Une courbure de l'espace-temps (saison 2)

Chapitre 24 : Dévoué envers et contre tout

3689 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/05/2024 11:49

Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 2, épisode 8, autour de 05:10 (environ au moment où Klaus arrive chez Allison).


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Jeudi 21 novembre 1963, 18h37


Je ne saurais décrire correctement l'euphorie que je ressens, tandis que je repars de la petite maison de Wayne Wilson. J'y ai laissé Mark après l'avoir aidé toute la fin de l'après-midi à dépoussiérer et débarrasser l'endroit de ce qui n'était plus en état. Je lui ai confié le petit chariot : il va encore en avoir besoin. Comme Wayne avant qu'il ne se dissipe vers le Vide, je vibre d'un sentiment de tâche accomplie, qui me porte maintenant.


Tandis que je passe l'angle d'Avon Street, les néons du cinéma s'allument en cliquetant, en même temps que les lampadaires de la rue, dans la nuit qui est en train de tomber. Tout le quartier sent la viande grillée et bruisse des conversations des gens de Dallas, attendant la visite de Kennedy. Peu importe ce que demain nous apportera, vraiment.


Je traverse en face de Rosati and sons, et je m'apprête à retourner vers le Manoir par les poussiéreuses rues arrières. Bien moins troublée que la dernière fois, j'adresse un regard à la ruelle dans laquelle nous sommes tous arrivés. En paix avec cette ère, maintenant. Je m'apprête même à sourire. Pourtant, quelque chose me fait froncer les yeux, d'une façon intriguée.


Au sol, s'étend une immense tâche de ce qui me semble être du vomis de soupe de maïs, ou de quelque chose s'y apparentant. Démesurée en comparaison de ce que peut produire un humain. Et au fond de la ruelle, contre la porte arrière de l'immeuble de Morty's appartenant au dénommé Eliott, j'entrevois la large silhouette de Luther, croisant les bras avec un air d'impuissance.


Savez-vous comment j'appelle ce genre de situations ? Un "Hargreevisme". Et je crois que ce soir, je vais avoir droit à l'un d'entre eux, dans toute sa splendeur. Je contourne l'horrible étendue puante qui étend ses projections dégueulasses jusque sur le mur de briques de Commerce and Knox, et je marche en direction de celui qui semble bouder, dans son pull à col roulé noir.


"Hey, Luther", lui dis-je en enfonçant mes mains dans les poches de ma salopette de jardinage.


Il me regarde, se demandant possiblement ce que je fais dans cet accoutrement, et il me demande avec une voix terne tout en mâchonnant un morceau de viande séchée :


"Pourquoi tu n'es pas venue en même temps que Klaus ?"


J'arque un sourcil intrigué et je me retourne brièvement en direction de la gerbe infâme derrière moi, saisie d'un doute. Quand il y a du vomi par terre et que j'entends prononcer son nom, j'ai toujours tendance à faire la connexion malgré moi.


"Klaus est venu ?"

Luther mâche et me regarde.

"Diego est allé vous prévenir au sujet du point et de l'heure de rassemblement. Klaus était le seul à l'heure, j'aurais cru que ça aurait été grâce à toi".

"Il était à l'heure..."


Le simple fait que je ressente le besoin de répéter ces mots pour bien m'en convaincre en dit long. Je me doute que c'était encore Ben, aux commandes du navire, mais la question qui me vient avant tout est :


"Mais attend, il était à l'heure pour quoi ? C'était quoi, ce 'rassemblement' ?"


Luther pousse un profond soupir, et tourne le regard vers le haut du mur, comme s'il pouvait y voir quelque chose que moi je ne vois pas. Ou plutôt comme s'il se rappelait de ce qu'il s'est passé plus tôt, avec déception.


"Cinq avait une mallette. Calibrée pour nous nous ramener à la maison à 14h".

"Tu déconnes ?"

Ma voix vient pratiquement de se briser en s'exclamant ceci. Mais face à moi, Luther mâche mornement en me regardant avec ses petits yeux bleus.

"Je suis nul pour faire des vannes, pourquoi je déconnerais avec ça".

"Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi Klaus était le seul à l'heure ?"

"J'en sais rien. Même Diego n'est pas revenu. T'étais où, toi, pourquoi t'étais pas avec lui ?"

"Il m'arrive d'avoir une vie, tu vois..."


