Une courbure de l'espace-temps (saison 3)
Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 3, épisode 7 (autour de 08:20, pendant qu'Allison fume dans l'escalier, peu avant que Luther vienne lui parler).
Soundtrack suggérée : Lady Gaga - Highway Unicorn ; Imagine Dragons - Smoke and mirrors. TW: réflexions relatives à la mort, la vengeance et la perte de gens aimés.
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06 avril 2019, 13h39
En remontant de l'alcôve psykronique de Chris, je suis restée un moment hébétée, dans l'ascenseur qui faisait défiler des raies de lumière au travers de la grille. Machinalement, je suis retournée à l'immense thermos de café posé sur le bar du salon, et je me suis resservi un gobelet de nectar noir, plus grand encore que le premier.
Même si je sais que Chris a raison de vouloir tenter une dernière action pour contenir le Kugelblitz, je suis aujourd'hui mortifiée à l'idée que ceci pourrait mal tourner. Pour la première fois de ma vie, étrangement, je commençais à m'attacher durablement à une part de moi, et - ironiquement - c'est cet insupportable cube.
Aujourd'hui, Chris a aussi fait quelque chose d'immense, pour moi, au moins aussi importante que lorsque moi je lui ai permis de rencontrer Granny : il m'a fait comprendre qu'il n'avait pas plus de légitimité à exister dans cette timeline que moi. Ceci et les mots de Klaus, hier, m'en ont convaincue. Oui, j'ai ma place où que je me trouve : peu importe dans quelle partie de l'espace-temps. Tant que celui-ci continue à exister.
Mais comme pour enrayer directement cette nouvelle confiance en moi... une voix s'élève soudain dans le salon pseudo-mauresque, et vient sonner sur les motifs singuliers faits de cercles et de lignes venus de Makȟá Zuȟéča.
"Finalement, Chris a été bien avisé d'abandonner cette apparence".
La voix provient de derrière l'un des piliers du salon, qui soutiennent la galerie. Mais face à moi, posé sur le dossier de l'un des canapés, il n'y a rien de plus qu'une corneille, qui me regarde de ses yeux noirs.
Mon visage se ferme. J'ignore si Fei évoque la transition de Chris ou sa cubification, mais dans tous les cas, c'est odieux. De toute façon, elle ne m'a pas semblé briller non plus par sa bienveillance, et je n'attendais pas grand-chose d'elle, si ce n'est qu'elle me fiche la paix.
"Garde tes sarcasmes pour ton frangin, Fei, laisse-moi en dehors de vos chamailleries".
Elle apparait dans le salon, ses bras croisés se terminant par de longs doigts qu'elle a une façon singulière de poser. Ses lunettes cachent mal le fait qu'elle n'a plus d'yeux, mais des sutures. Il n'est pas difficile de deviner que se sont ses propres corneilles qui les ont mangés, probablement dans l'enfance, quand elle ne maîtrisait pas encore bien son pouvoir. Maintenant, elle voit à travers eux, aussi nettement que moi je la vois.
Ses oiseaux sont parfaitement matériels, une forme d'extension tangible de son propre corps, reliés à son système nerveux. Lié à la matière et l'énergie physique, son pouvoir est quelque part moins différent du mien que ceux de Sloane, Diego ou Luther, liés aux forces et trajectoires. Malgré tout, je me sens plus éloignée d'elle que de quiconque, car d'empathie - elle - me semble complètement dénuée.
"Chris n'est plus lui-même, depuis que tu es arrivée".
Elle est plantée sur les tapis, tournée légèrement de côté avec un petit sourire narquois. Je ressens une furieuse envie de chasser son volatile, mais je sais que je n'obtiendrais rien de bon en faisant ça.
"C'est une forme de psychose du paradoxe atténuée, nous pouvons déjà nous estimer heureux de-"
"Non. Il est en train de s'attendrir. Tu me le change en putain d'oisillon".
Son ton est agressif, mais je choisis de faire comme si c'était un compliment.
"Peut-être que c'est ce qu'il est au fin fond de son cube, et qu'il ne l'a pas développé parce qu'il a grandi avec une nichée de trous de balles odieux".
A part Sloane, soit. Sloane mérite d'être sortie du lot. Mais je comprends que je ne dois pas entrer dans la joute verbale où Fei m'entraîne, car c'est exactement ce qu'elle veut. Et elle hausse de toute façon les épaules.
"L'une des représentantes des odieux trous de balles était venue te dire que le téléphone a sonné, et que c'est pour toi. Dans le couloir des chambres".
