Pour le bien de l'humanité

Chapitre 33 : Tenir bon

2593 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

Sans se sentait de plus en plus faible. Cela faisait des jours qu'il se trouvait dans cette position humiliante, perché au-dessus du sol. Il n'avait rien mangé ou bu depuis son enfermement et il savait qu'il ne tiendrait plus longtemps dans des conditions pareilles. Depuis trois jours, les scientifiques allaient et venaient dans sa cellule pour jouer avec son âme. Des tas de fils y étaient branchés, et de temps à autres, une décharge électrique désagréable le faisait sursauter et souffrir. La tête basculée en avant, fiévreux, il somnolait, dans l'espoir que cela enlève la douleur. L'immobilité et les manipulations avaient brisé le peu de courage qu'il avait encore. Il avait perdu toute envie de se battre.


La seule chose qui l'aidait à tenir, c'était cette lueur blanche. Tant que Papyrus s'accrochait, tant qu'il lui montrait qu'il était là, il tiendrait. Il refusait d'abandonner son petit frère aux mains de ces humains sordides. S'il devait mourir, il le ferait en s'assurant que lui puisse s'en sortir pour eux deux. La haine et ce sentiment d'injustice tenace le maintenait en vie, tant bien que mal.


La lueur sembla se rapprocher. Inquiet, Sans releva doucement la tête vers la porte. Le moindre mouvement de ses bras ou de ses épaules lui faisait mal, mais il devait savoir. Le morceau de métal s'ouvrit dans un grincement sinistre et un humain entra. Pas n'importe quel humain, songea rapidement Sans. L'Empereur était de retour. Il était dans un sale état. Sa respiration était sifflante et un bandage entourait son ventre, là où Sans l'avait poignardé. Même s'il essayait de se contrôler, il tremblait comme une feuille, pâle comme la mort. Il traînait Papyrus par son bras brisé, bâillonné, bras ligotés dans le dos. Son petit frère pleurait, mais ce ne fut rien face au choc qu'il eut en découvrant Sans. Ses yeux s'écarquillèrent d'horreur et il hurla son nom, étouffé par le tissu.


Sans trembla de rage et de douleur. Il se jeta en avant dans un geste désespéré avant que les chaînes trop tendues ne le propulse de nouveau durement contre le mur. L'Empereur jeta violemment Papyrus à terre. Le squelette atterrit sur le côté, puis rampa sur quelques mètres pour lui échapper. Une lueur grise attira l'oeil de Sans. Dans sa main, l'homme tenait un grand marteau. Sans jeta un regard affolé vers Papyrus, puis se débattit de toutes ses forces.


"Non ! Non ! supplia-t-il alors que les larmes dévalaient son visage. Il n'a rien fait ! Frappez-moi à la place !


— Ne sois pas idiot, grogna l'homme. Un seul coup pourrait te tuer, Sans. Mais tu dois comprendre quelque chose. Tu es indispensable à notre plan. Lui, pas. Tant que tu continueras à te comporter comme ça..."


Il leva le marteau et l'abattit de toutes ses forces sur les jambes de Papyrus. Le squelette hurla en ruant au sol. Des larmes d'impuissance coulèrent le long du visage de Sans.


"Je vais vous tuer ! hurla-t-il. Je vais tous vous tuer !


— Oh, vraiment ?"


Il leva une nouvelle fois son marteau et retourna Papyrus d'un coup de pied, avant de frapper son bassin. Son frère hurla une nouvelle fois. Alors Sans ne put plus le supporter. Malgré les chaines anti-magie, une haine sauvage gronda au fond de son âme. Ses yeux virèrent au noir intense et une dernière poussée le libéra finalement de ses chaînes. Ses jambes tremblaient, mais il resta debout. L'Empereur en fut contrarié. Il leva une nouvelle fois le marteau, mais sans prévenir, Sans se jeta sur l'arme en hurlant. Surpris par son poids, l'homme lâcha l'arme et opta pour une retraite rapide, tiré en arrière par les gardes royaux. La porte claqua durement, mais Sans se rua malgré tout dessus. Il frappa sur le métal de toutes ses forces, avec ses poings, avec sa magie, en vain. Même poussé par la détermination, la faiblesse de ces derniers jours se fit rapidement ressentir. Sa magie l'abandonna brutalement et il vascilla, essoufflé.


