Light-Tale - Tome 1 - L'Âme de lumière

Chapitre 2 : Un conte éternel

4815 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a plus de 6 ans

Les doux rayons du soleil dansaient tranquillement au travers des fenêtres de la salle de classe. Une trentaine d’enfants observaient leur institutrice de leurs yeux emplis d’étincelles curieuses. La jeune femme au chignon acajou et aux traits rieurs contait les mythes et légendes de la mystérieuse montagne se trouvant près de leur village.


C’était un conte millénaire, raconté depuis des temps immémoriaux au coin du feu lors des veillées nocturnes. Une histoire que personne ne pouvait ne jamais connaître dans ce hameau perdu parmi des vallées boisées aux arbres plusieurs fois centenaires et à l’air enivrant.


Cette histoire, était celle du mont Ebott, montagne proie aux légendes, cachant soi-disant un monde souterrain fantastique où vivraient mains monstres et créatures fantastiques, chassés par les humains dans cet univers à-part après leur victoire dans une guerre dévastatrice pour les deux camps. Cette histoire, malheureusement, aucun être – à moins qu’il n’ait perdu sa raison – n’y croyait dorénavant. Ce n’était plus qu’un récit oublié dans un livre poussiéreux, laissé pour compte pendant des années, négligé et dédaigné comme une vulgaire loque.


L’Âme de l’histoire s’évapore au fil des ans, laissant lentement ses pages s’effacer des esprits et des cœurs…

Tous les enfants de la pièce ne semblaient écouter ce ramassis de sottises bon pour leurs cadets que pour faire plaisir à leur professeure, qui semblait avoir un tel engouement pour leur exposer le moindre détail du récit de son livre.


Mise à part une petite fille. Une fillette aux étranges yeux verrons et aux cheveux brun-roux renvoyant des reflets cuivres et ors sous les rayons du soleil de fin d‘après-midi. L’une de ses prunelles insolites était d’un mordoré brillant comme les étoiles, l’autre d’une couleur menthe énigmatique.


Elle fixait de ses yeux inhabituels l’enseignante, qui regardait sa classe d’une mine fatiguée, mais conservant tout de même une certaine chaleur. La curiosité de cette enfant ne semblait avoir d’égal que ses iris pétillants de vie. La jeune femme sembla heureuse que l’un des enfants dans la salle porte un quelconque intérêt à sa narration.


Elle finalisa son récit sous le regard soulagé des élèves, impatients de voir un pauvre signe de la sonnerie, qui semblait soudainement avoir oublié son rôle et prenait du retard. Elle ne se manifesta que par son grossier tintinnabulement, après que les jeunes enfants avachis sur leurs chaises ne se soient mis en position pour courir le plus vite possible vers la porte de la classe. Tous sortirent en trottinant vivement hors de l’endroit en lançant des cris joie à la volée. L’enseignante soupira puis secoua très légèrement la tête.


La jeune femme tourna brusquement la tête en direction de la fillette aux yeux étranges, toujours autant surprise par cette élève qui ne se sauvait jamais avec les autres. Un grand sourire fendit ses fines lèvres quand elle héla doucement la petite fille :

« Tu ne vas pas en récréation Nora ?

- Euh… oui Madame… Je cherchais juste mon goûter… bafouilla la jeune fille d’une petite voix liquide en sortant de l’endroit au pas de course.»



Elle traversa les couloirs déserts aussi vite que lui permettaient ses frêles jambes d’enfant, serrant contre sa poitrine un petit sachet en papier brun.


La prénommée Nora arriva dans une cour chargée d’élèves. Elle traversa d’un pas rapide les lieux, sous les regards interrogateurs et méchants des autres élèves de l’école.


La fillette rejoint un banc se trouvant un peu à l’écart du brouhaha des environs, s’y assit, puis laissa choir le contenu du sac dans sa paume ; un petit pain à la croûte claire et d’où s’échappait une délicate odeur de vanille.


