Dernière Lune
Je m’éveillai en m’étirant sur un lit d’hôpital, parfaitement reposée. Bien qu’un vampire ne se fatigue jamais, je ne m’étais jamais sentie aussi détendue depuis ma transformation. J’ouvris les yeux et fut légèrement aveuglée par la lumière blafarde qui se diffusait dans la pièce. L’éclairage provenait d’un néon défaillant indigne du moindre institut de beauté miteux positionné au-dessus du lit. Je n’osais imaginer le teint que je devais avoir sous cette lumière, je ne devais pas être à mon avantage. La pièce était carrée, blanche du sol au plafond, minuscule. Le mot « cellule » s’imposa à moi. Les murs étaient capitonnés comme ceux d’une chambre d’hôpital psychiatrique. Je ne voyais aucune fenêtre donc aucune lumière naturelle. Je n’arrivai pas à estimer l’heur. Je ne savais pas si nous étions le matin, ou au milieu de la nuit. Une odeur de produit ménagé et de sang flottait dans l’air. Je m’assis au bord du lit, continuant mon inspection des lieux. Il n’y avait autour de moi aucun signe distinctif, aucun élément sur lequel m’appuyer pour tenter d’identifier cet endroit. Les seules conclusions que j’en tirais, c’était que je devais être dans un hôpital. C’était presque ironique, vu le nombre de fois où l’on m’avait qualifiée de « folle, bonne pour l’asile ».
Maintenant que j’étais seule, mes idées étaient plus claires. J’avais été enlevé. Je n’avais aucune envie d’être là. Je pouvais presque entendre le rire gutturale de Jacob, se moquant de ma faiblesse et de mon incapacité à m’enfuir. Je compris que Cassara m’avait complètement embrouillé l’esprit, et que j’aurais beaucoup de mal à éviter que cela ne se reproduise. Je ne savais pas comment m’y prendre pour la fuir, mais il fallait que j’essaye.
Elle avait dû m’entendre bouger car elle entra à ce moment-là. Elle avait troqué son habituel manteau blanc pour une blouse de scientifique. Cette femme n’avait vraiment aucun sens du style.
« Ne vous avais-je pas déjà dit que le blanc ne vous allait pas au teint ? », lui dis-je immédiatement.
Elle m’observait, un sourire vissé sur ses lèvres. Soit elle riait de ma remarque, soit me voir ainsi l’amusait beaucoup.
« Bonjour Rosalie, comment te sens-tu ? », demanda-t-elle amicalement. Son choix sémantique me permis de conclure que nous étions en journée. J’avais dû dormir une bonne partie de la nuit, nous étions le jour suivant.
« Reposée, malgré le choix de literie affreux. Votre manque de goût ne concerne pas uniquement vos vêtements, visiblement. » dis-je sur un ton acerbe.
Encore une fois, elle ne releva pas, et continua à m’observer à travers ses longs cils. Éclairée ainsi, je pouvais voir que ses prunelles n’étaient pas rouges, plutôt oranges, tel un feu incandescent. Une couleur bien particulière que je n’avais jamais vu chez aucun vampire. Elle me tendit sa main comme pour m’aider à me lever, je ne la pris évidemment pas.
« Aimerais-tu que je te fasse visiter les lieux ? Je pense que tu es très curieuse », me dit-elle
« Arrêtez votre cirque, Cassara. Vous n’avez pas besoin d’utiliser votre don. Je suis en effet curieuse de voir ce qu’il se trame ici », dis-je
« Tu es très perspicace, Rosalie. La plupart des gens ne savent même pas que je possède un don », me dit-elle, presque impressionnée.
« Vous n’êtes pourtant pas très subtile quand vous l’utilisez », affirmais-je en riant.
Elle partagea mon rire, et nous sortîmes de ma cellule pour arpenter les lieux. Nous traversions un long couloir de cellules alignées. J’entendais des bruits de pas dans une chambre, un souffle dans une autre. Je n’étais donc pas la seule à avoir été enfermée ici. L’angoisse m’envahit, mais il fallait la relayer au second plan. Discrètement, je tentais d’emmagasiner des informations. Je disposais de peu d’éléments. Pour l’instant, je savais que Cassara enlevait des vampires. Je ne distinguais pas d’odeur humaine. Elle devait tenter de mener à bien une expérience, mais j’ignorais dans quel but. Nous dépassâmes une salle qui ressemblait à un bloc opératoire. Je voulu m’y arrêter un instant, mais fis le choix de suivre Cassara. Je ne voulais pas révéler mes intentions trop rapidement.
Au bout du couloir, elle m’invita à entrer dans une pièce qui semblait être son bureau. Une bibliothèque décorait tout le fond de la pièce, dans laquelle des centaines de livres étaient rangés. Je pus lire quelques titres. Beaucoup de revues scientifiques, de livres sur la génétique, quelques histoires fantastiques. Elle contourna son bureau et s’installa sur une chaise imposante, au centre de la pièce. Elle m’invita d’un signe de la main à prendre place en face d’elle. Je m’assis, concentrée. Je voulais garder mon libre arbitre dans cette conversation. J’allais devoir lui dire ce qu’elle voulait entendre, pour qu’elle ne se sente pas obligée d’utiliser son don sur moi. Quelques instants plus tard, elle prit la parole.
