore est mort, ils doivent tous penser que...
— Tu as laissé un message. Ils sont intelligents.
— Je sais. Je sais que si Sans ou Papyrus l'a trouvé, ils savent que j'ai dit la vérité. Mais... D'autres pourraient croire que je me défile. Et si je ne reviens pas, même Sans pourrait penser que j'ai fini par baisser les bras et les abandonner. Je ne veux pas... Je ne veux pas qu'ils pensent ça de moi. Je veux les aider, vraiment, mais je ne sais pas comment faire.
Chara baissa la tête, défaitiste.
— J'ai essayé de m'éloigner cette nuit, pour voir si je pouvais regagner la montagne et... Je ne sais pas. Me manifester, ou quelque chose. J'ai réussi à sortir de l'orphelinat, mais passé quelques mètres, c'est comme si j'étais face à un mur invisible. Impossible d'aller plus loin. Je ne peux pas me détacher de ton âme. On est coincés ensemble pour un sacré bout de temps, on dirait.
— Ça aurait pu être pire. Je suis au moins content de ne pas être tout seul ici. Même si parler à des fantômes risquent de ne pas arranger mon cas.
— On s'en fiche de ce qu'ils pensent.
Il sourit timidement et s'apprêta à répondre, quand un bruit étrange résonna dans la chambre. Comme une... sonnerie de téléphone ! Frisk se jeta hors de son lit et rampa en direction des maigres affaires qu'il avait ramené de Mont Ebott. L'écran du vieux téléphone de Toriel brillait, et affichait un numéro qu'il ne pensait jamais revoir.
— C'est Papyrus ! cria l'enfant, les larmes au yeux, avant de décrocher.
********
Une blouse blanche trouée sur le dos, Sans bricolait au beau milieu du hall qui menait à la salle du trône. À l'aide de son vieux télescope et de quelques bidules qu'il avait récupéré dans le vieux laboratoire d'Alphys, il avait bricolé une sorte d'émetteur qui pointait en direction du trou au-dessus de Nouvelle Maison.
Il profitait de la nuit noire pour prendre un peu de temps pour lui, un peu secoué après la cérémonie mouvementée qui avait eu lieu la veille. Toriel se sentait trahie, Papyrus était complètement perdu, et lui se sentait de moins en moins optimiste à propos de leur futur. Il ne restait qu'un espoir de tout arranger, et il se trouvait hors des murs. Il espérait cependant que ça change bientôt.
Si son plan fonctionnait, peut-être qu'il pourrait réussir à contacter Frisk, ne serait-ce que quelques minutes, pour savoir où il en était. S'il allait bien. Sans commençait à s'inquiéter de ce silence radio. L'enfant n'était pas du genre à abandonner. S'il n'était pas revenu, quelque chose lui était arrivé. Le problème étant que même s'il lui était arrivé quelque chose... Il ne pourrait pas aider, et devrait peut-être vivre avec cette information en plus dans le coin de son esprit.
Il n'avait pas exactement besoin de ça pour le moment.
— C'est une nouvelle habitude de traîner ici ?
Sans sursauta, et passa la tête vers l'entrée du couloir. Papyrus se tenait là, en pyjama, les bras croisés.
— Qu'est-ce que tu es en train de faire d'ailleurs ? Ce n'est pas une heure pour jouer les scientifiques. Il est tard et tu devrais être en train de te reposer comme Alphys te l'as demandé.
— Je suis sûre qu'elle te l'a demandé aussi, se moqua Sans. Quelque chose sur le surmenage, ou quelque chose de ce genre.
— Je ne vois absolument pas de quoi est-ce que tu parles !
Le squelette rit doucement. Papyrus le rejoignit en quelques grandes enjambées et s'installa sur un des coussins qui traînaient derrière le pillier, les jambes repliées sous lui. Il observa d'un oeil critique l'installation hasardeuse de son frère.