Elle mordit à pleine dent dans la viennoiserie puis leva ses yeux étincelants vers le ciel gris et morne des fins d’hiver. Elle resserra les pans de sa veste en frissonnant. Qu’est-ce que les mois de février pouvaient être froids dans cette région du monde…


Elle finit sa viennoiserie et fourra le petit sachet dans la poche de son épais manteau. Nora soupira. Elle se sentait seule depuis son arrivée dans cette bourgade où chaque personne se méfiait du moindre individu osant passer trop près de sa maison. Depuis que les autres élèves se moquaient ouvertement de ses yeux dépareillés… Ses boutons dépareillés comme ils se plaisaient à dire…


Pourtant une autre chose attirait leurs odieuses railleries comme une nuée de guêpes voraces appâtées par le suc savoureux d’un fruit trop mûr ; son innocence. Une vertu rare n’ayant pas sa place parmi la cruauté de ce monde ; une aptitude jugée de faiblesse par les autres et méprisée, montrée du doigt par tous…


Elle n’était pas naïve, croyant que cette Terre cachait dans tous ses recoins un lieu idyllique ; n’était pas du genre à chercher une quelconque bonté chez ceux la détestant… Elle était tout simplement… gentille, bienfaisante. Une proie estimée facile, possédant des problèmes amusants à faire remarquer et servant à un peu plus abaisser la cible dans sa triste condition… Des croyances jugées trop puériles par ceux de son âge…


Son cœur, déjà écorché à vif par les quolibets divers, se serra et laissa encore une goutte de son sang torturé couler dans les méandres d’une âme exempte de mal.

Elle refoula le sanglot muet de son cœur, trahissant le chagrin qu’elle préférait laisser dans un coin de son esprit agité et remué par de douloureuses émotions. La grisaille maladive du ciel avait décidément envie de déteindre sur son humeur aujourd’hui…


Néanmoins, ses tergiversations ne lui avaient pas permise de voir un groupe d’enfant aux yeux mauvais et calculateurs se dirigeant vers elle. Son regard se figea lorsqu’elle entraperçut les élèves s’approcher dangereusement du banc solitaire où elle s’était assise. Elle se leva subitement, comme montée sur ressort, puis se dépêcha de courir vers un lieu qu’elle avait maintes fois choisi en tant que refuge, lorsque les autres cherchaient à passer leur agressivité sur elle.


C’était une petite saillie de buissons mal taillée, qui donnait sur un recoin dégagé, au-milieu des feuilles de buis inégales et des herbes folles. La fillette se fit minuscule, se recroquevilla et attendit. Guetta le son des pas pesant du groupe. Espéra qu’ils lâchent l’affaire et la laisse enfin en paix.


Elle exhala un léger soupir, formant un petit nuage de vapeur devant ses lèvres.


La sonnerie résonna brusquement comme un clairon salvateur aux oreilles de Nora. Elle sortit de son abri, jeta un œil alerte aux alentours, retira de sa veste toutes les feuilles qui s’y étant accrochées. Elle se dirigea avec prudence vers les rangs d’élèves qui s’étaient déjà regroupés devant les portes de l’établissement. Elle se plaça discrètement derrière sa classe puis rentra son cou dans ses épaules et dans le col épais de son manteau.


L’institutrice les appela depuis le seuil de la grande porte et les guida jusqu’à leur salle de classe.


Les heures défilèrent lentement durant la fin d’après-midi, seulement dérangées par les nombreux élèves se plaisant à parler pendant les heures de cours. Lorsque la dernière sonnerie retentit en autant d’appels soulageant pour les écoliers des différentes zones de l’endroit, tous se précipitèrent vers les nombreuses sorties, tel des cerfs fuyant le feu transformant lentement leur forêt natale en brasier gris et sans vie.


Néanmoins, Nora resta.