Je regarde au sol en réfléchissant. Rassembler tout le monde à l'improviste me semble effectivement ne pas être aussi simple que ça.


"Je... jardinais chez des amis".

"Des amis..."


Luther me regarde un moment, d'une façon qui en dit long sur sa propre absence de contexte social à présent. Je me doute qu'il est très seul, au fond. Mais il hausse ses colossales épaules.


"Ça n'a pas d'importance, de toute façon : c'était un fiasco. Cinq enrage. Il répète en boucle que c'était une tâche simple, qu'il n'y avait qu'à être au bon endroit à la bonne heure... Il nous a traités de toquards".

Il secoue la tête, impuissant.

"Je n'arrive pas à le faire sortir de la piaule".

"Comment il s'est débrouillé pour avoir une mallette ?"

"Aucune idée, il a dit 'pas de questions'. Mais ça a eu l'air suffisamment difficile pour qu'il nous en veuille à mort de ne pas avoir réussi à partir".


Je peux le deviner. Ces mallettes sont la propriété de la Commission Temporelle, et je peux aussi imaginer qu'elles soient aussi jalousement surveillées que du matériel de pointe dans une installation militaire. D'un coup, je regrette un peu de ne pas avoir accepté de marcher dans ses 'plans B' quand il me l'a demandé : je vois qu'il continue de se démener - et seul - pour tous nous ramener à la maison. 'Oikade'. Et je soupire, me demandant si nous aurons une autre opportunité de le faire maintenant que celle-ci a été manquée.


"Tu veux entrer un moment ?", me demande Luther avant d'ajouter, un peu étrangement : "j'ai fait du ménage".

Je soupire, j'hausse les épaules, et je lui réponds finalement en me disant que nous n'avons pas vraiment pu parler tous les deux après le 'dîner léger' :

"Okay".


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19h36


Cinq n'a pas voulu nous ouvrir la porte de la chambre, et même si Luther a demandé si je pouvais me rendre intangible pour passer au travers de la porte, je n'ai pas accepté de le faire. Si Cinq a besoin de réfléchir, s'il a besoin d'être seul, alors il faut le respecter.


Alors nous voilà assis sur les canapés du salon improvisé, dans ce qui me semble avoir un jour été un magasin de télévisions et d'électronique. Du genre à vendre tous les appareils que Merelec devait ensuite réparer. J'aurais pu me sentir bien, ici, je crois, très bien, même. S'il n'y avait pas eu cette étrange odeur âcre, mêlée à celle du détergent que Luther a utilisé pour nettoyer je ne sais quoi. Toute une assiette de viande séchée trône à présent devant lui, ainsi qu'un large bol de céréales colorées qu'il a de toute évidence l'intention de consommer sans lait, comme du pop-corn.


"Tu vas manger tout ça ?", je lui demande, intriguée.


L'autre jour déjà, j'avais remarqué que les trois hot-dogs qu'il avait achetés avaient à peine constitué l'équivalent d'un apéritif, pour lui. Je ne sais pas vraiment ce qu'il mange d'ordinaire, il me semble plausible qu'il ait besoin de grandes quantités, mais ça reste impressionnant. Et il hoche la tête sobrement.


"J'ai tout le temps la dalle. Je compense, depuis que Jack Ruby m'a foutu dehors".

"Jack Ruby ?"

J'ouvre des yeux étonnés. Jack Ruby. L'homme qui abattra Lee Harvey Oswald, à peine deux jours après l'assassinat de Kennedy. Alors c'était lui, son patron.

"J'ai cru voir que tu travaillais dans une salle de lutte".

"Entre autres. J'ai aussi fait office de garde du corps et de videur, parfois. Au fond, il n'y a pas grand chose que je sache faire".


Je prends un peu de viande séchée, moi aussi, dans laquelle je mords en manquant de me casser les dents. Ce que me dit Luther me peine, parce que j'y entends l'écho de tant de fois où Klaus m'a lui aussi dit qu'il se sentait inutile et sans réelle raison d'être. Le changement par rapport au Luther que j'ai connu en 2019 me frappe encore plus. Il n'essaye plus d'être un leader, plus du tout : au moins, il a pris conscience que c'était vain. Mais il me semble que son aveuglement a été remplacé par une forme de dépression, comme s'il avait perdu la seule raison d'être qu'il avait du temps de l'emprise de son père.