L'un de ses longs doigts se déplie en direction du hall et de l'escalier rouge. Cette façon qu'a Fei de rendre sa voix suave tout en agissant de façon à la fois serviable et imbuvable est déroutante. Vraiment, je plains Chris d'avoir dû partager avec elle des missions et une salle de bain, pendant toutes ces années. Mais le téléphone ? Pour moi ? Je ne vois malheureusement qu'une possibilité. Et je soupire.
"Ok. Merci".
Je fais un pas pour emporter mon énorme mug de café hors du salon, mais sa corneille s'envole et vient faire un piqué aérodynamiquement parfait, juste au devant de mes pas. Je pile, je me retourne en plissant des yeux pleins de prudence.
"Je sais aussi que ça vient de toi, cette idée merdique de collaborer, alors que vous nous avez fait perdre Jayme, Alphonso, et d'une certaine façon, Marcus".
Je fais un nouveau pas, mais la corneille croasse en donnant un à-coup d'ailes, ses serres effleurant mon bras. Je peux confirmer qu'elles sont tangibles et tranchantes : vous n'auriez pas envie de vous opposer à ces oiseaux là. Fei... est une arme, littéralement. Et - de façon générale - la plupart des Sparrows ont des pouvoirs particulièrement adaptés à la défense, et aux situations de combat : bien plus que les Umbrellas, comme si ceci avait été intentionnel. Comme si c'était sur ce point que Hargreeves avait voulu les compléter.
"C'est faux. Chris le veut aussi. Sloane et Luther ont fait le même chemin de leur côté, et maintenant Ben va convoquer une réunion, c'est bien qu'il en a été convaincu".
Par leur père, c'est évident pour moi, mais il n'est certainement pas utile de le dire ici. Et Fei grince des dents. Je peux sentir à quel point Ben l'agace, dans tout son être. C'est comme si toute sa matière et toute son énergie se hérissaient comme les poils d'un chat, simplement à l'évocation de son frère. Les enjeux de pouvoir au sein des Sparrows sont en réalité extrêmement forts. Oui. D'unis et d'efficaces, ils n'avaient vraiment que la réputation.
"Merci d'avoir fait mon standard", lui dis-je de façon un peu provocante, certainement comme Chris l'aurait fait, et elle libère deux oiseaux de plus par réaction épidermique. Alors je ris doucement, je me rends intangible, et je laisse simplement ses bestioles me passer au travers, croassant de colère frustrée.
Un petit geste de la main, et je disparais du hall.
*Crac !*
Je visualise tellement bien cette grande baraque qu'il ne m'est pas difficile de m'y téléporter n'importe où.
"Allo ?"
Dans ma main, le combiné téléphonique en bakélite pèse une tonne, tandis que mes yeux errent sur le couloir des chambres, où une sur deux sont maintenant inoccupées. Mais je ne me voyais pas squatter la piaule de Marcus ou de quiconque, la nuit dernière : j'ai encore quelques notions de respect. Seulement des halètements erratiques me répondent, alors que je répète :
"Allo ? Oh hé Klaus, je sais que c'est toi".
Si vous saviez combien j'en ai reçu, des appels de ce genre, le plus souvent passés d'une cabine téléphonique des bas quartiers avec une pièce mendiée, à 2h du matin. Mais aujourd'hui, c'est différent. je m'inquiète à la fois bien moins... et bien plus. Parce que je ne sais pas ce que Klaus est réellement en train de faire avec son père au milieu de la cambrousse.
"Rin-Rin, c'est la pire pause déjeuner de ma vie".
Je lève les yeux au plafond et m'adosse contre le mur de l'escalier rouge sur lequel est accroché le poste téléphonique.
"Pourquoi ? Vous avez fait étape dans une fromagerie ?"
Klaus soupire théâtralement au bout de la ligne, et je ne suis pas idiote, je sais très bien que son intolérance au lactose n'a rien à voir avec son sentiment du moment.
"Non. Mon père est HORRIBLE, en fin de compte. Tu avais raison, sur toute la ligne. Il a l'air plus gentil que l'ancien, mais il-"
Il se tait d'un coup, et je devine que Reginald Hargreeves n'est pas loin, dans la petite station essence de bord de route dont j'entends les sons derrière lui. Je l'imagine bien lui adresser un sourire tout en miel en attendant qu'il s'éloigne, et je ris doucement.
"... il te tue depuis hier soir, je sais. J'ai supporté ton interrupteur énergétique s'allumer et se rallumer encore et encore jusqu'à une heure avancée de la nuit".