Elle était assise sur une chaise en bois, à côté d’une porte, les yeux dans le vague. Elle attendait son père, qui était censé venir s’entretenir avec son institutrice et le directeur des lieux. Les graves problèmes d’harcèlement et d’isolement qu’elle subissait chaque jour depuis son arrivée dans cette école inquiétaient de plus en plus la professeure, l’ayant remarqué depuis peu.


L’homme d’un certain âge, possédant les mêmes cheveux que sa fille, passa devant elle en lui jetant un petit regard empli de tristesse et de reproches. Il pénétra dans la pièce sans dire un mot à la fillette, puis la séance pu commencer.

La discussion venait de débuter, Nora écoutait discrètement les dires des trois adultes à travers le panneau de bois assez fin pour laisser filtrer les paroles des occupants du bureau.

« Monsieur Jundo ? Vous connaissez la raison de votre présence dans ce bureau… Nous aimerions vous parler de la situation de votre fille.

Un léger silence s’installa derrière la porte. Ce silence provoquant un certain malaise chez toutes personnes se trouvant en son sein.

- Ses conditions dans notre établissement ne sont pas des plus… gaies… commença finalement le directeur, de sa voix rendue rauque par la vieillesse. »


L’homme étala au paternel de Nora les différents faits vus lors des premiers jours où elle fut scolarisée, lui rappela qu’elle s’était déjà fait battre par un groupe d’élèves orgueilleux se disant supérieurs à elle.


Aucun des autres élèves qui avait assisté à la scène n’avait daigné l’aidé dans ce combat inégal.


Ils l’avaient seulement observée prendre des coups en la pointant du doigt ou en la fixant comme un chien des rues traînant derrière lui des casseroles tintinnabulantes. Un douloureux souvenir revint à la fillette et raviva la brûlure désagréable d’une cicatrice encore trop récente, sous son œil droit, qui lui rappelait sa malheureuse situation de faiblesse…

Nora avait été menée jusque dans cette petite bourgade perdue par un concours de circonstances qui la dépassaient toujours autant…


Elle était auparavant, une fillette pouvant s’épanouir en toute insouciance dans une ville accueillante et chaleureuse, parmi d’autres l’acceptant telle-quelle.


Pourtant, une maladie chronique possédant des symptômes beaucoup trop violents s’était installée de force entre elle et l’existence paisible que la vie s’efforçait à lui offrir… C’était un problème d’asthme, pouvant lui coûter sa fragile existence à tous moment, lors d’une de ses crises.


Si un remède à base de Salbutamol prévu à cet effet ne lui était administré sous peu, elle s’asphyxierait et mourrait à petit feu. Comme un poisson sorti de force du fleuve bienfaisant le faisant survivre et laissé pour mort sur la rive, voyant ce qui pourrait le sauver, mais ne pouvant y retourner, condamné à agoniser longuement…


Un soir qu’elle pensait être comme les autres, sa mère aurait dû venir la chercher à son école. Elle l’attendit à la sortie, l’attendit plus longtemps qu’elle ne l’aurait voulu, trop longtemps…


L’angoisse était venue emprisonner peu à peu sa cage thoracique de ses mains glacées et crochues. Personne ne venait… Sa respiration devint sifflante et s’effectuait par douloureuses saccades. Elle regardait dans tous les sens, ne voyant rien d’autre que des petits points noirs dansants devant ses yeux. Une violente toux vint ponctuer son calvaire.

La fillette s’était adossée au mur d’enceinte de l’établissement. Ce ciel… sa teinte rosée dû à ce cher soleil qui cherchait le sommeil dans ses draps de sang. Sa beauté sans égale… Allait-elle finalement le rejoindre ? Parmi les nuages et les anges ? Comme lui racontait sa grand-mère sur son lit de mort ?

