Dernière Lune
Maintenant que ma décision était prise, je devais me concentrer. Dire les bons mots à Cassara, avoir la bonne attitude. Elle ne serait pas dupe, elle était trop intelligente pour ça. J’espérais semer le trouble dans sa tête juste assez longtemps pour permettre aux Cullen de trouver le chemin jusqu’à moi. Pour cela, il allait falloir que je collabore. J’entendis quelques pas dans le couloir, et le monstre s’arrêta devant ma porte. Le verrou tourna et la porte s’ouvrit sur une Cassara souriante.
« Rebonjour Rosalie. As-tu pris le temps de réfléchir à ma proposition ? », demanda-t-elle, calme en apparence.
« Vous n’avez toujours pas réfléchie à la mienne Cassara. Je peux vous assurer que le taupe ou le beige vous ira mieux au teint que cette affreuse blouse blanche », lançai-je, dans le but de détendre l’atmosphère.
« Toujours le mot pour rire », dit-elle, plus sèchement. Elle attendait une réponse, et non une pique acerbe.
« Ce que je peux vous dire, c’est que je ne suis pas contre vous. L’idée de retrouver mon humanité est alléchante, et j’aimerais que vos expériences aboutissent. Je peux vous aider, oui. Mais je ne peux pas trahir les miens », lui dis-je.
« Et tu n’auras pas à le faire. J’ai besoin de nouveaux cobayes, la phase six de mon expérience n’est pas concluante. Pour cela, nous allons devoir partir, mettre la main sur un loup », dit-elle, en faisant les cent pas dans ma cellule.
« C’est-à-dire, pas concluante ? », demandai-je, sans un souffle.
Elle s’arrêta, m’indiqua la sortie et je la suivis une nouvelle fois dans ce couloir froid. Elle ne s’arrêta pas devant la porte et ouvrit à la volée le laboratoire pour y entrer. Charlotte était toujours là, éveillée, semblant souffrir le martyre. Ses yeux, perdus dans le vague se posèrent tout à coup sur moi, mais elle ne dit rien. Elle se contentait de m’observer, cherchant probablement une explication à ma présence ici. Je ne dis rien, plongeant mon regard dans le sien, hurlant dans mon esprit à quel point j’étais désolée, et ô combien je voulais l’aider. A côté d’elle, le loup était étendu, inerte.
« Le sujet lupin n’a pas tenu. Son cœur s’est arrêté. Je vais devoir les remplacer », annonça-t-elle froidement. Je vis pour la première fois sur son visage la froideur scientifique, à qu’elle point elle était prête à tout pour son étude.
Et, je compris que Charlotte était condamnée. Elle avait parlé de les remplacer, au pluriel. Si l’un des deux sujets mouraient, il emportait l’autre avec lui dans la tombe. Je doutais d’ailleurs que Charlotte ait pu survivre à tout cela. Elle semblait sur le point de s’endormir pour ne jamais se réveiller. Peut-être pourrais-je tenter quelque chose, lui laisser du temps de récupérer, mais j’en doutais. Trop de sang de loup était maintenant dans son organisme.
« Je sais que vous vous connaissez, d’ailleurs. Peter a été très loquace, récemment », m’annonça-t-elle. Elle cherchait mon regard.
« Peter est ici ? », demandais-je, en me tournant vers elle. Je voulais éloigner mon regard de la scène qui s’offrait face à moi.
« Je l’ai trouvé, errant dans les alentours à la recherche de celle-ci », dit-elle en lançant un coup de menton vers Charlotte. « Je n’ai pas eu beaucoup de mal à l’entrainer dans mon sillage. Il m’a suffi de lui dire que je savais où elle était »
Si Peter était ici, j’avais un allié sur place. C’était une aubaine. Si je réussissais à le trouver, nous pourrions à deux venir à bout de Cassara, discrètement, avant que ses chiens de garde ne rappliquent. Pendant que je décidais de la manière dont je décapiterai Cassara avec mes dents, la porte s’ouvrit et Peter entra, accompagné d’un autre vampire à la botte de Cassara. Ses bras étaient emprisonnés dans de larges chaines, il semblait également affaibli. Son teint blafard reflétait légèrement les lumières du laboratoire. Ses yeux, profondément enfoncés dans leurs orbites étaient noirs comme la nuit. Il n’était pas en état de se battre. Quand il vit Charlotte, il hurla son prénom, et voulu se jeter sur elle, comme pour la protéger. Le Golgoth qui l’accompagnait le retint, le bloquant contre la paroi du mur. Malgré ses tentatives pour se libérer, il n’arrivait à rien.
« Peter, je pense que tu as très envie de te calmer », dit Cassara, utilisant son don sur Peter. Celui-ci se figea sur place, stoppant ses bousculades. Cassara souffla bruyamment, exaspérée.
Peter tourna son regard vers moi, et ses yeux s’écarquillèrent. Il découvrait ma présence ici, et ne comprenait pas la scène qui se jouait devant lui. Je lui rendis un regard plein de compassion. Je réfléchissais aussi vite que mon cerveau me le permettait. Je tentais de trouver une faille. Je devais passer sous le radar de Cassara, pour ne pas être manipulée.
