Pour le bien de l'humanité
Deux ans plus tard...
"Et c'est ainsi que le lapin aux poils tout doux retrouva sa maman. Et ils vécurent heureux jusqu'à la fin des temps."
Sans releva les yeux vers les trois enfants, endormis les uns dans les bras des autres. Undyne serrait le bras de Papyrus comme un doudou, et Asriel était blotti contre le squelette, un doigt dans la bouche. L'aîné de la fratrie sourit avant de se lever. Il tira la couverture pour couvrir leurs corps enchevêtrés, ramassa le livre et s'éclipsa de la pièce. Sa mission ici était terminée. Le couloir était désert et silencieux, comme tout ici-bas.
Depuis qu'ils étaient arrivés, une sorte de léthargie collective s'était emparée des monstres. Il avait fallu s'organiser rapidement. Le CORE avait été surprenamment utile, apportant à la fois de l'électricité et un boost de magie pour tout le monde, afin que ceux qui avaient des pouvoirs utiles puissent aider à la construction des trois villages, comme présentés sur le plan : Snowdin, Waterfall et Hotlands, trois régions qui s'adaptaient aux morphologies spéciales de certains monstres. Le triomphe du docteur Gaster, désormais considéré comme le sauveur des monstres rendait Sans malade. Il ne l'avait pas revu depuis deux ans, et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de le haïr pour s'attribuer tous les honneurs après tout ce qu'il lui avait fait.
Il savait qu'il ne devrait pas. Toriel lui avait déjà conseillé de passer à autre chose et de l'oublier. Mais il n'y arrivait pas. Il ne comprenait pas pourquoi lui avait le droit d'être heureux alors que lui subissait les conséquences de ses actes tous les jours. Depuis qu'il était là, il faisait d'atroces cauchemars. Il y voyait Charlie, l'Empereur, son père, et tous ces soldats qui avaient été tués de sa main. Les images tournaient en boucle dans son esprit, peu importe le nombre de fois où il avait tenté de les effacer. Ce n'était pas la seule chose. Il avait aussi ces visions de ce qu'il supposait être le futur, avec ce Sans dans le grand couloir du palais, une plaie au-travers de la poitrine, qui lui disait des choses qu'il ne comprenait pas. Avec toutes ces pensées qui l'assaillaient sans cesse, cela faisait plusieurs mois qu'il ne dormait presque plus, par peur de ce qu'il découvrirait dans ses rêves.
Dans un soupir, il poussa la porte de la bibliothèque. Toriel et Asgore s'y trouvaient, chacun dans un fauteuil, plongé dans un livre. Sans rangea l'album qu'il avait emprunté et grimpa dans le canapé, où sa lecture à lui l'attendait : un bouquin qui parlait d'astronomie et de science-fiction, un peu complexe mais si intéressant qu'il n'arrivait plus à s'en détacher.
"Merci Sans, lui dit gentiment Toriel. C'est très gentil de leur faire la lecture le soir. Mais ne devrais-tu pas aller te coucher toi aussi ? Il est déjà tard.
— Plus tard, je n'ai pas encore sommeil."
Il n'osa pas relever les yeux. Il savait que sa "maman adoptive" le scrutait du regard, à la recherche d'un mensonge. Elle ne trouverait rien. Cela faisait fort longtemps que Sans avait arrêté de montrer ses émotions. Il avait si peur que quelqu'un s'en serve contre lui qu'il avait simplement décider de tout garder pour lui et accumuler pour ne pas l'inquiéter, mais surtout pour ne pas inquiéter Papyrus, qu'il essayait de garder à l'écart de tout ça.
"Tori, il faut vraiment que l'on parle d'Undyne, intervint le roi, pour changer le sujet. Elle a encore passé la journée à me sauter dessus avec ses petites lances. Je pense que je devrais la former. Je sais que tu penses que c'est trop dangereux, mais ça devient une obsession. Et puis, je pourrais en profiter pour apprendre à Papyrus à canaliser sa magie. Seuls, ils sont gérables, à deux, c'est une catastrophe. Ce matin, ils ont essayé de faire des gaufres, si je n'avais pas été là, je crains fort que la cuisine n'eût trépassé.
— Tu exagères, Gorey. Ce sont des enfants et ils font des bêtises. Asriel sera comme ça aussi en grandissant. Il ne va certainement pas rester le petit garçon tout sage qu'il est maintenant.