« Nora !? appela une voix lointaine, depuis le monde d’où la fillette s’éloignait de plus en plus… »


Elle se sentit brusquement soulevée. Elle flottait sur le léger nuage de l’inconscience, dans les limbes profonds de l’esprit d’une fillette à l’âme pure, possédant en elle un fléau mortel…


Le blanc serein et opalin d’une chambre d’hôpital l’avait accueillie à son réveil.


Elle fixait le plafond avec un air d’incompréhension. Un masque respiratoire était apposé sur le bas de son visage. Elle était d’ailleurs étonnée de de nouveau pouvoir inspirer et exhaler l’air environnant sans problèmes apparents.


La malade tourna la tête vers l’aile gauche de sa chambre et y vit sa mère, assoupie sur une chaise, à côté du lit d’hôpital moelleux où elle s’était retrouvée allongée. Ses traits crispés et des traces humides de maquillage ayant coulé montraient que la femme aux cheveux auburn avait beaucoup pleuré lors du léger coma de sa fille.


Peu après, la jeune mère avait émergé du sommeil dans une énième note triste et tourmentée. Elle avait appuyé un regard lourd de remords sur sa fille. Les perles salées revinrent humidifier ses joues rouges de chagrin.


Nora s’était retrouvée étreinte dans les bras secoués de sanglots de sa mère, qui ne pouvait s’arrêter de s’excuser pour ce qu’elle avait fait en l’oubliant…

Elle avait pris un client de trop, et ne s’était rendue compte de son erreur en finissant plus tard que prévu.


Son paternel était subséquemment revenu de son voyage, à la suite de l’annonce des tragiques évènements ayant conduits sa fille à être hospitalisée.

Le diagnostic était tombé comme un poids insupportable dans le cœur des deux parents. Depuis l’accident, l’asthme de Nora n’avait fait que s’aggraver un peu plus chaque jour, fragilisant toujours plus sa délicate vie de porcelaine. Une seconde crise d’angoisse comme celle-ci pourrait la lui enlever à tout jamais…


Deux choix s’offraient d’eux-mêmes aux parents de la fillette.


Le médecin qui avait eu la charge de la petite fille avait proposé un traitement possédant un prix excessivement élevé par rapport aux trop nombreux effets secondaires, bien plus violents que le mal de Nora.


Une autre chose, nécessitant moins d’argent, mais des sacrifices bien plus grands s’était imposée comme étant la meilleure solution pour alléger le fardeau l’enfant. L’envoyer à la campagne, dans un environnement pur dépourvu de la pollution écrasante de la ville…


L’enfant s’était par la suite retrouvée dans un douloureux rêve défilant devant ses prunelles éveillées, sans qu’aucun de ses propres agissements ne semblent avoir de conséquences sur ce songe irréel.


Elle scrutait sans rien dire le visage de sa mère où déferlait le peu de larme que son corps pouvait encore contenir. Contemplait son père la prendre par la main avec une rudesse qu’elle ne lui connaissait pas, l’éloignant de maman, qu’elle n’aura dès lors jamais revue. Celle-ci ne pouvait pas l’accompagner dans son voyage, ayant trop de responsabilités par rapport à son travail.


La jeune femme était tombée peu après l’accident dans une profonde neurasthénie, ne pouvant se pardonner de son acte, mettant en péril l’existence du seul soleil égaillant sa vie. Son mari n’avait cessé de la sermonner pour cette mélancolie non-justifiée à ses yeux. Mais il ne pouvait connaître les véritables sentiments de sa femme, ni voir son pauvre cœur saigné à vif par les regrets.


La fillette avait vécu ce brusque changement de destinée d’une manière qu’elle-même ne pouvait décrire à ce jour. Elle voyait chaque évènement, chaque élément défiler devant elle comme-ci elle se trouvait derrière le panneau de verre d’un miroir, et observait son corps bouger sans le consentement de sa propre conscience. Son esprit semblait voir à travers les yeux d’une machine sans vie, faisant mécaniquement des gestes qu’elle n’effectuait que par pur instinct.


