Une courbure de l'espace-temps (saison 3)

Chapitre 10 : Puppen Toten

3966 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/10/2024 08:53

Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 3, épisode 3, autour de 14:00 (à la suite du chapitre précédent, en toute fin de soirée).


Soundtrack suggérée : Sid Phillips - Sugar Beat ; Die Toten Hosen – Hier kommt Alex. TW: allusions sexuelles amusantes.


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4 avril 2019, 01:15 am


"Le cube".


Au dessus de son Irish coffee à moitié consommé, Klaus me fixe avec perplexité. Encore plus que quand il a appris que Granny faisait partie du Beau Monde, et qu'elle était costumière de toutes les comédies musicales et shows de Drag de Crescent Avenue.


"La foutue boîte énervée des Sparrows qui ressemble à un hypercube des Time-Lords, c'est toi ?"


Peut-être pour son allusion désagréablement pertinente à Dr Who, ou peut-être simplement pour l'ironie de la situation, il se met à rire : nerveusement et irrépressiblement. Et je grommelle.


"Pas ~moi~. Celui que j'aurais pu devenir si j'avais été élevée par ton putain de père à monocle".

Il s'en écroule presque de rire sur le comptoir, manquant de renverser son verre, et ma tasse.

"Rin-rin, ce truc ressemble à un concentré en boîte de conserve de ta grand-mère d'origine..."

"Tu es désobligeant".

"Mais non ! J'en peux plus. C'est tellement parfait".


Il rit encore, au point pratiquement d'en pleurer. J'ignore pourquoi je me sens aussi agacée, alors que je devrais le prendre comme lui. D'une certaine façon, j'ai un peu l'impression qu'il se moque de moi à travers Christopher, et ça m'agace encore plus.


"Eh, oh, c'est bon, maintenant. Moi, je n'ai pas ri en apprenant que tu étais Amish".

Il prend une large inspiration, et pointe un doigt vers moi.

"Attention, Rin. Attention. Cinq a été très clair et me l'a formellement interdit : tu ne dois sous aucun prétexte céder à la tentation de coucher avec ton Doppleganger".


Son fou-rire reprend, et il s'en tient les côtes, ce qui déclenche de ma part un petit coup réflexe en direction de son bras. Il hoquète, puis se calme enfin un peu, essuyant le coin de ses yeux avant de retirer son bonnet de bain violet qu'il pose sur le zinc.


"Fiou... Je crois que je n'ai pas ri comme ça depuis 1961".

"Grrmmm"

"Est-ce que tu pètes, quand il est dans les parages ?"

Je secoue la tête.

"Je ne sais pas. Pas plus que d'habitude. La première fois, je ne suis pas restée très longtemps, et tout à l'heure, il était isolé dans cette espèce de bunker du sous-sol, qui filtrait la plupart de son énergie".

"Le bunker du sous-sol..."


Je vois que cette mention fait retomber son hilarité, pour même lui tirer une expression un peu peinée. Je sais que Viktor avait été enfermé dans ce sous-sol. Numéro Sept, lui aussi. J'y ai moi-même pensé, dans le bus un peu plus tôt. Et j'hoche la tête pour lui signifier que j'ai compris, avec un soupir d'impuissance.


"Cette fois, on aurait plutôt dit une base de recharge, ou un caisson de repos. Avec... tout une technologie compliquée, pour permettre de continuer à contenir son énergie là-dedans. Ton père a appelé ça... 'Kryptonium'... ou 'Psykronium', peut-être".


Et Klaus hoche la tête, enfin revenu à un peu plus de sérieux, même si ses cils sont résiduellement mouillés. Il acquiesce.


"C'est une situation un peu similaire à celle qui a conduit Luther à devoir utiliser du shampooing démêlant sur son torse, en fin de compte. Il vous... il les a sauvés d'une situation désespérée".

Je ne peux que hocher la tête, car il a raison.