— Etant donné qu'il prend exemple sur Undyne et Papyrus, je n'en doute pas... Nous en avons au moins un de responsable et à peu près sage."
Suite au silence gênant qui suivit, Sans releva les yeux de son livre et s'aperçut que le couple royal le regardait avec un petit sourire moqueur. Il rougit et fit mine de n'avoir rien entendu avant de se replonger dans son livre. Il se sentait toujours un peu mal à l'aise dans ces échanges familiaux. Si Papyrus avait adopté la vie de palais les bras grands ouverts, Sans avait encore beaucoup de mal à faire comme s'ils étaient une vraie famille. Pendant un instant, les Dreemur se turent avant qu'Asgore ne se lève.
"Si vous n'allez pas dormir moins maintenant, moi, j'y vais. J'ai rendez-vous tôt demain avec le doc... J'ai rendez-vous. Je ne serais sans doute pas rentré avant midi."
Le squelette eut une grimace amère. Les adultes avaient du mal à parler de Gaster devant lui. Au fil des mois, le sujet était devenu tabou. Peut-être parce qu'il n'avait pas été jugé coupable lors de son procès, six mois plus tôt, alors que tout le monde savait désormais ce qu'il avait fait à son frère et lui. L'événement avait simplement été rayé de la conscience collective devant l'importance de son travail pour les Souterrains. Sans se sentait trahi, comme si tout ce qui était arrivé n'avait aucune importance ni pour lui, ni pour les monstres. Toriel avait été la seule à prendre leur défense et cette fois, même elle n'avait pu se faire entendre. Gaster s'en sortait toujours.
L'enfant avait été tenté d'aller lui parler. Plusieurs fois. Mais les premiers mois, la convalescence de Papyrus avait occupé ses esprits, puis le procès et il n'avait pas encore trouvé le temps de le faire. Mais maintenant ? Plus rien ne l'en empêchait, et pourtant, il appréhendait toujours les "retrouvailles". Il hésita. Devait-il accompagner Asgore le lendemain ? Avec le roi dans les parages, son père ne ferait rien. Papyrus serait loin. Cela semblait l'occasion idéale. Il se mordit la langue.
"Est-ce que je peux venir ? demanda-t-il d'une petite voix."
Toriel et Asgore échangèrent un regard inquiet. La reine ferma son livre et vint s'accroupir devant lui.
"Sans, tu n'es pas obligé de le voir si tu n'en as pas envie. Je sais que tu es toujours en colère après lui depuis le procès et je ne voudrais pas que tu brusques les choses, juste parce que tu penses que tu te le dois. Tu ne lui dois rien du tout.
— Je sais, mais... Mais j'ai besoin de lui parler. Je voudrais passer à autre chose, mais je n'y arrive pas parce que je n'ai pas encore trouvé le courage de lui parler, de lui montrer que malgré tout ce qu'il m'a fait, je suis encore là et je me porte très bien sans lui. J'en ai... J'en ai juste besoin.
— Je comprends, dit-elle dans un sourire. Si tu es prêt, alors fais-toi confiance. Et si ça ne se passe pas bien, tu sais que nous sommes derrière toi pour en parler."
Sans la remercia d'un hochement de tête.
"C'est d'accord, répondit Asgore. Mais à une condition : tu vas te reposer un peu."
Il grimaça, mais accepta à contre cœur. Il rangea le livre, vint embrasser ses "parents" et regagna sa chambre, au bout du couloir. Habituellement, il la partageait avec son frère, mais ce dernier avait apparemment choisi son camp pour cette nuit. Enfin, c'est ce qu'il croyait, étant donné que la porte s'ouvrit doucement.
"Qu'est-ce que tu fais encore debout ? se moqua son frère.
— Tu es parti et tu m'as oublié, lui reprocha Papyrus avec conviction.
— Tu t'étais endormi.
— Ca ne veut pas dire que je veux dormir avec Undyne. C'est une fille ! dit-il comme s'il s'agissait d'un sacrilège."
Sans grimpa dans son lit. Papyrus le suivit sans même lui demander la permission. Ils n'utilisaient plus les deux lits depuis que Sans avait ses cauchemars. Papyrus agissait comme un petit ange-gardien qui le réveillait lorsqu'il se mettait à parler ou jeter des os partout dans son sommeil. Sans ne lui avait jamais demandé de le faire, mais son petit frère prenait son rôle à cœur. La main de son frère effleura les cicatrices de la jambe de Papyrus et il grimaça. Même si son frère remarchait et n'en garderait que quelques traces, il ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable lorsqu'il voyait les grandes zébrures qui apparaissait encore sur ses os. Par chance, cette fois-ci, Papyrus ne vit rien. Les yeux ensommeillés, il s'accrocha à son grand frère et s'endormit en quelques minutes.
