Horrortale : Pomme Pourrie

Chapitre 14 : Moment de répit

5613 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 3 mois

Un frisson désagréable secoua le corps de l'enfant. Frisk serra les mains sur son torse pour essayer de conserver le peu de chaleur qu'il avait réussi à accumuler, en vain. Sa tête se redressa lentement et il se força à ouvrir les yeux. Il tenta de bouger un bras, mais son dos douloureux le rappela à l'ordre et il préféra rester immobile.


Il faisait sombre. Frisk n'aimait pas l'obscurité. Trop de mauvais souvenirs. Il peinait à distinguer les étagères et les balais devant lui.


— F... Frisk ?


Il releva les yeux. Blottie dans les bras d'Asgore, Chara avait remarqué ses mouvements. Elle se dégagea doucement et s'approcha de lui. L'enfant regretta de ne pas pouvoir la toucher. De longs sillons noirs avaient tracé leur route sur son visage, signe qu'elle avait beaucoup pleuré. Frisk ne savait pas que les fantômes pouvaient pleurer.


— Hey, chuchota l'enfant d'une voix triste.


— Tu m'as fait peur. Tu as dormi pendant deux jours. J'ai cru que...


Elle inspira et détourna le regard. Asgore observait leur échange depuis le mur, un sourire bienveillant sur le visage. Il paraissait encore plus triste que la première fois que Frisk l'avait vu.


L'enfant se força à s'asseoir. Un gémissement franchit la barrière de ses lèvres sous l'effort, mais l'action lui permit d'échapper au sol bétonné froid et humide. Il frictionna ses membres endoloris jusqu'à retrouver un semblant de chaleur, vaine illusion alors que la température ne devait pas dépasser les dix degrés dans la pièce.


— Je suis désolé, mon garçon, marmonna Asgore. J'aurais aimé faire plus. J'ignorais que de telles pratiques avaient encore lieu ici. Si j'avais su, jamais je ne t'aurais poussé à revenir.


— Personne ne sait ce qui se passe ici, répondit Frisk sombrement. Ou ils le savent et ils s'en fichent. Personne ne vient jamais nous adopter. Personne.


Il passa une main sur son visage pour effacer les larmes qui menaçaient de couler. Il ne méritait pas ça. Aucun d'eux ne méritait ce traitement. Mais personne ne faisait jamais rien pour les défendre, pour rendre leur vie un tant soi peu meilleure. Ils n'étaient que les pièces cassées d'un vieux jeu de société qu'on remplaçait dès qu'on n'en avait plus l'utilité.


— Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ? demanda Chara.


— Je vais être envoyé à l'asile, répondit Frisk d'une voix morne. Je... Je ne veux pas y aller. Personne ne revient jamais de là-bas. Ils font... Des choses aux gens. Je ne sais pas quoi, mais je sais qu'on n'en ressort jamais.


— Ce n'est pas un vrai asile, alors, remarqua Chara.


— N... Non. C'est plus... Je ne sais pas. On l'appelle l'asile parce que les gens qui y vont finissent tous mal. On les voit... Dans les journaux. Dans les rubriques des morts. On les retrouve dans les bois, dans les rivières, dans...


— N'y pense pas, le coupa Asgore. Nous aviserons le moment venu, d'accord ? Une chose à la fois.


Des pas résonnèrent dans le couloir. Frisk frémit et recula contre le mur le plus éloigné de l'entrée, terrifié. La porte s'ouvrit, déversant un peu de lumière dans le lieu humide. Frisk était entouré de balais et de produits chimiques qu'il n'avait pas vu dans l'obscurité. Mais son regard fuyant finit par se poser sur la personne qui venait d'entrer.


— Bonjour, Marianne, dit l'une des assistantes de Miss Vonichelle. Bien dormi ? demanda-t-elle, une pointe de sarcasme dans la voix.


L'enfant ne répondit pas et serra ses genoux davantage contre lui, effrayé. Ils avaient tous regardé lorsqu'on l'avait fouetté. Aucun n'avait bougé. Ils étaient tous coupables.


— Tu es encore puni jusqu'à demain, l'informa-t-elle. Je venais t'annoncer ton transfert à l'asile la semaine prochaine. Jusqu'à ton départ, tu seras attaché dans ta chambre. Profite-bien. Tu verras bientôt qu'ici, ce n'était pas aussi terrible que ce que tu penses.


