Une dernière promesse
L'après-midi fut bien moins agitée que la discussion houleuse du matin. Frisk fit visiter le camp à Asriel et ils prirent le temps de discuter avec quelques monstres. Ils réussirent même à convaincre Muffet de leur offrir un donut gratuitement. Les deux enfants finirent par se poser un peu à l'écart pour les dévorer, le sourire aux lèvres. Ils n'avaient pas encore réellement pu parler en tête à tête depuis son retour d'entre les morts, et l'adolescent décida que le moment était venu de le faire.
« Tu tiens le coup ? demanda Frisk. Ta nouvelle âme, les révélations, l'amour étouffant de Toriel... C'est beaucoup.
— Je n'arrive toujours pas à y croire, avoua le prince. C'est comme si tout... Tout était une sorte de rêve. Tout est allé si vite... Mais j'ai peur que si... Que si on va trop vite, tout redevienne comme avant. Je sais que c'est stupide, mais je n'arrête pas de me dire que d'une minute à l'autre, je vais redevenir une fleur et que... Tout ça va disparaître. Tout est tellement nouveau et bizarre, ça me fait peur.
— Ce n'est pas stupide. Moi aussi, j'ai peur. C'est à la fois excitant et terrifiant de ne pas savoir comment les choses vont se passer ensuite.
— Et puis, il y a la Barrière... Je... Je ne sais pas si c'est une bonne idée de sortir. Quand c'est moi qui aie absorbé les âmes, j'ai pu les relâcher parce que je n'en avais pas, je n'avais rien pour les retenir. Mais maintenant ? Qu'est-ce qui va se passer si quelqu'un absorbe toutes les âmes ? Papa, ou quelqu'un d'autre. Est-ce qu'il va pouvoir seulement les relâcher ?
— Alphys et Sans pourront aider pour ça, ne t'inquiète pas. Ils sont doués, même s'ils sont tous les deux trop modestes pour se l'avouer. »
Ils restèrent silencieux un moment. En contrebas du petit promontoire rocheux où ils se trouvaient, Undyne patrouillait avec Papyrus. À la demande d'Asgore, cet après-midi, elle avait mobilisé la Garde Royale pour prendre les doléances des habitants de la Montagne et les rassurer. Papyrus leva la tête et leur fit un grand geste de la main en les repérant. Asriel et Frisk le lui rendirent, avant qu'il ne soit traîné par sa supérieure hiérarchique.
« Ah, Papyrus... soupira Asriel. »
Ils restèrent encore assis quelques secondes avant de se lever.
« Papyrus, quoi ? »
Frisk et Asriel poussèrent un cri de frayeur alors que Sans venait soudainement de se téléporter derrière eux.
« Ne fais pas ça ! cria Asriel. Tu ne peux pas juste apparaître dans le dos des gens !
— Eh, je pourrais apparaître sur leur tête, mais ce serait beaucoup plus dangereux.
— Sac poubelle souriant... grogna le prince.
— Qu'est-ce que tu fais ici, Sans ? demanda Frisk. Tu nous suis ?
— Pour tout dire, je cherchais Grillby, et puis je vous ai vu sur le chemin. Vous avez faim ?
— Toujours ! répondit Frisk, enthousiaste.
— Maman n'aime pas qu'on mange entre les repas.
— N'en faisons pas tout un fromage de chèvre, ce sera notre petit secret. Venez, je connais un raccourci. »
Frisk se releva et prit la main du squelette. Sans tendit l'autre à Asriel et agita les doigts pour le narguer. Asriel fronça les sourcils, méfiant. Il rechigna à poser sa main entière mais toucha sa paume du bout des doigts. Il fit noir, et ils arrivèrent devant le "bar" de Grillby. Asriel tomba à terre.
« Je hais les téléportations... »
Sans ricana méchamment avant d'avancer vers le bar. Plusieurs monstres étaient attablés, pour la plupart les habitués de Snowdin. Comme toujours, le squelette se fit ovationner par les clients qui ricanèrent tous stupidement à chacun de ses mauvais jeux de mots. Cependant, pour une fois, quelqu'un d'autre ne tarda pas à lui voler la vedette. Asriel ne pouvait pas exactement cacher son appartenance à la famille royale, puisqu'ils étaient les seuls monstres-chèvres des Souterrains. Il adressa un salut timide à ceux qui lui adressèrent la parole et courut rejoindre Frisk et Sans, qui s'installaient déjà au bar.
