Pour le bien de l'humanité

Chapitre 38 : Sentiers humides

2285 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a environ 1 mois

Les grands arbres qui bordaient le sentier sentaient bon la fin de l'hiver. Ici et là, des bourgeons commençaient à émerger des branches froides, comme un appel au renouveau. Sans avait toujours aimé cette période de l'année. A l'aube de la fin de l'hiver, le ciel nocturne se découvrait, révélant son tapis d'étoiles. Il avait toujours aimé les étoiles. Ces boules de feu à des millions de kilomètres de là avaient toujours exercé sur lui une attraction irrésistible. Plus jeune, il s'échappait parfois le soir pour aller les observer sur le toit de sa maison. Une seule et unique fois, une étoile filante avait traversé l'obscurité. Sans avait alors fait un vœu : celui qu'il n'arrive jamais rien à Papyrus.


Confortablement installé en écharpe dans le dos de Toriel, son petit frère dormait paisiblement, son pouce dans la bouche, fermement accroché à la robe de sa protectrice. Sans la suivait de près, le visage tourné vers le ciel. Il essayait d'apercevoir les étoiles à travers l'épais feuillage au-dessus de leur tête, le regard mélancolique. Il s'agissait d'une des dernières fois où il pouvait les voir. Une fois sous la montagne, le ciel ne serait plus qu'un doux souvenir, vestige d'un temps révolu. Aurait-il seulement la chance de les revoir un jour ? Même s'il l'espérait, il voyait mal comment la situation entre les monstres et les humains pouvait bien s'arranger. Jamais ils n'accepteraient de les laisser vivre dehors. Pas comme ça. Pas avec cette ordure d'empereur à la tête de leur peuple.


Il poussa un lourd soupir et se reconcentra sur le présent et la route boueuse qui s'étendant à perte de vue devant lui. Comme Lady Rosaline l'avait ordonné, les survivants de la ville suivaient désormais un passeur attitré. Sans, Papyrus et Toriel avaient eu la chance d'être accompagnés par la femme-lapin. Gaster avait lui aussi essayé de s'inclure au groupe, mais un regard noir de la reine et de son propre fils suffit à le dissuader. Sans pouvait apercevoir sa silhouette au loin, derrière un des passeurs dont il ne connaissait pas le nom, avec Doggo, toujours blessé. Pour assurer leurs arrières, les passeurs avaient choisi d'éloigner les groupes de plusieurs dizaines de mètres, afin de passer plus facilement inaperçus. Ils faisaient partie du groupe de tête, madame Rosa étant la plus expérimentée.


Dans l'écharpe, Papyrus s'agita légèrement. Il entrouvrit les yeux pour s'assurer que son frère était toujours là, puis il lui adressa un petit sourire complice.


"Tu devrais continuer à dormir, on n'est pas arrivé, lui dit Sans, la voix basse.


— Je ne dormais pas, je me reposais les yeux. Le grand Papyrus ne dort jamais. Il est toujours aux aguets.


— Bien sûr, rit son frère. Fais attention, dans ce cas, je crois que tes yeux sont tombés de tes orbites.


— Sans, les squelettes n'ont pas d'yeux, se plaignit-il, mortellement sérieux. Arrête de dire n'importe quoi."


Toriel rit doucement, et Sans la suivit. Contrarié, Papyrus croisa les bras sur sa poitrine et bouda, le regard noir.


"J'espère qu'Undyne n'a pas été contaminée par ton humour, grogna le petit squelette. J'ai hâte de la revoir.


— Oh, elle a hâte aussi de vous retrouver, lui confia Toriel. Le palais sous Mont Ebott est grand et Asriel encore trop jeune pour lui faire la conversation. La pauvre en est réduite à provoquer Asgore en duel. Elle essaie de le prendre par surprise quand il a le dos tourné, mais ce n'est pas encore ça. Elle est très douée. Je pense pouvoir affirmer sans me tromper qu'elle marche dans les pas de sa maman. Elle aurait été si fière d'elle, ajouta-t-elle d'un ton amer. Tant d'entre nous sont tombés aujourd'hui, je ne connais pas un monstre qui n'a pas souffert des conséquences de la guerre. Mais c'est bientôt terminé, affirma-t-elle. Ce ne sera pas une vie sans risques, mais nous aurons la paix.


— Je l'espère, approuva Lady Rosaline. Avec ce qui nous attend, l'espoir et les rêves sont les seules choses auxquelles nous pouvons nous rattacher. Je suis certaine que l'on s'en sortira. On l'a toujours fait ! Et puis, avec le retour des Juges, les choses seront peut-être différentes. Les pouvoirs sont souvent héréditaires, peut-être que Papyrus en bénéficiera lui aussi. Il est encore jeune."


