En attendant la pluie

Chapitre 14 : Les enfants de minuit

4350 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 3 mois

Avant-propos : toujours pas de Bêta, mais j’essaie de veiller au grain pour l’orthographe ;)

Alors, après une longue attente voici le « début » du chapitre consacré à Esmée… Ce n’était originellement pas prévu qu’il soit présenté en deux parties, mais une fois entièrement rédigé, je n’ai pu que constater à quel point il était long et ai préféré scinder ^^’’ C’était la première fois que j’écrivais quelque chose sur Esmée et l’exercice fut un poil laborieux : dans le canon, elle m’apparaît comme le membre des Cullen ayant la caractérisation la moins étoffée et les réactions les plus stéréotypées. En gros, le personnage entier repose sur un concept : « c’est la mère adoptive idéale ».


À part savoir qu’elle a eu une vie humaine atroce (franchement, c’est sûrement le personnage de la saga qui remporte la palme niveau souffrance/destin tragique… et pourtant – avec Rosalie notamment – il y avait une concurrence féroce) et qu’en dépit de cela, elle est une personne extrêmement positive, en plus d’être une excellente mère "de substitution", on n’a aucune info sur elle. Bref, voilà ce que ça donne, je préviens par avance que la seconde partie (que je publierai dans quelques jours, vu que je vous ai assez fait poireauter comme ça :’)) sera essentiellement consacrée au passé d’Esmée (et les thèmes explorés seront spécialement durs). En attendant, bonne lecture… avec ce semi-chapitre qui, du coup, ne règle toujours pas complètement l’incident Jasper/Emmett, contrairement à ce que j’avais annoncé !  


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Esmée entra à son tour, les sourcils froncés, son visage inhabituellement sévère. Elle était suivie de près par Rosalie, dont la démarche raide et l’expression glaciale, ne laissaient planer aucun doute sur son humeur. Son regard acéré balaya la pièce, s’arrêtant brièvement sur chaque visage, s’attardant sur celui d’Emmett – qui parut rétrécir sous cette évaluation peu amène – avant de s’ancrer dans celui de Jasper. Échange d’œillades meurtrières de part et d'autre.


Carlisle prit une profonde inspiration et avala son venin dans une déglutition nerveuse.


Zugzwang, en effet.



« Là où il n’y a pas d’espoir, nous devons l’inventer. »


Albert Camus – Discours au Cercle du Progrès, janvier 1956.



Esmée retint un soupir et jeta un regard oblique au profil de Rosalie. Celle-ci était retranchée dans un silence hostile depuis leur installation dans le véhicule. Elle les conduisait rapidement à travers la succession de routes de campagne cabossées pour leur faire regagner au plus vite la propriété cachée dans des bois à quelques kilomètres de la bourgade au sein de laquelle Carlisle exerçait en tant que médecin. Sa colère bouillonnait toujours de manière visible : les coins de sa bouche parfaite, plissés, donnaient à son beau visage une expression amère. Alice, assise à l’arrière de la voiture, était demeurée parfaitement immobile ; mutique depuis le début du trajet. Les épaules basses, la voyante observait distraitement le paysage défilant à vive allure derrière la vitre, les yeux perdus dans le vague : son corps frêle semblait presque replié sur lui-même, sa posture vaincue ; comme si le vampire menu cherchait à occuper le moins d’espace possible de manière à se faire oublier. La tristesse se dégageant de la jeune fille habituellement souriante et pleine de vie, serrait le cœur d’Esmée.


Jamais elle n’aurait pu imaginer que les choses allaient prendre un tour si compliqué entre ses filles adoptives en seulement quelques heures. Convaincre les deux vampires de baisser pavillon et les obliger à quitter manu militari la boutique sans heurts – ni comportements aberrants aux yeux des spectateurs humains imprévus – n’avait pas été une mince affaire. Le voyage de retour, effectué dans une ambiance lourde, n’avait rien fait pour apaiser leurs nerfs respectifs. Les conséquences de la confrontation flottaient encore sinistrement. Maintenant, qu’il restait moins d’une dizaine de minutes avant qu’ils n’atteignent le manoir, Esmée jouait avec l’idée de tenter de crever l’abcès entre Alice et Rosalie. Ce serait sans doute moins chaotique d’essayer de réduire un minimum les tensions à cet instant que d’attendre qu’ils soient tous réunis pour d’éventuelles explications. Peu importe ce qu’Alice avait « vu » ; Jasper et Emmett étaient les seuls vraiment à même d’éclaircir les choses pour démêler les bribes d’informations perçues sur leur « conflit ».


