Dernière Lune

Chapitre 6 : RENCONTRE

1839 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

72 heures plus tôt…

 

 

Emmett n’avait même pas insisté pour m’accompagner. Il savait que j’avais besoin de me retrouver seule. Je voulais respirer. Non pas qu’il m’étouffait mais j’étais ainsi faite. De temps à autre me venait l’envie de prendre une heure ou deux pour moi. De m’éloigner de tout le monde et me retrouver seule avec moi-même. Après tout, j’étais d’agréable compagnie. Je n’avais pas vraiment soif, mais c’est l’excuse que je servis à tous. C’est ainsi que je partis en direction de la forêt, laissant la Villa derrière moi. Je partis d’abord en direction du Sud, humant la faune avoisinante. Quelques cerfs, des écureuils, rien de bien intéressant. Comme si j’allais m’abaisser à boire le sang d’un rongeur. Voyons. Je courais sans but, laissant mes pensées vagabonder.

 

Notre voyage avait été fantastique. Je n’avais visité la France qu’une seule fois, et j’étais ravie d’y retourner. On dit souvent que les français sont froids, distants, presque hautains. Personnellement, je les ai trouvés charmants. Souriants, ouverts, pleins d’esprits. Sans doute une question de perception. Après tout, on m’a souvent décrite comme glaciale, distante, voire carrément intimidante. Et pourtant, moi, je me trouve tout à fait agréable. Chaleureuse, même. Affable, polie, presque hospitalière. Je n’ai jamais vraiment compris cette réputation, si vous voulez mon avis.

Je m’arrêtai dans ma course au milieu de nul part. Il n’y avait pas un bruit autour de moi, seulement le bruit du vent à travers les feuilles. Je fermai les yeux pour profiter du calme. J’aurais voulu m’asseoir dans l’herbe pour prolonger ce moment, mais hors de question que je n’abime mon pantalon. Cette matière était irrécupérable une fois souillée. Les gens d’aujourd’hui n’avait aucune considération pour le lin, ça me désolait. Il y eut un léger bruit sur ma droite auquel je n’y prêtai pas vraiment attention. Après tout, si quelqu’un tentait une approche, il serait probablement plus en danger que moi.

 

« Bonsoir », me dit une femme, non loin de moi, sur un ton calme.

 

J’ouvris légèrement mes yeux, et tourna la tête en direction de la voix. La femme s’approcha discrètement de moi, arborant un sourire énigmatique. Elle était belle, comme tous les membres de mon espèce. La peau pâle, presque laiteuse. Une longue chevelure noire qui dégringolait dans son dos, lisse et soyeuse. Et deux pupilles étranges. Elle avait ce genre de beauté tragique que les autres trouvent fascinante. Moi, je trouvais ça prétentieux. Je ne savais pas pourquoi, mais elle me rappelait quelqu’un. J’avais l’impression de l’avoir croisé quelque part. Mais c’était surement mon imagination. Je me serais rappelée d’elle si nous nous étions déjà rencontrés. Elle portait un long manteau blanc, descendant jusque ses mollets.

 

« Votre manteau ressemble à une blouse de médecin », lui dis-je, sans prendre la peine de répondre à son bonjour.

 

« Crois-le ou non, ce n’est pas la première fois que tu me fais cette remarque Rosalie », me répondit-elle, amusée.

 

Elle venait à l’instant de confirmer mes doutes. Un sentiment de malaise me traversa. Nous nous étions donc déjà rencontrées, et pourtant, je ne me souvenais pas quand, ni où. J’aurais aimé lui poser la question, mais une intuition m’en empêcha. Ma curiosité lui aurait donné l’ascendant sur moi, et il en était hors de question.

 

« Et bien, vous devriez peut-être changer légèrement de style. Malgré ma remarque, vous n’avez pas pris en considération mes arguments », dis-je, de la voix la plus neutre possible. J’affichais mon masque de fer sur le visage, tentant au maximum de dissimuler mes sentiments.

 

Elle paraissait presque troublée par ma remarque. Je vis passer sur son visage une incertitude, qui disparut aussitôt.

 

« Tu es un personnage fascinant Rosalie. Tu as failli m’avoir, l’espace d’une seconde. Tu ne sais pas qui je suis, n’est-ce pas ? », me dit-elle, un petit sourire s’étirant sur ses lèvres.

 

« Non, en effet. Et honnêtement, ça ne m’intéresse que très peu. » répondis-je, malgré la curiosité qui me tiraillait l’estomac. « Et maintenant, si vous permettez, je m’en vais. Cette conversation ne m’intéresse pas vraiment non plus ».

 

Je sentais qu’il fallait que je parte. Il fallait que je m’éloigne de cette femme. Le danger était bien réel.

 

« Moi, je pense que tu as très envie de rester converser avec moi », me dit-elle. Son ton changea imperceptiblement quand elle prononça cette phrase. Tout d’un coup, l’envie de rester auprès d’elle se fit plus forte. Je voulais en effet rester et en apprendre d’avantages sur elle. Après tout, je n’avais rien de mieux à faire.

 

« Peut-être pourriez-vous me dire votre nom déjà ? Visiblement, vous connaissez le mien. Cela nous mettrait à égalité », répondis-je sur un ton calme.

