Une dernière promesse
Comme Sans l'avait demandé, Frisk et Asriel rejoignirent le terrain d'entraînement des gardes royaux avec Undyne, une petite heure plus tard. La guerrière en avait profité pour appeler ses soldats pour l'entraînement. Assis sur un banc, les enfants les regardaient échanger des coups de lances. C'était dans ce type de situation qu'ils pouvaient se rendre compte de la force phénoménale d'Undyne par rapport à eux. Les chiens peinaient à invoquer plus de quelques lances en même temps, tandis qu'Undyne pouvait en invoquer plus d'une dizaine sans le moindre effort.
Même si le spectacle était entraînant, il n'y avait toujours aucune trace de Sans, ce qui commençait à inquiéter Frisk. Ce n'était pas dans ses habitudes. Le squelette avait bien des défauts, mais celui-là n'en faisait pas partie. Undyne semblait aussi l'avoir remarqué, elle ne cessait de leur lancer des regards inquiets.
« Il s'est peut-être endormi quelque part, tenta de le rassurer Asriel. »
Frisk ne répondit pas, anxieux. Il n'aimait pas quand le squelette lui réservait des surprises. Quand ce n'était pas une mauvaise blague, ça terminait tout le temps mal.
Et soudain, un bourdonnement étrange. L'adolescent crut un instant avoir halluciné, mais tous les gardes royaux s'étaient subitement figés, la tête levée vers le haut de la caverne. Une vibration passa de nouveau sous leurs pieds, alors qu'une large fissure se tissait le long du terrain d'entraînement.
« Tirez-vous de là et sonnez l'alarme ! hurla Undyne aux chiens, qui obéirent sans questionner. »
Undyne se précipita vers les enfants. Son œil brilla d'un éclat vert, et un grand bouclier magique les recouvrit tous les trois. Frisk n'avait aucune idée qu'elle pouvait l'invoquer. D'ordinaire, Undyne était plutôt attaque que défense.
« Qu'est-ce qui se passe ? demanda Asriel, inquiet.
— Je ne suis pas sûre. Ça pourrait être un effondrement.
— C'est déjà arrivé ? l'interrogea Frisk.
— Oui, répondit-elle sombrement. Le dernier remonte à vingt-cinq ans. Il a tué deux cents personnes, dont mon père. On a des protocoles pour ça, ne vous inquiétez pas. On est préparés. »
Sous leurs yeux, la faille cessa brusquement de grandir pour s'élargir. Une fumée noire comme la nuit s'en échappa. Frisk et Asriel échangèrent un regard nerveux. Ce n'était pas ça que Sans voulaient leur montrer, n'est-ce pas ? Et où était-il ?
« Undyne ! cria Papyrus, qui arriva en courant.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? rugit la capitaine. Va te mettre en sécurité !
— Mon frère... Il n'est pas rentré. Il ne répond à aucun de mes messages. »
Undyne serra les dents, et lança un regard aux enfants. Le bouclier disparut.
« Emmène-les à l'abri, je vais le retrouver. Ne traînez pas en chemin. »
Papyrus hocha la tête et se retourna vers les enfants, pendant que la guerrière disparaissait déjà à l'horizon. Il leur fit signe de le suivre. Asriel lui courut après au pas de course, mais pas Frisk. Figé sur place, il s'était tourné vers le gouffre lorsque le bouclier s'était brisé, comme attiré par les profondeurs. Quelque chose l'appelait. Il ne savait pas quoi, mais la voix était suffisamment convaincante pour l'encourager à avancer. Il fit un pas en avant, puis un deuxième.
Le squelette freina des deux pieds en comprenant l'urgence de la situation. Il ordonna à Asriel de rester à l'arrière et accourut pour stopper l'adolescent, à un pas de plonger dans l'abîme. Il le tira en arrière. Frisk leva les yeux vers lui, vides.
« Humain Frisk ? appela Papyrus, incertain. »
Lorsqu'il l'appela, les yeux de l'enfant reprirent quelque chose de vivant. Il resta sonné, comme s'il prenait conscience de son environnement pour la première fois. Et puis Frisk murmura quelque chose. Papyrus se pencha pour mieux entendre. Frisk sourit, les yeux rouges comme le sang.