Esmée détestait les conflits. Elle n’aimait pas les cris et abhorrait que les choses deviennent tendues au point que les gens se lancent des invectives à la figure. Elle supportait encore moins la perspective – lointaine, mais toujours gravée dans un recoin de son esprit – qu’une dispute aboutisse à de la violence physique. C’était une crainte injustifiée au sein de sa famille, mais trop profondément ancrée pour qu’elle parvienne à complètement la nier. Chaque fois que des querelles se déroulaient sous ses yeux, elle sentait une partie de son être – paraissant encore très humaine – menacer de sombrer, tandis que ses mains se crispaient et que sa gorge se nouait. La sensation de son souffle se coupant associée à une angoisse rampante qui s’insinuait et lui tordait les entrailles, lui comprimant la poitrine et l’empêchant de bouger un cil lorsque des éclats de voix commençaient à résonner. Edward et Rosalie avaient rapidement compris – ils avaient en cela été bien aidés par les pouvoirs du télépathe – au fil des leurs premiers mois de franche inimité le mal qu’occasionnait à leur mère adoptive leurs discordes venimeuses. Voilà près d’une décennie qu’ils prenaient soin de conserver une relative courtoisie l’un envers l’autre, même lors de leurs pires désaccords.


Plus ils approchaient de la résidence Cullen et plus le silence de plomb dans la voiture devenait accablant. Seules les vibrations du moteur et le crissement des pneus sur le gravier troublaient l’atmosphère glaciale régnant dans l’habitacle. Esmée hésita un instant avant de poser une main légère sur l’avant-bras de Rosalie. La tension sous la peau parfaite était tangible : la colère couvait encore en elle, semblant prête à exploser à la moindre provocation. Ne pas prendre suffisamment garde risquait d’attiser la fureur larvée plutôt que de l’étouffer : il fallait intercéder en douceur. En jetant un œil au reflet dans le rétroviseur intérieur, Esmée put voir Alice se tendre de manière presque imperceptible : ses mains fines se croisant nerveusement sur ses genoux et sa tête faisant un minuscule mouvement machinal dans leur direction – comme si la petite voyante se retenait de se tourner vers elles – alors qu’elle continuait à prétendre fixer son attention sur le paysage alentour. Esmée prit sa voix la plus calme pour raisonner sa fille aînée, espérant afficher davantage de sérénité qu’elle n’en ressentait.


— Rosalie, je sais à quel point tu tiens à Emmett, et je comprends parfaitement pourquoi toute la situation t’a mise en colère. Mais il faut essayer de prendre du recul… Nous n’avons eu que des informations tronquées sur ce qu’il s’est passé mais tu as entendu Alice plus tôt. Nous n’aurons pas le fin mot de l’histoire avant d’être rentrées, mais – s’il s’agissait bien d’un simple malentendu et que Jasper et Emmett ne sont pas en froid – alors rien ne mérite une réaction aussi excessive. Si les garçons ne s’en tiennent pas rigueur l’un l’autre… je pense qu’il faut les écouter et simplement passer l’éponge.


Rosalie contracta ses mâchoires, l’air revêche et lui adressa un regard pointu – plein de reproches – avant de crisper légèrement ses mains sur le volant. Elle ne lui répondit pas immédiatement, se contentant de fixer le chemin sinueux devant elle avec une intensité farouche. Ses yeux mordorés brillèrent d’un drôle d’éclat. Après plus de deux minutes d’un silence complet – ce qui pouvait paraître étonnement long à des êtres réfléchissant à vitesse vampirique –, elle lâcha le plus léger des grognements, portant un regard – froid et évaluateur – sur la mince silhouette recroquevillée sur la banquette arrière, avant de prendre parole, d’un ton lapidaire.


