Pour le bien de l'humanité

Chapitre 26 : Le regard des autres

2057 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 19 jours

Sans était recroquevillé dans un lit trop grand pour lui. Il entendait Gaster et Toriel crier l'un sur l'autre dans le salon, mais ne pouvait plus y faire grand chose. Les gardes l'avaient escorté jusque dans sa chambre, dans la "tente" royale. Le petit squelette n'arrivait pas à détacher ses yeux du couchage vide en face de lui. Les affaires de Charlie s'y trouvaient encore et il se sentait affreusement coupable. Cette sensation était accentuée par le fait qu'il était seul. Il ne savait pas où étaient son frère et Undyne. Probablement avec la reine.


En se concentrant, il l'entendit négocier pour entrer avec les enfants, ce à quoi Gaster répondait qu'elle ne ferait que le perturber davantage alors qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps pour réaliser la gravité de la situation. La situation serait-elle toujours comme ça à présent ? On prenait des décisions pour lui sans jamais demander son avis. Une troisième voix se rangea du côté de Toriel, celle d'Asgore, prétextant que Sans n'arriverait à rien de bien si personne n'était là pour le rassurer. Mais il ne voulait pas être rassuré ! Il voulait qu'on lui hurle dessus pour le punir du meurtre odieux qu'il venait de commettre, qu'on lui dise que son acte n'était pas justifié et que même pour un peu de puissance, il ne pourrait de toute façon pas protéger son frère de ce que les hommes lui feraient. Il voulait redescendre sur terre et récupérer le sang-froid qui le caractérisait habituellement, plutôt que ce manque affligeant de combativité qui le prenait depuis qu'il avait vu le corps de Charlie. Il devait se convaincre que tout ça était utile, mais même lui n'y croyait plus. Toriel avait raison : il n'était pas une arme. Il avait huit ans et il n'avait aucune idée de ce qu'il était en train de devenir.


Les voix se rapprochèrent dans le couloir. Gaster avait cédé, probablement agacé par la prise de décision d'Asgore, sans doute uniquement motivée par une envie de se faire pardonner par Toriel. Le sentimental n'entrait jamais en ligne de compte chez son père et l'amour tout particulièrement. La porte fut déverrouillée et s'ouvrit sur Toriel, son petit frère et Undyne, le visage toujours à moitié bandé. Sans leur adressa un bref regard avant de recouvrir intégralement son corps avec la couverture. Du coin de l'oeil, il vit Toriel et Asgore s'échanger un coup d'oeil inquiet. A son grand soulagement, elle ne semblait pas en colère, simplement triste.


Doucement, elle s'approcha du lit, puis s'assit au bord du matelas. Sans ne bougea pas, le regard vide.


"Mon pauvre petit, mumura-t-elle. Sans, regarde-moi, dit-elle d'une voix douce mais ferme."


Il hésita un moment avant d'obéir avec nervosité. Elle lui adressa un petit sourire amer et lui caressa délicatement la joue.


"Tu ne dois pas t'en vouloir, dit-elle douloureusement, en retenant ses larmes. Ce qui est arrivé... Ce n'était pas de ta faute. Tu es une victime dans cette histoire, pas un assassin. Je veux que tu saches que je ne suis pas en colère contre toi. Tu as fait ce que l'on t'as demandé, tu n'es pas responsable."


Le squelette frémit. Les larmes montaient déjà. Mais pourquoi avait-il envie de pleurer ? Par culpabilité, soulagement, tristesse, colère, fatigue ? Il se sentait complètement perdu, comme si tout ce qu'il vivait n'avait plus aucun sens. Dès qu'elle posa une main sur son épaule, ce fut la goutte d'eau qui fit exploser la jarre. Il éclata brutalement en sanglots et se jeta dans les bras ouverts de Toriel. Il expulsa ce mélange d'émotions sur sa belle robe mauve et ne cessa de répéter les même mots, inlassablement.


"Je suis désolé, je voulais pas, je suis désolé."


