La Destiné de la Terre des Illusions (DdlTI)

Chapitre 73

Un concert entre amis

       Sanae savait bien qu'elle et ses amis allaient devoir attendre avant de passer à l'action. Cependant, cette attente pesait lourd sur ces partenaires. La patience n'était pas forcément une qualité prospère en Gensokyo, d'autant que rester cloîtrées toutes ensemble étaient loin d'être une mince à faire. Quand ce n'était pas Marisa qui volait quelque chose, c'était Youmu ou Reisen qui se moquaient du caractère irréprochable et obéissant de Sakuya. Mamizou n'arrangeait rien, restant toujours dans sa chambre à lire et à compter nul ne savait quoi, elle n'aidait pas à faire baisser la suspicion d'Olivier, beaucoup plus habitué à courir en forêt et à monter dans les arbres qu'à faire les cent pas dans sa chambre. Sanae, elle, était la seule véritablement tranquille, par rapport à la situation. En effet, elle était la plus habituée au Monde Extérieur, même si celui-ci était bien différent de celui de ses souvenirs. Sachant se retrouver dans Tokyo, elle était régulièrement en sortie, découvrant toujours plus ce monde tout droit sorti des films de SF qu'elle affectionnait tant.

Cependant, certains quartiers étaient bien tristes, comme celui où elles avaient rencontré la Yokai guitare, un quartier laissé à l'état de ruine afin que jamais, on n'oublie les désastres de la guerre. Cependant, ce jour-là, quand elle passa devant la plaque commémorative de ce même lieu, elle entendit un léger bruit venant du théâtre où habitait la Yokai en question. Il s'agissait de musique, une musique suffisamment forte pour être entendue depuis l’extérieur. Passant sous la barrière restreignant l'accès, elle se rapprocha du théâtre dont l'entrée était à demi enfoncée. Là, elle pouvait entendre davantage la musique s’élever depuis l’intérieur du bâtiment en ruine. Elle entendit plusieurs instruments qui jouèrent ensemble, un groupe. Sans hésiter, Sanae s'enfonça plus profondément dans la structure en ruine, entendant la musique toujours plus forte mais surtout, plus distincte. Les accords rapides et parfois saccadés se succédaient. Ce rythme, très appréciable, ne pouvait être que l’œuvre d'un Tsukumogami.

Peu de temps s'écoulèrent avant qu'elle n'entre dans la salle du théâtre. Posé sur un morceau du plafond effondré, un projecteur éclairait la scène. Sur celle-ci, il y avait cinq personnes qui jouaient de la musique, du rock. Parmi celles-ci, Sanae reconnut Solō Gitāto, qui jouait le rôle de guitariste principale. La miko s'installait sur le côté, sans être vue par le groupe et les écouta pendant de longues minutes, appréciant la musique forte, imaginative et libératrice que jouait le groupe.

Quand le groupe cessa, Sanae se montra. Tous furent surpris de voir quelqu’un ici. Cependant, ce fut Solō qui resta le plus en retrait. Elle savait que la prêtresse connaissait sa véritable nature et avait peur que les autres membres, humains, ne l'apprennent et la fuite.

Le leader du groupe se montra peu enclin à discuter et afficha un semblant d'air viril, malgré sa carrure filiforme.

– Je ne sais pas qui vous êtes mais je vous conseille de déguerpir.

– Pourquoi se montrer si agressive ? Je vous ai écoutés et j'ai passé un très bon moment.

– Vous avez vraiment aimé notre musique ? lui demanda d'un air enjoué la bassiste du groupe.

– Vous avez vraiment aimé notre démonstration ? enchérit le batteur.

– Holà, on se calme. Si on vient jouer ici, c'est pas pour être dérangé. Pas vrai ? Et elle, elle vient nous déranger.

– Mais pas du tout ! lui opposa la bassiste.

– Vraiment ?!

– Si tu es le leader, ce n'est pas pour ton sale caractère, je te signale, lui rétorqua l’échantillonneuse.

– Solō, tu dis rien depuis tout à l'heure, qu'en penses-tu ? lui demanda le batteur.

– Moi ?! Heu... je ne sais pas trop...

– D'habitude tu es plus expressive. Normalement, tu aurais bondi comme un tigre sur elle pour la faire partir, poursuivit-il.