"Pa... Papyrus !"


Il abandonna la porte pour courir au chevet de son petit frère. Les mains tremblantes, il s'acharna sur ses liens pour le libérer, puis retira son baîllon. Son petit frère ne répondit pas. Il haletait bruyamment, le visage tiré par la douleur. Sans lui souleva doucement le dos, mais il poussa un cri de douleur. Il ouvrit brutalement les yeux, paniqué, et commença à crier à pleine voix, de peur et de douleur, en essayant de repousser les mains de Sans. Son frère tint bon et le maintint contre lui, incapable de retenir ses larmes. De larges fissures et fractures couvraient son bassin et ses jambes. Il n'était pas capable de soigner ça, ou même d'atténuer la douleur.


"Je suis désolé, pleura Sans. C'est de ma faute. Si j'avais pas... Oh mon dieu, Papyrus, ne meurs pas, je t'en supplie. Reste... Reste avec moi. Si tu pars, je ne sais pas si... Je ne veux pas... Je t'aime Papyrus, reste avec moi, continua-t-il, la voix brisée. S'il te plaît..."


Petit à petit, son frère se calma. Lorsque Sans releva les yeux vers lui, il le regardait, le regard rempli de larmes.


"Pour... Pourquoi ils nous font ça ? demanda Papyrus d'une voix faible.


— Parce qu'ils ont peur de nous. Parce qu'ils pensent qu'on doit leur obéir. Ne... Ne les laisse pas t'atteindre, Pap'.


— Sans... Je... J'ai mal...


— Je sais. Je... Je dois juste attendre que ma magie revienne et je vais te soigner. Tu dois tenir le coup, Pap. Ne me lâche pas maintenant. Tu dois garder les yeux ouverts.


— Sans... J'ai p... peur. Ils vont... Il a dit qu'il allait me... Il veut me...


— Il ne te fera plus rien, tu m'entends ? Je ne les laisserais plus jamais te faire de mal. Je te le promets. Je te le promets."


Son bras valide vint le serrer doucement. Papyrus enfouit son visage contre son torse, puis ses tremblements cessèrent.


"Pa... Papyrus ? appela Sans."


Aucune réponse. Il releva le visage de son frère, mais il avait perdu connaissance. Complètement paniqué, Sans le secoua pour le réveiller, en vain. Cela ne fonctionna pas. Il éclata en sanglots incontrôlables, terrifié par l'idée qu'il ait réussi à lui enlever son frère définitivement. La porte grinça. Le squelette releva la tête et son œil brilla d'une lumière bleutée menaçante. Il se calma néanmoins en reconnaissant Hélène. La vieille dame posa un regard horrifié sur Papyrus, avant d'entrer dans la pièce. Elle s'accroupit devant les enfants.


"On doit vous faire sortir d'ici, dit-elle. Il n'y a plus personne dans le couloir. Je vais prendre ton petit frère, suis-moi sans faire de bruit.


— Où... Où est-ce qu'on va ?


— En ville. J'ai l'amie d'une amie qui a réussi à contacter la reine pour moi. Votre reine. Nous allons vous faire sortir d'ici et vous faire rentrer chez vous. Sans, tu dois me faire confiance. On doit aller vite.


— D'a... D'accord. Mais...


— La reine Toriel est en route. Elle va nous rejoindre à la lisière de la forêt. Plus rien ne vous arrivera. C'est terminé."