Sans avait collé tout un tas de boîtiers, de fils et de bidules complexes sur le dessus du télescope, dont le bout disparaissaient sous une espèce de parabole en métal. Un long câble traversait le couloir jusqu'à la maison de Toriel. Papyrus l'avait suivi, suspectant qu'il appartenait à son frère.
— Ça faisait longtemps que je n'avais plus revu cette blouse, remarqua Papyrus. Je pensais que tu l'avais brûlée ou quelque chose du genre.
— Elle était à la cave. Je l'ai récupérée lors de ma visite chaotique à Snowdin. Je ne sais pas pourquoi je l'ai mise. Peut-être parce que c'est sérieux, pour une fois.
— Qu'est-ce que tu es en train de faire ?
— J'essaie de contacter le gamin. Il doit encore avoir le téléphone de Toriel avec lui.
— On a déjà essayé de le contacter, le signal ne passe pas au-delà de la Barrière.
— C'est pour ça que j'essaie de faire marcher ce bidule. C'est un amplificateur de signal. Si ça fonctionne, on pourrait même s'en servir pour appeler à l'aide. Ils ont des radios. Avec un peu de chance...
Papyrus soupira.
— Et ça t'es venu comme ça à trois heures du matin ?
— Peut-être.
— Tu sais qu'Alphys ou Toriel aurait pu t'aider, ou moi. Pourquoi le faire en cachette alors que personne n'est là pour t'épauler ? Et puis, si ça fonctionne, tu n'es pas le seul à vouloir parler à Frisk, dit-il en croisant les bras.
— Je ne veux pas qu'ils soient déçus si jamais ça ne fonctionne pas. Il y a plus de chances que tout m'explose au visage au lieu de fonctionner, tu sais.
Papyrus ne parut pas convaincu par ses arguments, mais ne surenchérit pas davantage. Sans attacha de nouveaux fils sur le plus gros boîtier, au pied du télescope. Son frère le regarda faire en silence quelques secondes, avant de baisser les yeux.
— Est-ce que tu crois qu'Undyne va vraiment... Organiser des élections ?
Sans se crispa. Il n'avait vraiement pas envie de parler d'Undyne à trois heures du matin.
— Peut-être. Peut-être pas. Ça pourrait être un coup d'état pour ce que j'en sais, avoua-t-il d'une voix faible. Ou un simple coup de bluff pour marquer les esprits.
— Je ne pense pas qu'elle ira jusque-là. C'est l'enterrement d'Asgore, ça a dû... Je ne sais pas. Je ne sais plus, Sans. Ça fait des jours que je ne lui ai pas parlé, j'ai l'impression qu'elle m'évite. J'ai essayé d'en discuter avec Alphys, mais elle aussi... Undyne semble s'isoler de plus en plus, je n'aime pas ça. Et elle n'est pas la seule.
La dernière phrase sonnait comme un reproche, mais quand Sans releva les yeux, il ne vit que de l'inquiétude sur le visage de son frère.
— Je vais bien.
— Tu n'as pas l'air bien, Sans. Tu as remis ta blouse de scientifique, tu ne fais jamais ça. Il y a quelque chose qui te perturbe, alors parle-moi. Je ne sais pas quoi faire pour te faire parler, tu sais. Et j'essaie. J'essaie vraiment ce truc qu'on s'est dit, d'arrêter de se cacher des choses, mais si je suis le seul à le faire, ça ne va pas fonctionner.
— Je... Je suis juste inquiet, finit-il par lâcher d'une voix lasse. Je me contrefiche qu'Undyne prenne le contrôle des Souterrains. Elle a les qualités pour, mais... J'ai peur de ce qu'il va se passer si elle réussit son coup. Pour Toriel. Pour nous deux. Enfin, surtout pour moi. Elle n'osera jamais te faire du mal, mais elle a été particulièrement démonstrative ces derniers jours sur ce qu'elle pense de moi et de la reine. Si jamais elle m'exile dans les Ruines...
— Je viendrais avec toi, bien sûr.
Sans en perdit les mots.
— Je ne pourrais jamais te faire ça, Papyrus. Tu as trop à perdre. Tu pourrais enfin devenir garde royal et...
