Une courbure de l'espace-temps (saison 3)
Chapitre 26 : Le mariage avant la fin du monde
4196 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 07/02/2025 11:00
Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 3, épisode 8, autour de 27:12 (pendant le mariage de Luther et Sloane).
Soundtrack suggérée : The rescues - Teenage Dream ; Cindy Lauper - Time after time.
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07 avril 2019, 19:24
J'étais finalement dans la salle du mariage avant tout le monde, ce soir. Non pas parce que j'avais hâte de trinquer ou de me déhancher, non, mais parce que je me sentais en décalage avec le monde entier, et que je craignais d'être en retard. Ce que Klaus a fait pour moi plus tôt en conjurant ma mère, je ne l'oublierai pas, même au travers de plusieurs apocalypses de plus. Et lui - même s'il en réalise clairement la portée - se comporte comme s'il n'y avait là rien d'incroyable, avec sa modestie habituelle enrubannée de flamboyance.
Je suis restée longtemps seule au milieu de toutes ces chaises, bien trop nombreuses pour la poignée d'êtres vivants que nous sommes, à laisser la myriade de petites lumières de la boule à facettes m’enivrer, comme si j'étais au coeur d'une galaxie délirante. Derrière sa sono, Chet a fait ses réglages techniques, puis il est parti en cuisine, arranger les derniers préparatifs du buffet.
Il a fallu un long, très long moment, pour dépasser le sentiment d'inconfort ambiant, malgré les injonctions de Luther à leur accorder deux des dernières heures de nos vies. Je confirme que je déteste ce genre de célébrations nuptiales. Je pouvais déjà le sentir, même si c'est le premier mariage où je suis concrètement invitée, dans toute ma vie.
J'ai un peu traîné des pieds pour aller écouter Klaus officier, dans la cour intérieure, mais je dois dire qu'il a été brillant. Il est doué pour l'improvisation, c'est un fait. Depuis nos années auprès des 'Enfants du Destin', il est aussi devenu incroyablement fort pour ce genre de prise de parole en public. Factuellement, il était très ému. Moi, je suis restée comme une ombre noire, sur les chaises mal éclairées par les petites guirlandes d'ampoules. Malgré tout, j'ai presque été touchée par le sourire de Luther, mais bien sûr je m'étranglerai plutôt que d'avouer ceci à qui que ce soit. Tout comme Klaus ne dira à personne qu'il a mis quinze minutes - pour de bon - à arrêter de pleurer d'émotion après ça.
Lila a attrapé le bouquet, parce qu'elle se l'est pris dans la figure après que je sois devenue intangible, puis nous sommes retournés dans la salle de réception pour le vin d'honneur. Luther a vraiment souhaité que toutes les cases de la check-list du mariage kitsch soient cochées : il a choisi de faire l'ouverture du bal sur une cover de Tenage Dream. Je hais les bals, mais après tout, nous sommes au bord de la fin du monde, à nouveau. Alors j'ai accepté de 'danser' avec Klaus sous ces foutus lustres hyper kitsch. A une seule et unique condition.
Être invisible pour ça.
Même sans être vue, je confirme que je déteste danser. Klaus, lui, a adoré. Il a même ri aux éclats lorsque nous sommes entrés en collision, à plusieurs reprises. Factuellement, personne ne s'est étonné de le voir tournoyer - en apparence tout seul sur la piste - dans les émanations de la machine à fumée. Alors - bien cachée dans mon invisibilité - j'ai quand même fini par sourire. Largement. D'une façon qu'il a peut-être entrevue quand la musique s'est arrêtée.
À présent que je me sers au buffet, j'hallucine complètement sur la quantité de nourriture disponible, parce que c'est pour l'Hôtel Obsidian la dernière occasion de vider ses chambres froides avant qu'elles disparaissent dans l'éternité. Il y a là de quoi nourrir au moins six ou sept fois le nombre que nous sommes, dérisoire au regard des sept milliards d'humains que nous étions encore quelques jours en arrière. C'en est presque grotesque, tout comme l'est cette ultime euphorie dans son ensemble. Mais n'est-ce finalement pas ce que l'être humain fait toujours, face à sa fin ?