Sans mit beaucoup plus de temps, mais finit par se laisser sombrer lui aussi, pour au moins une heure ou deux.
*********
Le lendemain matin, Asgore vint le tirer du lit à l'aube. Le squelette se dégagea doucement de la poigne de son petit frère puis quitta le lit. Il attrapa l'énorme ours en peluche dans le lit de son frère et le déposa dans ses bras. Par réflexe, Papyrus s'accrocha à lui, nullement dérangé par son changement de "coussin". Les yeux encore ensommeillés, Sans sortit de la chambre, ses vêtements dans les bras. Il traîna des pieds vers la salle de bain où Toriel se trouvait. Elle avait déjà rempli la baignoire. Elle embrassa le squelette sur le haut du crâne et le laissa s'habiller seul.
Sans attendit que la porte se referme pour pousser son premier soupir de la journée. Son regard croisa celui de son double dans le miroir. Deux énormes poches couraient sous ses orbites, résultat du manque de sommeil. Cette nuit encore, il n'avait dormi que quelques heures, réveillé par un cauchemar au milieu de la nuit. Il commençait à se demander si quelque chose ne clochait pas chez lui. Papyrus aussi avait fait des cauchemars au début, mais cela faisait plusieurs mois que cette phase était passée. Pourquoi lui ne pouvait-il pas passer à autre chose ? Avait-il fait quelque chose de mal ?
Il détourna le regard puis se déshabilla pour rentrer dans le bain. L'eau chaude lui fit du bien. C'était grâce à ces petites choses qu'il prenait peu à peu conscience qu'il était en sécurité et que plus personne ne cherchait à leur faire de mal. Toriel faisait tout pour lui faire oublier l'horrible expérience qu'ils avaient vécu, mais malheureusement, les choses n'évoluaient pas vraiment. La dernière crise en date remontait à deux semaines. Hélène était décédée de vieillesse. L'humaine avait été la seule à suivre les monstres dans les Souterrains. Asgore l'avait prise sous son aile et offert une maison à Snowdin. Sur son lit de mort, elle l'avait léguée à Sans et Papyrus pour quand ils seraient en âge d'habiter seuls. Son départ avait plongé le squelette dans un profond désarroi. Elle était la seule à savoir ce qu'ils avaient vraiment vécu dans le palais de l'Empereur, et maintenant qu'elle n'était plus là, il avait l'impression de trahir sa mémoire en ressassant toujours les mêmes scènes, alors qu'elle avait presque donné sa vie pour les sauver tous les deux. La vieille femme lui manquait.
Quelques minutes plus tard, Sans sortait du bain. Il enfila la tunique royale réglementaire pour la réunion, puis rejoignit le couple dans la cuisine. Asriel était déjà levé et prenait son biberon.
"Sas ! cria-t-il joyeusement. Sas !"
Le squelette le chatouilla avant de s'asseoir à côté de Toriel pour prendre le petit-déjeuner. La reine lui sourit gentiment.
"Tu as encore fait un cauchemar cette nuit ? Je t'ai entendu parler.
— Oui, répondit-il d'une voix neutre. Papyrus était là, c'est passé vite. Désolé d'avoir fait du bruit.
— Sans... Ce n'est pas de ta faute. Peut-être que quelqu'un au laboratoire pourrait t'aider à comprendre ce qui...
— Non, la coupa Sans, le regard sombre. Je ne veux pas remettre les pieds là-bas."
Toriel et Asgore s'échangèrent un regard triste. Pendant un moment, personne ne dit rien. Seul Asriel gazouillait en jetant des céréales partout autour de lui, peu dérangé par l'atmosphère pesante. Asgore finit par s'éclaircir la voix, puis se leva.
"Je vais préparer le sac, dit-il. Quand tu seras prêt, rejoins-moi, dit-il à l'attention de Sans. On se mettra en route."
L'enfant hocha la tête. Par chance, Undyne se leva à ce moment-là, déviant la conversation. Ses cheveux rouges en bataille lui retombaient devant les yeux, sans que cela ne la gêne outre-mesure. Elle s'affala sur le siège à côté de lui en baîllant aux corneilles avant de se laisser tomber contre Sans.