« Rosalie, que penses-tu des vampires ? Plus précisément, que penses-tu de ta propre condition de vampire ? », me demanda-t-elle. Elle croisa les bras sur son bureau, déposa son menton sur ses mains. Elle m’observait avec intensité. Je choisis d’être honnête, en partie du moins.
« Au moment où je compris ce que j’étais devenue, j’aurais préféré être morte. », lui dis-je. Et c’était vrai. A l’époque, j’avais détesté Carlisle pour ce qu’il avait fait. J’étais certes devenue encore plus belle, plus forte, mais je m’en fichais. J’aurais donné tout ce que je possédais pour redevenir humaine.
« Et si je t’offrais la possibilité de redevenir humaine aujourd’hui, accepterai-tu ? », dit-elle, les yeux brillants
« Vous avez trouvé une solution pour inverser le processus ? », demandais-je réellement curieuse.
« C’est le but de mes recherches. Depuis un millénaire, je cherche un moyen pour permettre aux vampires de retrouver leur humanité. J’estime que les vampires n’ont aucune raison d’être. La vie devrait être ainsi faite : naître, vivre, et mourir. Nous sommes contre nature, et nous devons être éradiqués », récita-t-elle, comme elle avait dû le faire de nombreuses fois auparavant. Elle était convaincue de ce qu’elle disait. Je ne voyais aucun doute dans son regard. Cassara avait l’intime conviction que les vampires n’auraient jamais dû voir le jour. J’étais sur mes gardes. Il fallait que je trouve un moyen d’entrer dans son jeu. Il fallait qu’elle soit persuadée que j’étais d’accord avec elle. Sinon, elle m’y aurait forcé.
« J’aurais aimé vieillir, avoir des enfants. Cette époque ne m’apporte rien de plus, j’aurais dû mourir il y a 78 ans », lui dis-je. Ce n’était qu’une demi vérité. Certes, je croyais à ce que je disais, mais mon point de vue avait évolué depuis. Mon amour pour Emmet, l’arrivée de Bella dans la famille, la naissance de Renesmée, tout cela avait donné un second souffle à ma vie monotone. Aujourd’hui, j’avais une raison de vivre.
« Comment avez-vous trouvé la solution ? », demandais-je
« Le processus n’est pas tout à fait au point, mais je suis sur la bonne voie. Quand j’ai commencé mes recherches, il n’y avait pas de solution, car elle n’existait pas encore. Aujourd’hui, je pense avoir trouvé. » dit-elle avec entrain. « Je suis tout prêt d’y arriver, mais je vais avoir besoin de ton aide. C’est la raison de ta venue ici »
« De mon enlèvement plutôt. Il aurait fallu demander gentiment, je vous aurais suivie de mon plein gré », mentis-je
« Je n’avais pas la garanti que tu accepterais, et en tant que bonne scientifique, je ne laisse rien de côté. », répliqua-t-elle en riant
Je voulais en savoir plus, je voulais poser des questions, mais les réponses m’effrayaient. J’avais peur de la suite. J’avais peur de mes réactions qui pouvaient quelques fois me dépasser. J’avais réussi à établir un lien entre Cassara et moi, mais c’était fragile. Si elle me forçait à lui dire ce que je pensais, j’avais peur que ce lien ne vole en éclat.
« Aimerais-tu en savoir plus Rosalie ? Voir les expériences que je mène ? », demanda-t-elle impatiente
« Si vous ne m’obligez pas à porter une blouse blanche comme la vôtre, avec plaisir », lui dis-je toujours sur un ton amical. Entretenir l’illusion était devenue primordiale.
Elle partit dans un grand rire et se leva. Je suivis son mouvement et nous sortîmes de la pièce. Elle traversa un second couloir sur la gauche, continua sur quelques mètres et s’arrêta devant une porte un inox. Elle poussa la porte, et je tombai sur l’horreur de la situation. J’observais la scène qui se présentait à moi en tentant tant bien que mal de ne rien laisser transparaitre sur mon visage. Je savais qu’elle guettait mes expressions. Au moindre signe que je flanchais, elle n’hésiterait pas à me soumettre à sa volonté.
Nous étions dans une pièce immense, presque vide. Quelques armoires en inox longées les murs, ainsi qu’un réfrigérateur. Au centre de la pièce, deux lits d’hôpitaux et dans les lits, deux personnes. La première personne était familière. Charlotte, le visage pâle, les yeux assombris par la soif. La compagne de Peter qui avait disparu depuis quelques semaines avaient donc été la victime de Cassara depuis tout ce temps. Elle paraissait très affaiblie. En blouse d’hôpital, elle était encore plus frêle qu’au moment de notre rencontre. Elle semblait presque inconsciente de ce qu’il se passait autour d’elle. Dans le deuxième lit était allongé un homme à la peau brune. J’entendais son cœur battre et je compris qui il était à son odeur. Le loup garou m’étais inconnu, il n’était pas de la Push. Il était dans le même état d’affaiblissement extrême que Charlotte. Les deux étaient menottés à leur lit. Des bips stridents résonnaient de temps à autre dans la pièce. Une grande machine était présente derrière eux, mais je ne comprenais pas son utilité.
« L’appareil que tu vois récupère le sang, le mélange et le redistribue équitablement », m’expliqua Cassara quand elle vue l’incompréhension dans mes yeux.