— Ce n’est pas qu’une question de rancune, mais de sécurité. Je ne veux pas risquer la vie de ma famille en accordant naïvement une confiance déplacée à des étrangers aux réactions violentes. Je ne crois pas que nous aurions dû les accepter si facilement chez nous. Plus maintenant. Alice…


L’extralucide, toujours prostrée, ferma brièvement les yeux à l’entente de son nom. Esmée put entendre la fille déglutir et les tremblements – presque imperceptibles quelques secondes auparavant – de ses doigts graciles sur ses genoux devinrent visibles, alors qu’elle tournait résolument son visage vers Rosalie, fronçant les sourcils. Elle rétorqua d’une voix basse et morne, le timbre moins cristallin qu’à l’accoutumée ; caché derrière la tristesse, le ton recelait un soupçon d’amertume bien audible.


— Jasper ne voulait pas blesser Emmett. Et Emmett est réellement désolé d’avoir fait peur à Jasper. Ils s’en veulent plus que tu ne peux l’imaginer… mais tu ne t’en soucies pas. Tu te moques de leurs explications ou de ce qu’ils ressentent. Tu as déjà pris ta décision.


La sentence était sèche. Rosalie serra tellement ses phalanges – faussement délicates – sur le volant face à la pique que le cuir émit un couinement sinistre. Esmée eut un instant peur que le fragile équipement se brise sous la force des doigts de sa fille.


— Je ne m’en moque pas, mais ça ne change rien aux faits ! Si Jasper avait voulu tuer Emmett, il aurait aisément pu le faire, n’est-ce pas ? C’est ce que tu as manqué de dire, tout à l’heure !


Rosalie courroucée – et profondément ébranlée par la perspective, même si elle le cachait – siffla presque sa dernière phrase. Alice secoua vivement la tête, faisant s’agiter ses mèches courtes et hérissées ; une expression mi-coupable, mi-désespérée, peinte sur ses traits fins. Elle ouvrit la bouche, puis la referma, peinant visiblement à trouver les mots justes. Son regard semblait voilé par un sentiment qu’Esmée ne parvenait pas totalement à décrypter. Une tristesse atterrée ? Une douleur plus intime encore ?


Elle paraissait passablement bouleversée. La fille n’avait certainement jamais eu l’occasion de se disputer avec qui que ce soit ailleurs que dans ses visions. Elle devait très mal supporter l’ambiance électrique, d’autant que son don ne lui permettait apparemment pas d’entrevoir d’issue enviable. Esmée supposait que les enjeux de la dispute étaient déchirants pour le petit vampire : Alice avait passé des décennies à se nourrir de l’illusion de futurs liens familiaux heureux au travers de ses visions. Et elle avait attendu près de trente ans pour pouvoir les rencontrer… Que les choses tournent mal si peu de temps après la rencontre réelle et que leurs relations s’avèrent bien moins idylliques que celles que ses prémonitions lui avaient montrées devait lui briser le cœur. Et, sans doute, remettre en cause sa façon de voir le monde.


Esmée soupira. La brutalité l’horrifiait et elle exécrait la violence, peu importe la forme que celle-ci prenait. Dieu sait qu’elle ne voulait certainement pas qu’une personne aux tendances agressives habite sous son toit ; pourtant, elle ne pouvait soutenir la décision abrupte et – en apparence – catégorique de Rosalie. En dépit de ses abords froids, l’ancien soldat n’avait pas manifesté le moindre signe de violence contenue depuis son installation ; au contraire, il paraissait avoir un tempérament – étonnement, vu son passif – doux et agréable. Elle ne se lassait pas de voir la tendresse avec laquelle il traitait sa compagne, d’entendre le lourd accent du Sud qui imprégnait immanquablement les nombreuses formules de politesse à la texane dont il les abreuvait spontanément, ni des sourires faciles qui agitaient ses lèvres à la plupart des plaisanteries d’Emmett. Encore moins des curieuses sensations de sérénité et de contentement qui flottaient régulièrement autour de lui, sans qu’il en paraisse le moins du monde conscient. Esmée savait que des hommes charmants en apparence pouvaient dissimuler leur monstruosité sous des manières caressantes, mais elle était une bonne juge de caractère depuis ses déboires avec son premier époux [1]. Son instinct lui soufflait que Jasper – malgré sa tortueuse histoire de bourreau – était tout sauf une personne cruelle. Elle pariait qu’Alice disait la vérité en affirmant qu’il n’avait pas volontairement cherché à faire de mal… seulement à se défendre via les réflexes malencontreux forgés par des décennies de guerre. Survivre près d’un siècle dans un univers féroce ne se faisait pas sans séquelles notables. Si Jasper avait réellement blessé Emmett par peur, c’était quelque chose qu’Esmée pouvait facilement comprendre et excuser.