Chacun est en train de se servir de ce qu'il veut à ce dernier buffet, avant d'aller s'installer à l'une des trop nombreuses tables qui ont été dressées. Il y a l'embarras du choix pour s'asseoir, au sens propre, alors qu'il aurait été possible de tous nous réunir à une seule grande tablée. Cet éparpillement donne l'impression qu'une foule s'apprête à banqueter. Mais à la fois - paradoxalement - tout le monde se retrouve en quelque sorte à manger seul.
Klaus a décidé d'aborder chacun pour plaider la cause de son père, et va certainement s'en tenir à l'un de ses mythiques 'repas liquides', à base de toutes boissons alcoolisées et pétillantes. Je le vois déjà essayer d'aborder les uns et les autres tout en se balançant instablement. Pour l'instant, personne ne lui a encore accordé grand crédit. Alors je me tourne vers le buffet, sans savoir quoi me servir non plus.
Je n'ai pas très faim, les grosses pièces d'agneau me dégoûtent même purement et simplement, alors que Sloane s'est précipitée dessus. C'est sans doute aussi parce que j'anticipe le moment où - ce soir - je passerai dans Oblivion. Et - comme si j'avais besoin de ça - je me retrouve à me servir de la salade de pommes de terres à côté de Ben, sa mine plus fermée que jamais.
"Toi non plus, tu n'aimes pas ce festival de promesses et de bouffe ?"
Il ne tourne pas la tête, mais il finit par lâcher :
"Je pourrais en dégobiller dans les bruschettas".
Je ne sais pas pourquoi j'essaye encore de lui parler, étant donné que ma dernière interaction avec lui a été lorsqu'il m'a mis une mandale, dans le couloir du bureau de Reginald Hargreeves. Le problème est que - en quelque sorte comme Klaus - je peux sentir en cette version de Ben un conflit interne qui me touche autant qu'il me déroute.
Il ne connaît rien d'autre que la compétition, il a été dressé pour ça. L'abnégation stupide. La dévotion à son père et à la figure du moineau. C'est la seule chose qu'il ait jamais eu dans sa vie, ce qui est triste, quelque part, tandis que Sloane, de son côté, a toujours rêvé d'autre chose. Son contexte s'est effondré avant même que le monde commence à le faire. Il est perdu. Et en tant que Numéro Un, à présent, il se rend compte qu'il n'est finalement qu'un chiffre. Avoisinant zéro.
"Je suis comme toi, ça me sort par les yeux", lui dis-je. "C'est cool de ta part, de le faire pour Sloane".
"Ce n'est pas exactement comme si j'avais un autre endroit où aller".
Aux platines, Chet tente de nous ambiancer en vain sur la playlist de Luther, qui vient de passer sur Time after Time. Je me sers finalement des pommes de terre, en m'obligeant à ne pas penser que la terre qui les a vues pousser a été emportée. Tout comme Cindy Lauper, d'ailleurs. En entendant les mots 'Suitcase of memories', mes yeux se tournent transitoirement vers Cinq, qui est en tête-à-tête avec sa bouteille de champagne. Lui aussi, essaye clairement d'oublier ce qui s'en vient inexorablement maintenant. Je cherche quelque chose à dire à Ben, en vain.
"Ta chemise est cool, tu aimes vachement les motifs, hein ?"
Bon sang, c'est le seul sujet de conversation qui me vient. Je ne peux même pas lui parler de la météo, étant donné qu'il n'y a même plus réellement de monde extérieur. La vérité est que son accoutrement a l'air d'avoir été cousu dans du tissu d'ameublement de salle mortuaire, mais Klaus va adorer ça, aucun doute à ce sujet.
"Écoute, Chris-"
"Rin".
"Rin. Tu n'es pas obligée de me faire la conversation. Je suis le rebut, ici, même vis-à-vis de ce qui était ma propre famille. Mon propre père m'a littéralement envoyé chier et a préféré parler avec l'épagneul en costume de velours vert".
"Klaus".
"Klaus. Je n'ai pas été invité à ce foutu enterrement de vie de garçon. J'ai été ordurièrement exclu. Alors je ne demande qu'une chose : manger et boire jusqu'à ne plus savoir où je suis ni avec qui, et me barrer de cette foutue salle de réception".
