Pour le bien de l'humanité
Chapitre 35 : La grande migration
2696 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour il y a environ 1 mois
Comme Lady Rosaline l'avait prévu, le départ fut fixé deux jours plus tard. Les enfants profitèrent du calme pour se reposer et reprendre des forces. Sans avait passé la majorité de cette pause inespérée à dormir, toujours épuisé par son traitement au château. C'était loin d'être le cas de Papyrus, surexcité et incapable de tenir en place plus de deux minutes. L'immobilité commençait à l'agacer sérieusement et même si Hélène, Rosaline et Sans faisaient de leur mieux pour se relayer et l'occuper, il devenait difficile de trouver des avantages à sa situation. Néanmoins, ravi d'avoir enfin l'attention qu'il méritait, il s'était donné pour devoir de motiver les troupes, et surtout Sans, qui ne voyait pas bien ce qu'il restait de positif à tirer de leur état actuel.
Le matin du deuxième jour, Lady Rosaline les réveilla bien avant le lever du soleil. Sans peina à sortir de ses couvertures chaudes et moelleuses, mais Papyrus, déjà levé, lui cria dessus jusqu'à ce qu'il bouge son dos du canapé et se relève, les yeux encore ensommeillés. Il s'étira paresseusement avant de récupérer ses vêtements propres, laissés à côté de son "lit". Il s'habilla avec lenteur, avant d'aider Papyrus, impatient, à en faire de même. Même s'il essaya de ne pas lui faire mal, il le vit grincer des dents plusieurs fois lorsqu'il effleura son bassin. Cela inquiéta légèrement son frère. Comment allait-il supporter le trajet dans son état ? Son hôte lui apporta la réponse en appliquant peu après un nouveau sort de soin valable quelques heures et qui retirait la douleur.
"Sans, peux-tu porter ton frère au moins jusqu'à la sortie de la ville ? lui demanda Lady Rosaline une fois habillés. Si l'on doit se battre, je préfère avoir les mains libres."
Le petit squelette hocha la tête. La dame-lapin accrocha un grand foulard autour de son cou, puis y plaça Papyrus à l'intérieur, accroché comme un koala dans son dos sans pour autant mettre sa jambe trop à l'exercice. En voyant le petit squelette peiner un peu à trouver l'équilibre, elle lança un sort de gravité sur son "paquet", le rendant immédiatement plus léger. Hélène, partie en éclaireur dans la ville, les rejoignit peu après ça. La route était libre, ils allaient pouvoir s'en aller. Sans noua la grande cape noire que la vieille dame lui avait donnée et camoufla son visage à l'intérieur. Lady Rosaline en fit de même. Elle attrapa sa valise, lança un dernier regard à sa maison puis le groupe quitta les lieux.
Elle passa immédiatement devant. Hélène, elle, couvrit leurs arrières. Nerveux, Sans ne put s'empêcher de jeter des regards affolés autour de lui. De grands bâtiments les encerclaient de toutes parts et même s'il faisait encore nuit, il avait peur que quelque chose leur tombe dessus à chaque instant. Malgré tout, les deux bras de Papyrus qui encerclaient ses côtes le rassurait légèrement. Il n'était pas seul, ils allaient réussir à sortir de la ville et rentrer à la maison. Son regard bifurqua légèrement sur l'énorme montagne qui surplombait le paysage dans la lumière naissante de l'aube. Si proche et pourtant si loin. Le trajet était censé prendre trois jours une fois sortis de la ville, s'ils ne rencontraient pas de problèmes en route.
"On va s'en sortir, murmura Sans pour lui-même, essayant de s'en convaincre."