Sans pouvait sentir le reproche dans sa voix. Il n'appréciait vraiment pas l'idée de devenir le symbole de l'espoir de leur peuple. Après tout ce qu'ils avaient vécu, il voulait simplement vivre à l'abri des regards avec Toriel et son frère. Il était d'ailleurs hors de question que Papyrus paie son refus d'obtempérer s'il venait à développer les mêmes pouvoirs que lui. Tant qu'il le pourrait, tant qu'il ne serait pas capable d'agir et de prendre des décisions pour lui-même, Sans le protégerait et ne laisserait personne tenter de le manipuler encore une fois.


Papyrus paraissait bien loin de préoccupations. La tête levée vers la cime des arbres, il suivait un petit écureuil des yeux alors qu'il sautait de branche en branche avec agilité. L'enfant avait retrouvé le sourire et sa bonne humeur habituelle, toujours optimiste. Sans essayait de suivre son exemple, malheureusement, son amertume quant à leur perpétuelle malchance n'arrangeait pas son humeur. Il se sentait dépassé. Cependant, une ombre titanesque lui redonna un peu espoir. La montagne était enfin en vue, encore loin, certes, mais visible. Le chemin aurait été long et complexe, mais ils touchaient finalement au but.


"Nous n'allons pas tarder à arriver sur la plaine, les avertit Toriel. Nous avons convenu d'une trêve avec les hommes pour laisser passer les monstres qui souhaiteraient entrer dans Mont Ebott, mais... Mais c'était avant que Sans et Papyrus ne s'enfuient. J'ai bien peur qu'ayant rompu notre part du contrat, ils décident d'en faire de même.


— Il vaut mieux que nous y allions tous en même temps, pour nous donner un maximum de chances, répondit la femme-lapin, nerveuse. Nous n'atteindrons sans doute pas tous la montagne, mais nous n'avons pas d'autres choix si nous ne voulons pas être abattus comme des lapins. Vous avez de la magie offensive, Doggo aussi. Et..."


Elle tourna le regard vers Sans. Le squelette fit semblant de ne pas la voir. Leur groupe ne tarda pas à être rattrapé par celui de Gaster, puis des autres. Alors que les enfants profitaient d'une pause bien méritée, les adultes continuèrent de discuter de leur plan. Lady Rosaline s'était assise au sol, une carte sur les jambes. Elle pointait les différentes entrées et sorties du camp, appuyée par Toriel et Gaster qui l'informait des dernières actualisations. Malgré tout, le problème restait le même : que ce soit en groupe ou de manière plus diffuse, les hommes risquaient de les tuer à vue, encore plus maintenant que la reine et le scientifique royal se trouvaient parmi eux.


"Il doit bien y avoir une solution, se plaignit Toriel. Peut-être que si l'on contourne le camp par l'est...


— Arrêtons ce cirque, vous voulez bien ? s'agaça Gaster. Il y a une solution, nous le savons tous. Envoyez Sans en première ligne. S'il se sent menacé, ses pouvoirs vont se réveiller et il dégagera le passage. Je peux aider, si c'est ce dont vous avez peur. Au cas où vous ne l'avez pas remarqué, il a peur de moi."


Un silence interloqué lui répondit. Sans sentit son cœur battre jusqu'à ses tempes. Il eut un mouvement de recul alors que tous les regards se tournaient vers lui. Toriel fronça les sourcils, se leva, et vint se placer défensivement devant lui.


"C'est hors de question qu'il paie encore pour nous, répondit-elle avec agressivité. Ce n'est qu'un enfant !


— Un Juge, Toriel, pas un enfant, répliqua Gaster sur le même ton. Que vaut la vie de quelques humains alors qu'on est sur le point de voir notre peuple éradiqué ? Et si l'Empereur est là, comment croyez-vous qu'il va réagir ? Il a vu le potentiel de Sans, il ne le laissera pas partir. Sauf s'il le tue avant.


— Tu parles de lui comme s'il s'agissait d'une machine à tuer sur commande !


— Il me reste une dose de détermination suffisamment forte pour exactement le transformer en arme destructrice. Si vous ne le faites pas vous-même, je le forcerai. Ce n'est pas un conte de fée, c'est la guerre, les gens meurent."


Les yeux de la reine luirent d'une lumière dorée et trois immenses boules de feu apparurent entre elle et les enfants. Gaster, nullement impressionné, invoqué à son tour un blaster gigantesque derrière lui.


"Toriel, tenta Lady Rosaline, on peut au moins en parler. Il... Il a raison sur ce point, Sans est puissant et pourrait faire la différence.