« Tu as toujours été le plus idiot, Papyrus. »
Frisk tira brutalement sur son écharpe, le faisant tomber à la renverse. Le torse du squelette bascula dangereusement vers l'avant, et Frisk accompagna son geste d'un grand coup de pied dans ses côtes. Pourtant, contrairement à ce qu'il aurait voulu, Papyrus ne tomba pas dans le gouffre. Frisk aperçut, entre ses côtes nues, son âme couleur bleu nuit. Mécontent, il se retourna, yeux dans les yeux avec Sans, à quelques millimètres de son visage, son œil magique luisant d'une couleur menaçante.
« Je te l'avais dit, Sans. Les humains sont tous les mêmes, chantonna une voix inconnue derrière lui. »
Frisk leva les yeux. Un troisième squelette étrange venait d'apparaître. L'adolescent recula d'un pas, surpris, évitant la chute uniquement par réflexe.
« Toi ! rugit l'humain. C'est toi qui as tenté de me tuer dans sa tête !
— Frisk, calme-toi, tenta Sans en tendant la main.
— Je ne m'appelle pas Frisk ! cria l'enfant en le repoussant violemment. »
Le squelette retomba sur ses fesses. Il perdit la grippe sur Papyrus, et l'adolescent en profita. Il saisit l'écharpe du squelette et serra sa prise. Sans se releva, le souffle court, alors qu'Asriel se décidait enfin à intervenir.
« Frisk, qu'est-ce qui te prends ?
— Reculez tous ou je lui brise la nuque, siffla l'adolescent. Surtout le comédien et son abomination de copain. Reculez !
— Si tu n'es pas Frisk, tu es qui ? demanda Sans en s'exécutant, nerveux.
— À ton avis ? pouffa l'enfant. »
Asriel hoqueta.
« C... Chara ? C'est... C'est moi, regarde.
— Reste-là, Azzy. Je sais que tu es de leur côté. Quelque chose m'a réveillé, je ne sais pas quoi, et il est hors de question que je rende le contrôle à l'autre mauviette.
— Qu'est-ce que tu as fait ? demanda Sans d'une voix mauvaise, pas à l'enfant, mais à l'autre squelette. »
L'inconnu sourit. Un sourire déformé et tordu qui rendit son visage plus effrayant encore. Les orbites de Sans virèrent au noir et se tournèrent vers le gaz noir qui s'échappait de la faille derrière eux. Papyrus ne bougea pas, un peu tendu mais silencieux.
« D'accord. Relâche mon frère et on peut discuter de ce que tu veux en échange, tenta Sans. Je te conseille de le faire vite, parce que si Undyne rapplique et le vois comme ça, je ne garantis pas qu'elle s'arrêtera à temps.
— Allons, Sansy, tu sais bien que ce n'est pas comme ça que ça fonctionne ? Tu sais déjà ce que je veux. Votre mort. À tous. Laisse passer les humains dehors. »
Asriel écarquilla les yeux. Il se rapprocha légèrement de Sans.
« Pourquoi faire ?
— Pourquoi tuer tout le monde moi-même quand je peux trouver quelqu'un pour le faire ? Nous savons tous les deux que la guerre va recommencer, même si cet idiot de comédien y croit toujours. Je préfère me trouver du côté des gagnants.
— Ce n'est pas Chara, dit-il, presque soulagé.
— Quoi ? répliqua l'adolescent, plus froid.
— Chara veut détruire le monde, certes, mais elle ne laisserait jamais les humains gagner. Elle déteste l'humanité. Ce n'est pas Chara, Sans.
— Je veux bien te laisser le bénéfice du doute, dit le squelette. Mais c'est qui du coup ? Le gamin ne peut pas être hanté par deux fantômes, il aurait déjà p... »
Il se figea, puis se retourna vers le troisième squelette, qui sourit malicieusement.
« D'accord, tu m'as eu. Mais trop tard. »
Il claqua des doigts, Frisk recula d'un pas et plongea dans le vide, entraînant Papyrus dans sa chute. Sans hurla, les yeux écarquillés, en écho avec Asriel. Le squelette voulut courir vers la faille, mais elle se referma sous ses mains. Tremblant, il resta à quatre pattes, le souffle court, en proie à une violente crise de panique. Pour ne rien arranger, Toriel arriva à ce moment-là. Elle aussi avait vu Frisk plonger dans le vide. Hystérique, elle tapait le sol à côté du squelette. Asriel, les larmes aux yeux, détourna le regard.
