Pour le bien de l'humanité
Chapitre 37 : Discussion nocturne
2931 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour il y a environ 1 mois
Sans ne trouva pas le sommeil cette nuit-là. Couché sur le sol rocailleux de la grotte, il attendait que le soleil se lève. Papyrus était accroché à lui, comme d'habitude, et sa respiration calme et détendue apaisait son grand frère. Toriel avait fait des miracles pour accélérer la guérison de ses jambes. Il ne pourrait pas marcher pendant encore un moment, mais les fractures n'étaient plus visibles. Seules les fines zébrures qui couvraient ses jambes témoignaient encore de la violence inouïe des coups qu'il avait reçu. Sans ne comprenait pas comment il faisait pour continuer à sourire après ça, à faire comme rien ne s'était passé et espérer un meilleur futur. Il n'y arrivait pas. Après tout ce qu'il avait vu ces derniers jours, il doutait de pouvoir un jour refaire confiance à quelqu'un. Abusé, manipulé, torturé... Il n'arrivait plus à décerner une once de bien dans ce monde impitoyable, chez les humains, bien sûr, mais aussi dans son propre peuple. Il avait l'impression de ne plus appartenir à cette communauté qui l'avait trompé une fois de trop.
Son regard chercha machinalement où se trouvait Gaster. Le scientifique royal fixait le vide, assis sur un rocher un peu plus loin. Lui non plus ne dormait pas. Son visage reflétait toujours cette froideur habituelle, mais il pouvait sentir que quelque chose avait changé. Une certaine tristesse ? L'ombre d'un remord ? Il en doutait. D'aussi loin qu'il s'en souvenait, son père n'avait jamais éprouvé le moindre remord, même lorsqu'il lui faisait subir les pires choses à l'âge de cinq ou six ans dans son laboratoire. Alors pourquoi maintenant ? Et surtout, pourquoi cela l'affectait tant ? Cet homme avait abusé d'eux ! Et pourtant, une culpabilité le rongeait depuis son éclat de voix plus tôt. Et s'il avait raison ? Et si Sans avait provoqué l'extinction de leur peuple ? Gaster était beaucoup de choses, manipulateur, froid, cynique, mais il ne lui avait jamais menti, même lorsqu'il lui avait dit yeux dans les yeux que Papyrus risquait de mourir.
S'il avait raison, quelles seraient les retombées sur lui ? Les autres monstres finiraient par le haïr, et cette haine retomberait une nouvelle fois sur Papyrus. Toriel était avec eux pour l'instant, mais après des mois ou des années d'enfermement, ne finirait-elle pas par se détourner de lui, elle aussi ? Et Papyrus ? Son frère allait grandir en entendant quotidiennement que son grand frère était la cause pour laquelle ils étaient tous enfermés sous la montagne. Finirait-il par le haïr, lui aussi ? Cette simple pensée lui fit monter les larmes aux yeux. Il essaya de calmer sa respiration pour ne pas réveiller Papyrus, mais il n'y parvint pas. Il paniquait.
"Respire, dit froidement la voix de Gaster. Si tu perds le contrôle ici, des personnes vont encore mourir par ta faute."
L'effet fut immédiat. Sans se calma et braqua son regard sur lui. Il serra les poings, puis se dégagea doucement. Il posa Papyrus sur le bras de Toriel, qui ne bougea pas plus. Il se leva ensuite et se dirigea vers lui. Il voulait parler ? Ils allaient parler.
"Elles ne sont pas mortes par ma faute.
— Non, tu as raison, ça doit être la mienne, se moqua-t-il, ironique.
— Oui, c'est la tienne ! répondit Sans. C'est de ta faute si on en est là, c'est de ta faute s'il a fallu que je fasse du mal à d'autres personnes. C'est toi qui nous a envoyé là-bas."
Gaster poussa un lourd soupir, agacé.
"Tu vas encore me reprocher tout ce qui t'es arrivé, là ? Parce que je suis fatigué et je n'ai pas la patience de te tapoter sur la tête pour te dire que tu as raison. J'ai fait ce que j'avais à faire pour protéger les miens, même si ça exigeait des sacrifices. C'est comme ça que fonctionne la guerre, Sans, on sacrifie des gens pour le bien d'un plus grand nombre. Si le prix à payer est que tu me perçoives comme un monstre, alors vas-y. Je n'attends pas que tu me pardonnes, je te demande simplement de comprendre. Que tu le veuilles ou non, tu es né avec des capacités hors-normes et ces capacités auraient pu sauver notre peuple. Les Juges n'ont pas été capable de faire les bons choix au début de la guerre, trop pacifistes, alors j'ai pensé que si je te montrais le vrai visage du monde, le vrai visage des hommes, peut-être que tu comprendrais enfin que c'était le bon choix à faire.