– C'est vrai mais... c'est que...

– On se connaît, annonça Sanae.

– Comment ça ? s'étonnèrent en cœur, la bassiste et l’échantillonneuse.

– Un jour, je passais par-là et j'ai entendu de la guitare. Je suis donc entrée et j'ai rencontré Solō.

– Je comprends mieux pourquoi tu restais en arrière, tu n'aimes pas qu'on rencontre tes amies, lui dit le leader guitariste en se tournant vers la susnommée.

– C'est vrai... on s'est rencontrée...

– D'ailleurs, je voulais vous demander quelque chose.

– Cela déprendra. Qu'est-ce ? lui répondit sèchement le leader.

– Vous pourriez me faire une démonstration ?

– Une démonstration ?! Hmmm...

– Je suis pour ! s'emporta échantillonneuse.

– Je suis prêt moi, répondit le batteur.

– Et toi ? Je suppose que tu veux le faire aussi ? demanda le leader à la bassiste.

– Évidemment.

– Pfff... Solō, tu es avec eux ?

– Je... Je veux dire, oui. Je suis toujours prête pour un concert !

– Un concert avec un seul spectateur, c'est pas beaucoup ça... Mais bon... qu'on se prépare, on va faire sauter le toit, je vous le promets !

Moins de quelques instants plus tard, Sanae s'assit dans l'un des fauteuils du premier rang alors que le groupe se mit en place. Quand le « concert » débuta, cela fut par des notes très légères qui s'élevèrent très progressivement pendant une minute avant d'atteindre un niveau léger pour du rock. Cependant, plus le concert avança et plus la musique monta crescendo. Les paroles invitaient aux voyages, à l'imagination, parlaient d'un monde très différent du leur. Par certains aspects, cela faisait penser à Genskyo pour Sanae. Le répertoire du groupe était très diversifié, alternant des thématiques sur la guerre, l'imaginaire, la vie d'aujourd'hui et de son ennui ainsi que d'évasion de celui-ci.

Le concert durant une vingtaine de minutes durant lesquelles Sanae se sentait voyager. Il s'agissait de l'un des meilleurs concerts auquel elle avait assisté et quand celui-ci se termina, elle se leva et applaudit avec force tout en les acclamant par sa voix. Le batteur et la bassiste se sentirent gênés alors que l’échantillonneuse s'en amusa. Presque immédiatement après cela, Sanae monta sur scène et les remercia et les félicita du talent qu'il avait.

Mais d'un coup, la scène trembla. Personne ne comprit ce qu'il se passait. L'instant, suivant, l'équipement de l’échantillonneuse et celle-ci furent comme aspirés par le plancher qui se déroba sous ses pieds. Elle parvint à s’accrocher de justesse à une corde qu'elle n'avait pas cessé de faire balancer à côté d'elle durant leur prestation et qui était reliée à l'armature de la scène. Son instrument tomba quelques mètres plus bas, dans les coulisses complètement éventrées. Le reste du groupe accourut pour aller l'aide mais au moment même où le batteur allait attraper la corde, une créature sortit brutalement du trou et le projeta en arrière sur la scène en bois. La créature ressemblait à une sorte de ver géant avec des bras grotesques. Sanae comprit qu'il s'agissait d'un Yokai et vit que Solō l'avait compris également. La créature fixa alors la prêtresse qui alla chercher un onusa dans sa manche mais il était déjà trop tard. Le plancha craqua sous ses pieds et elle tomba dans le trou. En voyant cela, et la créature se rapprocher, la gueule béante et monstrueuse ouverte, Solō se précipita vers la créature qui la repoussa d'un revers du bras. Cependant, alors qu'elle était en pleine projection, elle joua un étrange accord sur sa guitare, ce qui produisit un effet étrange. Elle se stabilisa dans les airs puis fonça sur la créature qu'elle parvint à refaire tomber dans le trou. Alors que les membres du groupe aidèrent leur amie suspendue dans le vide, Solō se laissa descendre lentement dans le trou quand la chose la happa et l’entraîna dans les ténèbres. Le leader restant au-dessus du trou, cria le nom de son amie qu'il venait de voir disparaître. Tous les membres furent choqués alors que Sanae remonta du trou d'où elle avait été entraînée. Elle se pencha à côté du leader en larme. Cependant, elle entendit comme un écho se rapprochant de l'abysse. D'un geste, elle attrapa le jeune rocker par le col de son blouson en cuir noir et le tira avec elle vers l'arrière. Moins d'une seconde plus tard, une gigantesque surpression musicale s'échappa violemment du trou, projetant des morceaux de chair partout sur la scène. Choqués par ce qu'ils venaient de voir, ils n'arrivèrent pas à se rendre compte de ce qu'il se passa une poignée de seconde plus tard, Solō ressortait du trou comme si elle lévitait. Elle était blessée mais la plus grande partie du sang qui la recouvrait, surtout au niveau des mains, n'était pas le sien. Ses yeux orange avaient une teinte très vive et son expression exprimait une grande violence. Le bassiste se rapprocha d'elle mais elle le repoussa.