La reine le serra dans ses bras et lui caressa doucement le haut du crâne. Très vite, deux petits bras vinrent lui encercler le dos. Il stoppa net les pleurs. Qu'est-ce qu'il faisait ? Il montrait à Papyrus qu'il avait raison d'avoir peur et qu'ils ne pouvaient rien y faire ! Il baissa les yeux sur son petit frère. Des sillons noirs avaient tracé leur route sous ses yeux, mais il lui sourit faiblement. Il n'y avait pas besoin de mots, il savait qu'il lui pardonnait. Undyne, derrière lui, restait neutre, mais elle lui adressa un petit signe de main. A la porte, Asgore esquivait son regard.


"Toriel, il est l'heure, dit-il d'une voix triste."


La reine se crispa. Elle poussa un lourd soupir avant de reculer et de prendre Sans par les épaules. Papyrus s'accrocha à son grand frère.


"Je serais là à votre départ, dit-elle, la voix tremblante d'émotion. Sans, promets-moi de ne pas baisser les bras, d'accord ? Ce qui est fait est fait. Maintenant, tu dois en tirer les leçons nécessaires et apprendre à vivre avec. J'ai confiance en toi. Sauve Papyrus, reviens à la montagne et prouve-leur à tous qu'ils ont tort. Prouve à Gaster et Asgore que tu vaux mieux qu'eux. Prouve-moi que j'ai eu raison de te faire confiance."


Elle décrocha un collier au pendentif en forme de Deltarune, le symbole de leur peuple. Elle le passa autour de son cou.


"Trouve des alliés. Tous les hommes ne sont pas des meurtriers. Ils t'aideront à t'enfuir.


— Mais j'ai peur de ne pas être à la hauteur. J'ai peur qu'ils s'en prennent à Papyrus et... Je ne peux pas le perdre.


— Tu ne le perdras pas. Vous êtes les deux petits squelettes les plus forts et braves que j'ai eu la chance de rencontrer. Et je vous promets qu'à la minute où cette histoire est terminée, vous n'aurez plus jamais à avoir peur de quoi que ce soit. Et surtout pas de... lui, dit-elle en adressant un regard noir à Gaster, qui patientait derrière le roi, agacé. Tu vas t'en sortir, Sans. Crois en toi."


Ses mots le touchèrent plus qu'il ne l'aurait cru. Elle les serra dans ses bras une dernière fois avant de se lever. Undyne partait avec elle. La petite fille les rejoignit dans le lit pour les serrer rapidement dans les bras. Sans s'aperçut qu'elle retenait difficilement ses larmes. Elle suivit ensuite Toriel dehors. Gaster attendit qu'ils s'engagent dans le couloir avant d'entrer à son tour. Il ferma la porte derrière lui. Papyrus se colla à son grand frère et lui adressa un regard nerveux. Son père avait trahi la maigre confiance qu'il avait encore en lui. Même la bonté de son petit frère avait des limites, et elles avaient, semblaient-elles, atteint leur maximum.


Le scientifique s'assit au bord du lit. Les deux petits squelettes eurent un mouvement de recul, mal à l'aise.


"Je sais que vous avez peur et que vous devez me prendre pour un monstre. Mais vous devez comprendre que j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour éviter ce moment. Tu penses sans doute que je suis un monstre et que ce que je fais est mal, mais je n'ai pas d'autres choix, Sans.


— Maman, elle n'aurait jamais fait ça, cracha Papyrus d'une voix amère.


— Ta mère est morte, Papyrus. Elle est morte parce que des humains l'ont torturée pendant des jours et des jours, parce qu'ils ont brisée un à un chacun de ses rêves et de ses espoirs, juste pour obtenir une poignée d'information. Elle est morte parce qu'elle venait de t'avoir et qu'elle en a été affaiblie, lâcha-t-il d'un ton cinglant. Si elle m'avait écouté, si elle avait avorté comme je lui avais demandé de le faire, elle serait toujours en vie."