— En sacrifiant Papyrus ? Vraiment ? En quoi était-ce justifié ? En quoi était-ce juste ? Il n'a rien demandé. Il n'a jamais rien demandé, même quand tu le traitais comme un jouet trop encombrant pendant toutes ces années. Pourquoi est-ce que tu le détestes tant ? Qu'est-ce qu'il a fait pour que tu décides de te débarrasser de lui aussi ? J'aurais pu y aller tout seul. J'aurais pu m'en sortir tout seul, tu n'avais pas le droit de lui imposer ça."
Le scientifique royal serra les mains et détourna le regard.
"Je ne déteste pas ton frère, Sans."
Le squelette écarquilla les yeux, n'en croyant pas un mot.
"Ton frère lui ressemble beaucoup, poursuivit-il, distant. Elle aussi refusait de voir le mal dans les autres et pensait qu'on pouvait régler la guerre sans plus d'effusion de sang. Après ta naissance, lorsqu'on s'est rendu compte que tu n'avais qu'un seul point de vie, on a vécu dans la peur de te voir tomber en poussière à tout moment. Et puis, elle est tombée enceinte, et on savait qu'il y avait un risque, mais elle n'a rien voulu entendre. Elle n'aurait jamais dû partir ce jour-là. Peut-être que tu as raison. Je suis un mauvais père, mais je n'ai jamais vraiment eu le temps d'apprendre. Elle disait que j'apprendrais sur le tas, et ça n'a pas été le cas. Je ne suis pas fait pour ça. Je n'étais pas prêt, et quand j'ai vu que tu prenais Papyrus sous ton bras, j'ai pensé égoïstement et je t'ai laissé l'élever. Je n'ai jamais prévu de vous faire de mal, Sans. Les tests que je te faisais passer enfant n'étaient là que pour m'assurer que tu ne développais pas d'autres problèmes, et tu en as développé, beaucoup. Tu n'en as peut-être jamais eu conscience, mais la détermination que je t'ai injectée t'as empêché de tomber en cendres lors du développement de tes pouvoirs. Un squelette ne peut normalement pas être Juge, car nos pouvoirs se développent plus vites que la moyenne et sont plus puissants que ceux des autres monstres. Je suis presque certain que tu pourrais rivaliser avec Asgore aujourd'hui si tu les utilisais contre quelqu'un avec un haut niveau de violence."
Sans hésita et s'assit à côté de lui.
"Pourquoi, alors ? Je ne comprends pas. Pourquoi est-ce que tu as décidé de m'envoyer là-bas ?
— Il y a deux ans, les humains ont commencé à devenir insistant. Ils réclamaient nos jeunes, afin de les retourner contre nous une fois adultes et en échange de la paix. Asgore a toujours refusé, et m'a demandé de trouver une solution pour trouver comment satisfaire leur demande sans que cela ne nous nuise. C'est là qu'on a envoyé les Juges sur le champ de bataille, dans l'espoir qu'ils réussissent à convaincre les humains de l'absurdité de leur requête. Ils se sont faits massacrés. Mais certains, dans leur dernier moment, ont déclenché des pouvoirs extraordinaires. Et c'est là que ça m'a frappé aux yeux. Après une batterie de tests sur toi, j'ai trouvé le gène responsable de ton unique point de vie, et j'ai découvert que tu en étais un. J'ai tenté de l'utiliser pour te faire lâcher le trait de la justice et ne garder que les pouvoirs, mais ça n'a pas fonctionné. A la place, tu as commencé à développer d'autres pouvoirs, comme la téléportation. Après ça, la ville a été attaquée, et je n'ai pas eu d'autres choix que de vous forcer à partir, toi et ton frère. Le moniteur que je t'ai donné n'était là que pour vous localiser et éventuellement vous retrouver si la situation dégénérait. Mais il a commencé à mesurer tes niveaux de magie, tes constantes, et c'est après l'attaque du camp de Toryne et ton coup d'éclat que j'ai compris... Qu'il n'y avait plus d'autre choix. Si je ne t'envoyais pas là-bas, alors nous étions perdus. Les humains n'attendraient pas éternellement et même avec Asgore et Toriel, nous n'aurions pas pu survivre à une nouvelle offensive.