La femme jeta un vieux morceaux de pain à ses pieds. Avant que la porte ne claque, Frisk avait clairement pu voir sa couleur verdâtre aux extrémités. Il avait envie de vomir. Chara s'assit à côté de lui, clairement dégoûtée par la nourriture qui prenait déjà l'humidité du sol.


— Laisse-moi le contrôle, demanda-t-elle. Je vais manger ça.


— Non, tu n'es pas obligée de... Je n'ai pas faim.


— Frisk, tu dois manger... Laisse-moi t'aider, supplia-t-elle.


L'enfant hésita, puis abandonna. Il échangea sa place avec Chara.


Les deux enfants avaient découvert qu'ils pouvaient faire ça dans les Souterrains. Pratique pour éviter les lances d'Undyne ou mieux connaître les points faibles d'Asgore lorsqu'on avait vécu avec lui tant d'années. Ils ignoraient d'où provenait ce don, mais ce n'était pas la chose la plus étrange de leur voyage jusqu'à présent.


Frisk patienta dans un coin de son esprit le temps que Chara mangeait le morceau de pain rassis. Il pouvait toujours en sentir le goût - horrible -, mais c'était comme s'il n'était pas celui qui le mangeait, ce qui atténuait la souffrance du moment. Cette expérience était déplaisante et aucun des deux enfants n'aimait prendre la place de l'autre, mais dans les cas d'urgence, elle les avait sorti de sacré pétrins.


Chara lui rendit immédiatement son corps après le repas, et lui adressa une grimace écoeurée qui en disait long sur ce qu'elle avait pensé de ce casse-croûte improvisé. Frisk retint difficilement un sourire pour ne pas l'offenser, à l'inverse d'Asgore, qui ricana dans sa barbe, à la fois amusé et dégoûté.


Néanmoins, la jeune fille avait raison. Avec le ventre un peu plus rempli, Frisk se sentit mieux presque immédiatement. Ils avaient encore une longue journée à attendre dans le noir, alors autant s'échapper de son quotidien tant qu'il le pouvait encore.


**********


Sans redressa lentement la tête, un peu perdu. Il n'était pas chez Toriel, et pas chez Grillby, et il n'arrivait pas à se souvenir comment il était arrivé ici. L'esprit embrumé, il eut un mal fou à se concentrer sur ce qui l'entourait. Tout tanguait. Les murs, le sol, les meubles. Il n'aimait pas la sensation. Il avait l'impression d'avoir abusé de l'alcool, tout en ayant la certitude de ne pas avoir consommé une seule goutte.


— ... Rus ?


Sa propre voix l'étonna. On aurait dit un vieux corbeau mourant. Il savait qu'il avait des sonorités graves et langoureuses, mais à ce point-là, il pourrait bientôt faire de la lecture orale de romans érotiques, comme Mettaton.


Très vite, il chercha à remettre en route ses vieux réflexes de scientifiques. La pièce ressemblait à une chambre d'hôpital, sauf qu'il n'y avait pas de murs pour le séparer des autres... Et personne d'autre que lui par ailleurs dans la pièce. Il ne voyait que du blanc et du gris, partout où il posait les yeux. Il n'y avait aucun son perceptible non plus, à l'exception de sa propre respiration rauque. Il n'aimait pas ça.


Mal à l'aise, il conclut avec brio qu'il n'avait rien à faire là et qu'il allait rentrer à la maison le plus vite possible et faire comme s'il n'avait pas oublié les dernières heures de sa vie. Heures ? Jours ? Il n'en savait rien. Motivé par l'idée de quitter les lieux, il se redressa. Une vague de douleur dans la poitrine lui arracha un cri et il retomba sur le dos.


— Bon, plan B, croassa-t-il. Retourner 'ormir, et quand 'me réveillerai, tout s'ra normal.


— S-Sans ?


Il tourna la tête vers la voix qui venait de l'appeler. Il dut cligner plusieurs fois des yeux pour que sa vision cesse de flouter le visage familier qui s'avançait vers lui. Il fronça des sourcils inexistants et produit un grand effort de concentration pour se rappeler de son nom.


— Alphys ? Où ?


— Ah, t-tu es enfin réveillé !