"B'jour, grogna-t-elle en tapotant son épaule en signe de salut."
Sans plus de cérémonie, elle piqua des gâteaux dans l'assiette de Sans, sous le regard réprobateur de Toriel qui ne répliqua toutefois pas, habituée aux tendances de pique-assiettes de la petite fille. Sans décida de lui laisser et ne pas trop s'attarder. Il voulait être parti avant le réveil de Papyrus pour ne pas lui avouer qu'il allait voir Gaster. Son petit frère aurait immédiatement voulu venir, mais Sans ne pouvait le permettre. Il savait qu'il agissait de manière égoïste en lui interdisant de le voir, mais il ne pouvait pas accepter de voir son père poser de nouveau ses mains pour lui, ne serait-ce que par affection. Il avait perdu ce privilège il y avait trop longtemps.
Il rejoignit Asgore dans le hall d'entrée. Sans enfila son sac-à-dos et tous les deux quittèrent la maison pour gagner les salles publiques du palais. A leur passage, les monstres s'inclinaient et les gratifiaient de saluts qui mettaient Sans mal à l'aise. Tout comme Asriel, Papyrus et Undyne, il était considéré comme un prince désormais et, en tant qu'aîné de la fratrie, potentiel héritier royal. Certes, Asgore ne l'avait jamais clairement dit, mais chez les monstres, il n'existait pas vraiment de pur-sang. Si Toriel et Asgore décidaient de l'adopter, il était condamné à devenir le prochain roi des monstres. Il trouvait la situation terriblement ironique lui qui haïssait plus que tout le pouvoir depuis sa captivité. La salle de réunion se trouvait dans l'aile est. Comme à chaque fois, les principaux conseillers du roi s'y trouvaient. Sans y occupait une place lui aussi en tant que représentant des Juges, même si pour le moment, celle-ci était surtout honorifique. Il n'y siégeait que lorsqu'il accompagnait le monarque et s'endormait généralement pendant la réunion. Sauf lorsqu'IL était là, comme aujourd'hui.
Contrairement aux autres, Gaster n'avait pas attendu l'autorisation pour entrer. Père et fils se regardèrent un long moment sans rien dire avant que Sans ne rompe le contact visuel pour aller s'asseoir à côté d'Asgore. Le scientifique avait l'air épuisé et plusieurs couches de papiers recouvraient sa table. Depuis combien de temps ne l'avait-il pas vu maintenant ? Il ne savait même plus. A chaque fois qu'il le croisait, il avait l'impression que tout ce qui était arrivé datait de la veille, comme si le temps s'écoulait mal lorsqu'il se trouvait dans la même pièce. Puisqu'il ne pourrait pas lui parler tout de suite, Sans décida de se concentrer sur autre chose et resortit son livre de physique quantique de son sac. Les autres conseillers ne tardèrent pas à rentrer et s'installer à leur tour.
"Bonjour à tous, commença Asgore. Cela fait aujourd'hui deux ans que nous sommes sous terre et j'aimerais faire un point avec chacun sur la période écoulée et les projets à venir. Qui souhaite commencer ?"
Doggo, le nouveau chef de la garde royale se leva le premier. Sans le salua d'un petit geste de main et il lui lança un clin d'œil avant de reprendre son sérieux. Il était impressionnant dans son armure noire de la garde royale et Undyne avait fait de lui son modèle de vie. Pour son courage, il avait été appelé à la tête de l'ordre, même s'il ne souhaitait pas y rester à cause de ses problèmes de vue qui lui gâchaient la vie.
"Quelques tensions ont été enregistrées l'année passée parmi les monstres, mais un peu de discussion a calmé les esprits. A la demande de la population, nous sommes en train d'organiser un grand recrutement de sentinelle. Ils seront le relai entre les villes, la garde royale et votre Majesté. Il est déjà presque plein à Snowdin, nous attendons encore des volontaires à Waterfall. Hotland est déjà patrouillé par la garde royale, nous avons donc décidé de ne prendre que d'éventuels volontaires en trop. Nous prévoyons également d'ouvrir une école à Waterfall avec monsieur Gerson, afin de former d'éventuelles recrues. Nous avons cru comprendre que la petite Undyne était intéressée, peut-être que d'autres le seront également. Après tout, ce sont la prochaine génération. Nous avons offert une pension à tous les anciens combattants invalides de la guerre.
— Merci beaucoup. La garde royale est la fierté de notre peuple, continuez le bon travail. Bien, passons à l'économie."