"Oui. Et je peux me douter que ce n'est pas par altruisme ou par amour paternel".


Klaus boit finalement à nouveau de son Irish Coffee, et moi, je demande un autre café. Je crois que le barman aimerait bien que nous dégagions, pour que sa journée soit enfin terminée.


"Il ne se téléporte pas, n'est-ce pas ?"

J'hausse légèrement les épaules.

"Il a peut-être su par le passé, je n'en sais rien. Il pouvait se rendre intangible en tout cas. Il semble que maintenant... il se concentre sur la manipulation de l'énergie, en pénétrant les machines et le système nerveux des gens".

Klaus penche la tête : on dirait bien que ce que je viens de lui dire fait écho.

"Il peut provoquer des sensations de froid, de peur et de douleur, j'étais là", dit-il. "Et il a électrocuté Diego plusieurs fois. Directement dans le cul, c'est tellement brillant. Tu pourrais faire ça aussi ?"

"Bien sûr que non !"

"Quelle rabat-joie".


La vérité est que peut-être que oui. Je n'en sais rien. Et surtout : ce n'est pas la voie que j'ai choisi d'explorer, comme aucune voie qui puisse faire souffrir ou blesser. Un jour, Cinq m'a dit ceci : que la nature de nos pouvoirs était moins déterminante que ce que nous en faisions. Mon second café arrive, et j'y noie mon regard pensif tandis qu'il se lève et me contemple gentiment depuis sa hauteur.


"Rinny, il paraît que rire fait gagner de l'espérance de vie, et je crois que tu m'as fait gagner quinze ans".


Je grogne un peu pour la forme, tandis qu'il remet son bonnet de bain et que son sourire retombe un peu. Je devine qu'il vient de revenir à la réalité de sa journée à lui, et de repenser à sa déception au fin fond de la Pennsylvanie. A l'absence absurde de cette mère qu'il ne connaît pas, et à son désir de trouver un coupable. Et il soupire.


"Je vais aller retirer tout ça, me faire un masque à l'huile de jojoba en prévision de l'agression cutanée de la vapeur dans les tuyaux de l'Académie demain... et puis dormir comme un chiot dans son panier".


Il me tapote l'épaule gentiment, et je me raidis un peu. Mais j'acquiesce.


"Appelle-moi si quoi que ce soit tourne mal", lui dis-je. Le numéro de la quincaillerie n'a pas changé dans le bottin. C'est toujours la seule de la 125e rue".

"Pareil pour toi. Appelle à l'accueil et laisse un message à Chet en cas de besoin ? Je le trouverai en rentrant".

"Oui. Ok".


Je souris vaguement. La seule chose que je risque, moi, c'est de confondre le calibre des vis et des boulons. Ou - ironiquement - de disparaître avec l'une de ces terribles vagues d'énergie, auquel cas je ne pourrai pas appeler du tout. Mes yeux balayent l'aquarium vide des homards. Les journaux et la télévision ont commencé à tourner en boucle sur le sujet, à présent. Mais ici, dans le jazz et la lumière feutrée du creux de la nuit, on pourrait toutefois croire à tort que rien ne peut arriver.


"Essaye de dormir, Rin..."


Je lui fais un petit signe avec un sourire fatigué tandis qu'il tourne les talons et emporte sa longue silhouette recouverte de néoprène à travers le lobby. Le barman débarrasse son verre immédiatement. Et tandis qu'il disparaît dans l'ascenseur, je regarde de nouveau dans ma tasse et pousse un soupir profond. Il m'a fait du bien de le lui dire pour Granny, pour Christopher, et même qu'il en rie. Même si je l'ai tapé. Entendre Klaus rire est toujours à la fois naturel et une forme de miracle. Et en réalité, je crois que j'avais besoin de lui pour dédramatiser.