 

« Je m’appelle Cassara Viel, et crois moi. Même si tu connais mon nom maintenant, nous ne serons jamais à égalité. », dit-elle

 

Ce nom ne m’évoqua rien, ne réveilla aucun souvenir. J’étais extrêmement frustrée. En plus d’être arrogante, elle se permettait de me rabaisser. Cette femme m’irritait au plus haut point.

 

« Très bien, Cassara. Peut-être allez-vous enfin me dire ce que vous me voulez ? Vous me faites perdre mon temps, et celui-ci m’est précieux », répliquais-je. Je croisais les bras sur ma poitrine, dans le but de paraître sure de moi. Malheureusement, ce n’était qu’une façade. Étrangement, j’étais effrayée. Il se dégageait d’elle une aura sinistre.

 

« Bien sûr, mon enfant. Je te le dirais, en temps et en heure. Mais tout d’abord, je pense que tu as très envie de m’accompagner. Ma voiture nous attend non loin de là. Je pense que tu as envie de venir avec moi et de me suivre », dit-elle, encore sur un ton presque autoritaire, mais emplis de douceur.

 

Et immédiatement, j’eus envie de l’accompagner. Il fallait absolument que je monte en voiture avec elle. J’étais persuadée qu’elle avait besoin que je l’accompagne. Sans prononcer le moindre mot, je la suivis comme une ombre. Elle prit la direction du sud, m’éloignant un peu plus de mon chez-moi. Sur le trajet jusque sa voiture, elle ne parla pas. Elle ne regarda même pas en arrière pour voir si je la suivais toujours. Elle savait que j’étais là. Après tout, pour quelle raison ne l’aurais-je pas suivi alors que j’étais convaincue que je faisais le bon choix ?

 

Nous arrivions au bout de notre cours. Ce n’était pas une voiture que nous avions rejoint, plutôt une camionnette. Je m’arrêtai sur le bord de la route, l’angoisse me nouant l’estomac. Cassara m’observa du coin de l’œil, amusée par ma lutte interne.

 

« Pas d’inquiétude Rosalie, tu as envie d’être là. Tu veux mon avis ? », me dit-elle

 

Il fallait absolument que je parte. Il ne fallait pas que j’entende ce qu’elle avait à me dire. Je ne comprenais plus pourquoi j’étais là, mais j’avais le sentiment que si Cassara me suggérait quelque chose, j’aurais envie de la suivre, encore une fois. Je tentai de m’enfuir, parti en courant dans la direction opposée mais elle me rattrapa.

 

« Ne bouge plus Rosalie, je pense que tu as envie de t’arrêter. », dit-elle, sur un ton autoritaire. Ma course s’arrêta nette. Mes pieds étaient comme cloués au sol. Je n’avais plus envie d’avancer. Je compris tout à coup que c’était probablement un don. Elle réussissait à me diriger, en me suggérant des idées. Je savais que je voulais partir. Je savais que j’avais tenté de m’enfuir. Mais, je n’arrivais plus à bouger. Je voulais hurler, qu’on vienne me chercher. J’aurais aimé qu’Emmett soit là. Mais par ma faute, il était resté en retrait, pour me laisser profiter d’un peu de solitude. Quelle imbécile j’étais.

 

« Rosalie, écoute-moi attentivement. Je pense que tu as très envie de me suivre et monter à l’arrière de la camionnette. Tu vas grimper et t’allonger. Et je pense que tu as envie de t’endormir. », me dit-elle

 

« Je ne sais pas si vous êtes immortelle depuis quelques jours, mais je vous rappelle que les vampires ne dorment pas, Cassara », répliquais-je sur un ton acerbe.

 

« Tu verras Rosalie. Aussitôt dans la camionnette, tu auras terriblement envie de t’endormir. Et je pense réellement que tu t’endormiras, jusqu’à ce que je vienne te réveiller ».

 

Et c’est ainsi que je la suivi avec l’intime conviction que j’avais envie de dormir. Après tout, cela me manquait. Le sommeil. C’était un luxe que je n’avais plus goûté depuis ma transformation. Pouvoir fermer les yeux et les ouvrir plusieurs heures plus tard en étant parfaitement reposée. J’avais besoin de dormir, pour être alerte à mon réveil. J’étais persuadée que je devrais me réveiller concentrée.

Mes idées se divisaient en deux dans mon esprit. D’un côté, pourquoi lutterai-je contre Cassara ? J’avais envie de dormir, j’avais envie de la suivre. Je voulais lui faire plaisir dans un sens. Elle voulait juste passer du temps avec moi. Qui ne l’aurait pas souhaité ? De l’autre, j’avais la conviction que Cassara était dangereuse, qu’elle insufflait dans mon esprit des idées qui n’étaient pas les miennes. Je savais qu’elle me manipulait et que je n’arrivais pas à lutter contre. Il fallait que je trouve un moyen pour détourner son don.

 

Et c’est ainsi que je la suivis jusqu’à la camionnette, montant à l’arrière. Une fois entrée dans le véhicule, une envie irrépressible de fermer les yeux me gagna, et je m’endormis pour la première fois en plus qu’un siècle d’existence.


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