"Tu es capable de faire plein de choses, j'en suis sûre, Luther", lui dis-je. "Tu t'en sortirais aussi bien que quiconque à un boulot de vente ou de service. Sauf si l'endroit est exigu, soit".

Je réfléchis, tandis qu'il garde le nez dans le bol de céréales posé sur ses genoux.

"Tu as suivi plein de protocoles scientifiques à la lettre quand tu étais sur la Lune, tu es capable de beaucoup de rigueur. Et même sur le plan physique : il n'y a pas que la baston qui puisse mettre à profit tes qualités. Tu peux bosser sur des chantiers, à la manutention... ou comme pompier volontaire, tu as une grande habitude des situations d'urgence de ce genre..."

Il secoue la tête, tout en mâchant.

"Je n'ai plus l'envie, plus la motivation. J'étais bien, chez Ruby, parce que... j'avais quelqu'un pour me dire ce que je devais faire".


Mes lèvres se pincent. Toute sa vie, son père a fait exactement ça : lui dicter ce qu'il devait faire, en tirant le meilleur parti de sa docilité et de sa volonté de donner satisfaction. Je comprends que c'est exactement ce qu'il a cherché à retrouver quand il s'est retrouvé seul.


"Tu as cherché... un genre de Reginald de substitution..."

Il me regarde, et se redresse, son morceau de viande à moitié dans sa bouche.

"Pas du tout", nie-t-il, même si au fond, il le gène surtout que je l'ai percé à jour. "Je ne chercherais vraiment pas à le remplacer, cet enfoiré. Il m'a envoyé sur la Lune, seul, entièrement seul, au point que j'ai cru que j'allais en crever d'isolement. Qui s'est débarrassé de moi alors que j'ai tout donné et que j'ai été le dernier à rester. Tout ça après m'avoir changé en ce... foutu gorille qui ne peut même pas traverser une pièce sans se cogner aux coin des meubles".

Je cligne des yeux.

"J'ai l'impression que tu es celui qui lui en veut le plus ouvertement, maintenant..."

"Si je pouvais écraser son monocle dans mon poing, je crois que je le ferais".


Je sens que les mots ne lui viennent pas facilement, mais ils sont d'une honnêteté limpide. Comme lors de la désactivation de Grace en 2019, je peux sentir que Luther est à l'aise avec moi, et ceci me trouble. Quand je pense que moi, j'ai eu tant de mal à pouvoir lui parler.


Je le regarde engouffrer des céréales par poignées, je vois bien qu'il ne va pas aussi bien qu'il le prétendrait. Je me demande s'il est au courant pour Allison et Ray. Bien sûr, qu'il doit l'être. Je ne poserai pas de question sur ça. Et de toute façon, c'est lui qui me demande :


"Et toi alors ? Klaus m'a dit que t'avais été la Yoko Ono de son culte".

"Ah oui ? Et lui quoi ? John Lennon s'il avait fini par virer Kardashian ? Quel enfoiré".

Je souris, malgré tout.

"Mais oui. Je dois bien l'avouer, ça a été une période incroyable, avec des voyages qui te changent pour la vie. Et je lui dois une certaine forme de sécurité dans cette époque, et je l'admets sans problème. Mais après ça... j'ai travaillé".

"Oh ?"

J'acquiesce avec un sourire.

"Dans une petite boîte de réparation électronique".


Il engouffre une nouvelle poignée de céréales. Luther sait qu'en 2019, alors que la fin du monde était littéralement sur nous, je tentais déjà de m'accrocher désespéramment à mon travail. Je suis allée bosser le 1er avril, le jour de la fin du monde. Je l'aurais aussi fait demain, si j'avais encore eu un boulot. Il me regarde et constate :


"Bosser, c'est important pour toi".

Je ris doucement.

"Oui. On est loin de la punk que j'étais, qui refusait l'ordre de la société et qui vivait de petits boulots illégaux, hein ?"

"Illégaux ? Tu faisais ça ?"

"J'étais comme ça. Tu sais. 'L'anarchie est l'ordre'".


Je le regarde. Par sa simple question, il est en train de me confirmer ce que je soupçonnais : il ne fait pas le lien entre moi, et ce qui s'est passé le jour où il m'a 'accidentellement tuée'.


"Je me demandais, Luther..."