Ce fut là qu'il capta un éclat de lumière rouge, au bout de la faille encore ouverte. Il crut halluciner, mais non. Papyrus remontait la faille dans le vide, le corps de Frisk inanimé dans les bras. Il laissa éclater un cri de joie et courut dans leur direction, attirant l'attention de Toriel et Sans. Le troisième squelette siffla, mécontent.
« On va bien, dit Papyrus en les rejoignant. »
Les claquements compulsifs de ses bras et ses jambes disaient le contraire, mais il maintenait la façade.
« L'humain Frisk a essayé de me pousser devant lui, donc je l'ai assommé avec un os, s'excusa-t-il. Est-ce que... Est-ce qu'on peut avoir des explications maintenant ? »
Sans se retourna vers l'inconnu, qui ne souriait plus du tout.
« C'est Gaster, dit-il d'un ton sombre. J'ai pensé qu'il pourrait nous aider à créer une arme plus puissante contre les humains, mais j'avais tort. Il est toujours autant aveuglé par sa haine contre les humains. Il n'a plus que quelques minutes ici de toute manière, il ne peut pas maintenir sa forme.
— Gaster... Ce nom me dit quelque chose, dit Toriel. Mais... Je n'arrive pas à me rappeler pourquoi.
— Ce n'est pas important. Tout le monde l'oubliera de nouveau quand il regagnera sa porte dans les ténèbres. Et c'est mieux comme ça.
— Allons, Sans, ne sois pas aussi dur. Tu sais comme moi que tant que cet humain sera en vie, ton cauchemar ne cessera jamais, promesse ou non. Les humains trahissent toujours à la fin. Tu devrais le savoir mieux que personne. »
Frisk poussa un gémissement dans les bras de Papyrus. Il entrouvrit les yeux et les écarquilla de peur en apercevant le troisième squelette.
« Papyrus ! s'exclama-t-il subitement. Je ne t'ai pas fait mal ?
— Tout va bien, répondit-il. Plus de peur que de mal, comme d'habitude. Sans, qui est-ce ?
— Tu ne te souviens pas ? rit Gaster en approchant d'un pas. »
Sans lui bloqua la route dans un grognement menaçant, deux blasters invoqués dans la direction de l'intru. Il soupira.
« Tu sais bien que tu ne peux rien me faire, Sans.
— Reste loin d'eux. Ton heure est venue, disparais.
— Si tu veux. Mais sache que ça ne m'arrêtera pas. J'ai vu toutes les lignes temporelles possibles, Sans. Nous savons tous les deux que c'est ce qui m'a perdu. Continue d'être aveuglé par ton sentimentalisme idiot et ce sera leur fin à tous. Si j'ai pu faire revenir le premier humain aussi simplement, que penses-tu qu'il va se passer ? D'ici quelques jours, quelques mois, quelques années peut-être, elle va revenir et tous vous tuer pour accomplir ses projets. Je ne suis pas ton ennemi.
— Tu as jeté mon frère dans le vide pas plus tard qu'il y a deux minutes, tu m'excuseras de ne pas te croire.
— Il est oubliable. Comme eux tous, dit-il en pointant Toriel et Asriel. Des variants dans un jeu de codes qui évoluent et disparaissent sans aucune incidence sur le jeu. Ils n'existent pas. Aucun d'eux. Il n'y a que toi, moi, et ce foutu humain. Cesse de te voiler la face et accepte que nous sommes à la fin de tout. Même s'il sauve cette ligne temporelle, il y aura toujours une fin, quelque part. L'humain ne peut pas mourir. Il va vieillir et tout va recommencer de nouveau, qu'il le veuille ou non. Tu es coincé éternellement dans cette boucle, Sans. »
Le squelette sourit tristement. Frisk serrait l'écharpe de Papyrus, mal à l'aise, alors que les autres restaient terriblement silencieux.
« Je sais déjà tout ça, répondit Sans d'un haussement d'épaules. Et je m'en fiche. Ce n'est pas encore arrivé, et ça ne veut pas dire qu'on ne trouvera pas une solution pour se débarrasser de ce foutu bouton. Ce qui m'intrigue, en revanche, c'est pourquoi tu m'en parles maintenant, alors que le gamin a proposé de me donner un morceau de son âme. Je suis peut-être rouillé comme juge, mais je sais reconnaître quelqu'un de désespéré. »
Gaster siffla de manière défensive, ce qui décrocha un sourire encore plus grand au squelette.