Elle prit une inspiration inutile et serra de nouveau légèrement le bras de sa fille aînée ; elle étudia, du coin de l’œil, le reflet de sa récente invitée dans le rétroviseur : celle-ci sembla brièvement interloquée – perdue dans un nouveau flash – mais au bout de quelques secondes, même si sa mine était toujours basse, elle risqua un regard plein d’espoir dans sa direction. Le sentiment lumineux éclaira un peu son beau visage chiffonné. Ils avaient tous besoin d’un peu d’espoir et d’indulgence. Esmée raffermit sa résolution et prit un ton doux, mais assuré.


— Rose. Je peux me tromper, mais je crois que ce qu’Alice voulait dire c’est que Jasper n’aurait jamais involontairement pu tuer Emmett. Un vampire ne peut pas en tuer accidentellement un autre. Jasper n’ayant jamais eu l’intention de tuer Emmett, celui-ci n’a, à aucun moment, été en danger de mort. N’est-ce pas ?


La petite voyante, décroisa les bras, avala sa salive et hocha frénétiquement la tête à l’affirmation. Un sourire précaire fleurit sur ses lèvres et une partie de la tension dans ses épaules sembla s’évaporer. Le biceps – fin mais dur comme le marbre – de la conductrice tressaillit sous sa paume. Le véhicule ne fit cependant aucune embardée, montrant que la vampire en maintenait la maîtrise complète, malgré sa fébrilité. Esmée savait que Rosalie pouvait parfois être emportée et versatile, mais elle était également intelligente, rationnelle et bien plus compatissante qu’elle ne le laissait paraître. Si Esmée trouvait des arguments solides et que sa fille n’était pas trop prise par ses inquiétudes pour les entendre, elle lui donnerait la latitude de régler paisiblement les choses.


— Si Emmett et Jasper confirment ce qu’Alice a dit. Pourras-tu enterrer la hache de guerre et accepter que Jasper a agi par instinct, et non par hostilité ? Ce ne sera pas la première fois que l’un d’entre nous blesse involontairement un autre membre de la famille. Et, jusqu’alors, nous n’avons jamais exigé le départ de qui que ce soit. Je refuse que ça commence maintenant !


Grâce à leurs mémoires parfaites, Esmée n’avait aucun doute que les « blessures involontaires » évoquées venaient immédiatement à l’esprit de Rosalie. La majeure partie d’entre elles découlaient de l’année de nouveau-né d’Emmett. Sa fille aînée se renfrogna, une moue incertaine agitant le bord de ses lèvres pleines. Elle lui adressa un regard étrange, presque troublé, lâchant entre ses dents serrées, un murmure sec.


— C’est différent.


Non, ça ne l’était pas et Rosalie le savait. Et elle semblait d’ailleurs prête à baisser les armes. Esmée secoua gentiment la tête, lui adressant un sourire encourageant.


— Bien sûr que non. Tout le monde fait des erreurs. Emmett et Jasper ont droit de faire les leurs et de les réparer à leur manière. Ils sont les seuls impliqués : leur opinion sur l’incident devrait être la seule chose qui compte. Je sais à quel point tu aimes Emmett, mais tu ne peux pas faire des choix à sa place. S’il veut pardonner à Jasper, ou estime qu’il n’y a rien à pardonner… Ne lui refuse pas cela, s’il te plaît.