Grillby soupira dès qu'il aperçut son « meilleur » client.
« Je me demandais quand tu passerais, dit-il. Je n'ai plus de burgers, ni de frites. Ces brutes de Hotlands ont tout dévalisé. Il reste des milkshakes et de la glace.
— Trois coupes de glaces dans ce cas. Un peu de sucre ne peut pas faire de mal. »
Ils attendirent patiemment le temps que l'homme de feu les servent. Sans récupéra le ketchup et sous les yeux ahuris des enfants et de Grillby, il en déversa l'intégralité dans sa coupe.
« Tu es une insulte pour l'art culinaire, lâcha Grillby, désapprobateur.
— Moi aussi, je t'aime, répliqua le squelette dans un clin d'œil... d'une manière ou d'une autre. »
Frisk rit doucement avant d'attaquer sa glace avec vigueur. Asriel hésita, mais finit par porter une cuillère à sa bouche. Ses yeux s'illuminèrent et il en reprit une, bien plus rapidement. Ils restèrent à manger en silence quelques instants avant que Frisk ne tourne la tête vers Sans. Il jouait avec sa cuillère du bout des doigts, mais semblait rechigner à y toucher.
« Sans ? appela Frisk, inquiet. Quelque chose ne va pas ? »
Sans soupira.
« Non, ce n'est rien.
— Ça n'a pas l'être d'être rien.
— J'ai eu une crise tout à l'heure. »
Frisk figea son âme, le visage soudainement baigné d'inquiétude.
« Ton âme ?
— Oui. Al' était encore au laboratoire, elle m'a filé de quoi calmer tout ça.
— Ce sera bientôt fini, je suis sûr qu'on va réussir à te sauver. L'important, c'est que tu ailles mieux.
— Tu ne comprends pas, Frisk. Ce... Ce n'est pas normal. Des crises comme celles que j'ai eue, je n'en ai jamais eu avant l'année passée. Je crois que ça s'accélère. Le Reset m'a peut-être ramené, mais je ne pense pas qu'il me reste beaucoup de temps. Il fallait s'en douter. Tu es revenu à l'âge que tu avais avant, Pap' est plus âgé aussi, ce n'est que la suite logique des choses. Je ne sais pas combien de temps il me reste. Ne... Ne t'occupe pas de moi pour l'instant. Reste concentré sur le plan, c'est le plus important. Alphys m'a à l'œil, je vais tenir le coup.
— Est-ce que tu dis ça simplement pour que je te laisse tranquille ? grogna l'adolescent d'une voix peinée.
— Non, pas cette fois. Pap' va risquer sa vie, toi et l'autre mauvaise pousse également.
— Eh ! protesta Asriel.
— Je ne veux pas vous mettre en danger stupidement à cause de mes problèmes. Pour une fois, écoute ce que je te dis et fais-moi confiance, d'accord ? »
Frisk grogna pour toute réponse, moyennement convaincu. La glace avait un goût bien plus fade tout d'un coup. Néanmoins, Sans avait raison. Ils allaient se mettre en danger, rester concentré sur un problème à la fois était nécessaire.
« Sans ! cria une voix familière. Est-ce que tu es en train de nourrir l'humain Frisk et le Prince avec de la graisse et du sucre ? Lady Asgore a dit que c'est très mal de manger entre les repas ! Oh mon dieu, est-ce que tu as vraiment mis du ketchup sur cette glace ? »
Papyrus en tenue de garde les rejoignit à grandes enjambées, le visage colérique. Il se pencha au-dessus de la glace de Sans pour vérifier son propos, avant de lui lancer un regard désapprobateur. Son frère haussa les épaules, peu impressionné. Frisk continua à manger sa propre glace, profitant du spectacle.
« Urgh, ce n'est pas important, grogna Papyrus, à contrecœur. Je viens chercher l'humain Frisk et le petit prince pour aller essayer des armures avec le docteur Alphys.
— On a le temps de finir nos glaces avant ? répondit Frisk.
— Vous avez cinq minutes. »
Frisk enfourna l'équivalent de cinq cuillères dans sa bouche sous les rires de Sans. Le cadet des squelettes croisa les bras, contrarié. Une fois qu'ils eurent terminés, les deux enfants le suivirent vers la sortie du bar, sans Sans, qui commanda une bouteille de ketchup, signe qu'il ne bougerait pas de là avant quelques heures et sans doute une sieste.