Sans s'enfonça dans son siège. Entre le volet garde royale et le volet sciences, il y avait tout un tas de choses ennuyeuses : l'économie, l'agriculture, le jardinage, le niveau de satisfaction de la population... Il se perdit dans les pages de son livre pendant une bonne trentaine de minutes. Quand il releva brièvement les yeux, il se rendit compte que son père l'espionnait et essayait de décrypter le titre de son livre. Lorsqu'il y parvint, ses yeux s'écarquillèrent presque de surprise et un sourire étrange prit place sur ses lèvres. Sans se renfrogna. Il savait ce qu'il pensait. Mais ce n'était pas parce qu'il aimait les sciences qu'il comptait travailler dans le milieu. Gaster l'avait dégoûté à jamais des laboratoires, tant pis pour lui.
Il n'eut pas le temps plus de broyer du noir. Asgore se tourna vers Gaster.
"Docteur, à votre tour. Quelles sont les dernières nouvelles ?"
Le scientifique se leva et alluma le rétroprojecteur, qui afficha un diaporama derrière lui. Il attrapa un laser et commença son exposé.
"J'ai deux points à discuter aujourd'hui, le CORE et la barrière. Je vais essayer d'être bref et concis. Pour ce qui est du CORE, les choses avancent bien. Il est opérationnel à quatre-vingt-dix pour cent aujourd'hui et les dernières choses qu'il reste à modifier relève davantage de l'esthétique et de la sécurité que du fonctionnement. Malgré quelques petits incidents à Snowdin et Waterfall du fait de l'humidité, toutes les villes sont aujourd'hui reliées au courant, offrant à tous électricité, boost de magie et possibilité de créer notre propre nourriture. Les circuits ont un peu surchauffé, c'est pourquoi nous avons ouvert des emplois à Snowdin pour refroidir le CORE à l'aide d'énormes glaçons. Le système fonctionne correctement et tout est stable pour le moment. C'est une grande réussite et nous pouvons être fiers du travail accompli."
Son air se fit plus grave alors qu'il passait à son deuxième sujet. Le visage des conseillers se crispa légèrement.
"Pour ce qui est de la barrière, ma nouvelle apprentie, Alphys, et moi-même, avons terminé les relevés. Comme nous le craignons, il n'y a aucune échappatoire. Ou presque. Mes travaux sur la détermination ont prouvé que si nous allions l'âme d'un humain et celle d'un monstre, une personne pourrait traverser la barrière. Nous avons essayé avec ceux qui ont absorbé des âmes pendant la guerre, mais le niveau de détermination se dégrade après seulement trois mois, ce qui empêche le processus de se réaliser. Malheureusement, le système une âme et un monstre ne peut fonctionner que pour une seule personne. Pour briser la barrière, il faudrait qu'un monstre fasse la même chose que les hommes : utiliser sept âmes humaines. Mais pour ça, nous devons avoir accès à des âmes humaines. Le docteur Alphys et moi-même travaillons sur les restes de déchus pendant la guerre pour essayer de déterminer comment rendre la détermination moins dangereuse pour nous. Bien sûr, il serait plus facile de le faire avec des sujets appropriés, dit-il d'un air de reproches."
Sans fronça les sourcils lorsqu'il comprit qu'il parlait de lui.
"Gaster, soupira Asgore. Nous en avons parlé.
— Je sais, je sais, ce n'était qu'une proposition. C'est tout ce que je peux vous proposer aujourd'hui. Mais plus de recherches feront avancer les choses, je suis optimiste."
Asgore hocha la tête. Après un dernier discours, il mit fin à la session et la plupart des conseillers s'éclipsèrent pour retourner à leurs affaires. Tous sauf Gaster. Le scientifique attendit que tout le monde fût parti pour se lever et se rapprocher d'eux avec hésitation. Il s'arrêta devant son fils et lui offrit un sourire triste.
"Bonjour, Sans."
Le squelette ne répondit pas, se contentant de le regarder avec hostilité. Il n'était plus sûr que ce soit une bonne idée.
"Ecoute... soupira Gaster. Je sais que je n'aurais pas dû proposer ça à voix haute, mais je me disais que... Peut-être que tu pourrais le faire volontairement ? Je n'ai besoin que d'une radio de ton âme. Si tu ne le fais pas pour moi, fais-le pour les monstres.