— Sans... Je n'ai jamais vraiment voulu devenir garde royal. J'avais besoin d'une amie, et il se trouve que nos objectifs correspondaient, et que c'est sur ça que l'on s'est rapproché. Je me fiche bien de devenir garde royal si ça signifie de perdre mon grand-frère. Je le réalise maintenant qu'elle... Enfin... Ce ne serait pas une grande perte.
— Et si elle te force la main ?
— Je ne suis pas en sucre, Sans. Qu'est-ce qu'elle va faire ? Me mettre en prison pour avoir essayé de m'exiler par moi-même ? C'est ridicule ! Et puis, je sais que tu suivras Toriel jusqu'au bout. Alors moi aussi. Peu importe comment cette histoire se termine.
Sans baissa la tête.
— Tu ne la connais même pas.
— Toriel ? Non, mais je vois qu'elle est importante pour toi. Et elle s'est montrée très gentille avec moi ces derniers jours, bien plus que... Eh bien, beaucoup d'autres personnes. Et récemment, j'ai compris... Certaines choses. C'est pour elle que je te retrouvais toujours en dehors de ta station, près des Ruines, n'est-ce pas ? Je pensais que tu t'étais trouvé un tas de neige où faire la sieste, mais tu étais avec elle tout ce temps.
— Alors, de temps à autre, oui, je faisais la sieste sur un tas de neige.
— Je le savais ! cria Papyrus.
— Mais le reste du temps... Oui, j'étais avec elle. C'est une longue histoire.
— J'espère que tu me la raconteras, un jour.
— Eh, qui sait. Ou elle pourrait...
Ils furent interrompus par un bip strident en provenance du télescope. Sans se redressa d'un coup, tous les sens en alerte. Il se pencha sur les différents boîtiers et analysa les données qui défilaient dessus avec attention. Un grand sourire illumina soudain son visage.
— Ça fonctionne ! Je crois. J'ai simplement besoin d'insérer le téléphone et...
Le squelette enfonça ses mains dans ses poches, avant de froncer les sourcils. Où était son téléphone déjà ? Il l'avait pris avec lui en quittant la maison de Toriel. Il en était sûr. Presque sûr. Bon, d'accord, il l'avait peut-être oublié sur la table du salon.
Quand il leva les yeux, Papyrus lui tendait son portable, l'air accusateur. Heureusement que son frère était là, après tout.
Sans brancha l'appareil au télescope et installa la petite application qu'il avait codé en quelques heures pour contrôler l'émetteur. Une fois tout en place, il fouilla les contacts de son frère et cliqua sur le numéro de Frisk, nerveux. Il y avait des chances que ça ne fonctionne qu'une seule et unique fois.
Il espérait avoir au moins deux minutes devant lui. Les deux squelettes se turent, tendus, alors que les sonneries retentissaient. Une, deux, trois... Puis... Plus rien ? Sans vérifia que l'appel était toujours en cours. L'enfant avait-il décroché ? Peut-être ne pouvait-il pas parler ? Ou peut-être que ça ne fonctionnait pas ? Et s'il avait fait tout ça pour rien ?
— Sans... Parle. Ça ne coûte rien d'essayer, murmura Papyrus à côté de lui.
— Oui... D'accord. Je vais le faire.
Il prit une grande inspiration, puis s'installa plus confortablement contre le pillier, le téléphone dans la main.
— Salut, est-ce qu'il y a quelqu'un ? tenta-t-il vainement, cherchant toujours à y croire.
Seul le silence lui répondit. Il espérait que ça fonctionnait.
— Bon, je suppose que je vais laisser un message... Ça fait un petit moment maintenant. Quelques semaines ? La reine est revenue et elle a repris le trône des Souterrains. Du moins, pour le moment. Elle a installé une nouvelle politique : tous les humains qui tombent ne seront plus considérés comme des ennemis... Mais comme des amis. C'est probablement pour le meilleur. Enfin... Je crois.
Il baissa la tête. Sa main serra un peu plus le petit appareil.