Elle hésita un bref instant, puis ramassa le marteau, qu'elle accrocha à sa ceinture. Elle s'approcha de Papyrus, puis le souleva le plus délicatement possible afin d'éviter de toucher au bas de son corps. Elle vérifia que la voie était libre, puis fit signe à Sans de la suivre. Leur nourrice les guida dans un passage au fond des geôles, qu'il identifia comme un passage pour les serviteurs du château. Elle se glissa dedans, puis Sans la suivit sans un bruit, le cœur battant à tout rompre. Il peinait à réaliser ce qui était en train de se produire. Etaient-ils vraiment tirés d'affaire ?


Le couloir déboucha sur une salle de service déserte. Des capuchons noirs étaient accrochés sur le mur. Elle en tendit un à Sans, avant d'envelopper Papyrus dans un deuxième. Le squelette émit une légère plainte, mais elle lui caressa la joue jusqu'à ce qu'il se rendorme. Sans enfila la cape et comprit rapidement qu'elle était là pour masquer son visage. Il suivit ensuite la vieille dame vers une porte en bois très usée, qu'elle entrouvrit légèrement. Celle-ci menait sur une partie des jardins qu'il ne connaissait pas, décrépie et à l'abandon. Un sentier zigzagait entre les arbres et descendait vers un portail noir qui ne tenait plus que sur un gond. Après s'être assurée une dernière fois que personne ne se trouvait à portée de vue, elle s'engagea dans les herbes hautes. Sans la suivit difficilement, se prenant les pieds dans les nombreuses branches qui bloquaient la voix. Une fois le portail passé, l'atmosphère changea brutalement.


Ils se trouvaient désormais dans une rue très pauvre. Les habitations y tombaient en ruines. Des mendiants faisaient la manche tout le long du trottoir et plusieurs leur lancèrent un regard méfiant. Sans tira un peu plus sur la capuche pour masquer son visage. La dernière fois qu'ils avaient voyagé en ville, ça ne s'était pas bien passé. Ils traversèrent plusieurs ruelles comme cela, avant qu'Hélène ne ralentisse le pas, plus sereine. A la grande surprise de Sans, il n'y avait aucun garde dans les environs. Les bas-fonds de la cité des hommes semblait avoir été abandonnée depuis fort longtemps. Ceux qui y vivaient ne respiraient pas la bonne santé, ni la joie de vivre. Ils y étaient par contrainte.


"Mon amie habite au bout de la rue. Elle est spécialisée en médecine pour les monstres, expliqua-t-elle. Elle... Eh bien, elle n'est pas plus humaine que vous, en vérité. Vous serez en sécurité là-bas."


Elle s'arrêta devant une maison à deux étages à la façade jaune sale. Hélène tapa deux coups à la porte. Des bruits de pas se firent entendre avant qu'un visage n'apparaisse dans la faible ouverture. Il s'agissait d'une vieille femme lapin au pelage violacé. Avec ses oreilles rabattues sous un grand chapeau et si on ne s'attardait pas trop sur son museau de lagomorphe, elle aurait presque parue humaine. Borgne, les paupières de son oeil droit avaient été cousus et une vilaine balaffre lui traversait le visage. Pourtant, dès qu'elle reconnut Hélène, son visage s'étira d'un sourire et elle ouvrit la porte pour les laisser passer.


"Ce sont eux ? dit-elle en pointant les deux formes encapuchonnées de la tête.


— Oui. Le petit est blessé. Cette brute d'Empereur lui a brisé le bassin et les jambes. Il est dans un triste état.


— Donne-le moi. Je vais le conduire en haut et lui faire les premiers soins. Emmène le petit dans le salon. J'ai laissé du thé et des gâteaux sur la table basse. Je leur donnerais un vrai repas tout à l'heure."


Papyrus passa d'une paire de bras à l'autre. Sans voulut le suivre, mais la dame-lapin lui refusa l'accès d'un signe de main doux mais ferme.


"Tu pourras le voir après, le rassura-t-elle. Ton petit frère est très instable pour le moment."