— C'est tout ce que tu as à me dire ? répliqua froidement son fils. Pas de nouvelles depuis des mois et tu viens juste me demander de jouer les cobayes pour toi ? Je n'arrive pas à croire que tu n'aies rien appris en deux ans."
Comme toujours, le scientifique appela Asgore à la rescousse d'un regard de chien battu. Le roi hésita avant d'intervenir d'une voix douce.
"Allons, allons, vous n'allez pas déjà vous disputer alors que vous venez à peine de vous retrouver, si ? Gaster, tu pourrais faire un effort. Nous en avons parlé pas plus tard que la semaine passée.
— Je sais... Je suis dépassé par le travail. Je m'excuse, je n'aurais pas dû être aussi abrupte. Comment va Papyrus ? changea-t-il de sujet.
— Parce que ça t'intéresse maintenant ? se moqua Sans avec sarcasme. Il va bien, se reprit-il en captant le regard fatigué de son père adoptif. Il remarche et il est passé à autre chose. Il se porte même mieux que jamais.
— Et toi ? demanda-t-il d'une voix sincèrement troublée."
Sans sourit et croisa les bras.
"De quoi tu veux parler ? Des cauchemars de la mort de Charlie ? De ceux où cet homme brise le bras de mon petit-frère pour aucune raison ? Ou de celui où tu dis à cet homme yeux dans les yeux de le tuer parce qu'il ne sert à rien ? Ou peut-être du sentiment de culpabilité à chaque fois que je vois les cicatrices de ses jambes ? Ou comment tout le monde a peur de ma magie ou cherche à me manipuler pour l'utiliser à son avantage ? Je ne sais pas, comment tu penses que je me sens ?
— Je vois que tu n'as pas perdu de ton mordant, répliqua Gaster, c'est déjà ça. Donc quoi, c'est le moment où je dois me sentir coupable d'avoir voulu sauver notre peuple avec un plan du dernier espoir ?"
Sans se leva, le regard sombre.
"Attaque-moi, le provoqua Gaster. Tu en meurs d'envie. Pourquoi venir ici si ce n'est pas pour parler ? Curiosité malsaine peut-être ? Le petit soldat est en manque d'action ?"
Dans un hurlement, Sans bondit de la table et se jeta sur lui. Son âme vira au bleu pâle et il ne put atteindre sa cible. Asgore le retenait avec sa magie. En colère, Sans sentit les larmes lui monter aux yeux de rage. Il avait raison. Il ne voulait pas parler. Il voulait le mettre à terre, le rouer de coups et le faire hurler de douleur pour tout ce qu'il lui avait fait. Mais les hommes comme lui n'apprenaient jamais. Depuis qu'il avait gagné son procès, Gaster se pensait intouchable.
"Ça suffit, grogna Asgore d'une voix autoritaire. Je ne comprends pas pourquoi vous ne pouvez pas vous supporter comme ça. Vous êtes de la même famille, bon sang. Arial aurait honte de vous deux si elle vous voyait comme ça."
Le nom de sa mère calma légèrement Sans. Asgore le reposa au sol délicatement. Sans ramassa ses affaires et voulut quitter la pièce, mais Gaster lui bloqua la route.
"Ma proposition tient toujours. Contrairement à toi, je ne suis pas venu pour me battre. Je ne suis pas ton ennemi, Sans.
— Pourquoi est-ce que j'accepterais ?
— Parce que je suis sûr que tu ne veux pas que Papyrus grandisse sous terre. Fais-le pour lui. Tu pourrais vraiment nous être utile. Accompagne-moi au CORE, ça ne durera pas longtemps, promis."
Sans soupira, l'esprit divisé. D'un côté, il savait qu'il ne lâcherait pas l'affaire tant qu'il n'aurait pas accepter, de l'autre, il avait peur qu'il prenne ce oui comme acquis et revienne vers lui ensuite. Il fronça les sourcils puis poussa un soupir.
"D'accord. Mais ça ne tient que pour une fois. Je ne veux pas te voir à la maison mendier pour d'autres expériences sordides. Je t'interdis de t'approcher de Papyrus.
— Si tu y tiens... soupira-t-il. Suis-moi.
— Tu veux que je vienne ? demanda Asgore derrière eux.
— Non, répondit Sans, merci. Je rentre tout de suite après, promis."