Quelques instants, je reste la tête vide, à simplement écouter la trompette de Sid Phillips que la stéréo du bar diffuse encore, même à cette heure déjà avancée de la nuit. Je ferme les yeux. Je suis épuisée, mais mon corps ne saurait rien faire d'autre qu'à peine somnoler, et le café tardif n'en est pas la cause, car il ne me fait plus grand chose depuis bien des années. J'écarte ma tasse, et je pose mon front sur mes bras croisés. Un long moment encore.


Jusqu'à ce que j'entende le tabouret à côté du mien crisser un peu.


"Alors, tu n'es plus faite de foutu ectoplasme ?"


Mes yeux s'écarquillent contre le tatouage de mon avant-bras, et je relève rapidement la tête. Une décoloration blonde sur une peau de la couleur de la cannelle, une lèvre inférieure légèrement éclatée par l'un ou l'autre coup de poing dans la face, des yeux fardés qui lui donnent un air de belette à la fois sarcastique et adorable. Celle que je connais sous le nom de Lila est en train de mâcher du chewing-gum, tout en se perchant sur son tabouret, une jambe repliée sous elle et l'autre dans le vide. Elle porte des grosses bottes à lacets comme celle que j'affectionne moi aussi. Et je la fixe en retour.


"Et toi ? Tu n'essayes pas de nous trucider, cette fois ?"

Elle sourit espièglement en dévoilant toutes ses dents.

"C'est encore très tentant, mais j'ai mes raisons de vous donner un sursis".


Bon sang, cet accent british. Si elle ne le partageait pas avec Hargreeves, je pourrais presque trouver ça sexy. Et je reste affalée, tournant juste la tête de la façon qu'il faut pour lui parler.


"Un sursis ? Tu veux dire que-"

*Crac !*


Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase, elle s'est déjà téléportée du tabouret à ma gauche à celui à ma droite, et je me relève vivement en tournant ma tête dans sa nouvelle direction.


"Ça doit tellement faire chier Cinq de ne pas être original", dit-elle tout en se rendant immatérielle et en passant à travers moi pour revenir à sa position d'origine, où elle se hisse avant de disparaître dans l'invisibilité au milieu d'un rire. Je soupire, et repose ma tête dans mes bras. Je me dis que quand elle aura fini ses petits essais, elle arrêtera. Et elle réapparaît sur le tabouret, le gros pot de cacahuète de derrière le comptoir à présent dans ses bras. Celui auquel les clients n'ont normalement pas accès. Elle a cette impertinence chaotique que j'avais aussi dans le temps. Sauf qu'à ma différence, elle ne s'est clairement pas rangée. Et je la regarde.


"C'est dingue, ton pouvoir", lui dis-je. "Un genre de copycat".

"Miaou".


Sa réponse me fait rire, tout autant que son petit geste griffu de la main. Et je suis intriguée.


"Tu dois être en présence d'une personne ayant un pouvoir pour mettre en marche le tien... Comment tu as su ?"

Elle hausse les épaules et abandonne son chewing-gum au cendrier.

"Je n'en savais rien. Mais le jour où j'ai été en contact avec vous, ça s'est produit comme par la plus pure évidence. C'est comme le sexe la première fois. C'est pas parfait, mais au fond on sait quoi faire".


Je penche la tête de côté, parce que sa comparaison n'est peut-être pas si sotte. Mais je lui demande plutôt :


"Cette raison que tu as d'être là... C'est Stan, et Diego, n'est-ce pas".

Elle hausse les épaules, sa jambe se balançant dans le vide.

"Entre autres".

Elle ouvre le couvercle et pioche une large poignée d'arachides salées.

"La famille, c'est des conneries. Mais pour l'instant, je suis coincée ici avec une mallette pétée et un enfant à charge, alors autant cohabiter".


Je la regarde, de haut en bas. Il y a quelque chose de différent, dans l'énergie que je perçois d'elle. Je peux sentir ses Marigolds de façon évidente, tout comme je sens les miens. Mais il y a plus. Elle possède aussi une autre énergie, distincte de la sienne. Bien nichée au creux de son abdomen.