— Mis à part ça, les âmes que le roi avait rassemblées... semblent avoir disparu. Le plan d'Asgore pour briser la Barrière n'est donc plus prêt d'arriver, malgré... Quelques tensions. Même si beaucoup de personnes ont le coeur brisé par sa disparition, et que notre futur semble incertain, la reine fait de son mieux pour nous aider à garder espoir. Donc... Si on garde espoir, ne perd pas espoir peut importe où tu es, gamin. D'accord ? Qui sait combien de temps ça prendra, mais on sortira d'ici.
— Sans ! surjoua Papyrus. À qui est-ce que tu téléphones ?
— Personne, répondit son frère, jouant le jeu.
— Quoi ? Personne ? Est-ce que je peux lui parler aussi ?
— Tiens, fais-toi plaisir.
Sans plaça le téléphone dans la main de son frère, en prenant garde à ne pas décrocher les nombreux câbles qui y étaient reliés.
— Oh, je reconnais ce numéro de téléphone ! cria-t-il. Bonjour, humain ! Ici Papyrus ! Comment ça va ? Pour ma part, à merveille ! Je ne suis malheureusement toujours pas garde royal, mais ! La reine m'a confié un poste à haute responsabilités que je compte mener à bien... Quand j'en aurais l'occasion. Les choses... sont étranges en ce moment. Undyne traverse une période compliquée, mais je suis certain qu'elle va bientôt rebondir sur ses jambes et réaliser qu'elle est en train de commettre une grosse erreur. Elle t'accuse toujours... De la disparition d'Asgore. Bien sûr, mon frère et moi avons trouvé ton message et ne croyons pas une seconde à ses insinuations. Mais... Beaucoup de monde dans les Souterrains... Un peu plus. Elle ne me parle plus beaucoup. Ce qui n'empêchera pas le grand Papyrus de lui rappeler tous les bons moments que l'on a passé tous les trois ! Comme cette fois où l'on a réduit sa maison en cendres ! Enfin, vu ce qui est arrivé à notre maison... Je ne peux pas vraiment m'en vanter. Toriel...
Papyrus se figea, soudain frappé par l'absurdité de la situation.
— Toriel aimerait sûrement lui laisser un message aussi.
— Malheureusement, si on lui donne le téléphone, pas sûr qu'on puisse le récupérer, changea-t-il le sujet.
Il n'y avait pas assez de temps pour aller chercher la reine. Sans craignait que son équipement explose d'une seconde à l'autre sous la tension. Papyrus leva un pouce en signe d'approbation.
— Sans a raison ! Mais elle aimerait sûrement te raconter elle-même tout ce qui s'est passé ces dernières semaines, donc... Appelle-nous bientôt, d'accord ?
Le télescope vrombit. Sans lança un regard alarmé à son frère.
— Euh... Je déteste couper court, mais je crois que le téléphone n'a bientôt plus de batterie. Donc... Prends soin de toi, gamin. Et reviens vite. On compte sur toi.
— Bye bye pour l'instant ! dit Papyrus.
Une gerbe d'étincelles vola hors d'un des boîtiers du télescope lorsque Papyrus raccrocha. Sans recula instinctivement, avant de décrocher un des boîtiers qui fumait et de le pousser vers le milieu du couloir avec son pied. Il attrapa l'extincteur qu'il avait emmené avec lui et aspergea vigoureusement avant que ça ne prenne entièrement feu.
Papyrus resta à l'écart, songeur.
— Est-ce que tu crois que ça a fonctionné ?
— Je ne sais pas, avoua Sans. J'espère. Si j'arrive à récupérer ce qu'il y a dans le boîtier, on pourra retenter dans quelques jours. Mais... Je crois que c'est assez d'émotions fortes pour ce soir. Je nettoierai tout ça demain. Tu viens ? Allons dormir quelques heures. Qui sait ce que demain nous réserve.
— Monsieur Grillby doit venir à neuf heures, donc ne te lève pas trop tard.