Bientôt, il regarderait Papyrus faire du dessin au coin de la cheminée de Toriel et ils oublieraient tout ce qui venait de se passer pour reprendre une vie normale. Loin des hommes. Loin de Gaster. Loin de ces histoires sordides de Juges. Il sentit son coeur battre un peu plus fort alors qu'ils tournaient au coin de la rue vers une grande place pavée. Au milieu des commerçants qui montaient leurs étals avec peu d'enthousiasme, un cadavre humain se balançait au gré du vent. D'autres cordes étaient accrochées à divers poteaux, vides, mais les tas de poussière qui s'éparpillaient un peu partout en disaient long sur ce qui s'était produit ici. Les marchands, trop occupés, ne leur prêtèrent aucune attention, tout juste un regard mauvais s'ils en bousculaient un par mégarde. Sans reconnut plusieurs d'entre eux. Certains se trouvaient là à leur arrivée en ville, à leur hurler des insultes et leur jeter des cailloux. Papyrus s'en souvenait aussi, jugea-t-il à la crispation de ses bras autour de la taille de son frère.
La ville s'enfonçait encore profondément au sud. Pourtant, Lady Rosaline changea d'itinéraire pour s'arrêter devant une grosse plaque d'égout derrière ce qui semblait être un poissonnier. Elle tira la lourde plaque de fer avec l'aide d'Hélène, puis fit signe à Sans de s'engager sur l'échelle de bois qui s'enfonçait dans l'obscurité. L'affaire ne fut pas facile avec Papyrus sur le dos. Le passage étroit leur permettait difficilement de tenir tous les deux, malgré les efforts de son frère pour rentrer son coccyx. En bas, ils furent accueillis par des armes braquées sur leur visage. L'oeil de Sans vira au bleu de surprise et il recula d'un pas.
"Qui êtes-vous ? demanda un homme-chien noir aux yeux vitreux.
— Relax, Doggo, ils sont avec moi, répondit la voix de Lady Rosaline au-dessus d'eux."
Sans baissa doucement sa capuche, dévoilant son visage et celui de Papyrus, inquiet. Le chien se détendit immédiatement et baissa son arme pour leur offrir un sourire rassurant, même s'il n'y voyait vraisemblablement pas grand-chose. Deux autres monstres l'accompagnaient : un flocon de neige gigantesque et une cyclope au visage bariolé de nombreuses cicatrices. La dame-lapin les rejoignit bientôt avec Hélène et vint les saluer chaleureusement. Le chien vint s'accroupir devant les enfants, toujours souriant.
"J'ai beaucoup entendu parler de vous deux ces derniers temps, je suis content de vous renifler pour de vrai. C'est pas tous les jours qu'on se retrouve à escorter les gamins du scientifique royal, un Juge, qui plus est."
Sans se crispa légèrement, mais n'osa pas répliquer qu'ils n'étaient ni l'un, ni l'autre. Il se contenta de hocher cordialement la tête. Papyrus, bien moins craintif, engagea directement la conversation avec un grand sourire, pour les présenter tous les deux et raconter leur histoire. Sans préféra garder le silence. Il n'aimait pas dévoiler sa vie aux étrangers, en particulier à des monstres-chiens. Depuis que plusieurs d'entre eux l'avaient pris en chasse dans la forêt, il avait du mal à ne pas les considérer tous comme une menace.
Les passeurs, puisqu'il s'agissait bien d'eux, les conduisirent dans une salle plus grande, située un peu plus loin dans les égouts. Une dizaine de monstres y étaient installés autour d'un feu de camp, visiblement épuisés et très amaigris pour la plupart. La survie avait été compliquée en ville.
"C'est tout ? grogna Lady Rosaline. Il en manque ?
— Je crains fort que non, répondit Doggo. Une purge a eu lieu il y a deux jours, après leur fuite, dit-il en pointant les enfants de la tête. Plusieurs monstres ont été délogés de leurs refuges et pendus dans la foulée. On n'a pas eu le temps de réagir. Il faut voir le bon côté des choses, ce sera plus simple maintenant qu'on est moins. On n'a plus de vivres, par contre, si ce n'est ceux du voyage. On devra faire avec et beaucoup rationner. J'ai eu des nouvelles de la reine. Il reste une semaine avant que leurs conneries de mages ne scellent Mont Ebott. On doit tous y être rentrés avant, ou... Eh bien, Asgore seul sait ce qu'il adviendra de nous. On peut déjà se mettre en route.