Papyrus hoqueta d'horreur avant d'haleter. Les larmes se mirent à couler toutes seules sur ses joues alors que son père continuait de broyer le peu de joie de vivre qu'il lui restait. Sans ne fut lui pas surpris de cette annonce. Son père avait toujours tenu Papyrus responsable pour la mort de sa mère. Son frère avait tout fait pour l'épargner, mais de toute évidence, Gaster avait décidé que l'innocence et la gentillesse n'avait plus de place dans leur famille.


"Tu ne pouvais pas t'en empêcher, hein ? répondit Sans, les mâchoires crispées. C'est tellement plus facile de blâmer Papyrus. Si Maman est morte, c'est parce que tu ne l'as pas écoutée quand elle a dit qu'il fallait partir de la maison au lieu d'attendre que les combats viennent à nous. Et maintenant, il n'y a plus aucun squelette. Ils t'ont tous écouté, et ils sont tous morts à cause de toi. Si on en est là, c'est parce que tu es incapable de faire les bons choix.


— Je suis incapable de faire les bons choix ? se moqua Gaster. Sans, as-tu la moindre idée de ce que j'ai fait pendant que vous étiez sur les routes ? Tu sais d'où viennent ces cicatrices ? J'ai conçu un plan de longue date, j'ai essayé de l'éviter, mais lorsque je me suis aperçu que ça ne pourrait pas être évité, j'ai été contraint de me faire retirer la partie de mon cerveau qui gère les émotions. Je t'ai fait me haïr pour que tu arrêtes de me voir comme le père modèle de ton enfance, pour que tu sois prêt à ce qui va se passer dehors. Sans, j'ai consacré les six derniers mois à essayer de te sauver la vie.


— Non, répondit sèchement Sans, tu as passé les six derniers mois à me faire du mal comme les humains ont fait du mal à Maman, juste parce que tu n'acceptes pas qu'elle ait raison. Si Papyrus meurt là-bas, dit-il d'une voix sombre, je te promets que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour faire rater ton plan, même si je dois en mourir. Même si je dois te tuer."


La main de Gaster s'abattit brutalement sur sa joue. Sans ne broncha pas, il ne lui laissa pas la satisfaction de le voir souffrir.


"Maman aurait honte de toi, l'acheva le squelette."


Une larme coula le long de la joue de Gaster. Il l'attrapa au vol et la regarda avec incompréhension. Son visage se ferma alors que le fossé qui existait entre eux s'élargissait encore un peu plus. Il se redressa, lui adressa un regard inquisiteur et tourna les talons. La porte claqua sèchement derrière lui et il entendit la clé tourner plusieurs fois dans la serrure.


Sans adressa un regard triste à son petit frère, toujours accroché à lui. Il ne pleurait plus, mais son expression indiquait qu'il était en grande réflexion.


"Sans... ? demanda-t-il enfin. Est-ce que tu crois qu'on va se faire tuer comme maman ?


— Non, bien sûr que non. Maman va nous protéger. Elle est toujours là, avec nous, et elle ne le laissera pas faire. Mais pour ça, il faut que tu me promettes que tu vas rester fort et que tu feras tout ce que je te dis de faire. Tu me fais confiance ?


— Oui, répondit-il avec détermination. Toriel a dit qu'on va gagner. Alors on va gagner. Oh ! s'écria-t-il soudain. Regarde, Sans !"


Il se leva sur le lit et se redressa, l'air sérieux. Ses yeux brillèrent d'une lueur orangée, et un énorme blaster se matérialisa derrière lui. Il se retourna vers son travail, tout sourire.


"Je sais faire ça maintenant ! Tu vois ? Tu n'as plus besoin de t'inquiéter pour moi ! Tu... Tu pourras m'apprendre à me téléporter comme tu fais ? Comme ça, si c'est toi qui est blessé, je te porterais jusqu'à la maison ! Toriel dit que je suis super fort !


— On fait un marché. Si tu es sage et que tu fais tout ce que je te demande chez les humains, je t'apprends à te téléporter dès que l'on revient."


Il lâcha un "Wowie !" de joie avant de danser en sautillant sur le matelas. Sans sentit son coeur se briser. Dans quelques jours, il tiendrait peut-être le corps sans vie de son petit frère dans ses bras.


Laisser un commentaire ?