"Un enfant à charge", je répète en essayant de contrôler la suspicion qui vient de me traverser, me retenant de suggérer que Stan pourrait bientôt avoir du renfort. Mais je récupère vite mon regard qui traine un peu trop au dessous du niveau de son nombril, et je passe une main sur mes yeux.


Même si je n'étais pas dans un très bon état, je me souviens clairement du moment où - dans la grange texane des Cooper, en 1963 - Diego lui a dit qu'ils pouvaient être une famille. Je crois que je n'avais pas soupçonné, à ce moment, à quel point cette parole allait possiblement prendre une autre dimension. Et je la plains, quelque part. Parce que - moi - j'ai toujours tout fait pour ne pas être complètement assimilée aux Hargreeves. Je reste convaincu que c'est le pire des nids à problèmes, mais à son air malicieux, je vois qu'elle s'apprête à me poser des questions qui dérangent, en bonne fouille-merde intelligente qu'elle me semble être.


"Tu ne fais pas partie du lot, hein ? Des Hargreeves".


Je soupire, mon doigt traçant la faïence parfaite de ma tasse art-déco. Je ne sais plus bien quelle est la réponse à cette question, étant donné que j'ai ma place dans les plans de Reginald Hargreeves, possiblement comme elle. Le fait-même d'appartenir à une forme de "groupe-témoin" d'enfants élevés en dehors de son emprise directe m'a catapultée encore plus dans le sentiment d'être son jouet. Et je n'ai pas envie d'imposer à Lila ce soir l'idée qu'il puisse en être de même pour elle.


"Non", lui dis-je, parce que pendant longtemps, c'est ce que j'aurais répondu. "J'ai été élevée seule, avec ma mère et ma grand-mère".


Ceci reste vrai : personne ne pourra me retirer ça. Je sens une ombre passer sur son visage quand j'évoque la notion de mère. J'ai bien compris ce qui lui avait été fait. Que ses parents avaient été descendus sciemment par la Commission, et qu'elle avait été élevée en son sein par la Directrice. Je me demande si ceci avait été prévu par Hargreeves. Et comme en apprenant son échec avec Christopher, je me demande - à nouveau - si vraiment le vieil homme au Monocle est aussi infaillible que ça. Une pensée qui - à elle seule - pourrait me faire crever de satisfaction. Mais ce n'est pas le lieu et l'heure d'évoquer ça, et elle me demande :


"Combien de temps ça fait que tu supportes ces tarés ?"

Je rit doucement.

"Ça dépend. Klaus... toutes années et timelines confondues... ça fait treize ans. Ou quelque chose comme ça. Les autres, finalement... quelques mois, mis bout à bout".


Putain, ce que ça fait du bien de pouvoir prononcer ces mots auprès de quelqu'un qui les comprend. Et Lila enfourne une autre poignée de cacahuètes avec une expression compatissante.


"Je ne le connais pas, hein, mais il a toujours cet air là, Klaus ? Tu sais. De chaton désorienté, tout mouillé sous la pluie ?"

J'hausse un sourcil, mais je ne souris pas.

"Il a son lot à porter. Avec le même père, il n'a pas eu la même histoire de vie que Diego. Et je crois que tu sais quel est son pouvoir, étant donné que tu l'as copié devant la grange".


Je le sais, car autrement elle ne m'aurait pas vue, car j'étais à ce moment uniquement constituée d'énergie spectrale. Et elle ne nie pas.


"Son pouvoir, c'est de la cochonnerie. Je préfèrerais m'étrangler avec cette cacahuète plutôt que de revoir ses fantômes, même une minute".

Je la fixe. C'est la première fois que quelqu'un peut réellement apprécier ce que vit Klaus de l'intérieur, ce qui me trouble passablement.

"Tu les as sentis..."

Elle hoche la tête, même pas tant désolée pour lui que ça, et hausse les épaules.