Elle s'affaira autour de lui. Quelque chose lui serra brièvement le bras, puis elle plaça une tablette au-dessus de sa poitrine, avant d'aller palper quelque chose derrière sa tête. Sans essaya vainement de la suivre du regard, mais elle allait bien trop vite pour lui. Il sursauta quand une lumière apparut brutalement devant ses yeux. Il grogna et tenta de repousser la main de la scientifique.


— D-désolée, s'excusa-t-elle. C'est la p-procédure. Je vais te poser quelques q-questions, d'accord ? Tu p-peux me rappeler ton prénom ?


— Sans, j'ai vingt-neuf ans et on est lundi.


— M-mercredi, en vérité. Tu as dormi d-deux jours. T-tu te rappelles de ce qui s'est p-passé ?


Sans secoua la tête. Cette question, on la posait quand il s'était passé quelque chose de grave. Il fouilla au fond de son esprit, il n'arriva pas à se rappeler. Tout était embrumé.


— C'est n-normal, le rassura la scientifique. Tu étais en é-état de choc, ça va m-mettre un peu de t-temps à te revenir. Tu as été a-attaqué chez G-Grillby, par un groupe de m-monstres. Ils t'ont blessé à la t-tête et aux c-côtes, mais avant qu'on ne te s-soigne tu t'es évanoui d-dans la nature. Undyne t'a r-retrouvé et on t'a r-ramené au laboratoire pour te s-soigner.


Maintenant qu'elle le disait, cette histoire lui paraissait vaguement familière, comme si quelqu'un d'autre l'avait vécu. Il était encore trop épuisé pour lui donner du sens. Tout ce qu'il retenait était qu'il était toujours en vie, et que, par conséquent, ça ne pouvait pas être pire que l'explosion de Snowdin. Un autre problème à ajouter sur la pile déjà haute de ce qui n'allait plus dans les Souterrains.


— Je vais t-te laisser te r-reposer, dit-elle. Je vais appeler P-Papyrus, il s'inquiète b-beaucoup. Je t'examinerai t-tout à l'heure, je viens j-juste de changer tes b-bandages.


Sans glissa un regard vers son torse, entièrement enveloppé de bandelettes. Son crâne avait subi le même sort. Il n'avait pas l'air d'être capable de sortir pour le moment, alors autant obéir. Il laissa Alphys retourner à ses affaires et ferma les yeux. Il sombra en quelques secondes.


*********


— Est-ce ce papier ?


— Oui, merci.


Undyne récupéra le document que Toriel lui tendait et le rangea dans un des classeurs étalé sur la table du salon. Elle tendit ensuite l'objet à Papyrus, qui l'empila sur l'une des piles destinée à la garde royale, avant de retourner à son propre tas de papiers.


Tous les trois faisaient un gigantesque tri dans le bureau d'Asgore, et surtout dans ses papiers. Le roi semblait avoir eu quelques soucis d'organisation ces derniers mois, et Toriel ne supportait plus de ne pas retrouver ce dont elle avait besoin. Elle avait réquisitionné Papyrus et Undyne pour l'aider. La capitaine de la garde royale était elle-même arrivée avec un tas important de papiers qu'elle n'avait pas eu le temps de confier à Asgore, trop occupé ces derniers mois pour la recevoir. Ils classaient ainsi les documents selon leur usage et leur conseiller attitré, afin que chacun d'entre eux puisse les récupérer.


Papyrus commençait à angoisser. Sa pile était de loin l'une des plus hautes, et il n'avait toujours aucune idée de ce qu'il allait devoir faire. Être choisi conseiller était une chose, mais savoir en quoi le métier consistait en était une autre. De plus, avec Sans dans les vapes depuis deux jours, il peinait à rester concentré sur ses tâches. Il n'avait qu'une hâte : en terminer au plus vite pour retourner à son chevet. Il savait que cette mission de rangement n'était qu'une grande mascarade pour le distraire, mais ça ne fonctionnait pas vraiment. Au moins permettait-elle d'ouvrir le dialogue entre Undyne et Toriel après le dîner catastrophique qui avait eu lieu avant l'accident de Sans.


— Je ne comprends pas, grogna Toriel. Asgore n'avait-il pas de secrétaire pour s'occuper des papiers ? Je viens de retrouver un acte de naissance datant de plus de cinquante ans dans un rapport de la garde royale obsolète. Pourquoi conserver tout ça ?