Tandis qu'il se sert une quantité démesurée de crevettes à l'aïl, je comprends qu'il s'est senti mis à l'écart. Ostracisé, d'une façon qu'il vit comme une injustice, sans la moindre conscience auto-critique du fait qu'il s'est littéralement comporté comme un trou de balle. Malgré tout, il me fait un peu de peine.
"Tu as essayé de lui parler, à Klaus ?"
S'il y a bien quelqu'un qui l'accepterait comme il est, sans lui en vouloir pour son attitude, c'est lui. Klaus ne tient jamais rigueur à quiconque du mal qui lui est fait - surtout de Ben - et ça serait valable avec lui une fois encore. Qu'il soit divergent par sa timeline sera sans importance, je le crois. Je n'ai pas vu d'un très bon oeil le rapprochement que Klaus espérait avec lui. Mais au final, ce pourrait peut-être être bénéfique aux deux. Mieux pour Klaus, en tout cas, que de continuer à lécher les chaussures à talonnettes d'Hargreeves. Et Ben me regarde finalement.
"Pourquoi je lui parlerais ?"
Je réalise alors qu'il ne sait pas. Qu'il ne peut pas savoir quelle était la proximité que son autre lui entretenait avec Klaus.
"Dans notre timeline, lui et toi... vous étiez particulièrement liés. A la vie et à la mort, on pourrait même dire sans jeu de mots".
"Oh tout le monde avait l'air de l'adorer, l'autre Ben. Si 'Klaus' en était proche, raison de plus pour me tenir à distance".
Je sens une amertume immense dans ses mots. Me laissant deviner qu'il ne s'est jamais senti bien, ni aujourd'hui au milieu des Umbrellas, ni même au cours de sa vie à lui au milieu des Sparrows. Ben est lui-même fatigué de cette compétition stérile et de ces joutes verbales agressives, mais il ne sait juste rien faire d'autre. Il attrape un petit pain aux graines.
"Il était Numéro combien, déjà, votre Ben ?"
"Hein ? Bon sang, on s'en fout..."
"Tu dis ça parce que tu es Numéro Sept, sinon tu ne t'en foutrais pas du tout".
"Je ne suis Numéro rien du tout. Je ne suis PAS Christopher. Moi, j'ai été... élevée hors-sol, comme Lila".
Ben emporte ses crevettes et scrute la salle, dans les petites taches de lumières tournantes de la boule à facettes, et les restes de vapeur de la machine à fumée.
"Alors ils ont fini à six : sans moi. Mais ils vous ont récupérées, la British décolorée et toi".
Je ne dis rien. Factuellement, c'est à peu près ça.
"Avec Sloane et moi, ça fait dix. Et avec Papa et Chet, le nombre d'humains sur Terre atteint le chiffre mirobolant de douze".
"Est-ce que tu peux vraiment compter Chet et ton père comme des humains ?"
Un souffle de rire m'échappe. Je fais mine d'en plaisanter, mais Ben ne conteste pas, alors il se doute peut-être de quelque chose au sujet de leur nature profonde à tous les deux.
"Soit. Dix. Dix humains dans tout ce qui reste de l'univers. Une putain de bulle absurde, à la dérive dans le néant".
Il a raison, mais ces considérations ne nous mèneront nulle part, ce soir. Il faut accepter notre destin... ou alors agir, et vite, et tous ceux qui me connaissent savent que j'adopterai toujours la seconde option.
Plus loin, Klaus tente une approche de Viktor, sans doute pour lui parler de son père, mais essuie un refus catégorique et s'en va avec une démarche penaude pour s'asseoir à une table tout seul. J'emporte mon assiette, et fais un pas dans sa direction pour aller m'installer avec lui, comme une évidence.
"Bon appétit Ben", lui dis-je en soupirant.
Et tandis que je m'éloigne en passant la table où Allison s'est installée seule, je l'entends marmonner :
"Dix foutus humains, et je ne sais pas à côté de qui m'asseoir pour manger".
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19h42
*Flash !*
Sous le coup de la photo prise par l'appareil rétro de Chet, je me mets à voir mille étoiles, qui s'atténuent progressivement. Klaus a souri de toutes ses dents, sous son meilleur profil, qu'il considère être le droit.