— Allons-y, il n'y a pas de temps à perdre, approuva-t-elle."
Doggo monta sur une vieille caisse en bois et aboya deux fois pour attirer l'attention des monstres sur lui.
"Ecoutez-moi, tous. On se met en route d'ici quinze minute. Remballez vos sacs de couchage et éteignez le feu. On vous rappelle la disposition : les enfants et les plus faible au centre du groupe, ceux qui peuvent se battre aux extrémités. Je sais que vous êtes tous fatigués et que les derniers jours n'ont pas été faciles, mais c'est la dernière ligne droite. Si on reste tous mobiles et vigilants, on aura rejoint les nôtres dans peu de temps. Ceux qui ont des sorts de soin sont priés de rester vigilants aux plus fragiles. Ne gâchez pas votre magie sur des égratignures ou pour des choses futiles. Vous n'êtes pas sans savoir que ces deux petits squelettes sont recherchés partout, alors gardez l'œil ouvert. On risque d'être embusqués à tout instant.
— Et pourquoi on ne pourrait pas leur donner s'ils nous attaquent ? grogna un des monstres. Je préfère sauver ma peau que celui de deux gosses qu'on ne connait pas.
— Parce que c'est un Juge, et que vous savez comme moi que si les légendes sont vraies, c'est peut-être notre chance d'empêcher la fermeture de Mont Ebott. Après tout, il est plus puissant que nous tous réunis."
Sans se contracta, alors que tous les regards déviaient dans leur direction, certains méfiants, d'autres franchement surpris et impressionnés. Il n'aimait pas du tout cette situation.
"Ne lui mettez pas trop la pression, se moqua gentiment Lady Rosaline. Il est encore un peu trop jeune pour assumer sa célébrité. Plus sérieusement, ces deux gamins sont recherchés par l'Empereur en personne, et il est hors de question qu'ils tombent de nouveau dans leurs mains. Ils sont sous la protection de la reine Toriel, et cette dernière nous rejoindra à mi-parcours pour nous aider. Vous n'êtes pas sans savoir que vous lui devez le respect, même si vous êtes fatigués. Ne vous comportez pas comme des chats de gouttière en sa présence."
Plusieurs hochements de tête fatigués répondirent à son ordre. Les monstres se mirent peu à peu en mouvement pour ranger leurs affaires. Sans donna un coup de main à une vieille dame toute bleue à la vague forme humanoïde qui peinait à ranger son gros sac de couchage dans un petit sac en plastique. Après quarante-cinq minutes, tout le monde était enfin prêt à partir. Les passeurs disciplinèrent un peu le groupe afin que chacun se trouve une place précise pour la marche. Sans fut placé directement au cœur du groupe, mais à la vue de son anxiété grandissante, encerclé par tous ces monstres plus grands que lui, Hélène négocia pour qu'il puisse marcher sur la ligne arrière entre Doggo et Lady Rosaline. Le chien finit par accepter, à la seule condition qu'il porte l'armure que la dame-lapin et la reine avait fait pour lui. Le squelette hésita, longuement, mais finit par acquiescer pour avoir la paix, par dépit.
Comme il s'en doutait, l'armure était lourde et limitait grandement ses mouvements. Certes, elle offrait une protection non-négligeable au niveau de son âme, mais elle ralentissait aussi sa course. Pour le soulager, Doggo récupéra Papyrus. Si cela ne dérangea pas le principal intéressé, Sans sentit immédiatement sa nervosité remonter en flèche. Il ne supportait plus que des inconnus portent son petit-frère. Il se rassura comme il put en se disant qu'il se trouverait juste à côté de lui, mais une appréhension tenace lui nouait déjà le cœur.