Le roi n'insista pas. Peut-être aurait-il dû. Gaster ouvrit la voie et Sans le suivit sans dire un mot, perdu dans ses pensées. Papyrus allait demander où il était passé en voyant rentrer Asgore sans lui. Le roi serait-il capable de résister s'il lui demandait de les rejoindre ? Il aurait dû prendre le temps d'expliquer à son petit frère pourquoi il était allé le voir. Sauf que désormais, lui-même n'en était plus certain. Gaster avait raison, c'était la curiosité qui l'avait poussé à venir, l'envie de voir si lui aussi souffrait de la situation, alors qu'il savait pertinemment que ce n'était pas le cas. Qu'attendait-il au juste ? Espérait-il toujours des regrets sincères après tout ce qui était arrivé ?
Une fois éloigné du palais, Gaster sembla se détendre légèrement. Il lança un regard au gros livre que l'enfant tenait toujours dans les bras.
"Si tu en cherches d'autres, tu sais qu'il y en a plein au laboratoire, pas vrai ? Je peux t'en faire livrer si tu veux. Ceux d'Asgore sont vieux et pas vraiment actualisés, ce sont les livres que je lisais quand j'avais ton âge. J'ai toujours su que tu aurais la fibre scientifique. Ta mère se moquait de moi lorsque je lui disais.
— Dommage que je ne veuille pas devenir comme toi, dans ce cas.
— Sans... soupira-t-il. Je sais que je ne suis pas le modèle du père parfait, mais tu refuses de voir la situation dans son ensemble. Si tu avais été à ma place, aurais-tu seulement fait mieux ?"
Sans aurait voulu répondre que oui, mais ses mots restèrent bloqués dans sa gorge. La vérité était qu'il n'en savait rien. Tout le monde lui répétait qu'il était le portrait craché de son père depuis qu'il était jeune. Aurait-il choisi la même voie que lui ? Cette pensée le tétanisa. S'il y avait bien quelqu'un au monde à qui il ne voulait pas ressembler, c'était lui.
Il choisit d'ignorer la question et détourna le regard. Il n'avait pas envie d'y penser maintenant. Il s'était juré de ne plus dépendre que de lui-même désormais. Peut-être est-ce ce qui scella leur destin à tous les deux alors qu'ils quittaient l'ascenseur du palais pour rejoindre le CORE et Hotlands.
Sans avait souvent imaginé la mort de son père après le procès, comme une revanche finale à tout ce qu'il avait fait. Il n'avait cependant jamais imaginé que ce serait de cette façon. Il avait espéré une confrontation finale en sauvant Papyrus, un sacrifice... Mais jamais un simple et banal accident. Car c'est ce qui se produisit. Alors qu'ils avançaient sur une plateforme, un grincement mécanique retentit sous eux. Le regard de Sans s'écarquilla de terreur et il se figea sur place. Gaster cria quelque chose qu'il ne comprit pas avant que l'âme du jeune squelette vire au bleu et qu'il soit propulsé sur la plateforme qu'il venait de quitter. L'infrastructure s'effondra. Dans un dernier saut, Gaster bondit et s'accrocha à une main au rebord.
"Sans ! cria-t-il. Aide-moi !"
Le squelette s'approcha et avec précaution, lui attrapa le bras. Un bref instant, l'idée de forcer sa chute lui traversa l'esprit, morbide, avant que la raison ne revienne. Il attrapa et le tira difficilement. La plateforme sous ses pieds trembla légèrement et produisit un grincement. Gaster croisa avec son fils un regard résigné.
"Laisse-moi et va-t'en. C'est trop dangereux."
Sans raffermit sa prise et son œil vira au bleu.
"Je t'interdis de crever, dit-il. Tu n'as pas le droit de mourir après tout ce que tu as fait et faire comme s'il n'y avait aucune conséquence.
— Tu crois que c'est le moment ? Tu crois que Papyrus voudrait que tu meures avec moi ? Sans, dégage de là !
— Non ! hurla le squelette. Arrête de dire que tu vas mourir !"
Les larmes dévalèrent le visage du squelette alors qu'il donnait tout ce qu'il avait pour le remonter. Ses pieds glissèrent sur le métal et il tomba en arrière, emporté par le poids au bout de ses bras. Gaster leva son bras libre et le força à reculer encore une fois. Par ce geste, il scella sa destinée. Sans lâcha prise.