— Alors quoi ? Tu as décidé comme ça du jour au lendemain de simplement m'envoyer là-bas ?
— Oh, Sans... Tu crois honnêtement que j'aurais pu faire ça sans sourciller ? Que je suis insensible à ce point ? Mes émotions m'empêchaient d'agir et de penser correctement, j'ai toujours été tiraillé entre vous protéger ou faire mon devoir. J'ai fait ce choix en sacrifiant ce qui faisait que je ressentais encore pour vous. J'ai supprimé mes émotions pour ne pas les laisser influencer mon jugement. N'en veux pas à Asgore, il a tenté de m'en empêcher, comme beaucoup, mais il n'y avait plus de temps. Je comptais te préparer pour éviter d'avoir à utiliser Papyrus, mais les plans de Toriel nous ont causé une perte de temps impossible à réparer. Elle n'a fait que vous protéger, je le sais bien, mais en vous entraînant avec elle, elle vous a condamné tous les deux. Je n'ai pas pu t'apprendre à provoquer tes pouvoirs et seule un choc émotionnel important l'aurait pu. Alors je me suis dit que Papyrus ferait l'affaire. Et j'avais tort. Toriel a raison, j'ai tellement été aveuglé par l'espoir que ça marche que j'en ai oublié le reste : tu n'es qu'un enfant."
Sans resta silencieux, les bras serrés autour de lui. Il ne savait plus quoi penser. Devait-il accepter aveuglément qu'il ait voulu faire bien ? Son regard parcourut la pièce et buta sur les jambes de Papyrus. Non, bien sûr que non. Ce qu'il avait fait était inexcusable. Pour un plan raté, les deux frères garderaient des séquelles toute leur vie.
"Je ne te demande pas de me pardonner, rappela Gaster. Je sais qu'après tout ça, tu es en colère, et c'est légitime. Une fois que nous aurons gagné la Montagne, vous irez vivre chez Toriel et Asgore. Je ne disparais pas, tu es libre de venir me voir si tu en as envie, mais je pense qu'il est mieux pour tout le monde que je n'intervienne plus dans ta vie ou celle de Papyrus. Et puis, le petit Asriel aurait bien besoin d'un grand frère pour l'épauler.
— Alors quoi, tu nous abandonnes juste ? murmura Sans, les yeux embués.
— Sans, je n'ai jamais été un père, et je ne vais pas commencer maintenant alors que tous les monstres comptent sur moi pour remettre le projet CORE en marche. C'est pour le mieux. Tu n'auras plus à protéger ton frère et tu pourras enfin t'épanouir dans une branche que tu aimes. Papyrus mérite mieux que moi, pas vrai ?
— Oui, répondit Sans avec honnêteté.
— Bien, je te laisserais lui expliquer. Tu es plus doué que moi pour le faire avec des mots simples. Tu devrais retourner dormir, la route est encore longue et tu as besoin de repos."
Sans descendit du rocher et avança vers Papyrus. Il se retourna néanmoins une dernière fois pour adresser un ultime mot à celui qui avait transformé sa vie en champ de bataille.
"Merci."
***********
"Sans ! Sans, réveille-toi, tout le monde est en train de partir !
— Dis-leur de me ramener le petit-déjeuner, marmonna l'intéressé.
— Sans ! Sans, si tu ne te réveilles pas, je hurle."
La nuit avait été courte, trop courte pour le squelette qui n'était déjà pas vraiment du matin habituellement. Entre ses bras, Papyrus se débattait déjà depuis cinq minutes. Son grand frère faisait exprès de le serrer contre lui pour l'embêter, mais aussi parce qu'il était content de le retrouver au meilleur de sa forme malgré ses jambes à peine ressoudées. Sans baissa les yeux vers son petit frère, les bras croisés et l'air contrarié. Puisqu'il n'était toujours pas décidé à bouger, il inspira une grande bouffée d'air et l'expulsa violemment dans un cri suraigu et maintenu le plus longtemps possible, pas très fort, mais juste assez pour devenir agaçant. Son frère détestait quand il faisait ça. Il grogna et tenta de mettre une main devant sa bouche, mais les squelettes n'ayant pas à proprement parlé de bouche, le son en fut à peine camouflé et cela ne découragea absolument pas le vicieux garnement.