Undyne patientait devant la taverne improvisée. Elle dévisagea un moment Frisk, avant de faire signe aux enfants de la suivre d'un signe de tête. L'adolescent savait qu'elle se méfiait. Ce qu'il avait révélé ce matin tournait toujours en boucle dans sa tête, mais elle n'avait pas l'air d'humeur d'en discuter pour le moment. Ils marchèrent en silence jusqu'au petit appartement à l'autre bout du camp.
Asriel était toujours silencieux, le visage pensif. Frisk avait remarqué qu'il était plus nerveux quand les autres étaient là, alors qu'il s'ouvrait sans problème lorsqu'il se retrouvait seul avec lui. Il comptait l'aider à se sentir plus à l'aise, mais ça devrait attendre encore un peu. Il lui prit la main pour le rassurer. Asriel sursauta et lui adressa un regard stupéfait, avant de baisser les yeux sur sa main emprisonnée. En tant que Flowey, il n'avait pas reçu beaucoup de contact physique. C'était une autre chose que l'adolescent souhaitait réparer.
Ils poussèrent la porte d'entrée. Asgore et Toriel étaient installés sur la table de la cuisine, en grande conversation. Sur une carte qui représentait Snowdin, ils bougeaient divers pions colorés. Toriel prit quelques secondes pour leur sourire avant de retourner au travail. Undyne et Papyrus les rejoignirent et les laissèrent approcher de la scientifique royale, près des caméras.
Sur les écrans, Frisk remarqua immédiatement qu'elle avait mis son plan à exécution. Les humains se trouvait à l'entrée des Hotlands, coincés par une barrière magique qui semblait énerver l'un des hommes. Il s'acharnait dessus à coups de pieds, en vain, et vola en arrière lorsqu'une décharge magique lui fut renvoyée à la figure.
« Tu nous cherchais ? demanda Frisk.
— O-Oui ! dit-elle avec hésitation. J'aimerais vous faire essayer ce-ceci. »
Elle posa un disque métallique dans la main de Frisk. C'était lourd, mais à part ça, il ne savait pas vraiment ce qu'il était supposé en faire. Alphys en donna un similaire à Asriel, qui lui parut aussi confus que lui.
« Ça émet de la magie, remarqua le prince. C'est une arme ?
— Non, c-c'est une armure. Vous de-devez le placer c-contre votre poitrine, et-et a-a-appuyer jusqu'à entendre un c-clic sonore. »
Frisk obéit. Il posa le disque sur sa poitrine et patienta, la main dessus. Quelque chose sous le disque le chatouilla, puis il poussa un cri de surprise quand ce qui ressembla à de petites dents se planta dans sa peau. Le disque retomba au sol dans un bruit mât. Asriel, lui, ne parut pas avoir mal et le regarda étrangement.
« Oh... Oh non, réagit Alphys. J-J'ai ou-oublié que t-ton c-corps n'est p-pas fait de magie. A-Attends. »
Elle lui tendit du désinfectant et s'enfuit avec le disque. Frisk grogna et souleva son pull. Un rond rouge sanglant était visible sur son torse. Ce n'était que superficiel, mais ce n'était pas très agréable. Alphys revint avec une petite pilule bleue. Elle se planta devant Frisk nerveusement, puis tendit la main. Tout devint noir autour de lui et son âme sortit de son corps. L'adolescent ne s'en offusqua pas, il avait l'habitude de toute manière. Tout doucement, elle fit rentrer la pilule dans son âme, puis posa le disque. Frisk se sentit un peu étrange, mais tint bon. Alphys recula d'un pas et le monde reprit des couleurs.
Nauséeux, l'adolescent manqua de tomber en arrière.
« D-Désolée, s'excusa Alphys. Je t'ai injecté de quoi m-mieux canaliser l-la ma-magie. J'ai implanté ton a-armure directement contre t-ton âme. Tu devrais t-te sentir mieux dans quelques m-minutes. »
Frisk cligna des yeux et sourit sadiquement.
« C'est normal que je voie tout le monde nu ? »
Papyrus poussa un cri de surprise et se cacha le corps de ses mains, avant de se reprendre en comprenant qu'il ne s'agissait que d'une plaisanterie puisque les autres ricanaient gentiment. Après quelques minutes, comme Alphys l'avait dit, la sensation disparut et il put se remettre debout.