— Comment est-ce que tu sais ça ?
— Contrairement à toi, cher frère, le grand Papyrus est né avec un agenda dans la tête.
Sans pouffa, avant de tendre la main à son frère. Papyrus grogna, mais ne put lui dire qu'ils se trouvaient à deux minutes de marche de la maison et que se téléporter était ridicule. Le temps qu'il ouvre la bouche, ils étaient de retour dans leur chambre.
*********
Frisk hurla les prénoms de Sans et Papyrus, les larmes dévalant le long de ses joues. Le téléphone semblait avoir pris des dégâts, il n'avait pas réussi à entrer en contact avec eux. Entendre leurs voix, cependant, était déjà beaucoup. Ils allaient bien. Ils savaient qu'il n'était pas responsable du meurtre d'Asgore. Ils n'étaient pas en colère contre lui.
Ils attendaient toujours son retour.
L'enfant aurait voulu leur répondre de ne pas s'inquiéter, qu'il trouverait un moyen de s'enfuir... Mais ils ne l'entendaient pas. Le signal semblait faible, leur voix disparaissaient de temps à autre.
Il réalisa un peu plus à quel point ils lui manquaient tous. Quitter les Souterrains avait été sa plus grande erreur. Ce qu'avait dit Papyrus à propos d'Undyne ne l'étonnait pas. Il espérait qu'elle finirait par comprendre son geste. Peut-être que savoir qu'une partie d'Asgore était toujours présente l'aiderait à passer à autre chose.
Entendre leurs voix l'avait remonté à blocs. Il ne pouvait pas rester dans cet orphelinat. Il devait trouver un moyen de les rejoindre. Peu importait le prix. Il ne les laisserait pas l'éloigner de la montagne.
C'était une promesse.
*********
Les mains appuyées contre le lavabo de la salle de bain, Undyne peinait à tenir son propre regard. Elle était cernée comme encore jamais auparavant, les cheveux en bataille, fatiguée. Tellement, tellement fatiguée. Les derniers jours avaient été atroces. Entre la montée de la violence dans les Souterrains, les décisions de Toriel qu'elle ne pouvait plus supporter et son discours lors de la cérémonie d'adieux qui l'avait fait sortir de ses gonds.
Elle ne voulait pas faire de vagues. Pas pendant un jour aussi important, y compris pour elle. Tout était sorti d'un coup, sous la colère, y compris cette idée d'élections. Elle le regrettait. Malheureusement, depuis, le dialogue était rompu avec la reine. Toriel avait refusé de la voir la veille. Elle avait envisagé de passer par Papyrus pour obtenir ce qu'elle voulait, mais après les derniers événements, elle craignait que cette petite manipulation lui coûte plus qu'elle ne le voulait.
Elle ne savait plus ce qu'elle devait faire.
— Undyne ? Tout v-va bien ? Tu es dans cette s-salle de bain depuis d-deux heures m-maintenant.
— J'arrive. Désolée, j'étais perdue dans mes pensées.
Dans un soupir, elle se détourna du miroir et ouvrit la porte. Alphys eut un mouvement de recul à la vue de son visage. Ça ne dura qu'un moment, mais elle put lire dans son regard à quelle point elle était inquiète pour elle. Elle était touchée, mais... Elle ne voulait pas ajouter plus de stress sur les épaules de la scientifique.
Undyne en avait assez d'inquiéter les autres.
— Tu es sûre q-que ça va ? demanda Alphys d'une petite voix.
— Je ne sais pas. Je ne sais plus. Il est tard, on devrait aller se coucher.
— D'accord...
La femme poisson plaça une main dans le dos d'Alphys, qui s'empourpra légèrement, et la guida vers l'étage, où elles s'étaient installées pour dormir. Le matelas n'était pas très large, ni très long, ce qui causait parfois la chute d'Undyne pendant la nuit, mais elle avait fini par s'y faire. Dormir aux côtés d'Alphys restait quelque chose de nouveau dont elle ne se lassait plus.