— Le vieux bonhomme n'aimait pas jeter, répondit Undyne, une pointe de nostalgie dans la voix. Il pensait être capable de tout gérer tout seul et il ne voulait pas ennuyer les autres. C'est pour ça que je suis rentrée dans la garde. Je ne voulais plus qu'il soit seul. Il me faisait de la peine. J'ai gravi tous les échelons un à un pour en arriver où je suis aujourd'hui et venir l'aider.


— Depuis combien de temps êtes-vous capitaine ? demanda Toriel, souriante.


— Un peu plus de vingt ans maintenant. Nous étions quatre quand on a commencé. Il ne reste plus que moi aujourd'hui.


La reine fronça les sourcils, soucieuse. Undyne répondit à sa question silencieuse.


— Il y en a un qui a perdu une jambe en cherchant à sauver un gamin après un éboulement, un a été tué en s'opposant au dernier humain, et le dernier... Il a juste abandonné un matin. Je n'ai retrouvé que ses cendres, personne ne sait vraiment s'il est mort de maladie ou s'il s'est donné la mort. Ce sont des choses qui arrivent. On les voit souvent parmi le peuple, mais côtoyer la misère au quotidien peut faire de drôles de choses à la tête.


— Je le sais fort bien, murmura Toriel.


— Si vous le dites, grogna la capitaine, amère.


— Vous avez dit hier que vous étiez là lorsque le dernier humain a...


— Ą tiré sur Papyrus à vue ? Oui. C'était mon deuxième jour en tant que capitaine, confia-t-elle. J'étais toute seule à gérer, et ça a été un fiasco. Des soldats sont morts pour arrêter ce monstre, plusieurs civils ont été touchés, et il y avait tellement de cendre, partout. Il n'aurait jamais dû passer le premier barrage. Et dans tout ce chaos, c'est un gamin qui l'a tué. Ça aurait dû être moi. J'étais responsable d'eux.


Papyrus fit de son mieux pour ignorer leur conversation. Il se sentait très mal à l'aise et la tension grandissante l'incommodait fortement. Pourquoi dès que ces deux-là s'adressaient la parole, on en revenait toujours au sujet des humains ? Le squelette se retourna et essaya de dévier le conflit à venir.


— Eh bien, je suis toujours vivant, donc ce n'était pas entièrement raté ! C'est du passé, de toute manière, et nos défenses ont beaucoup évolué depuis. J'ai contribué à construire tous les puzzles de Snowdin et aucun humain n'a tué de monstre depuis, ce qui doit vouloir dire que je suis vraiment exceptionnel.


La capitaine et la reine éclatèrent de rire à son petit coup d'éclat. Papyrus souffla discrètement de soulagement. La tension se calma et chacun replongea le nez dans ses papiers. Le squelette sentit le regard d'Undyne se poser longuement sur sa nuque, mais il ne se retourna pas.


La sonnerie de son téléphone le fit sursauter. Papyrus jongla avec un dossier jusqu'à réussir à atteindre sa poche, et décrocha sans même un regard au numéro de téléphone.


— Allô ?


— P-Papyrus ? C'est Alphys. S-Sans est réveillé. Un peu c-confus, mais il semble aller b-bien. Il te r-réclame.


— Vraiment ? J'arrive immédiatement ! Merci beaucoup ! cria-t-il, peinant à dissimuler son excitation.


Alphys raccrocha. Papyrus se tourna vers ses deux amies, qui l'observaient déjà, sourire aux lèvres.


— Va le retrouver, lui ordonna Toriel. N'oublie pas son sac et le gâteau dans le réfrigérateur !


— Oui, Miss Asgore ! répondit-il, déjà loin.


La porte claque derrière lui seulement quelques secondes plus tard. La reine sourit timidement à Undyne, qui l'observait.


— C'est une seconde nature de materner les autres ? demanda la capitaine. Vous faites ça... Beaucoup.


— On verra lorsque tu auras mon âge, se moqua gentiment Toriel. Pour moi, vous êtes tous des enfants.


— Vous ne pouvez pas être si vieille que ça. C'est une légende urbaine.


Toriel sourit, malicieuse.


— Si tu le dis.


*********


Papyrus ralentit l'allure au niveau du parc de Mettaton. Comme la fois dernière, un groupement de monstres attendait devant la porte. Le squelette grogna. Il n'aimait pas en général s'approcher trop près des groupes de monstres, en particulier lorsqu'il n'y avait aucun autre moyen. À Snowdin, il pouvait simplement contourner les habitations, ici, c'était plus compliqué. Décidément, il détestait les Hotlands.


