Trop besoin de lui
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14. Intuition
Je suis dans un premier temps le petit chemin de terre. Je constate après quelques mètres qu’il est balisé, de larges bandes de peinture sont tracées régulièrement sur les troncs ou les rochers, ce qui me facilite un peu la tâche, pour le début au moins, car je sais que je devrais bientôt m’éloigner des sentiers battus pour pouvoir trouver mon Loup.
Le bois est clairsemé, mais les essences d’arbres sont déjà nombreuses : des acajous, des ormes, des pins, des cèdres entre autres se côtoient sur ce terrain humide.
Au fur et à mesure que je m’avance, la forêt se densifie, les fougères se font hautes, et je marche maintenant sur le tapis vert de mousse qui prolifère au sol et sur les pierres, laissant pour le moment les écorces au lichen.
Les couleurs qui inondent mes yeux sont chatoyantes. La palette de vert se décline à l’infini, passant du tilleul au céladon et du jade à l’émeraude là où le soleil filtre à travers le rideau de végétation, faisant étinceler les feuillages comme autant de pierres précieuses. Viennent s’y ajouté des touches de couleurs bigarrées : de nombreuses fleurs poussent dans l’herbe et sur les branches : du jaune d’or, du fuschia, du bleu, du blanc, en minuscules ou larges pétales veloutés.
Peu à peu, mon ouïe s’habitue au bruit feutré de mes pas, et je distingue par dessus les piaillements et les lourds battements d’ailes des oiseaux et le ruissèlement de la rivière, toute proche.
Après une bonne heure de marche sur le chemin tracé dans les herbes hautes, je m’en détourne lorsque mon œil est attiré par des grandes raies de soleil qui mettent en lumière de belles roches brunes et une pente un peu plus escarpée où pierres et racines forment un escalier naturel entre les fougères.
Je redouble de prudence en l’empruntant essayant d’éviter la chute. Malgré cela, je trébuche plusieurs fois, mais par chance je parviens toujours à me rattraper avant de m’écraser au sol.
Tout en avançant je réfléchi, et les battements de mon cœur redoublent quand je pense que c’est mon intuition, mon lien invisible avec Jacob qui me guide sur ce chemin pour le retrouver. C’est assez étrange mais je veux y croire. Je suis sûre que je le trouverais bientôt, et même si je n’y parvenais pas directement, je sais que c’est lui qui parcourrait les derniers mètres pour venir à moi, car en tant que loup son instinct est certainement plus fort. Mon âme se réchauffe en pensant à nos retrouvailles prochaines.
Après quelques coups d’œil à la boussole et à la carte, je continue ma progression lente (car attentive) vers le Nord-Ouest, toujours en amont.
La végétation est encore plus présente maintenant, la mousse se fait dense sur chaque tronc d’arbre et chaque racine.
L’atmosphère moite sent la terre et la sève, mes narines s’en régalent quand c’est mon oreille cette fois qui détecte un son qui m’attire : le tintement familier du ruisseau est maintenant remplacé par le fracas de gerbes d’eau. Je devine une cascade plus au Nord et continue instinctivement mon avancée vers elle.
Mes pieds foulent maintenant de gros trèfles, constituant un épais tapis vert et j’arrive à la chute d’eau, basse et large. Le débit d’eau est impressionnant, il déferle entre les rochers arrondis par l’érosion en un torrent violent et sourd.
Mais l’endroit reste muet à mes sens, je suppose que ma route doit continuer.
Je remonte la rivière sur plusieurs centaines de mètres, elle est plus étroite maintenant.
La faim commence à me tirailler le ventre, je profite donc d’un amas rocheux pour faire une pause. Les roches enchevêtrées recouvertes de mousse m’offrent un siège assez confortable.
J’ouvre mon sac à dos, sort ma bouteille d’eau dont je bois deux gorgées, puis mes sandwichs.
J’en profite pour regarder l’heure à mon portable, il est 13h37, cela fait bientôt trois heures que je marche en pleine montagne.
Evidement mon mobile ne capte pas de réseau. De toute façon Charlie doit encore être au poste de police à cette heure, ignorant tout de mon escapade.
Angela et les autres doivent eux avoir repris les cours depuis quelques minutes.
Et Jake ? que fait-il à cet instant ? Il erre dans les sous bois, à la recherche d’un quelconque gibier ; il cherche un point d’eau où étancher sa soif ? Il vagabonde sans aucun but, l’âme en peine ?
Cette pensée me serre le cœur et j’ai du mal à avaler la bouchée de pain de mie tant ma gorge s’est resserrée. Je range finalement mon deuxième club, je n’ai pas envie de restée là plus longtemps, je dois reprendre ma quête.
Je marche de plus belle, me frayant un passage dans les ramures, le long de la rivière toujours, remontant son cour, et j’arrive après un certain temps à un endroit où elle se scinde en deux parties inégales, celle que je suivais jusqu’à présent étant plus importante que le ruisseau qui s’y jette sur sa rive gauche.
Je m’arrête, tendant l’oreille du mieux que je peux pour entendre le chuchotement de mon intuition. J’observe la rivière, en amont, puis son petit affluent.
Sans plus tergiverser, je bifurque à gauche, me détournant du cour d’eau principal.
Cette fois je comprends la raison qui m’y pousse : bien que la forêt soit assez sombre par endroit, les eaux du ruisseau scintillent au loin entre les rochers et les racines noueuses, sous l’effet des rayons lumineux qui percent la masse feuillue des hautes cimes. Jacob n’est-il pas mon soleil ? Celui qui illumine ma vie et réchauffe mes humeurs sombres d’un simple sourire solaire ?