Avant-hier, Klaus s'inquiétait de ce qu'il m'infligeait à chaque nouvelle occurrence de ses morts. Depuis hier soir, il en a connu au moins autant qu'en treize ans. Et je devine qu'Hargreeves a enfin migré plus loin, possiblement en direction du rayon des gâteaux, car Klaus murmure en crachant à moitié dans son propre combiné :
"Il continue. Il me fait jouer à 'ballobus' sur la route nationale 112. Ça fait quelque chose comme sept fois que je me fais percuter depuis ce matin, et il râle encore en me disant que j'ai intérêt à améliorer encore le chrono après le déjeuner..."
Ce n'est pas drôle - pas drôle du tout - et pourtant, mon envie de rire est irrépressible, en cet instant. Je m'en empêche, parce que rien qu'à sa respiration, je peux dire que Klaus est crevé et frustré. Et un fait traverse mon esprit caféiné.
"Sept fois ? Et aucun véhicule ne s'est arrêté ?"
Je savais - toutefois - que les conducteurs des lignes transcontinentales étaient sans foi ni loi.
"Pas un ! Ils accélérèrent, comme si j'étais une famille d’opossums ou un putain de raton laveur ! Mes jambes se sont cassées trois fois, et ma hanche deux. Et ma veste en cuir, à franges, tu sais ? Ma préférée. Elle est complètement ruinée. RUINÉE. Misère de misère, qu'est-ce que je vais mettre, maintenant, si on va à un festival country ?"
Ce n'est pas le moment de lui dire que le Kugelblitz est déjà devenu un frein majeur pour tout le secteur événementiel, étant donné que la ville s'écroule littéralement autour de nous. Si sa veste est ruinée, je doute de pouvoir lui remonter le moral rapidement.
"Je vois qu'au moins tu comprends mieux comment tu fonctionnes, comme tu étais venu lui demander..."
N'oublions pas que Klaus reste celui qui a initialement réclamé tout ceci. Dont je saluais encore le courage il y a peu, mais que je sens en cet instant dégonflé comme une vieille chambre à air.
"Je me répare rapidement, ça c'est sûr. Encore plus vite que quand je me suis pété le poignet en jouant à Twister sous oxycodone".
C'est un fait : cet aspect du pouvoir de Klaus s'est énormément accentué au fil des années. Bien sûr, j'avais remarqué qu'il cicatrisait plus vite que tout le monde, que ses fractures se réduisaient d'elles-mêmes, qu'il était concrètement immunisé à toutes les MST - dieu merci - qu'il était incapable de chopper la grippe, même quand elle terrassait tout le dortoir de la désintox. En dehors de rash dermatos chelous et de son intolérance aux produits laitiers, Klaus a toujours dominé le game de la santé, en dépit de tout ce qu'il se fait subir à lui-même. Et bien sûr, je sais pourquoi.
"Mais toi ? Toi, tu veux l'améliorer, le chrono ?"
Cette question est la seule qui compte. Je n'ai aucune objection à ce que Klaus utilise l'implication démesurée d'Hargreeves, si c'est dans l'intention de mieux comprendre et maîtriser ses capacités. Il met un instant à répondre, et puis il finit par souffler, alors que la radio derrière lui crache la musique de Lady Gaga.
"Oui".
Je cligne des yeux, toujours appuyée contre le mur de l'escalier rouge.
"Tu n'arrives pas à comprendre comment faire ?"
"Non. Mais mon trouble de l'opposition est au top de sa forme, lui aussi".
Je souris, parce qu'à mon avis il touche au noeud du problème.
"Tu rejettes tes morts, Klaus. Et si tu essayais de les accepter, pour voir ?"
Il reste un moment silencieux. Très longtemps, par rapport à ses standards. Je viens de faire sonner une corde à l'intérieur du yukulele désaccordée qu'est sa tête, j'en suis sûre, mais je pense aussi que son père est revenu, car je crois l'entendre converser avec le caissier qui fait biper des achats.
"Je vais devoir y retourner", me dit-il à contrecoeur.
"Et moi, je vais rentrer à l'Hôtel, si tu me cherches à nouveau".
Il y a un dernier silence, comme un accord tacite entre nous. Et puis, après avoir soufflé "Merci Rin-rin", il raccroche en ne laissant derrière lui que le bip continu de la communication coupée.
Lentement, je raccroche, je mets mes mains dans mes poches. Et alors, je traverse le couloir des chambres en direction de l'autre escalier, celui qui n'est pas peint en rouge mais dans un vert pisseux, et qui descend vers la sortie de derrière, donnant sur Rigel Street et non sur Rainshade Square. Celle qui était toujours fermée à triple tour, dans notre version de 2019, et par laquelle les Sparrows - eux - sont autorisés à circuler librement.