"D'accord, d'accord, je me lève, grogna Sans en le libérant enfin."
Il accompagna le geste à la parole et se redressa difficilement. S'il ne pouvait techniquement pas avoir de bleus du fait de son absence de peau, il sentit clairement les énormes douleurs dans ses jambes et ses épaules lorsqu'il se remit sur ses pieds. Sa course dans la forêt n'avait pas été sans conséquence. Il serra les dents et accepta son sort. C'était le prix à payer pour enfin atteindre la montagne. Comme les adultes, il roula son sac de couchage et alla le poser avec les autres à l'entrée de la grotte. Les passeurs étaient occupés à compter les vivres et les répartir dans les sacs, avec l'appui de Toriel et de Gaster. Si Toriel lui sourit chaleureusement, son père ne lui accorda même pas un regard, comme si la conversation qu'ils avaient eu la veille n'avait jamais eu lieu. Il en fut plus blessé qui ne le crut. Pendant un instant, il avait vraiment espéré que les choses iraient mieux à présent. Il s'était trompé. Il serra les poings et retourna auprès de Papyrus.
Hélène se trouvait au chevet du petit squelette et l'aidait à ouvrir un paquet de gâteaux. Elle éprouvait quelques difficultés à cause de son épaule droite bandée et son bras en écharpe. Malgré tout, elle gardait le sourire. Sans s'installa derrière son frère, pour qu'il puisse s'appuyer sur lui sans se faire mal aux jambes. Il posa sa tête sur son crâne et lui sourit vicieusement avant de voler le biscuit qu'il avait dans les mains et de l'engloutir.
"Sans ! s'énerva le petit squelette. Tu ne peux pas juste me voler mes biscuits ! Trouve-toi un paquet !
— Mais ils sont loin, et ils sont si bons, dit-il en feignant d'en prendre un deuxième.
— Sans, non ! Sans, arrête ! dit-il en gesticulant pour échapper à sa main. Sans, je te préviens, je vais le dire à Lady Toriel ! Lady Toriel ! hurla-t-il. Au secours !"
Sans attaqua sans prévenir et le chatouilla pour le faire taire. Les cris de Papyrus se transformèrent rapidement en suite de syllabes incompréhensibles alors qu'il essayait de résister tant bien que mal aux éclats de rire qui lui montaient dans la gorge. Hélène les regarda faire sourire aux lèvres.
"Je suis ravie de voir qu'il va mieux, confia-t-elle à Sans. Tu as beaucoup de chance d'avoir un grand frère pour veiller sur toi, Papyrus.
— Je sais. C'est le meilleur des grands frères ! Quand je serais grand, je serais comme Sans et j'irai combattre des méchants !
— Oh vraiment ? rit-elle.
— Oui, moi, le grand Papyrus, je vais devenir le plus grand garde royal de toute la Terre ! Comme la maman d'Undyne !"
Sans sourit timidement et le serra contre lui. Après tout ce qu'il avait vécu, il ne comprenait pas comment il trouvait encore la force d'avoir des rêves pour le futur. Cela le ramena rapidement à sa propre situation. Qu'allait-il bien pouvoir faire de sa vie après tout ça ? Oh, il était prêt à suivre Papyrus dans la garde royale pour lui faire plaisir et veiller sur lui, mais était-ce vraiment ce qu'il voulait ? Cela n'avait pas d'importance. Tant que Papyrus était heureux, il était heureux. Il n'aurait qu'à se contenter des restes. Après tout, son petit frère était le réel héros de cette histoire. Les assistants finissent par être oubliés et laissés sur le bas-côté de la route. C'était mieux ainsi. Etant donné ses pouvoirs, il craignait qu'on l'utilise encore à des fins politiques. Mais la vérité était que s'il pouvait les faire oublier à tout le monde et ne plus s'en servir que dans les cas d'extrême urgence, il le ferait sans hésiter. Un nouveau départ, c'était tout ce dont il avait besoin.
"Ecoutez-moi, tout le monde ! s'exclama Lady Rosaline. Nous allons reprendre la route. Les humains sont toujours dans les bois, mais ils sont moins nombreux qu'hier. Le chaos de la veille ne doit plus se reproduire. Vous allez tous être affecté à un passeur, restez près de lui et tout se passera bien. Si tout va bien, demain soir, on sera tous à la maison autour d'un bon repas chaud. Je compte sur vous."