— Si vous voulez lui faire du mal, vous allez devoir me passer sur le corps. Vous êtes adulte, vous devriez être responsables. J'ai honte de votre comportement.


— Pourquoi faut-il toujours que vous agissiez avec tant de drama ? s'emporta Gaster. Vous n'êtes pas digne de nous gouverner. Vous ne pensez qu'à vous, qu'à votre petite famille, sans jamais vous demander si, dehors, certains monstres n'en ont pas quelque chose à faire. J'ai passé une partie de ma vie à trouver une sortie à cette guerre, vous nous avez tous propulsés dans cette montagne, vous avez tout fait rater. Vous n'êtes pas qualifiée pour donner votre opinion ici. Et plus important : Sans est mon fils, que vous le vouliez ou non. Il ne sera jamais un Dreemur. Il ne sera jamais votre enfant. Reporter vos propres insécurités sur lui n'a fait que nous plonger encore plus profondément dans la merde. Vous êtes l'image de la gangrène de notre peuple. Sans vous, cela ferait bien longtemps qu'Asgore aurait mis fin à cette foutue guerre !"


La boule de feu partit. Gaster vola sur plusieurs mètres et s'écrasa violemment contre un arbre. Sans se tourna légèrement vers Papyrus, assis à terre, lui aussi choqué. Leur père se releva, et, enragé, se jeta à son tour sur Toriel. La reine et le scientifique roulèrent au sol comme des animaux dans un concert de grognements et de cris de colère. Le squelette sentit sa respiration s'accélérer. S'ils continuaient comme ça, les hommes allaient les repérer ! La forêt commençait déjà à prendre feu, malgré l'intervention rapide de Lady Rosaline. La femme-lapin hésitait à intervenir pour les séparer. Sans lança un nouveau regard vers son petit frère. Il ne comptait pas le perdre comme ça. Pas à cause de lui.


Gaster tira un coup de blaster. L'arbre le plus proche s'écroula dans un grand fracas, brisé net à la base du tronc. Au loin, un cor retentit, puis un deuxième, plus proche. Les humains arrivaient. Ils allaient tous les faire tuer ! Non. Il pouvait encore empêcher ça. Il pouvait encore protéger quelqu'un.


Sans souleva Papyrus et sans un regard en arrière, s'enfonça dans la forêt. Au diable les humains, au diable les monstres. Tant que son frère était en sécurité, le monde pouvait bien brûler. Il avait fait son choix. Hélène cria son nom derrière lui, puis Toriel, réalisant brutalement qu'il s'était enfoui. Mais il ne s'arrêta pas. Il ne se laisserait plus jamais manipuler par personne. Papyrus, silencieux jusque-là, s'agita légèrement.


"Sans..."


Son frère ne répondit pas, continuant à avancer tout droit.


"Sans, on doit les aider... Sans... S'il te plaît, arrête-toi. Tu me fais peur."


Le squelette se figea et baissa les yeux vers lui. Les yeux plein de larmes, Papyrus était au bord de la crise de panique. Il lançait des regards nerveux derrière lui.


"Ils vont nous faire tuer, répondit-il d'une voix angoissée. Je ne compte pas les laisser faire.


— Mais tu ne peux pas les abandonner ! Les humains vont leur faire du mal ! Sans, s'il te plaît... chouina-t-il. On ne peut pas les laisser tomber. Hélène, Toriel... Papa...


— Papyrus...


— Tu peux les aider, Sans. Moi, je crois en toi. Mais si on n'essaie pas et qu'ils se font attraper par les humains, qu'est-ce qui te dit que l'on fera mieux qu'eux ? Je ne veux pas retourner avec l'Empereur... Mais je ne veux plus qu'il te fasse de mal non plus. Lady Toriel saura quoi faire, tu dois l'aider !"


Sans hésita, tiraillé entre ses idéaux. S'il revenait en arrière, ils risquaient tous les deux la mort ! A moins que...


"D'accord, je vais aller les aider. Mais toi, tu restes là.


— Tout seul ? s'alarma le cadet.


— Je n'ai pas le choix. Tu... Tu dois t'en sortir pour nous deux. J'ai confiance en toi. Attends ici que je vienne te chercher, dit-il en le cachant dans le tronc d'un arbre mort. Cache-toi et ne fais pas de bruit."


Beaucoup moins assuré, le petit squelette finit par obéir et se recouvrit de feuilles, le regard anxieux. Sans se releva, puis tourna la tête vers le nord. Des coups de feu commençaient à retentir partout autour de lui. Il lança un dernier regard vers Papyrus, puis s'élança en direction du groupe pour aller sauver ceux qui pouvaient encore l'être.


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