« Cassara, j’aimerais vous poser une question. Maintenant que cette phase de votre expérience est terminée, pourquoi ne les laissez-vous pas repartir ? »
« Voyons Rosalie, me pense-tu si naïve ? C’est presque insultant », dit-elle offusquée.
« Tout d’abord, scientifiquement parlant, je ne peux laisser une trace de mes recherches dans la nature. Si je n’élimine pas le sujet, quelqu’un peut mettre la main sur elle, et l’utiliser pour ses propres fins », énonça-t-elle.
« Ensuite, je n’ai pas envie d’avoir deux personnes susceptibles de colporter des rumeurs sur moi. J’ai réussi à me faire discrète depuis plusieurs siècles, j’aime mon anonymat », me dit-elle.
« Et pour finir, je n’en ai pas envie. Un vampire en moins dans la nature, c’est la seule satisfaction que je peux retirer d’une expérience non concluante », ajouta-t-elle avec un sourire cruel.
Cassara n’était pas juste une scientifique tentant de trouver un remède. Elle était un monstre, une véritable sociopathe. Elle prenait un plaisir malsain à tuer les vampires. Elle ne voulait pas aider, elle voulait éradiquer. Et je compris également qu’elle devait mourir. Elle ne devait jamais survivre, où elle serait un danger permanent pour mon espèce. Cassara ne s’arrêterai jamais de torturer des vampires, des loups.
Elle s’approcha du lit de Charlotte et se pencha sur elle pour l’observer. Elle sorti de la poche de sa blouse un petit objet rectangulaire, gris. Elle appuya sur un bouton et rapprocha le micro de sa bouche. Elle parlait calmement, froidement, énonçant des faits.
« Phase 6 de l’expérience. Sujet Lupin mort par fibrillation ventriculaire. Sujet Vampire en vie. Pupilles noirs. Température corporelle : 27,5 degrés. Altération de l’état générale. Cyanose diffuse, principalement aux extrémités. Élimination du sujet Vampire ».
« Non, s’il vous plait », souffla Peter, abattu. Ses yeux se posèrent sur Cassara et il l’a supplia de laisser Charlotte en vie. Le sourire qui se dessinait sur le visage de celle-ci était implacable.
« Rosalie, aide-moi, dis quelque chose, fais quelque chose », me dit-il. J’avais l’impression qu’on me poignardait. Je ne pouvais rien faire qui nous aiderait. Si je bougeais, si je tentais quelque chose, nous étions tous morts. Je devais observer la scène froidement, garder mon calme. Cassara tourna son regard vers moi en posant sa main sur la tête de Charlotte. Elle semblait lui caressait les cheveux comme pour l’apaiser.
« Oui Rosalie, aides-le. Que comptes-tu faire ? », me demanda-t-elle, attendant que je réagisse.
Ce moment était pire qu’une torture. J’aurais pu gérer cela facilement. J’aurais pu supporter les aiguilles, les lames. J’aurais préféré être le cobaye, qu’elle m’oblige à boire des litres de sang de loup, ou me plonger dans une cuve d’aconit liquide. J’aurais enduré une souffrance physique mille fois, juste pour échapper à ce que je m’apprêtais à faire. Rassemblant le peu de courage qu’il me restait, je plantai mon regard dans celui de Cassara, et m’exprima calmement.
« Désolé, Peter. Je suis d’accord avec Cassara. L’expérience est trop importante pour la gâcher avec des données erronées. »
Et comme pour confirmer mes dires, Cassara caressa la gorge de Charlotte et le bruit d’acier brisé trahit la douceur de son geste. Elle venait d’arracher la tête de Charlotte devant nos yeux ébahis. Peter hurla à plein poumon en tombant à genoux. Il se laissa glisser sur le sol, répétant inlassablement le nom de sa compagne disparue. Pour ma part, j’étais trop effrayée pour bouger. Mes pieds étaient plantés dans le sol, mes bras croisés sur la poitrine. Chacune de mes respirations me brûlaient. J’aurais pu m’écrouler et ne jamais me relever. Mais la mort de Charlotte ne devait pas être vaine. Elle n’était plus, mais nous étions toujours vivants et nous devions survivre à cette épreuve.
Cassara se figea un instant, tendant l’oreille. Elle planta son regard dans le mien. Son sourire disparu aussitôt. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait, mais je crus voir dans ses yeux une inquiétude. Elle s’avança vers moi lentement, se planta en face de moi.
« Jake, rassembles les données, effaces les disques dures », dit-elle froidement. Le géant sorti précipitamment de la pièce, nous laissant seuls.
« Peter, je pense que tu veux rester allongé ici, et ne pas bouger. Je n’ai pas besoin de t’avoir dans les pattes, pour le moment », dit-elle.
Celui-ci resta étendu sur le sol, le regard vide. Il ne bougeait plus, comme emprisonné dans son propre corps.
« Que ce passe-t-il ? », demandai-je, soudain prise d’un espoir
« Nous avons de la compagnie. Ta famille vient d’arriver », me dit-elle.