"Rin-Rin, combien de temps ça faisait qu'on n'avait pas été photographiés ensemble, hein ?"
Il manque de renverser du champagne sur mes genoux en se servant, mais je souris.
"Je ne sais pas. Je pense qu'il doit exister des photos, du temps des 'Enfants' : Keechie en prenait".
Elles ont toutes probablement été emportées par le Kugelblitz, mais il m'aurait amusée de les trouver. Je sais que Chet n'aura jamais le temps de développer ces clichés avant que ses tablettes soient à leur tour pulvérisées. C'est dommage, l'album qu'il aurait remis à Luther et Sloane les aurait rendus très heureux.
Un instant, je les regarde tous tour à tour, installés aux différentes tables. Finalement, Ben s'est assis avec Allison, à l'opposé de Viktor qui reste seul. Sloane rit et se chamaille avec Luther, déjà comme un vieux couple, par instants. Lila chuchote des choses que je préfère ne pas entendre à Diego. Five, tout seul, continue à se pinter.
Dix humains, Ben a raison.
Je ne crois pas que ce soit un hasard, si ces êtres-là n'ont pas été emportés par le Kugelblitz, en dehors de ceux qui ont été en contact direct avec lui, comme ce pauvre Christopher, Marcus ou Fei. Ceux qui restent dans cette salle sont ceux qui ont été en quelque sorte protégés par la machine qu'est l'Hôtel Obsidian. Ceux qui constituent les plug-ins d'Oblivion.
"Tu as parlé à notre radieux Benerino ?", me demande Klaus, peut-être parce qu'il a remarqué que je le regardais.
"Un peu", lui dis-je. "Il est encore plus taciturne que l'ancien".
"Je sais, c'est adorable. J'essaierai d'aller lui ramollir les tentacules un peu plus tard".
Ben est celui pour lequel je m'interroge le plus, au regard d'Oblivion. J'ai du mal à appréhender son pouvoir, à en comprendre le lien avec la machinerie de l'univers. A saisir, également, pourquoi il était tellement indispensable à Hargreeves, et pourquoi l'Incident Jennifer se posait en tant que sorte de point fixe dans l'espace-temps.
"Le pouvoir de Ben est très violent pour lui, n'est-ce pas ?"
Je sais que Ben - le nôtre - a beaucoup souffert de la nature dévastatrice de ses aptitudes, qu'Hargreeves a littéralement utilisées pour des bains de sang. Je sais aussi que sa douleur physique est immense, à chaque fois que les appendices à ventouses sortent de sa poitrine. Tous les Hargreeves ont souffert psychologiquement de leurs pouvoirs. Mais physiquement, Ben a souffert et souffre encore, sans doute comme feu Feï, et Alphonso.
"Ben et moi...", souffle Klaus, "on se ressemblait, dans le sens où on devait gérer des entités surnaturelles à longueur de journée".
Je relève les yeux. Il n'a jamais - par le passé - formulé les choses comme ça. Il finit par prendre quelques cacahuètes et poser son menton dans la paume de sa main 'Goodbye', comprenant que ceci ne m'évoque rien.
"Les tentacules de Ben... c'étaient... ce sont... les appendices de l'Horreur, une créature d'Eldritch".
"Qu'est-ce que ça veut dire ?"
Klaus hausse ses épaules recouvertes de velours vert.
"Je n'ai jamais tout compris, mais il aurait à l'intérieur de sa poitrine... comme un portail vers un autre plan. Un plan abritant des créatures dignes des estampes shunga les plus sexy d'Hokusai... mais vraiment terribles".
Je baisse les yeux. 'Matière-Energie / Espace-temps / Plans', était effectivement une ligne qui faisait partie des notes d'Hargreeves.
"Que font ces créatures ?"
Klaus secoue sa profusion de cheveux.
"Je n'en sais rien, mais Ben... il avait tout le temps l'impression qu'elles essayaient de sortir. Il devait les contrôler sans cesse. Moi, j'essayais d'empêcher les fantômes d'entrer, et lui de laisser sortir l'Horreur".