Depuis 2019, je n'y avais plus tant repensé. J'avais enfin cessé de chercher encore et encore une occasion d'en parler à Klaus, parce que nous explorions d'autres versants de l'existence, y compris à l'autre bout du monde. Mais les paroles de Ben - ce matin - m'ont troublée, et je le suis encore plus maintenant que je me trouve face à Luther, avec une étrange et furieuse envie de sonder ce dont il se rappelle vraiment. Et maintenant, il attend que je termine la question qui est au bord de mes lèvres.


"... est-ce que tu te rappelles... d'avoir arrêté un espion invisible à l'Hôtel de Ville de The City, vers le printemps 2006 ?"


J'ai tellement de fois imaginé évoquer ce jour-là avec Klaus. J'en ai parfois rêvé, comme si je l'avais vraiment fait, en me réveillant ensuite avec la douloureuse réalisation que c'était pas le cas. À aucun moment, je n'avais imaginé que ce serait avec Luther que j'oserais en parler pour la première fois. Il me regarde en mâchant ses 'fruit loops', lancés par Kellogg's l'an dernier, et il fronce ses sourcils clairs.


"Invisible comment ?"

Je le fixe.

"Invisible comme moi".


Il s'arrête de mâcher, comme si des connexions étaient en train de se faire de manière forcée dans son cerveau.


"Toi ? Tu espionnais à l'Hôtel de Ville ?"

Je soupire.

"C'est le type de boulot que je faisais à l'époque. Je n'en suis pas fière, tu sais".

Il hausse les épaules.

"Il y avait beaucoup de missions, tu sais. Surtout à l'Hôtel de Ville".

Une action de l'Académie parmi tant d'autres, clairement.

"On m'avait payée pour... détruire des documents d'urbanisme controversés".

"Oh. Le 'Projet HE'".


Je le regarde, réalisant souvent qu'en tant que 'Numéro Un' désigné de l'Académie, Luther a malgré tout une forme de mémoire de leurs missions. Dans mon jeune âge, je ne m'étais pas réellement intéressée à ce que j'avais de mon côté été chargée de détruire. Mais ce nom, qui marquait le papier sous la forme d'un logo rouge fait d'un H capital et de trois traits horizontaux, je m'en rappelle, maintenant.


"C'est fort possible", lui dis-je, les sourcils bas. "Je sais juste que le projet n'a finalement jamais vu le jour..."

Il se remet à manger.

"C'est cette enflure de Papa qui était derrière ce complexe. Tout un tas de grattes-ciel, dans lesquels il imaginait un jour installer des entreprises qu'il était en train de fonder. Dans la finance, la construction, l'immobilier, la recherche médicale. Son bureau n'était rempli que de ça, à cette époque".

"Il avait visiblement des opposants".

"Malgré tous les pots de vins qu'il a donnés".

Luther rit de façon acerbe.

"Mais alors, c'était toi ? On a laissé la police te cueillir quand tu es redevenue visible".


Je soupire de nouveau, encore plus profondément que la première fois. Sans que le moindre doute ne persiste, j'ai compris que Luther n'a aucune conscience de m'avoir fait quoi que ce soit. Et il ajoute :


"On est partis vite : Papa nous avait promis un bowling".


Cette phrase provoque pratiquement l'arrêt de ma respiration. Ce jour-là a marqué ma vie plus que n'importe quel autre, et ce dont Luther se souvient en priorité, c'est que leur père leur avait promis d'aller taquiner les quilles du Super Star Lanes Bowling ? Le fait est que Luther ignore complètement de m'avoir accidentellement tuée. Il était déjà parti quand je suis revenue à moi, alors que seul Klaus restait. Je ne crois pas qu'il soit utile que je le lui dise, à présent. Il s'en voudrait pour rien. Et il me tape de toute façon sur l'épaule à cet instant, en me faisant sursauter.


"Tu sais quoi ? T'as bien fait de détruire la moitié de ses permis de construire, à ce vieil enfoiré. Si je pouvais revenir en arrière, je le ferais aussi. Et aussi les plans de sa putain de station lunaire. Ouais. Mais de toute façon tout se serait arrêté".

Je penche ma tête de façon interrogative.

"Qu'est-ce que tu veux dire par 'de toute façon, tout se serait arrêté' ?"

Il attrape deux morceaux de viande séchée, qu'il entame à la fois.

"Quand Ben est mort...", dit-il en secouant la tête, les yeux dans le vague, « À partir de ce moment, tout a commencé à partir en fumée".