"J'en avais au moins une douzaine autour, près à me sucer le visage pour que je les écoute, quand j'ai arrêté. Je ne sais même pas ce que j'aurais pu en faire. Lancer un groupe de parole spectral ?"


Je cligne des yeux.


"Tu aurais pu les matérialiser. Te servir d'eux pour léviter. Peut-être les aider à se décoincer et à passer dans l'au-delà. Les rallier à ta cause et les faire combattre. Peut-être les faire revenir à la vie, va savoir. C'est ce que eux souhaitent, pour certains en tout cas".


Elle me fixe.


"Il sait faire ça, Klaus ?"

Je secoue la tête.

"Klaus... est trop terrifié par son propre pouvoir pour explorer tout ça".

Elle me tend le gros pot de cacahuètes.

"Je peux comprendre. Il a clairement tiré la paille la plus courte. Et sinon, vous couchez ensemble dans un sens ou dans l'autre, ou ça se passe comment ?"


Je manque de m'étrangler tant elle me prend de court. Personne, en aucun temps - pas même Allison - n'a posé cette question de façon si frontale. Mais Lila a cette assurance décomplexée et sans rien à perdre, qui fait qu'elle puisse balancer ça au dessus des cacahuètes, comme on aurait demandé l'heure qu'il est. Et je me demande combien de temps elle a passé exactement à nous observer.


"Ça change quelque chose pour toi ?"

Elle ricane légèrement, comme si elle venait d'obtenir les informations dont elle avait besoin. Et ça m'agace, parce qu'elle ignore tout de ce dont il s'agit.

"Ça va, ça va. J'essaye juste de savoir comment vous fonctionnez tous entre vous. Et va savoir. J'aurais peut-être pu avoir une ouverture".

Je souris en coin.

"Avec Klaus ?"

"Ou avec toi".


Nous éclatons de rire, car je sais qu'elle plaisante. Ou peut-être pas tant que ça. Lila est une forme d'incarnation du chaos, avec une forme de vibe bisexuelle badass qui pourrait faire chavirer n'importe qui. Je sais qu'elle tient à Diego, et pas seulement pour l'embryon que j'ai senti qu'elle porte : ça aussi, je peux le sentir dans l'énergie. Mais elle est dangereuse en termes de relations, j'en suis complètement convaincue. Peut-être parce que celle qui a prétendu des années être sa 'mère' l'a copieusement abimée. Mais je lui confie :


"J'aime bien ton look. Il me rappelle celui de la batteuse d'un groupe que j'écoutais quand j'étais ado".

Elle se recale en tailleur sur son tabouret, comme une perruche sur un perchoir.

"Ah oui ? Tu m'en diras tant".

Et j'hoche la tête.

"Les Puppen Toten. Personne connaît. C'est allemand. Le groupe s'est séparé depuis longtemps".

Elle rit, tout en lançant en l'air une cacahuète, qui ne retombe pas dans sa bouche et vient rouler sur le tapis.

"Tes goûts musicaux sont aussi cools que ta coupe de cheveux. Si j'avais une mallette en état de marche et qu'on était pas au bord d'une nouvelle fin du monde, je t'inviterais à notre prochain-ex concert, en 1989".

Je cligne des yeux trois fois.

"Tu déconnes j'espère".


Elle sourit radieusement, pas peu fière de son petit effet. Je pourrais me demander si elle est en train de m'entourlouper, si elle ment pour essayer d'avoir un petit pouvoir narquois sur moi. Mais non. Je peux deviner dans l'énergie que ce n'est pas du bullshit, et la fangirl de dix-sept ans, en moi, manque de s'étouffer avec son reste de café. La batteuse des Puppen Toten...


"Merde. Red-shoe-Banshee c'est toi".

Elle effectue une petite révérence, toujours perchée face à moi. Et j'en balbutie presque.