Tous ces évènements dont elle n’aurait jamais voulu l’existence l’avaient ainsi conduite à cette triste condition.


Son paternel s’était plongé dans un travail qui lui coûtait toute sa santé, laissant de côté cette vie familiale qu’il avait autrefois tant aimée et laissant pour compte sa propre fille. Privilégiant une chose l’éreintant un peu plus chaque jour, rongeant ce qu’il restait encore d’empathie en lui…


Nora suivait à présent de ses yeux fatigués le paysage défilant derrière la vitre de la voiture. Son père, silencieux suite à son entretien avec le directeur, fixait la route avec monotonie. Seul la radio, vomissant une chanson déjà remâchée maintes fois brisait l’aphasie contenue dans l’air.


Il la déposa sans rien dire devant leur maison, une petite bicoque décorée de quelques fleurs sauvages mourantes et d’un petit cœur gravé sur la porte d’entrée sale. Il était encore une fois reparti rejoindre le dur labeur où il se réfugiait pour oublier… Oublier ce problème qu’était brusquement devenue sa fille à ses yeux.



L’enfant était rentrée chez elle sans piper mot sur sa journée à sa nourrice ; une femme d’âge indéterminable se nommant Rosie, engagée par son père pour veiller sur elle les trois tiers de la journée… Elle était assez stricte, mais juste ; savait faire preuve d’une certaine gentillesse envers Nora.


Celle-ci dînait en face de sa « protégée », qui triturait sans énergie du bout de sa fourchette ses légumes à l’eau à peine cuits, et scrutait avec dégoût un bout de viande, quant à lui, carbonisé sur une face et bleu de l’autre.


Sa gouvernante avait beau savoir y faire avec les enfants, sa cuisine ne faisait pas son renom. Elle avait déjà fait appel à Nora de nombreuses fois, face à de l’eau refusant de bouillir, ou à un gâteau trop plat…


« Tu es bien silencieuse ma petite… lâcha la nurse en pointant un regard interrogateur vers la fillette.

Elle ne répondit rien et se contenta de faire un petit haussement d’épaule.

- L’entretien avec ton papa et le directeur s’est mal passé ?

- Je sais pas… je sais juste qu’ils ont parlé de mes… problèmes… soupira-t-elle avec morosité. 

Rosie lui lança une petite œillade compatissante, voulant redonner son moral envolé à l’enfant.

- Allons Nora ! s’exclama-t-elle vivement à l’encontre de sa protégée. Je suis sûre que cette petite conversation entre ton père et le directeur de ton école aura fait bouger les choses ! Il suffit de garder espoir. »


L’air si confiant de la gouvernante réussi tout de même à arracher un sourire triste à la fillette. Mais elle retrouva néanmoins son regard de chien battu après seulement quelques secondes.


Le repas terminé, Nora fila dans sa chambre sans demander son reste, faisant une énième fois soupirer la nourrice ; elle se demandait toujours pourquoi une fille aussi gentille se retrouvait dans une situation pareille…


Rosie, fatiguées, alla se coucher après avoir vérifié que celle dont elle avait la garde se trouvait bien dans le monde des songes.

Pourtant, la respiration calme de la fillette cachait ce qu’elle retournait dans son esprit depuis qu’elle s’était rappelée de l’histoire du mont Ebott que son institutrice avait conté à sa classe. Étant originaire de cette bourgade, sa mère lui narrait ce récit bien avant que la petite fille ne soit éloignée d’elle. Elle y croyait maintenant. Tous ses espoirs ne reposaient plus que sur l’existence de cet endroit fantastique…


Elle voulait rejoindre ce monde.


Lorsque la vive clarté de la lampe du couloir se retira de l’embrasure de sa porte à demi ouverte, elle rabattit brusquement sa couverture en veillant à la remettre de manière correcte par la suite.