Et ne me refuse pas de garder mes enfants à mes côtés, souffla-t-elle dans son esprit, n’osant cependant pas énoncer les mots à haute voix.


Parce que c’était ridicule [2] – Esmée en était bien consciente – mais quand Alice avait affirmé qu’elle et Jasper allaient rejoindre la famille et se faire « adopter » par elle et Carlisle, elle l’avait pris pour un fait acquis. Et de la même manière que pour Edward, Rosalie et Emmett, ils avaient creusé une place dans son cœur de manière quasiment instantanée, sans même qu’elle ne puisse y accorder une seconde pensée. Dans cette étrange existence, même si ce n’était que pour l’apparat, elle avait des enfants et se devait d’en prendre soin.


Alors, la possibilité d’un départ des deux nomades – à peine ceux-ci arrivés chez eux – lui serrait la gorge de manière presque irrationnelle. La vérité est que, même s’ils venaient d’intégrer leur famille seulement trois semaines auparavant, elle était déjà profondément attachée aux nouveaux arrivants. Certainement par la faute de l’instinct maternel « excessif » qui l’avait tiraillée depuis son éveil en tant qu’immortelle.


Elle était morte juste après avoir donné la vie. À peine quelques heures après le décès de son enfant, encore bombardée d’hormones et l’esprit en ébullition. Pleine d’un amour incommensurable et agitée par la nécessité de prendre soin d’un être ayant viscéralement besoin d’elle. Une envie latente ayant perdu sa raison d’être dès que son bébé avait rendu son dernier souffle.


Carlisle croyait que les principaux traits de caractère, ainsi que les dernières expériences vécues par les personnes mordues jouaient un fort impact sur leur façon d’être en tant que vampires. Il pensait que les aspects les plus prégnants de la personnalité des humains transformés s’exprimaient de manière encore plus intense une fois modifiés par le venin. Ainsi, l’ancien pasteur – proprement horrifié lorsqu’il avait réalisé s’être changé en la créature surnaturelle que lui et sa congrégation traquaient – avait été si désespéré de ne blesser personne que cela avait suffi à ce qu’il désobéisse aux pulsions assassines parcourant son corps, contredisant tous les pronostics biologiques. Et, après quelques années à repousser sa soif de sang, il était devenu à même de se maîtriser assez pour soigner les gens et les sauver ; endossant le rôle de médecin comme d’autres auraient embrassé un sacerdoce. Un vampire humaniste, se refusant à tuer des humains pour subsister et ayant nié tous ses instincts au point de les faire taire : le Stregoni Benefici [3], un spécimen unique en son genre. La résistance à la soif de sang dont il faisait montre, paraîssait incongrue même à des immortels vieux de milliers d’années. Les sœurs Denali supposaient que la capacité de son époux à garder ses instincts meurtriers verrouillés venaient de la personnalité extraordinairement douce et pacifiste qu’il avait dû posséder, même en tant qu’humain. Sa compassion était considérée par Eleazar [4] comme un talent à part entière ; de manière analogue à la télépathie d’Edward et aux pouvoirs spéciaux de certains autres vampires.


Si les tendances miséricordieuses de Carlisle avaient été exacerbées par sa transformation ; peut-être que le besoin viscéral de prendre soin des autres qu’Esmée éprouvait découlait en partie de son changement ? Elle ne pourrait jamais en être sûre : elle ne savait pas à quel point elle avait été une personne aimante et charitable de son temps en tant qu’humaine ; la plupart de ses souvenirs de cette époque étaient horriblement embrouillés.


Autant la mémoire vampirique était absolue et sauvegardait chaque expérience emmagasinée à compter de la transformation ; autant les premiers mois passés en tant que vampire semblaient déterminants sur ce qu’un immortel pouvait ou non conserver de sa mémoire humaine : si celle-ci n’était pas suffisamment entretenue, elle tendait à s’étioler de manière irrémédiable. Ainsi, Carlisle et Edward avaient insisté à son éveil sur l’importance qu’elle se focalise sur ses souvenirs humains, si elle ne voulait pas risquer que ceux-ci disparaissent.