"J'adore 'Rebellion im Schatten'. Et 'Furchtlose Nacht'. La vache, ce que c'était bon".

"Je n'ai écrit aucune chanson. Mais j'ai joué la batterie par intérim, et c'était surtout une façon de me défouler. Si t'as aimé, c'est cool. Je dois avoir encore un badge dans la poche de ma jupe, je te le filerai".


Nous nous regardons un moment en silence. Et nous réalisons une chose qui ne nous est pas souvent arrivée ni à l'une ni à l'autre. Nous pourrions sans doute être potes, si ce n'est plus. Je sens qu'elle sonde mon énergie comme je sonde la sienne, d'une façon qui aurait été intrusive avec quiconque. Mais je ne peux pas l'empêcher de faire ça. Elle est capable d'utiliser mon pouvoir sans que je puisse dresser la moindre barrière, d'une façon à la fois désagréable et sublime, sans aucune comparaison avec ce que j'ai ressenti face à Christopher, qui est pourtant d'une certainement façon moi.


Je la sonde en retour, presque de façon insolente. Aussi insolente qu'elle l'est en faisant vibrer effrontément la corde du violon de mon être et de mon pouvoir. Je peux sentir qu'au fond d'elle, il y a une forme de désir et de peur de se ranger, semblable à la mienne, lorsque j'ai un jour rasé ma crête dans le but de travailler. Elle peut en retour sentir en moi que j'ai de la nostalgie pour cette époque où - comme elle - je laissais mes impulsions rebèles et punks gérer ma vie. Mutuellement, sans un seul autre mot que celui de nos Marigolds qui résonnent par le pouvoir qu'elle me 'vole', nous décidons que nous ne franchirons jamais aucun pas entre nous, car nos loyautés sont ailleurs.


"Arrête de faire ça", lui dis-je à voix haute, et elle ricane de nouveau avec ses dents si blanches.

"Et toi, arrête de t'infiltrer dans le percolateur pour me balancer de la vapeur à la figure si jamais je ne te lâche pas".


Nous rions à nouveau tandis qu'elle me rend mon indépendance, et pousse le bocal vide de cacahuètes qui tombe de l'autre côté du bar. Le barman est parti depuis un moment. Il n'appréciera sûrement pas de trouver ça demain. Mais Lila baille et change de position pour poser sa tête dans ses bras, ce que je fais en retour.


"Tu n'as pas de chambre non plus ?" me dit-elle, et je soupire.

"J'en ai plus ou moins une. Ce soir, je n'ai... juste pas le coeur d'y retourner".


Je ne vais pas lui parler du Bison Blanc, ni du symbole que j'ai sur mon bras. Je comprends que - elle - n'a aucune chambre du tout, et qu'elle ne va pas aller se glisser dans le dortoir commun puant que Diego partage avec Klaus, Luther et Cinq. Sur ce point également, nous nous rejoignons.


"Je te chante une berceuse ici, si tu veux", me dit-elle.

Et je souris, alors que le sommeil commence à laisser entendre qu'il pourrait enfin me rattraper. Et je lui réponds, dans un sourire épuisé.


"Ok. Mais seulement si c'est une ballade de métal allemand".


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Notes :


Je me doutais que Lila serait un personnage chaotique à écrire, je n'avais pas réellement soupçonné à quel point. Peut-être pour cette alchimie qu'elle partage avec Rin, ce chapitre a coulé tout seul.


J'ai aimé explorer de l'intérieur de ce que ça fait de se voir "emprunter" son pouvoir par elle, avec un dialogue silencieux qui s'établit avec Rin, de façon troublante à écrire.


Vous souvenez-vous qu'au matin, Klaus en homme-grenouille dit à Chet de prendre ses éventuels appels ? Maintenant, vous savez aussi pourquoi. Et pour la première fois depuis le début de cette histoire... j'ai eu beaucoup de mal à arrêter son fou-rire...


Tout commentaire fera ma journée ! ♡

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