Il fit de son mieux pour avancer d'un pas assuré, la tête haute. Il était simplement un peu paranoïaque après tout. Tous les monstres ne pouvaient pas vouloir leur mort à son frère et lui. Il connaissait les probabilités, et les chances de se faire agresser deux jours de suite étaient faibles ! Mais pas zéro.


— Il est encore là, lui ? entendit-il à sa droite. Il manque pas de toupet après ce qui est arrivé à mon frère !


— Il est sous la protection de la reine Toriel, ne fais pas de bêtise...


— Ce n'est pas ma reine ! Mon frère est mort à cause de cette ordure et de son frère ! On a retrouvé ses cendres dans la forêt. Je suis sûr que c'est ce malade qui s'est vengé, avant de prétendre s'être blessé. Tout ça pour une petite bousculade. Je vais lui montrer moi ce que j'en pense.


Papyrus se retourna et dévia sans sourciller l'attaque qu'on venait de lancer à sa figure d'un grand coup d'os. C'était un petit monstre à la tête ronde et à la peau bleue, visiblement surpris par la vitesse à laquelle Papyrus s'était défendu. Il sembla reconsidérer ses options, puis relâcha son attaque. Le squelette ne prit pas le temps de s'attarder et poursuivit sa route à grandes enjambées, nerveux. Ce n'était pas passé loin. Il avait depuis longtemps compris que sa taille pouvait être un atout dans ce genre de situations, même s'il n'aimait pas en jouer. Intimider permettait d'éviter les ennuis. Peut-être l'entraînement d'Undyne n'avait pas été si inutile au final.


Essoufflé, il ralentit lorsque le laboratoire apparut au loin. Il s'engouffra dans le bâtiment. Alphys sursauta légèrement, mais se détendit en se rendant compte que ce n'était que lui.


— J'ai v-vu sur les caméras...


— Je vais bien, répondit Papyrus, forçant un sourire. Je pense qu'il a eu plus peur que moi !


Alphys ne parut pas plus convaincue que lui, mais lui fit signe de la main pour l'inviter à la suivre dans l'ascenseur. Papyrus bloqua à l'entrée, nerveux. Il détestait le laboratoire souterrain. Il avait déjà accompagné Alphys plusieurs fois pour l'aider à porter des dossiers lors d'entraînements avec Undyne, et, à chaque fois, les lieux ne rataient pas de l'effrayer. Rien qu'imaginer son frère tout seul en bas...


Il prit sur lui et vint se placer aux côtés de la scientifique.


— Je... Je dois te prévenir de qu-quelque chose, murmura Alphys. Il y a d-d'autres monstres en bas. J-Je compte en parler à la r-reine demain. Ils s-sont effrayants m-mais c-complètement inoffensifs.


Papyrus lui adressa un regard en coin. Pourquoi avait-il l'impression de déjà regretter sa visite ?


Il comprit ce que Alphys voulait dire lorsque, après une interminable descente, les portes de métal s'ouvrirent sur une gigantesque masse informe et grouillante dont s'échappait, par intermittence, un aboiement lugubre. La chose ressemblait à un chien. Ou plutôt à cent chiens fondus ensemble dans un four des enfers. Lui qui n'avait d'ordinaire pas la côte auprès de la gente canine réprima un cri de détresse.


Alphys tenta de le convaincre du fait que la créature était vraiment inoffensive en engouffrant sa main dans l'espèce de liquide blanc qui composait les trois quarts de son corps, ce qui lui arracha un grognement de contentement. Papyrus ne se détendit pas pour autant. Il glissa à grandes enjambées sur le sol, le plus près du mur, pour s'éloigner de cette chose qu'il ne parvenait pas à regarder. Il n'aurait même pas su déterminer où se trouvait sa tête. Peut-être dans le trou béant qui coupait le haut de la bête... qui pouvait tout aussi bien être une bouche pour ce qu'il en savait !


— C'est En-Endogeny, expliqua Alphys. Tu peux le toucher, il n-ne va rien t-te faire.


— Non, merci, répliqua le squelette gentiment, mais ô combien fermement.