Elle se dirigea avec la subtilité d’un voleur vers sa chaise de bureau, prit les affaires déposées par ses soins et entreprit d’enfiler par-dessus son débardeur un pull trop large en cachemire vert, possédant des manches bouffantes ; c’était un vêtement qu’elle avait pris à sa mère avant son départ. Un habit qu’elle avait toujours aimé pour sa délicatesse et pour le doux parfum de sa maman, imprégnée par le tissu. Elle se vêtit par la suite d’un pantalon bleu et passa à ses pieds des bottines en cuir brun et sale.


Elle recula alors avec discrétion vers la porte de sa chambre, puis reprit sa route à travers la maison aux couloirs sinueux. La fillette s’était arrêtée pour prendre avec elle son remède, préférant prévoir quelques prochaines crises d’asthmes.


Nora posa sa main sur la poignée de la porte d’entrée en soufflant un douloureux soupir, venant tout droit de son cœur. Elle l’ouvrit d’un geste brusque et s’arrêta sur le pas de la porte, inspira, exhala doucement, et continua de marcher en direction de l’objet de ses désirs.


Elle ne pouvait plus vivre dans cet air dit aussi pur qu’un fragment de cristal, néanmoins empoisonné par une écrasante haine que vouaient des enfants à une autre pour ses difficultés faciles à mépriser.


Cette atmosphère l’écœurait plus chaque minute, chaque seconde qui défilaient devant ses yeux lassés de cette abjecte souffrance.


Elle chemina parmi les herbes sauvages, qui battaient ses jambes avec dureté sous le souffle dévastateur d’une tempête annonçant sa violence dans sa langue mystérieuse.

L’enfant ne prit pas la peine de jeter un dernier regard vers ce village, cause de tourments et de tristesse. Elle n’avait plus sa place nulle part. Seul le sommet de la montagne, brillant légèrement sous la lune limpide de la nuit semblait l’appeler à gagner l’univers se trouvant en son sein.


Elle escalada la pente raide sous le vent agressif. Les branches décharnées d’arbres secs accrochaient les pans de ses vêtements de leurs vicieux doigts émaciés. Ils semblaient essayer de la retenir dans sa progression vers ce monde l’attendant, bras ouverts.


Chaque être se trouvant sur les bords du chemin semblait vouloir arrêter la fillette dans son ascension. Ils attrapaient ses cheveux, emprisonnaient les coutures de son haut, lui giflaient sans vergognes le visage et les mains en y laissant des marques sanglantes…


Mais elle continuait.


Elle ne voulait pas abandonner cette quête. Malgré les bourrasques grandissantes, gonflant ses habits et lui hurlant à travers leurs bouches immatérielles de ne pas continuer ; lui susurrant de leurs sournoises voix mielleuses le sort de ceux ayant déjà escaladé ce mont maudit.


Elle s’extirpait avec de plus en plus de difficulté des taillis qui semblaient agripper ses chevilles recouvertes d’estafilades. Ses yeux emplis de larmes brûlantes l’empêchaient de voir convenablement sa route.


Elle stoppa brusquement au milieu du vent grondant à ses oreilles ses dernières menaces assassines. Les branchages se cramponnant à ses manches, lui mordaient durement sa chair meurtrie. Elle inspira puis expira longuement. Nora rouvrit ses yeux mi-clos et laissa les gouttes salées rouler sur ses joues rougies par le froid glacial. Elle se retourna avec férocité vers le bord du chemin, arrachant ses vêtements de l’emprise des ramilles lui transperçant la peau, et s’époumona d’un hurlement haineux à l’encontre du souffle de la tempête.


Elle leur fit entendre dans cet appel désespéré son désir de se faire oublier et de délaisser le cadeau empoisonné qu’était son existence, dans le village l’ayant obligée à partir. Cette vie n’avait plus rien à lui offrir.