A contre-coeur, il redescendit les marches et accepta la main d'Hélène. Elle le prit dans ses bras et le souleva du sol à sa grande surprise. Ce n'était pas désagréable. Avec l'attaque et la course effrénée dans la ville, Sans se sentait à bout de forces. Il se laissa porter jusqu'à un vieux canapé vert qui produisit un bruit de ressort lorsqu'elle le posa dessus. Hélène l'aida à se débarrasser de la cape, puis lui donna un biscuit. Sans croqua dedans sans réelle faim.


"Je suis désolée, dit Hélène. J'aurais dû intervenir plus tôt, mais les geôles sont bien gardées et après l'attaque du jardin, j'ai eu peur qu'ils... qu'ils vous aient tués tous les deux.


— Pourquoi est-ce que vous nous aidez ? Vous n'allez pas avoir des problèmes ?


— Oh, je ne compte pas retourner là-bas, mon ange. J'ai décidé de rejoindre Lady Toriel. Elle tient réellement à vous deux, vous savez ? Je l'ai eue au téléphone hier, et elle avait l'air très inquiète."


Sans hésita.


"Est-ce que je peux... lui parler ?


— Oh oui, bien sûr."


Elle sortit un vieux téléphone portable de sa poche, toucha quelques boutons, puis lui tendit. Hélène lui sourit puis s'éclipsa de la pièce. Un bip sonore retentit une fois, deux fois, puis une voix résonna de l'autre côté.


"Bonjour, ici Toriel. Hélène ? C'est vous ?


— To... Toriel ? appela Sans, y croyant à peine.


— Sans ! Oh mon dieu ! Tu vas bien ? Tu es sorti du palais ? Je suis désolée de ne pas pu vous rejoindre dans la ville, mais je serais là bientôt. Sans... Sans, ils t'ont fait du mal ?"


Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le trop plein de ces derniers jours. Sans craqua et éclata en sanglots. Il lui raconta tout en détails. Les expériences, comment l'Empereur s'en était pris à Papyrus, l'enfermement, le sauvetage. Tout lâcher lui fit un bien fou. Enfin, il n'était plus l'adulte en charge. Il pouvait lâcher prise et confier sa détresse à quelqu'un en qui il avait pleinement confiance. Toriel l'écouta sans rien dire, mais il l'entendit renifler avec horreur à plusieurs passages.


"Et... Et maintenant, j'ai peur que Papyrus... Qu'il...


— Sans, je peux t'assurer que Lady Rosaline est l'une de nos meilleures soigneuses. Elle a combattu longuement dans la guerre. Tu peux lui faire confiance. Elle va le sauver. Sans, écoute-moi. C'est terminé. Il ne te fera plus jamais de mal, et tu vas pouvoir rentrer à la maison. Dans quelques jours, nous nous retrouverons dans la forêt, et je te promets que je ne laisserais plus jamais personne te faire du mal à toi et à ton frère. Tu n'es pas une arme, Sans. Tu es un enfant et tu n'aurais jamais dû avoir à porter ce fardeau sur tes épaules. Et crois-moi, si Gaster ose... S'il ose venir se plaindre... s'emporta-t-elle, perdant son sang froid. Il ne te mérite pas. Je vais devoir te laisser, Asriel a besoin de moi. Tu crois pouvoir tenir encore quelques jours ?


— O...Oui, je crois. Qui est Asriel ?


— Mon fils. Le nouvel espoir de notre peuple. J'ai hâte que tu le rencontres. Je suis sûr qu'il va adorer t'avoir comme grand frère."


Involontairement, un sourire apparut sur le visage de Sans. Il essuya une larme vagabonde avant de saluer une dernière fois la reine et de raccrocher. Il peinait encore à croire qu'il était en sécurité. Hélène revint doucement dans la pièce, un sourire aux lèvres. Sans lui rendit son téléphone.


"Merci... dit-il d'une voix faible. Merci pour tout."


Elle le prit dans ses bras. Il trembla légèrement, puis éclata une nouvelle fois en sanglots, épuisé. Hélène lui caressa gentiment la tête jusqu'à ce qu'il se calme, et finalement s'endorme sur ses genoux, acceptant enfin de baisser sa garde.


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