La scientifique haussa les épaules et ouvrit le chemin vers les tréfonds du laboratoire souterrain. Ici, tout était gris. Le sol, couvert de poussière, les murs craqués, les machines qui vrombissaient à leur passage. Les lieux n'étaient que rarement utilisés, ce qui expliquait leur vétusté.


D'autres créatures semblables à Endogeny se promenaient ici et là. Un immense oiseau observait avec fascination un évier. Un ensemble de têtes étranges s'agitaient dans un couloir embrumé. Papyrus n'aimait pas juger au premier regard, mais même lui avait ses limites.


Bientôt, de la lumière apparut au loin, dans une petite pièce à l'écart. Alphys s'y engouffra, souriante, Papyrus à sa suite. Le squelette ne put retenir le soupir de soulagement qui s'échappa de sa gorge. Enfin sortis de l'obscurité !


Sans tourna la tête vers eux et sourit timidement. Allongé dans un lit beaucoup trop large et sans sa veste bleue bouffante, il parut minuscule à Papyrus. Le squelette avait encore le teint jaunâtre, et des cernes si noires qu'elles pouvaient se confondre avec ses orbites, mais il se portait mieux que la veille. Un grand bandage blanc lui serrait les côtes et cachait la luminosité rassurante de son âme. Des fils colorés dépassaient de sous sa cage thoracique.


Sans posa le livre qu'il était en train de lire sur une petite table de chevet à côté de lui, où se battaient déjà en duel quelques paquets de chips entamés et une bouteille de ketchup.


— Tu m'as manqué, dit Sans avec affection.


— Toi aussi, avoua Papyrus, qui s'avança pour l'enlacer brièvement.


Il fit attention de ne pas toucher à sa poitrine, se contentant de serrer la tête de son frère contre son écharpe rouge. Alphys vérifia quelque chose sur les moniteurs qui entouraient le squelette, puis s'éclipsa pour les laisser en famille. Papyrus la remercia d'un signe de tête, et s'installa sur la chaise libre à côté du lit.


— Tu vas bien ? demanda le squelette, inquiet. Tu nous as fait une belle frayeur hier.


— Je sais, Al' m'a raconté. Je... Ne me souviens plus de tout. Apparemment, c'est à cause du stress.


— Undyne recherche toujours qui a fait ça. Un de tes agresseurs a été retrouvé dans la forêt, mort.


Les pupilles de Sans disparurent brusquement de ses orbites. Papyrus se figea, effrayé à l'idée d'avoir réveillé un mauvais traumatisme. Les poings de son grand frère, serrés, tremblaient.


— Sans ?


— Ce... Ce n'est rien. Juste la fatigue, je pense.


Papyrus lui adressa une moue peu convaincue, mais n'insista pas. Il préféra changer de sujet pour ne pas prolonger l'inconfort plus que nécessaire. Il se redressa et passa une jambe au-dessus de l'autre.


— Tu comptes aller rendre hommage au roi ? Il ne reste plus beaucoup de temps avant que son urne rejoigne le caveau familial. Undyne est restée là-bas presque tout le temps. J'ai réussi à la tirer de là pour venir aider Lady Toriel à trier des papiers. Elle a l'air... perturbée par tout ça.


— Oh vraiment ? grogna Sans, froid.


— Sans... Je sais que... Je sais que vous avez des différents. Mais c'est mon amie. J'aimerais pouvoir être là pour elle sans avoir l'impression de me retrouver dans une guerre des gangs à chaque fois que je parle plus à l'un de vous deux.


— Je pense que tu as bien trop foi en elle, répondit son frère, et qu'elle ne le mérite pas. Tu es adulte, Pap'. Ce n'est plus à moi de te dire de faire attention à toi. Si tu penses qu'elle vaut le temps que tu lui accordes, c'est ton choix. Pour ma part... Je préfère me tenir à l'écart.


— Je comprends. Je veux simplement que... Vous arrêtiez de provoquer l'un et l'autre. Ça n'arrange rien. Je compte lui en parler, après la cérémonie d'adieu à Asgore. Mais pour l'instant, elle a besoin de soutien.


Sans détourna le regard. Il serra le poing, puis soupira. Il releva lentement les yeux vers son frère, qui le dévisageait, toujours aussi inquiet.


— Je sais qui a tué le monstre dans la forêt, marmonna Sans. Mais j'ai peur que tu ne me crois pas. Et je ne veux pas attirer plus d'ennuis que nécessaire à... Je ne dirais rien.