Sous mes pas, les marches usées défilent dans une lumière ténue. Mais rapidement, une odeur me saisit, que je n'avais pas sentie depuis longtemps. Un tabac riche, légèrement sucré, peu âcre et luxueux. Celui des cigarettes Davidoff qu'Allison fumait dans notre ancienne version de 2019.
"Merde", je murmure pour moi-même.
Je suis tentée de téléporter au dehors. Croiser Allison n'est pas exactement dans mes plans, aujourd'hui, et lui parler encore moins. Mais elle est là, tout en bas de l'escalier sur les dernières marches, à souffler dans l'air épais des volutes et des ronds de fumée, qui s'élèvent et tourbillonnent un instant avant de se dissiper.
Je ne lui ai pas parlée, depuis que nous sommes arrivés en 1963 : nous n'avons fait que nous croiser. Mais toute sa personne me semble avoir muté, jusqu'au point d'orgue d'hier soir, où j'ai compris ce qu'elle a fait à Harlan. Un geste qui dépasse l'entendement, un assassinat pur et simple.
Je sais que les Hargreeves ont un rapport différent du mien au fait de donner la mort, en raison des actions qu'ils ont été forcés de mener très jeunes, au cours de leurs missions. Je le sais surtout par le prisme de Klaus, qui a - au contraire - développé une forme de rejet de ça, au point d'être devenu incapable de tuer les moustiques en été. Je ne sous-estime pas l'épreuve que ses mois au Vietnam ont constitué, je suis heureuse que Dave l'ait aidé à traverser ça. Mais Klaus - lui - est de toute façon dénué de cette colère et de cette rancoeur qu'Allison accumule sans cesse, contre elle-même et contre le monde qui l'entoure.
Je descends encore quelques marches, arrivant à son niveau, mon langage corporel indiquant clairement que j'ai l'intention de poursuivre mon chemin. Et elle me dit, sans même lever les yeux vers moi :
"Tu n'as qu'à te rendre intangible et passer à travers moi, si tu veux passer".
Qu'est-ce que c'est ? Du défi ? De l'insolence visant à quoi ? Le chaos pour le chaos ? Je tenais Allison en relative estime, il y a encore peu de temps. Je suis attristée de constater ça, et je serai - comme toujours, même lorsqu'elle n'était capable de s'exprimer qu'à l'aide d'un carnet - franche avec elle.
"Tu files du mauvais coton, Allison".
Je ne suis pas du genre à juger les gens. J'essaye toujours de comprendre leurs raisons pour agir, j'arrive à le faire même avec Reginald Hargreeves, maintenant, d'une certaine façon. Mais Allison s'enfonce dans des ténèbres qui me dépassent.
"Tu ne sais rien", me dit-elle, toujours sans rétracter ses jambes, et en tirant de nouveau sur sa cigarette. "Tu ne sais pas ce que c'est que d'avoir tout abandonné pour retrouver ta fille qui n'existe finalement pas, parce qu'un type au hasard 'n'a pas fait exprès'".
Je fronce les sourcils.
"Un type au hasard ?"
Elle rit sans la moindre trace d'humour dans sa voix, tandis que des ronds de fumée parfaits montent plus haut, le long de la rampe de l'escalier vert.
"Presque au hasard. Un type que Viktor a rendu capable de dézinguer nos mères avant même notre naissance, à distance, juste par accès de colère, comme un môme se roulerait par terre en criant".
Je ferme les yeux, comprenant ce qu'il s'est passé. Harlan. Harlan a été la cause de la mort de leurs mères et d'autres encore. Allison l'a tenu pour responsable, et d'une certaine façon Viktor. Elle a agi par pur acte de vengeance, et ses yeux brillent, quand elle me regarde enfin. Et elle ajoute.
"Alors non, tu ne connais pas ce vide. Tu ne sais pas ce que c'est qu'un mariage heureux. Tu ne sais pas ce que c'est que de tenir la chair de ta chair dans tes bras, puis de la voir effacée de la réalité".
Allison sait que toutes ces conneries de mariage ne m'intéressent pas, que tout mon être se hérisse à l'idée d'engendrer la moindre progéniture. En cet instant, elle essaye juste de me blesser, comme s'il lui était insupportable que je ne ressente pas sa douleur à elle. Mais elle ne pouvait pas tomber plus à côté.
"Non, je ne sais pas pour les maris et les enfants. Mais moi aussi j'ai perdu des gens, et je continue d'en perdre encore. Toi non plus tu ne sais rien".