Klaus n'a plus de chagrin lorsqu'il parle de Ben, simplement une affection peinée. Les autres, sans doute, ne pouvaient pas comprendre ce que tous deux vivaient. Et il ajoute :
"Il en cauchemardait, souvent, lui aussi. Il disait qu'il les voyait dévorer la réalité".
Il attrape la bouteille de champagne.
"Ironie du sort, c'est la grosse boule de feu du Paradoxe qui est finalement en train de s'occuper de ça".
Je ne dis rien, je retourne dans ma tête ce qu'il vient de me dire. Je me demande quel rôle ont ces créatures venues d'un autre plan, au sein Oblivion. Car il est évident qu'elles en ont un, et qu'il est crucial. Des créatures qui dévoreraient l'espace-temps ? Pour quoi faire ?
Je n'ai pas tellement le temps d'y penser plus avant : Klaus soulève la bouteille de champagne au-dessus de mon verre, prêt à me servir, mais je pose ma main dessus pour l'en empêcher, tout en mâchant ma salade de pommes de terre.
"Rien ? Pas même un fond ?"
"Non, merci, ce soir je m'en tiens à l'eau minérale".
"Rinny, ce n'est pas un goûter d'anniversaire, et on a juste un ascenseur à prendre pour retourner à la chambre-"
"Non, vraiment. Pas d'alcool".
Il fronce les sourcils, conscient que ce n'est pas dans mes habitudes et que, lorsque nous faisons la fête, d'ordinaire, je me laisse volontiers aller à un petit verre ou deux, sans jamais en arriver aux excès qui sont les siens. Je ne tiens pas très bien la picole, c'est un fait, peut-être parce-que - comme il le dit - je pèse le poids d'un chihuahua mouillé. Mais ce n'est pas la raison qui fait que je veux rester sobre ce soir.
"Klaus... Il y a quelque chose qu'il faut que je te dise".
Il se fige sur sa chaise, sa bouteille de champagne levée, clignant des yeux livides.
"Ne me dis pas que tu attends un événement statistiquement improbable et potentiellement très bouclé?".
"Non".
"Texan ?"
"Non. Non, putain, plutôt mourir".
Je sais que l'entrée en matière n'est pas la plus habile qui soit, mais je suis aussi consciente que je n'aurais plus beaucoup d'occasions de lui parler seule à seule, car l'heure de cette soirée avance.
"Tu sais que quand je suis pompette, je ne peux plus utiliser mon pouvoir comme je veux".
"Oh. Oui. Oui, évidemment".
Il le sait en réalité mieux que quiconque, étant donné qu'il a de son côté très longtemps utilisé ce procédé pour supprimer les voix des fantômes, avant de pouvoir aussi mettre à profit sa volonté et la méditation pour y parvenir. L'alcool compromet nos pouvoirs, à tous, tout comme le café - à l'inverse - les stimule. C'est d'ailleurs probablement la raison pour laquelle trois tasses trônent déjà sur la table, à côté de mon assiette.
"Ce soir, je veux être en pleine capacité de mes moyens".
Il me regarde.
"Ça a un rapport avec les plans de Papa pour sauver le monde une dernière fois, et avec le Bison Blanc, n'est-ce pas ?"
Klaus n'est pas con, même si on peut souvent avoir l'impression qu'il plane aux limites atmosphériques. Il me connaît mieux que quiconque, il a tout vu de mon obsession pour le Sigil, et de mon attirance pour cette Suite, depuis que nous sommes arrivés.
"Oui", lui dis-je pour faire simple, mais je ne veux pas qu'il imagine que je soutiens Reginald. "Ton père a réellement trouvé un moyen de tout remettre à zéro, mais il veut s'en servir pour lui-même, et pas pour notre bien à tous".
Je relève la tête, pour trouver la sienne derrière sa flûte de champagne, déjà vide et retournée pour faire tomber la dernière goutte dans sa bouche, avant de finalement me regarder.
"Peu importe, Rinny. Si toi et lui êtes convaincus qu’il y a un moyen de régler tout ça, alors je vous suivrai. Ça me donne deux très bonnes raisons de le faire : j'ai toute confiance en vous deux".