Elle grimpa sur le lit, et patienta le temps qu'Alphys la rejoigne. La femme lézard s'installa dans le creux de son bras, blottie contre sa petite amie. Undyne referma son bras et la serra contre elle, appréciant le contact froid de ses écailles contre sa peau.
Un silence confortable s'installa entre les deux. Undyne sentait déjà la fatigue la rattraper, mais elle avait peur de fermer les yeux. Lorsque ça arrivait, tous ses cauchemars la ramenaient dans la forêt de Snowdin, devant ce tas de cendres et le regard choqué de Sans. Elle n'avait pas trouvé le temps de lui parler. Elle avait bien compris qu'il ne le voulait pas de toute manière. Elle craignait pourtant que si elle attendait, il parlerait à Papyrus. Elle ne voulait pas que Papyrus apprenne ce qu'elle avait fait.
Quand ce n'était pas ça, c'était Asgore, agonisant, appelant à l'aide dans la salle du trône alors que ce maudit humain absorbait les âmes et fuyait, l'abandonnant à son sort. Avait-il au moins eu la décence de l'achever ? Elle l'espérait. L'idée qu'Asgore était mort seul lui était déjà insupportable. Il était la dernière personne qui comptait vraiment pour elle, comme un membre de sa famille. Elle se sentait redevenue orpheline, plus que jamais.
— Undyne ? Tu es sûre q-que ça va ? chuchota la voix d'Alphys. T-tu t-trembles. Tu v-veux une autre c-couverture ?
— Non, répondit-elle, la voix étranglée.
Alphys se dégagea et s'assit sur le lit, inquiète. Elle lui prit la main.
— Est-ce q-que tu v-veux en parler ? J-Je sais que t-tu p-préfères garder ce g-genre de choses pour t-toi, mais... Ça me fait mal d-de te voir comme ça. Ça f-fait des jours que je n'ose r-rien dire, mais... J'ai v-vu que tu ne m-manges plus, et tu m-maigris à vue d'oeil et ça commence à m-m'inquiéter et je ne sais q-que je ne devrais p-pas, mais je n'arrive p-pas à m'en empêcher et d-depuis l'enterrement, tu ne p-parles presque plus et je n-ne sais plus où on est... Si c-c'est quelque chose q-que j'ai fait, j-je suis désolée, mais...
— Ce n'est pas de ta faute, arrête ça, grogna-t-elle. Je sais que je suis distante... Je ne le fais pas exprès. Je ne sais pas ce qui cloche avec moi. Depuis qu'Asgore est mort, je... Je suis complètement perdue. Je ne veux pas t'inquiéter, ou Papyrus. Je... Je ne sais plus. Je ne sais plus ! explosa-t-elle.
Elle s'assit à son tour et enfonça sa tête dans ses mains. Alphys lui caressa gentiment le bras, patiente.
— P-pourquoi est-ce que tu as f-fait ça à la cérémonie d'adieu ? Je s-sais que tu m'en aurais p-parlé avant si c'était p-prémédité.
— C'est à cause du discours de Toriel. Elle m'a mis en colère. Je n'en peux plus de son hypocrisie. Elle est autant responsable qu'il l'était dans notre enfermement, mais c'est comme si elle s'en fichait ! Elle s'en fiche que des gens continue de mourir ! J'ai essayé de lui parler, j'ai vraiment essayé, mais elle ne me voit que comme une gamine capricieuse, elle ne pense pas que je suis sérieuse. J'ai voulu lui montrer que je l'étais. J'en ai marre qu'elle cherche à me faire taire parce que ma vision des choses ne correspond pas avec la sienne. Asgore a passé des dizaines d'années à se battre pour notre liberté, et elle, d'un coup de la main, elle balaie tout. Elle n'est personne, elle n'était pas là pour le ramasser à la petite cuillère quand il était forcé de commettre l'irréparable. J'avais six ans quand le cinquième est mort de sa main, je me souviens encore qu'il avait décliné notre petit combat de la semaine. Je suis allée le voir et je l'ai trouvé effondré dans son lit, incapable de se lever. Et tout ça pour quoi ? Pour qu'un stupide gosse qui a réussi à tous nous duper fasse en sorte que tout ça arrive pour rien. Asgore est mort pour rien, et Toriel ne fait qu'essayer d'effacer ces dizaines d'années de combat pour prouver à tout le monde que tout ça... N'était pour rien. Je refuse. Je refuse de la laisser gagner.