Je plisse les yeux, le laissant continuer, réalisant que cette conversation pourrait être importante.


"Il avait déjà perdu Cinq...", lui dis-je, mais il secoue la tête.

"D'une certaine façon, je crois qu'il a toujours été convaincu que Cinq reviendrait. Mais Ben..."

Il prend une grande inspiration, soulevant sa colossale poitrine.

"Quelque chose s'est brisé ce jour-là. Sa déception était immense. Sa colère aussi. Indescriptible. Comme s'il tout ce qu'il avait construit au fil des années devait être repensé de zéro. Et il nous a... accusés d'avoir été responsables de ça".


Et certainement Luther plus que tous les autres, en tant que Numéro Un. Je devine que cette période a été terrible pour lui, et pas seulement pour la perte de son frère. Je me dis que j'ai souvent sous-estimé à quel point l'emprise d'Hargreeves avait aussi pu faire du mal à Luther, que j'avais parfois vu comme une forme de privilégié. Il me regarde enfin.


"Les missions ont diminué. Diego est parti, puis... puis tout le monde. Il les a laissés faire".

"Il a même foutu Klaus dehors".

"Il ne rentrait que pour faucher dans son bureau et faire empester le couloir avec son bang".


Je souris tristement. S'il n'avait pas coupé les fonds à Klaus, à ce moment : probablement, je ne l'aurai jamais rencontré. Mais je me demande pourquoi Hargreeves a abandonné de s'investir dans son Académie à ce moment. Etait-ce réellement un coup dur dans ses plans, comme le présente Luther ? Peut-être suis-je en train de céder à la paranoïa, mais je me demande même s'il n'avait pas escompté ce revers et la mort de Ben, dans le but d'ultérieurement - même dix ans après - rassembler et ressouder 'l'équipe' constituée par ses enfants. Et Luther ajoute :


"Et moi... je suis resté, dévoué envers et contre tout... jusqu'à ce qu'il finisse par se débarrasser de moi. Quel imbécile j'ai été".

Je lui souris faiblement.

"Peu importe, Luther. Ce qui compte, c'est que maintenant tu es lucide à son sujet, et je trouve ça formidable".


Contrairement à Ben - resté figé à l'âge de 17 ans - Luther, lui, a évolué. Énormément. Il est moins impulsif, à présent complètement revenu de sa conviction d'être un leader charismatique, au point que sa confiance en lui me semble douloureusement érodée. Et surtout - surtout - il n'est effectivement plus l'opérateur docile des décisions de son père. C'est un grand changement, et c'était déjà l'impression que j'avais eu à la sortie de nos 'dîners légers'. Luther, à lui seul, est un revers pour l'emprise de Reginald, et une forme de symbole de l'étiolement de son système de contrôle et de terreur.


"Moi je me sens comme une merde", me dit-il. "Je ne peux même plus vraiment me battre, à cause de ça".


Je tapote son immense avant-bras gentiment, sur la maille noire de son col roulé : il ne m'étonne pas que sa 'super-force' soit autant conditionnée par son estime de lui.


"T'es juste en train de finir de déconstruire ce que t'étais. T'es à plat maintenant, mais je suis sûre que tu vas rebondir... si demain on ne crame pas tous sous les nukes".


Nous en soupirons tous deux sarcastiquement. Je renonce à mon morceau de viande (vérifier), vraiment impossible à mâcher. Et enfin, tout en me levant pour rentrer - enfin - me changer et quitter cette salopette pleine de terre, je lui dis :


"Bonne chance avec Cinq. Je suis sûre que quand il aura dormi, il ressortira de là avec une idée".


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Notes :


Cette fois, je souhaitais donner la parole à Luther, au sujet de l'énorme mutation (sans jeu de mot), qu'il vit depuis le début de la saison 1. C'est un personnage qui a une grande progression, souvent sous-estimée. Rin en a conscience, et je crois qu'à présent elle l'aime bien.


Peut-être aurez-vous reconnu le complexe de grattes-ciel sur lequel Reginald travaillait en 2006 : vous savez probablement qu'il finira par arriver à ses fins, car la saison 3 se termine littéralement sur l'image de ce complexe achevé.


La mort de Ben a incontestablement marqué un tournant dans les plans d'Hargreeves et a amorcé la 'dissolution' de l'Académie La saison 4 nous racontera probablement comment...

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