Est-ce que je suis flattée d'être mise sur un pied d'égalité avec son père ? Certainement pas. Mais il balaye déjà l'air de sa main.
"Je ne vais rien comprendre, je vous préviens, mais vous me direz comment il faut s'habiller et sur quels boutons appuyer".
Je soupire.
"Je n'en sais encore rien, et je veux justement aller investiguer. Mais j'ai compris que nous sommes indispensables, pour que ça fonctionne. Des plug-ins".
"Des plug-ins ? Tout d'un coup, tu as toute mon attention".
"Crétin".
Je ne sais pas vraiment ce qui se trouve par-delà le couloir de lumière caché par le pachinko, j'en connais juste les dangers. Mais ce qui me préoccupe le plus, dans l'instant, c'est que je sais que je vais être accaparée un moment pour ces investigations, avec une grande incertitude quant aux distorsions temporelles impliquées.
"Je vais sûrement disparaître un moment pour ça", lui dis-je en le regardant dans les yeux. "Je ne veux pas que tu t'inquiètes si tu ne me vois pas".
Il m'attrape par la nuque et me fait me rapprocher, dans les vapeurs éthyliques à cent dollars la bouteille de son haleine.
"Je ne m'inquiète jamais quand je ne te vois plus, Rinny, je te l'ai déjà dit. Même quand tu t'es volatilisée un an au début des années soixante, je n'ai pas douté que je te retrouverai à la fin".
Mes sourcils se pincent tandis que le côté de sa tête rencontre la mienne, car je sais qu'il pense vraiment comme ça. Klaus a toujours cette forme d'optimisme insensé, derrière ses ténèbres. Et cette confiance envers moi qui le rend convaincu de toujours me retrouver.
Autour de nous, la boule disco projette ses taches de lumière, à m'en faire tourner la tête, même si je n'ai rien bu. Je sais que, d'ici quelques instants, Klaus va retourner de tables en tables pour essayer de convaincre ses frères et soeurs d'adhérer eux aussi aux plans de leur père, possiblement jusqu'à ce que celui-ci descende et jette un froid sur cette fête déjà fort peu endiablée. J'attendrai patiemment ce moment pour m'éclipser, ici, à cette table isolée.
"J'espère que tu as raison", lui dis-je, car je ne suis pas aussi sereine. Je crains que les événements se précipitent ce soir, dans une direction ou une autre, comme plusieurs fois dans notre passé. Mais il rit légèrement.
"Bien sûr, que j'ai raison. Tu t'en sortiras toujours, toi. 'Crac !', tu disparais. 'Crac !', tu réapparais... T'es une putain d'étoile filante, tu brilles comme un diamant, et tous les deux on est comme Moonshine et Molly".
Je souris malgré moi, en entendant cette phrase maintes fois prononcée, et je pousse un long soupir en le tenant finalement un peu plus près.
"Fais gaffe à toi en mon absence, Moonshine".
"Ne t'inquiète pas, Molly. Au pire, on se retrouve dans l'au-delà. Mais je ne m'en fais pas..."
Il trinque avec son champagne sur mon café.
"... toi et moi, on a toujours été deux noix difficiles à briser".
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Notes :
Petit à petit, je construis mes théories au sujet de Ben, qui seront au coeur de la saison 4. Même si sa personnalité m'agace, j'aime énormément la complexité de ce personnage et de son pouvoir.
Aviez-vous remarqué que - dans la série - le chiffre avancé par Ben à Klaus au sujet du nombre d'humains restant dans l'univers n'a pas de sens, à moins de ne pas compter Chet... ou Hargreeves... Ou en excluant les deux, mais comptant Rin ? C'est en tout cas rectifié ici ! Et maintenant, vous savez que Klaus ne danse pas réellement seul, sur Teenage Dream, dans la série.
Il était triste pour moi d'écrire la scène finale de ce chapitre. Vous l'aurez compris, c'est le dernier moment qu'ils passent ensemble avant le reset. Mais je suis heureuse qu'ils l'aient eu, avant la croisée des chemins : Moonshine et Molly, comme depuis leurs 19 ans.
Ils se retrouveront, où que ce soit.
Tout commentaire fera ma journée ! ♡