Pourquoi tant de choses se plaisaient-t-elles à vouloir la faire reculer ?


Le vent avait étrangement calmé ses véhémentes plaintes envers la fuyarde, après que toute la rancœur de l’enfant ait franchi ses lèvres envenimées par le chagrin.


La fillette attendit encore que les rafales furieuses apaisent la cadence folle de leur souffle. Elle reprit son cheminement compliqué à travers les ronces acérées, semblant à présent s’abstenir de la blesser de leurs épines pointues.


Une gigantesque ouverture dans la roche claire du mont Ebott offrit à ses yeux son étendue ténébreuse et sans fin. Elle inspira un peu de l’air devenu trop soudainement doux et presque tiède, et se retourna vers le fond de la vallée, où se trouvait son ancienne maison. Tout n’était plus qu’une multitude de petits points lumineux, semblant vouloir mettre en garde une dernière fois celle qui importunait le repos du monde des monstres.


Ses prunelles abandonnèrent la vague silhouette de l’endroit puis elles se tournèrent d’elles-mêmes vers l’ample espace creusé dans la pierre luisante. Elle pénétra sans regret à l’intérieur de la place occultée par l’ombre du voile nocturne.


Tout y était noirci par le charbon de la nuit. Le son de quelques gouttes d’eaux emplissait les environs en répercutant leur écho cristallin sur les parois abruptes. Elle avança, le visage neutre, en jetant des petits regards sans émotion apparente aux alentours. Il y faisait si noir… La tristesse d’êtres accablés par les remords flottait doucement au-dessus des lieux ; le parfum opaque et âcre d’âmes en peines chantant à l’unisson leur désarroi. Nora pouvait entendre comme sentir les lamentations interdites ondoyer dans l’atmosphère lourde de la grotte.


Elle continua de marcher parmi les effluves étourdissants du chagrin.

Elle vit devant elle se dessiner dans la pénombre une surface d’un noir angoissant. Les relents de souffrance semblaient hisser leur masse croupissante du bord du gouffre obscur. Elle s’approcha d’un pas lent et méfiant de la cavité.


Des lianes et des racines pourrissantes recouvraient entièrement le pourtour de la fosse. L’enfant fit attention à ne pas plus avancer, zieutant avec perplexité les extensions végétales. Les sournois êtres paraissaient attendre qu’un malheureux ne marche sur eux pour le faire chuter dans l’abîme qui causera sa perte.


Le chuintement sec de la roche se fracturant résonna alors dans toute la caverne. Nora se figea soudainement après que le bruit ait retenti. Il venait directement de sous une petite corniche surmontant le gouffre, là où elle se tenait.


Un peu de brume poussiéreuse emplie de gravas se détacha de la surface de pierre et tomba en dansant avec légèreté.


Le craquement continua sa route dans le rocher et s’arrêta aussi brusquement qu’il était venu. La fillette était comme paralysée. Elle n’osait plus remuer aucun de ses membres engourdis par la peur.


Un vif crissement retentit, puis la fissure finit sa course sous la botte de l’enfant. Son cœur manqua un battement. La corniche se détacha de son socle et laissa choir celle se situant sur son dos fragilisé par le poids des années.


Elle rejoint dans un dernier fracas l’étendue noire, semblant attendre ce moment depuis tant de temps.


Nora avait réussi dans un élan de survie à resserrer ses doigts autour d’une racine traînant par chance sous sa main. Mais elle ne fut là que pour retarder l’évènement inéluctable. Un grincement de corde effilochée suivit d’un vif et sec son de branche cassée suivit. La racine avait cédé.


Elle propulsa dans le monde exclu des monstres une petite fille heureuse d’enfin savoir qu’elle quitterait ce monde où l’innocence ne pouvait avoir sa place…

Elle ferma doucement ses yeux et laissa le murmure du vent avoir raison de sa conscience et de ses derniers espoirs sur cette Terre…



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