Je marche d’un pas déterminé, sentant en mon fort intérieur que mon but est imminent. Je manque d’autant plus de tomber, mais qu’importe, je ne risque pas grand chose avec la profusion de mousse humide qui recouvre tout. Je trottine presque maintenant, et il me semble entendre une nouvelle chute d’eau pas très loin, moins importante que la première cependant, car je perçois juste le bruit doux de filets d’eau qui crépitent. J’avance haletante parmi les branchages, me griffe ça et là, ne prêtant plus autant d’attention qu’au début, mon cœur bat la chamade sans que je puisse l’expliquer par une excuse tangible.
J’arrive enfin à la cascade, fin voile blanc tombant d’une crête rocailleuse dans un petit point d’eau vert émeraude, lit de mon ruisseau. Le trou que forme la paroi rocheuse incurvée dans la forêt est dégagé, les arbres et les fougères l’encadrent docilement. Je reprends mon souffle, contemplant se petit coin de paradis sauvage et je constate que je ne ressens plus aucune urgence au fond de mes entrailles. Je me sens plus sereine, soulagée.
C’est alors qu’un imperceptible mouvement dans le paysage attire mon regard. Une tâche brune se détache d’entre les arbres, au sommet de la petite falaise.
Je concentre mon attention, et ma respiration est instantanément interrompue : un loup brun-roux m’observe de là haut, immobile.
J’hoquète, mon cœur se remet à battre et un sourire fend mon visage, incontrôlable.
Je me ravise quand je ne le vois toujours pas bouger, et c’est la peur qui m’assaille soudain : si ce n’était pas Jacob mais un vrai loup ? Mes muscles se figent et ma respiration s’emballe aussitôt.
Je secoue la tête tout en l’observant : non c’est lui j’en suis certaine : même à cette distance, je reconnais ses pattes chocolat, son beau pelage auburn, sa gorge sable, et ses yeux perçants couleur de cannelle. D’une voix vacillante, j’appelle son nom qui résonne sur la paroi de roche blanche et Sienne qui nous sépare.
-« Jacob ? » Il ne bronche pas.
Son immobilité me désespère, je perds pieds et m’affale, genoux dans la boue.
J’essuie les larmes qui noient déjà mon regard et relève la tête vers la bute s’élevant à 5 ou 6 mètres.
Il a disparu. Ais-je rêvé ?
J’ai de nouveau du mal à respirer, je ne veux pas croire que j’ai juste était victime d’une hallucination.
Soudain j’entends une branche craquer derrière moi, je ne peux réprimer une bouffée de panique et me relève si vite que j’en ais le tournis.
Le loup est bien là, il s’approche de moi avec prudence.
Je me relève doucement, me tournant vers lui et lui tends la main sans un bruit.
Quelle folle ! Si ce loup n’est pas Jacob, ce geste signe tout bonnement mon arrêt de mort. Mais j’ai confiance en son regard calme.
J’avance d’un pas et il fait le reste du chemin jusqu’à ce que son museau caresse ma main. N’ayant que faire de sa forme lupine, je tombe à genoux et enserre son cou, enfonçant sans crainte mon nez dans sa toison rousse, puis l’entends gémir faiblement. Je me dégage un peu, sans relâcher mon étreinte et prononce tout bas des mots que je n’avais même pas réfléchis.
-« Jake je suis tellement désolée. Tout s’est passé si vite. Quand Il est revenu, j’ai eu des doutes, c’est vrai, mais ils ont tout de suite été balayés par l’amour que je te porte et la beauté de tes sentiments à mon égard. Je n’ai pas un seul instant voulu me remettre avec lui, je te le jure. »
Je sens tout son être tressaillir, et l’instant d’après, c’est ses épaules nues et chaudes que mes mains touchent. Ma joue contre son cou, je n’ose bouger plus, ni regarder son corps, troublée par sa nudité. Je me sens rougir et bredouille bêtement:
« Je t’ais pris des vêtements de Charlie, mais ils sont restés à ma chambre d’hôtel. »
Il ne répond pas, se contente de me serrer fort contre sa peau douce, respirant dans mes cheveux.
-« C’est vrai Bella ? » demande-t-il enfin en prenant ma tête entre ses paumes et plongeant son regard ardent dans le mien.
L’entendre prononcer mon nom est une délivrance, la chaleur fait son retour dans mon cœur. J’acquiesce en clignant des yeux, il embrasse derechef mes paupières et mes joues puis me regarde de nouveau :
-« Tu es venue seule jusqu’ici ? » s’étonne-t-il, ému, en contrôlant que je suis en un seul morceau.
-« Oui » dis-je, pas peu fière d’être effectivement entière.
« Je devais te retrouver et te dire la vérité. Je t’aime Jacob. J’ai trop besoin de toi dans ma vie. Je suis désolée de t’avoir laissé croire autre chose. »
-« Chuuut » fait-il en mettant un doigt sur mes lèvres.
« C’est moi qui suis stupide de m’être enfuis comme ça sans même t’écouter. Il est vrai qu’à aucun moment tu m’as dit vouloir me quitter. J’ai tiré des conclusions hâtives, à cause de mon manque de confiance en moi je suppose, qui s’est malheureusement traduit en manque de confiance en toi. C’est moi qui suis désolé. »
Je le regarde avec des yeux d’enfant chagrinée, et lui me retourne un sourire tendre. J’attrape à mon tour sa mâchoire entre mes deux mains blanches qui jurent avec le cuivre de sa peau, et lui vole un baiser.