– Mais... que t'arrive-t-il ? Pourquoi tu... commença le jeune garçon avant d'être interrompu.

– Tu as vu ce que je suis ! Vous avez tous vu ce que je suis vraiment ! Je suis un monstre, je ne peux pas rester avec vous ! hurla-t-elle alors que les larmes lui montaient dans la gorge et avant de se tourner pour quitter la scène.

–Tu n’es pas un monstre, tu as nous sauvés, tu m’as sauvé ! Tu es notre amie, notre partenaire, tu ne peux pas partir comme ça !

– Si ! lança-t-elle en se retournant, je suis un Yokai ! Je ne suis pas un humain ! Je ne peux pas rester avec vous !

– Pourtant, cela fait des mois qu'on est ensemble ! lança à son tour le leader.

– Vous ne saviez pas ce que j'étais...

– Je sais qui tu es. Tu es Solō Gitāto, une extraordinaire guitariste, notre partenaire, notre amie, voire plus pour quelqu'un que je connais.

– Comment ça ?

– Cela fait des mois qu'on joue ensemble, qu'on passe des nuits à rire. On a dormi ici ensemble plus d'une fois je te signale ! Si tu étais si mauvaise que cela, on ne serait plus là depuis longtemps je te signale ! C'est la preuve que tu n'es pas un monstre ! Tu l'as sauvé ! Tu t'es mise en danger pour nous sauver ! Il ne faudrait être qu'une guitare à une corde pour la jouer aussi faux !

– Ma nature est celle d'un Yokai.

– Oui, mais quelle Yokai ? demanda Sanae avec une voix apaisée.

– Quoi ?

– Tu es née d'une guitare abandonnée, il y a de cela longtemps. Tu en as longtemps voulu aux hommes pour ce qu'ils t'ont fait. Cependant, tu gardais quelque chose au plus profond de toi, la musique. Comme le dit l'expression, la musique adoucit les mœurs. Ton cœur lui-même faisait de la musique, c'est viscéral en toi. Il te manquait juste des amis, un groupe à monter pour que tu sois pleinement heureuse. Tu ne veux pas faire de mal, tu veux juste pouvoir jouer en pleine liberté, libérée de ta nature, certes différente, mais quand vous jouez, vous le faites à l’unisson. Vos cœurs vibrent sur la même fréquence, vous savez exactement ce que ressentent les autres membres. Tu es une Yokai mais ton cœur n'est pas différent de celui de tes amis. Pourquoi fuir tes amis qui sont tout pour toi ? 

– Je... j'ai toujours été... rejeté... dès qu'on savait que je n'étais pas...

– Tu es un membre à part entière du groupe, jamais on te rejettera, affirma la bassiste.

– Ma vie ne serait plus rien sans toi !! S'écria le bassiste, rouge de honte.

– Tu as toute ta place avec nous. Pour nous, c'est sans importance que tu sois une Yokai, tu es notre amie, rajouta le leader.

– Amie... tu... vous le... pensez vraiment ?

– Évidemment, dit-il en la prenant dans ses bras.

À cet instant, elle tomba à genoux, retenue par son ami et commença à pleurer. Face à cette scène, la miko sentit une petite larme lui monter lentement avant de s'écouler et de partir, sans dire un mot. Avant de disparaître dans les restes du couloir, elle se retourna, les salua au loin puis quitta la salle, espérant tout le bonheur du monde pour ce groupe d'ami.