Elle ignore tout de ce qui est arrivé à Granny, notamment, mais je ne lui en parlerai pas. Allison n'a jamais été prête à écouter qui que ce soit. Elle ne sait que parler d'elle. Et je réalise que je suis encore assez sotte pour tenter de l'aider. Je m'accroupis dans l'escalier, dont elle m'obstrue toujours le passage : je m'assois sur la marche au-dessus de la sienne. Et je murmure, même si je sais que c'est violent à entendre et qu'elle va détester ça.
"Allison, ta fille, tu l'avais déjà perdue".
J'ai été douce, à mon échelle, mais elle siffle presque :
"Je ne peux pas croire ça. Il doit y avoir un moyen de rentrer. Si seulement la foutue mallette de Cinq fonctionnait encore".
Je secoue la tête, lentement.
"Ceux que nous aimions ont tous péri dans la timeline de l'apocalypse de 2019. Même si Claire avait existé ici, elle aurait été la fille d'une autre version de toi, avec une autre trajectoire. Elle n'aurait pas été la Claire que toi tu as élevée".
Tout comme Chris n'est pas devenu moi. Tout comme le vieux Dave qui a peut-être déjà été emporté par le Kugeblitz a Cleveland n'a pas vécu la vie de celui qu'a connu Klaus. Il faut intégrer que l'espace-temps est fait de rencontres et d'opportunités nouvelles, pour nous maintenant, et que nous ne 'rentrerons' jamais 'chez nous'. Mais Allison le rejette, encore et encore, de tout son être.
"Je suis sûre qu'il existe une possibilité".
J'ai bien compris que son esprit était incapable de se résigner à l'idée de perdre qui que ce soit. Ce qui aurait pu être beau, si elle ne l'avait pas exprimé de façon violente et dangereuse. Allison a toujours mené une vie où elle accédait à ses désirs, avec puis sans rumeurs. Hargreeves a cultivé ça en elle, comme il a entretenu le romantisme de Sloane, ou bien mon empathie. Allison a toujours façonné le réel à sa façon : elle découvre littéralement que le monde peut parfois lui résister, la rendant plus dangereuse encore.
Aujourd'hui, je la sens prête à tout - réellement - pour retrouver ce pouvoir sur la réalité. Pour retrouver Claire. Pour revoir Ray. Et maintenant que j'ai vu la liste des plug-ins de la machine Oblivion, sur le carnet de Reginald Hargreeves, j'ai peur, très peur. Car j'ai bien compris que l'un d'entre eux était lié à cette capacité qu'elle porte en elle de reparamétrer le réel.
"Il faut se reconstruire autrement, Allison. Et nous sommes encore là les uns pour les autres".
Je ne sais pas pourquoi j'essaye. Elle est fermée, ténébreuse, et ne m'écoute pas.
"C'est des conneries, Rin. Tout ce que nous vivons sont des illusions, des mirages. Un battement de paupières, et tout ça n'existe plus. Ou existe différemment. Rien de tout ça n'est vrai".
Mes sourcils se pincent.
"Ce que j'ai fait à Harlan n'a pas d'importance non plus. Il y a sans doute une bonne centaine d'autres réalités où il va très bien, à écouter ses putains de cassettes de gargouillis intestinaux ou d'insectes à la con".
Je comprends qu'elle souffre d'une forme de mal des timelines. Qu'elle tombe dans le relativisme où plus rien ne lui semble vrai ou n'avoir d'importance - pas même de tuer queqlu'un - puisque des réalités alternatives existent quelque part. Une forme de folie désespérée, née de sa dépression.
"Tu te trompes, mais tu as besoin de le comprendre par toi-même", lui dis-je en me levant de nouveau et en passant finalement effectivement au travers d'elle, immatérielle, car elle ne bougera pas. Je ne peux plus rien faire pour elle : personne ne le peut, je crois. Je crains qu'elle ait besoin d'aller au bout de sa folie, de son ultime caprice, pour le réaliser. Aux dépens de qui, cette fois ?
"Garde tes analyses psy de comptoir pour ton cher Klaus, tu veux ?"
J'hausse les épaules, je ne soupire même pas. Et alors, sans même un salut d'aurevoir, je bifurque vers la porte qui me mènera dans la rue.
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Notes :
J'anticipais réellement l'écriture de ce chapitre, car écrire Allison dans la saison 3 n'est pas quelque chose avec laquelle je me sens à l'aise. Et pourtant, il y avait un certain nombre d'analyses que j'avais besoin de poser, dans son développement, et dans l'impact que celui-ci aura sur la fin de saison... et la saison 4.
Heureusement que Klaus était là en milieu de chapitre. Car la rencontre de Fei n'était pas de tout repos non plus !
Tout commentaire fera ma journée ! ♡