Elle n’en avait rien fait, désirant au contraire les laisser s’effacer le plus possible.


Edward n’avait pu manquer de le savoir. Pourtant, il avait respecté son choix, ne faisant aucun commentaire pour l’en dissuader.


Sa mémoire humaine était plus que parcellaire et ça lui convenait parfaitement. Ce qui lui restait de son enfance, c’était quelques flashs, des sensations floues, joyeuses et décorrélées : elle se rappelait avoir été heureuse, courant les champs et faisant les quatre cents coups avec ses frères, ses cousines et amis des fermes alentours. Elle ne se rappelait plus les visages de ses frères à l’âge adulte, tous deux décédés à peine majeurs, bien loin de chez eux, pendant la première année de conscription – envoyés mourir au front et n’en étant jamais revenus, même entre quatre planches –, mais pouvait parfaitement les visualiser à l’âge de sept ou huit ans, comme des garnements turbulents. Elle ne se souvenait plus du goût de la nourriture, mais se rappelait avoir été gourmande, amatrice de fruits sucrés et tourtes salées à la viande. Des images fugaces d’instants où, encore adolescente, elle s’amusait derrière les fourneaux lui donnaient l’impression qu’elle avait dû beaucoup aimer cuisiner. Elle se souvenait avoir adoré observer la nature et avoir souvent eu envie de la peindre, mais ne jamais avoir réellement sauté le pas à cause de ses piètres capacités de dessinatrice ; sa main ne parvenant pas à concrétiser les intentions de son cerveau. C’étaient les bribes fugaces d’une poignée de bons moments. Et de certains de ses pires instants.


Les quelques souvenirs précis ayant échappé à l’oubli portaient sur des moments charnières de sa vie humaine.


Elle se souvenait parfaitement sa première rencontre avec Carlisle.



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Notes :


* Le titre du chapitre est emprunté au roman « Les enfants de Minuit » de Salman Rushdie.


[1] On parlera un peu plus précisément de Charles Evenson, le fameux – infâme – premier mari d’Esmée dans la seconde partie.


[2] Autant pour Carlisle, qui a plus de trois siècles, il est plutôt facile de comprendre le pourquoi du comment il peut si facilement jouer au patriarche avec les autres vampires de la famille Cullen, autant pour Esmée, la notion est plus délicate : si on se fie simplement aux dates de naissance elle est à peine plus âgée qu’Edward, Alice, Rosalie et Emmett et bien plus jeune que Jasper. Outre l’aspect arrêt de maturation à l’âge de la transformation évoquée dans le dernier chapitre (Esmée ayant été changée à 26 ans ; là où Jasper, Alice et Emmett seraient figés à 19 ans), je me dis que son aptitude naturelle à materner ceux qui l’entourent de manière générale (et la joyeuse troupe de morts-vivants plus spécifiquement), doit en partie découler de sa personnalité humaine et du contexte dans lequel elle est morte.


[3] Le terme Stregoni Benefici (littéralement « sorcier bénéfique ») est spécifique au canon Twilight, dans le lore, il désigne une créature légendaire issue du folklore italien. Ce mythe décrit un monstre immortel et bienveillant, désireux de protéger les humains des créatures de son espèce. Il est directement associé à Carlisle par plusieurs personnages de la saga, bien que ce dernier ne confirme jamais si la légende porte effectivement sur lui et résulte de son passage à Volterra.


[4] Eleazar est un vampire végétarien membre du clan Denali (ayant fait partie durant plus d’un siècle de la garde Volturi), grand ami de Carlisle, il a la capacité de déceler les talents chez les autres vampires et de comprendre la nature exacte de ceux-ci. Plus sûre que ce que je mentionne ici concernant la compassion « surnaturelle » de Carlisle soit canonique mais Eleazar explique à Bella que les talents spécifiques des vampires découlent de leurs principales caractéristiques humaines.


La seconde partie du chapitre à paraître avant la fin de semaine, promis, je lui fais juste subir une – des ? – dernière relecture avant publication ;)




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