Le groupe se mit enfin en marche après une dernière mise au point sur l'itinéraire. Ils emprunteraient les égouts jusqu'à la sortie de la ville, avant de disparaître rapidement de la vue des hommes par la forêt. La première étape ne posa pas spécialement de problème. Mis à part les moments où il fallut ramper dans la boue pour passer des tunnels étroits et les immersions jusqu'à la poitrine dans l'eau sale et crottée, ils arrivèrent après une bonne heure de marche à la sortie des sous-sols de la ville. Celle-ci se trouvaient à l'arrière d'Ebott City et déversait la plupart des eaux usées dans un grand lac à la couleur verte peu ragoutante, quelques mètres en contrebas. Malheureusement, pour gagner la forêt, quelques dizaines de mètres devant eux, il fallait sauter dedans et nager.
Les passeurs de tête s'engagèrent les premiers. Un se plaça dans l'eau pour aider à réceptionner ceux qui avaient du mal, un autre alla attendre sur la berge. Un à un, les monstres plongèrent. Mis à part les plus jeunes et les plus âgés qui eurent quelques difficultés à nager, tout le monde arriva de l'autre côté, sain et sauf. Hélène plongea juste avant Sans. Elle battit des bras et des jambes pour remonter à la surface, le visage grimaçant et couvert d'une bouillie noire. Le passeur l'aida à regagner la berge, puis revint à son emplacement. Il leva la tête vers eux et leva son pouce pour les inviter à les rejoindre.
"A ton tour, Sans, l'encouragea Lady Rosaline. Prend une grande inspiration et saute."
Sans avança jusqu'au rebord et regarda en contrebas, inquiet. Il prit un peu d'élan et se jeta dans le vide. Son corps perça la surface de l'eau et il se sentit couler jusqu'au fond. Le seul petit problème était que les squelettes, ne possédant pas de muscles, ne pouvaient pas remonter seuls à la surface, encore moins avec une grosse armure sur le dos. Sans ne s'en rendit compte que trop tard. Complètement paniqué, il battit désespérément des bras et des jambes pour essayer de se donner l'impulsion nécessaire pour regagner la surface, deux mètres au-dessus de lui. Rapidement, il ne parvint plus à voir clair. L'eau s'infiltrait dans ses orbites et remplissait sa tête. Il ne tarda pas à manquer d'air. Dans sa poitrine, son âme pulsait de plus en plus difficilement.
Un grand poids perça l'eau à côté de lui. Deux paires de bras lui attrapèrent les poignets et le remontèrent à la surface. Sans toussa violemment pour expulser l'eau de son crâne et de ses yeux. Lady Rosaline, qui le tenait contre elle, le hissa sur la berge. Sans resta couché sur le côté, peinant à reprendre son souffle. Doggo les rejoignit quelques secondes plus tard, Papyrus toujours perché sur son dos et affolé par l'état de son frère.
"Il va bien, le rassura leur protectrice. Il a juste besoin d'un peu d'air. Continuez d'avancer, on vous rejoint."
Doggo hocha la tête et fit signe aux passeurs de tête de partir vers la forêt. Le groupe suivit calmement, non sans lancer des regards curieux et inquiets vers Sans, toujours couché. Papyrus s'alerta en voyant qu'ils partaient sans son frère. Il cria son nom dans la forêt, ce qui provoqua un électrochoc suffisant pour redonner du courage au squelette. Il se remit difficilement sur ses jambes et reprit la route en grimaçant, tant bien que mal.
Ils retrouvèrent le groupe à peine quelques mètres plus loin, déjà arrêtés. Les passeurs étaient accroupis autour de quelque chose à l'avant, imprévu. Les oreilles de Doggo se dressèrent soudain. Il releva le museau et se tourna vers une direction au nord. Une flèche passa à quelques centimètres de sa truffe et se planta dans l'épaule de la vieille femme que Sans avait aidé plus tôt. Des chevaux sortirent alors des bosquets, montés par des hommes en armure.
"Courez ! hurla Doggo. Courez vers l'intérieur de la forêt !"