La scientifique royale repris son explication.
« Bien, maintenant, vous mettez une main sur le disque, et vous le tournez à droite. »
Les deux enfants s'exécutèrent. Avec émerveillement, ils regardèrent une peau écailleuse noire les recouvrir petit à petit, puis devenir transparente.
« C'est une ar-armure invisible, expliqua Alphys. C'est ce que p-portent les gardes royaux quand ils doivent intervenir en c-civil, et ce que porte le roi constamment. Ça n'arrête p-pas tout, mais ça amortit les attaques. Ce sera s-suffisant pour vous protéger pendant v-votre rendez-vous. J'ai également c-ceci pour vous. »
Elle leur tendit un petit appareil. Asriel appuya sur le bouton en surface, des fils gris sortirent à toute vitesse et s'enfoncèrent dans un des écrans, le court-circuitant sur le champ. Alphys avait reculé d'un pas.
« Oups, réagit Asriel d'un air coupable.
— Ce sont des tasers ? comprit Frisk. C'est pour paralyser sans faire de dégâts. Les policiers ont les mêmes à la surface.
— C'est... C'est ça, répondit Alphys. À u-utiliser avec précaution. Et s-si possible, pas en in-intérieur, ajouta-t-elle à l'attention d'Asriel. »
Il appuya sur le bouton jaune en bas de l'appareil et les fils retournèrent à leur emplacement d'origine, non sans tirer avec eux la télévision qui s'écrasa à terre dans un boucan de tous les diables. Toriel soupira bruyamment derrière eux.
« Je confirme, c'est bien mon fils, dit-elle. Désolée, docteur Alphys. Nous paierons pour les dégâts.
— Oh, c-ce n'est pas grave, dit-elle. C'est mieux la-la télé qu'un de nous. »
Ce n'était pas forcément plus rassurant, mais l'intention était là. Frisk déposa son appareil sur la table, par mesure de sécurité. Il pointa son armure à Alphys, mais elle lui fit signe qu'il pouvait le garder. Une fois cette question réglée, ils retournèrent tous les trois s'asseoir à la table de la cuisine, où une assiette de cookies dans laquelle Undyne et Papyrus avaient déjà largement pioché les attendaient. Frisk jeta un coup d'œil sur la carte, mais s'en détourna rapidement lorsque Sans se téléporta devant eux. Papyrus eut si peur qu'il tomba de sa chaise, entraînant Undyne avec lui.
« Il y a une porte ! râla Papyrus en se redressant.
— Oui, elle est là, regarde, répondit Sans en montrant la porte du doigt.
— Sans !
— Vous avez fini d'essayer vos armures ? dit-il. Je pensais que je pourrais vous apprendre deux ou trois tours pour vous défendre ce soir. Il ne restera plus que ce que vous allez dire demain. On se donne rendez-vous dans une heure sur le terrain d'entraînement. C'est derrière le poste des gardes royaux. A tout à l'heure. »
Et sans plus de mots, il disparut comme il était apparu. Frisk resta autant abasourdi que les autres. C'était nouveau.
« Sans vient vraiment volontairement de prendre une décision par lui-même là ? demanda Undyne, pour être sûr.
— Il doit s'inquiéter, répondit Papyrus. Il n'utilise jamais sa magie de manière volontaire sans une bonne raison. Ne... Ne le fatiguez pas trop, d'accord ? demanda Papyrus. Il est fragile.
— Promis, répondit Frisk. »
Il se leva et se dirigea vers la chambre, Asriel sur les talons. Le prince parut immédiatement nerveux.
« Tu crois qu'il va vraiment nous entraîner ? demanda-t-il. C'est Sans, il ne m'aime pas et il a la flemme.
— Je ne sais pas, avoua Frisk. Mais s'il veut nous voir en tête à tête, c'est que c'est important.
— Je n'aime pas ça. Quand il est venu à table, il sentait bizarre.
— Tu l'as reniflé ? se moqua Frisk.
— Ce n'est pas ça, répondit Asriel, agacé. Il avait une odeur magique bizarre, et cette magie, c'est de la détermination. Je ne sais pas à quoi il joue, mais ça ne me dit rien de bon.
Frisk resta silencieux, intéressé.
« Je suppose qu'on ne le saura jamais si on reste ! Bon, on a une heure à tuer. Jeux vidéo ?
— Jeux vidéo ! répondit-il avec enthousiasme. »