— Qu'est-ce que tu racontes ? Qui a tué le monstre dans la forêt ?


Son frère hésita, le regard fuyant. Papyrus lui attrapa la mâchoire et le força à le regarder dans les yeux. Plus de secrets. C'était ce qu'ils avaient convenu. Sans devait arrêter de le couver et être plus franc, tout comme lui. Ce n'était pas le moment de reculer sur cette promesse.


— Qui, Sans ?


— C'est elle, Papyrus. C'est... Undyne. Je... Ce n'est pas encore très clair dans ma tête, mais je me souviens l'avoir vu quelque part avant que je tombe dans les vapes. Elle tenait le gars par le cou et elle l'a étranglé. Il est tombé en cendres devant moi. Je ne sais pas si elle... Si elle m'a vu. Mais je ne dirais rien. Je ne veux pas remettre de l'huile sur le feu, ou que ça complique encore plus les choses entre vous, je...


Papyrus secoua la tête. Undyne ? Tuer quelqu'un de sang froid ? Il refusait d'y croire. Son amie était sanguine, et perturbée par les récents événements, mais de là à assassiner quelqu'un ? Cependant, il savait que son frère n'était pas le type à inventer des choses pareilles. Sans était quelqu'un de droit, et même s'il tendait à lui cacher des choses, il ne mentirait jamais sur quelque chose d'aussi grave. S'il l'avait vu, alors c'était vrai.


Le squelette s'affaissa dans sa chaise, sous le choc. Il ne comprenait pas. Undyne avait la force nécessaire pour arrêter quelqu'un, parfois en le bousculant un peu, certes, mais elle n'avait jamais dépassé la ligne. À quel point se sentait-elle dépassée par les événements pour en recourir à ce type de méthode ?


Il ne reconnaissait plus son amie. Ces derniers jours, il avait l'impression que quelqu'un d'autre l'avait remplacée.


— Je suis désolé, murmura Sans. Je ne voulais pas te causer plus de problèmes.


— Merci de me l'avoir dit. Je... Je vais avoir besoin d'un moment pour digérer ça. Est-ce que Alphys...


— Non, tu es le seul au courant. Je voulais te prévenir parce que si... Si elle vient me menacer pour ça... Je ne veux pas que tu sois du mauvais côté, ou que tu penses que...


— Je te crois, Sans. Je sais bien que tu ne me l'aurais pas dit si ce n'était pas aussi grave. Je suis désolé que ce soit encore toi qui soit obligé de porter ça sur tes épaules. J'essaie... J'essaie vraiment d'arranger les choses, entre tout le monde, mais quoi que je fasse, j'ai l'impression que les choses ne s'arrangent jamais. J'ai peur, Sans. J'ai peur qu'Undyne fasse une bêtise, que Lady Toriel prenne de mauvaise décision... J'ai peur de sortir dehors. Je veux simplement que tout redevienne comme avant. Je n'en peux plus. Je n'en peux plus ! cria-t-il, la voix brisée. Je ne sais plus comment gérer tout ça, je...


Un sanglot s'échappa de sa gorge. Sans se redressa et l'attira contre lui. Papyrus serra la prise sur son frère, qui lui caressa gentiment l'arrière de la tête pour le réconforter.


— Papyrus, ce n'est pas à toi de régler tous nos problèmes. Je sais que tu veux aider. Tout le monde le voit. Mais, s'il te plaît, ne le fais pas parce que tu as le sentiment que tu dois le faire. On est tous des adultes responsables, on peut gérer nos problèmes. Tu es exténué, petit frère, mais si tu ne te reposes pas, ça va être de pire en pire. Laisse le temps à la situation de s'apaiser. Je suis sûr que les choses rentreront bientôt dans l'ordre, d'accord ?


Le squelette se décala légèrement dans le lit.


— Allez, viens là.


Sceptique, Papyrus regarda Sans taper de la main le matelas. Le cadet se débarrassa du haut de son costume et grimpa sur le lit pour se coucher à côté de lui.


— Essaie de te reposer un peu, lui dit Sans. Et quand tu te réveilleras, on va essayer de trouver une solution au problème d'Undyne, d'accord ? Tous les deux.


— D'accord, soupira Papyrus.


D'une voix enrouée, Sans commença à raconter de mémoire l'histoire de Fluffy Bunny, à un Papyrus qui ne tint pas plus de cinq minutes les yeux ouverts, avant de sombrer dans un sommeil sans rêves, dans les bras de son frère.