« Tu n'as pas changé, Gaster. Tu veux toujours tout contrôler. Mais cette ligne temporelle ? Elle est nouvelle, imprévue et change tout ce qu'on a étudié sur tout ce bordel. Et ça, ça te rend complètement cinglé. Le seul qui a peur de mourir, ce n'est pas moi, n'est-ce pas ? Tu as peur que le gamin perde la faculté de retourner en arrière en fractionnant son âme et que la perte de sa détermination brise le lien qui existe entre toi et lui. Je l'ai compris il y a longtemps, tu sais, que tu avais autant d'influence sur lui que le fantôme du premier humain. Ou plutôt sur le premier humain lui-même. C'est pour ça que tu as tenté de l'attaquer, n'est-ce pas ? Tu cherches à l'extraire pour avoir une chance de t'en sortir. Eh. Oh, ne t'inquiète pas. On va trouver un moyen de l'extraire. Tu as raison sur un point, elle est trop dangereuse. Mais... Eh bien... Il est hors de question que t'en empares. Tu es très bien là où tu es, à moisir dans l'obscurité pour l'éternité. »
Son interlocuteur avait perdu le sourire. Il dévisageait Sans avec intensité. Son corps émettait des gargouillements étranges alors qu'il fondait par le dessous. La vapeur noire qui s'échappait de la faille avait également cessé de s'échapper et s'affaiblissait en même temps que lui.
« Tu crois vraiment que tu peux contrarier mes plans ? Tu n'es rien, Sans. Tu as perdu de ta superbe au fil des ans et tu ne tiendras plus très longtemps comme ça.
— C'est vrai, admit-il. Mais tu viens d'insulter mon petit frère et juste pour ça, je compte bien t'emmerder et rester sur ta route deux mille ans de plus. Bisous. »
Les deux blasters tirèrent à bout portant, atomisant le troisième squelette qui disparut dans un amas liquide noir. Il ne resta bientôt plus que des bulles avant que ses restes ne s'évaporent dans le sol, en même temps que la faille se refermait, dans une nouvelle vibration terrestre.
Un lourd silence tomba sur l'assemblée. Tous les regards étaient tournés vers Sans, qui venait de faire disparaître ses armes d'un signe de main. Papyrus s'approcha, et vint lui poser une main sur l'épaule.
« Je suis désolé, dit Sans. Ça ne devait pas se passer de cette manière.
— Pourquoi il était là ? demanda Asriel.
— À la base ? Il devait aider Alphys à sécuriser les Souterrains et m'aider sur un vieux projet d'armes que je voulais vous filer pendant l'entrevue. Mais il a réussi à échapper à ma vigilance et venir ici à la seconde où je l'ai stabilisé hors de sa porte. Il ne peut plus s'en échapper, mais il vaut mieux rester sur nos gardes.
— L'important est que tout soit rentré dans l'ordre, le rassura Toriel. Je vais aller avertir Capitaine Undyne. Elle avait l'air très inquiète. Je préfère largement ce fou à un éboulement. Au moins, il n'y aura pas eu de victimes cette fois. Les enfants, rentrez avec les frères squelettes, s'il vous plaît.
— On s'en charge, répondit Sans. Et si vous n'avez pas de question, le plus tôt sera le mieux. Je suis épuisé. »
Papyrus leva les yeux au ciel, mais avant qu'il ne puisse râler sur le fait que Sans n'avait utilisé sa magie que cinq minutes et que s'il s'entraînait un peu plus, il ne serait pas aussi fatigué, mais Asriel lui coupa l'herbe sous le pied.
« Moi, j'en ai une. Depuis quand Papyrus vole ? »
Sans sourit mystérieusement.
« Eh, ne vous ai-je pas toujours dit que mon petit frère est le plus cool ? Il suffisait d'écouter. »
Sur ces mots qui ne répondaient absolument pas à sa question - ou y répondaient-ils ? -, Sans partit devant. Frisk, épuisé, préféra rester dans les bras de Papyrus, qui suivit son frère d'un pas enthousiaste, évitant soigneusement de répondre à la question d'Asriel, ce qui étonna les deux adolescents. Frisk pouffa, amusé. Décidément, ces deux squelettes restaient plein de surprise, même des années après.