Le visage vide de tout émotion, le fils regarda son père tomber vers la lave toxique du CORE, dans un dernier hurlement de douleur. C'était comme un cauchemar. Il n'arrivait pas à réaliser ce qui se passait. Il n'arrivait pas à comprendre comment tout avait pu basculer aussi vite, sans prévenir. Une minute il était là, l'autre, il était mort. Finalement, un rire faible sortit de sa gorge, jusqu'à devenir hystérique, malade, à mesure que la réalité le rattrapait. Gaster était mort. Il était mort, comme ça ! Le mot résonna dans sa tête comme une mélodie entêtante.
Le grincement du métal sous ses pieds le rappela au présent. Qu'est-ce qu'il devait faire maintenant ? Prévenir quelqu'un ? Asgore peut-être ? Il se releva et recula pour se mettre en sécurité. Presque automatiquement, ses pieds firent demi-tour et regagnèrent le palais. Il se sentait vide, incapable de penser correctement. Avec le recul, peut-être que ce n'était pas normal. C'était comme si une partie de son esprit était en train de se désintégrer. Ou l'était-ce ? Pourquoi ? Pourquoi marchait-il vers le palais par ailleurs ? A mesure qu'il avançait, une angoisse sourde lui rongea l'âme. Il oubliait quelque chose. Quelque chose d'important. Pourquoi allait-il voir le roi ?
Son âme brilla légèrement. Papyrus. Il l'appelait. Sans réfléchir, perturbé, le squelette se concentra et réapparut dans la chambre, juste devant son petit frère, les larmes aux yeux.
"Pap... ? appela Sans. Qu'est-ce qui se passe ?
— Je ne sais pas ! s'exclama-t-il. J'étais avec Lady Toriel et Asgore, et soudain ils m'ont regardé bizarrement, puis ils m'ont demandé ce que je faisais là ! Et puis ensuite Undyne ne m'a plus reconnu ! Asg... Asgore m'a proposé de me raccompagner chez moi et... Je ne comprends plus rien, éclata-t-il en sanglots. Je pensais que c'était un jeu au début, mais ça ne me fait plus rire et j'ai peur, Sans ! On... On a fait quelque chose de mal ? Pour... Pourquoi ils ne veulent plus de nous ? Et où est-ce que tu étais ? cria-t-il. Je t'ai appelé, et je ne te trouvais pas et j'ai cru que tu m'avais aussi abandonné et...
— Calme-toi, tout va bien, le rassura-t-il en le prenant dans ses bras. Je n'étais pas loin... J'étais avec Gaster, il...
— Avec qui ?"
Sans baissa les yeux vers son frère.
"Avec... Avec Gaster... C'est..."
Il se figea. Qui était Gaster ? Pourquoi ce nom était-il si important pour lui et faisait si mal ? Il dut faire un grand effort de concentration. Les images revinrent par bribes. La chute, la lave, ses derniers mots. Son cœur rata un battement. C'était leur père, et il était mort ! Comment avait-il pu oublier ? Plus important, pourquoi les autres ne s'en souvenaient pas ? Papyrus l'observait toujours, complètement perdu.
Sans sentit son âme se serrer. Pourquoi était-il le seul à s'en souvenir ? Pourquoi est-ce qu'il était encore différent des autres ? Les larmes lui montèrent aux yeux. Son pire cauchemar prenait vie : Gaster s'en tirait. Il s'en tirait, effaçait ses méfaits dans l'esprit de tous ceux qui l'avait connu un jour. Tous sauf lui. Même dans la mort, il le forçait à effacer ce qu'il lui avait fait. Les larmes de confusion devinrent des larmes de rage. Il serra les poings et prit de grandes inspirations.
Papyrus lui prit doucement la main.
"Sans... Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ? On... On va devoir partir ?
— Oui. C'est... C'est mieux pour tout le monde, Pap. A partir de maintenant, ce ne sera plus que toi et moi. Je vais m'occuper de toi, et plus rien ne nous posera de problème. Jamais. D'accord ?
— D'accord, répondit-il d'une petite voix inquiète.
— On... On va aller habiter à Snowdin... Là où Hélène avait sa maison. Et ensuite... Ensuite on verra."
Sans tira une grosse valise et enfourna un maximum d'objets à l'intérieur : couvertures, peluches, vêtements. Il voulait se convaincre que c'était la bonne chose à faire. Il se sentait mal vis à vis de Toriel et Asgore, mais il ne comptait pas supporter de nouveau son titre de prince et faire comme si tout allait bien. Un nouveau départ, c'était tout ce dont ils avaient besoin.
Avec un sourire, Sans tendit la main à Papyrus. Il y eut un grand flash bleu, et les deux frères squelettes disparurent.