**********


— Asriel adorait regarder les cristaux accrochés au plafond de la grotte, confia Chara. Je n'ai jamais compris pourquoi. Ce sont juste des cailloux qui brillent après tout. Et puis il m'a expliqué que sans, on ne verrait rien dans les Souterrains. Qu'ils me manquent, les cailloux qui brillent ! râla la jeune fille. Je n'arrive même pas à voir mes propres mains, alors que je suis censée être vue dans le noir. Ce n'est pas ce que font les esprits ?


— Napstablook ne brillait pas dans le noir, remarqua Frisk, amusé.


— Mais Napstablook est un fantôme, pas un esprit. Ce n'est pas la même chose !


Frisk éclata de rire face à la mine déconfite de son amie, pour la première fois peut-être depuis qu'il était arrivé à l'orphelinat. Toujours enfermé à la cave, il passait le temps comme il le pouvait, alternant discussions agitées avec Chara et périodes de sommeil. Il n'avait plus aucune notion de temps. Il savait que cela faisait plus d'une journée qu'il se trouvait là.


La confirmation arriva plus vite qu'il ne le pensait. Des pas retentirent bientôt dans le couloir et s'arrêtèrent devant la porte. L'enfant se tut de suite et recula contre le mur, effrayé. La clé tourna dans la serrure.


— Debout, grogna la voix peu aimable de madame Vonichelle. Ne me force pas à venir te chercher.


Frisk ne répondit pas. Il attira ses genoux contre lui pour se faire tout petit. Il n'avait aucune envie de suivre la vieille bique. Il n'en eut pas le choix. Dans un soupir exagéré, la propriétaire de l'orphelinat entra. Elle attrapa le manche d'un vieux balai et l'abattit sur ses côtes.


— Lève-toi ! hurla-t-elle.


Incapable de se protéger, l'enfant finit par obéir, les genoux tremblants. La vieille femme lui attrapa rudement le poignet et le traîna vers la sortie. Frisk gémit, et traîna en arrière pour qu'elle le relâche, ce qu'elle ne fit pas. Tant bien que mal, elle le fit traverser l'ensemble du complexe jusqu'à une porte qu'il ne connaissait que trop bien : sa chambre.


La décoration avait été refaite. En plus d'une rangée de barreaux supplémentaire qui bloquait la fenêtre, une chaîne avait été vissée au mur, assez longue pour lui permettre de marcher dans la pièce, mais pas assez pour atteindre la porte. Un anneau claqua durement sur sa cheville. Prisonnier, une nouvelle fois.


— Tu as intérêt à bien te comporter jusqu'à ton transfert à l'asile, le menaça madame Vonichelle. Si tu tentes encore quelque chose, Marianne, ce n'est pas là bas que tu iras. Je te balancerai dans le puits le plus proche et te laisserai à ton sort. Je me demande combien de temps un enfant peut nager dans l'eau croupie avant d'abandonner.


Frisk frémit. Il hocha doucement la tête pour lui donner ce qu'elle voulait. Le plus tôt elle partirait, le plus vite il serait tranquille. La porte claque derrière la femme et, une nouvelle fois, une clé tourna dans la serrure. Chara ne tarda pas à apparaître, contrariée.


— Vieille bique, grogna-t-elle.


— Tu l'as dit.


L'enfant remonta sur son lit dans un soupir. Asgore s'assit à ses côtés.


— Courage, mon enfant. Tout ça ne sera bientôt qu'un mauvais souvenir, j'en suis sûr. Pendant que nous sommes ici, je suis certain que les miens cherchent un moyen de sortir. Si Tori apprend ce qui se passe ici...


— Maman va tous les étrangler, rit Chara. Elle va les sermonner pendant des heures. Un à un. Ils vont tous pleurer.


— Chara, ce ne sont pas des manières, railla Asgore, clairement amusé. Mais oui, ma femme a un sacré caractère. Je regrette de ne pas avoir pu la revoir, une dernière fois. Même si c'était le cas, elle ne voudrait certainement pas me revoir.


— Papa...


Chara enlaça son bras, sous le regard bienveillant de Frisk. L'enfant se coucha, les yeux rivés sur le plafond.


— J'espère que vous avez raison, dit-il. Peut-être que tout ça sera bientôt terminé. 


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