Alphys hocha la tête. Elle croisa les jambes.
— Tu sais, j-je ne suis pas d'accord n-non plus avec t-toutes ses d-décisions. J-je sais qu'elle v-veut bien f-faire, mais... Elle a aussi sa p-part de responsabilités dans c-ce qui est arrivé. T-tu as le droit d'être en c-colère pour ce qui est arrivé, et elle n'a p-pas le droit de te d-demander de refouler tout ça. Tu es en d-deuil. Ça prend du temps, et elle n'aide p-pas à rendre le p-processus facile. Je ne suis pas certaine que F-Frisk ait vraiment... Tu sais. Mais même si c-ce n'est pas le c-cas, il n'est t-toujours pas revenu. On ne s-sait pas s'il r-reviendra un jour. On ne p-peut pas attendre éternellement. T-Toriel veut r-reconstruire les S-Souterrains comme s'il allait revenir n-nous sauver et nous l-libérer, mais je ne p-pense pas que ce s-soit la solution non plus. On d-doit trouver un équilibre entre les d-deux. Je pensais que vous pourriez peut-être g-gouverner ensemble, mais... Ça semble compliqué. Peut-être q-que... Des élections sont bienvenues, en vérité. Pour laisser une voix à t-tout le monde. Si les r-résultats sont m-mitigés, on p-peut voir pour t-travailler ensemble, mais si les gens d-décident de te suivre, c'est que t-tu le mérites. Tu n'es pas la m-méchante sorcière, Undyne. Asgore t'as f-formée. De nous tous, tu es celle qui p-pourrait le plus nous faire avancer. Peut-être p-pas en anéantissant l'humanité, m-mais... On trouvera une solution.
Undyne hocha la tête, un petit sourire aux lèvres. Alphys avait raison. Elle se rendait compte, elle aussi, qu'elle avait peut-être été trop extrême dans ses discours. Mais peut-être... Qu'avec l'aide de sa petite amie, elle pourrait rendre les Souterrains meilleurs. Elle comptait maintenir les éléctions, aller au bout du processus... Puis elle verrait bien ce qui en ressortirait.
— Peut-être que tu as raison. Je vais y réfléchir. Il est vraiment tard, on devrait dormir quelques...
Une alarme éclata dans tout le laboratoire, les faisant sursauter. Undyne jeta un regard interrogateur à Alphys, qui dévalait déjà les escaliers vers le rez-de-chaussée. Undyne la trouva figée devant l'écran qui retransmettait en direct les images des caméras des Souterrains.
Undyne la rejoignit en quelques enjambées, avant de se figer à son tour.
Un humain venait de sortir des Ruines et s'aventurait lentement dans la neige.
— Qu'est-ce q-qu'on f-fait ? paniqua Alphys.
— Je vais prendre le ferry pour le rejoindre.
— Undyne, t-tu es sûre ?
— Oui, on ne doit pas le laisser avancer plus. Préviens la reine une fois que je serais sur place, d'accord ? Ne le fais pas avant.
— Pourquoi ?
Le visage d'Undyne se ferma.
— On a besoin de cette âme, Alphys. On ne peut pas la laisser filer.
— Mais...
Undyne ne lui laissa pas le temps de parler. Elle enfila son blouson et disparut dans la nuit. Alphys resta paralysée devant l'écran. Undyne allait tuer cet humain. Si elle ne faisait rien, Undyne serait arrêtée, ou pire ! Mais si elle... Undyne ne lui ferait plus jamais confiance. Elle sentit son coeur battre la chamade.
Elle devait faire un choix.
Un choix dont dépendrait le futur des Souterrains.