Un jour à Gensokyo

Chapitre 152 : Même les immortelles peuvent mourir

2417 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/04/2021 21:32

Les jours s’écoulèrent et la construction du palais avançait à grand pas. Son ombre prenait forme et commençait à faire planer sur la totalité de Gensokyo l’inquiétude et l’angoisse.

La grande porte d’entrée était presque terminée, il manquait la porte à proprement parler. Quatre gardes surveillaient en attendant qu’elle soit posée, c’étaient des yokais qui vivaient dans les arbres du bas de la montagne et qui furent engagés par Mima afin de monter la garde. 


-C’est vraiment pas drôle de travailler… se plaignit l’un d’eux en regardant un autre, la tête à l’envers et les jambes accrochées aux échafaudages.

-C’est ben vrai, répondit celui-ci.

-J’ai faim… dit le troisième.

 -Tu ne voudrais pas manger par hasard… un humain ? lui demanda la quatrième.

-Siiiii ! s’exclama l’affamé.

-Mais l’esprit nous a bien dit de ne plus manger d’humain, s’opposa le premier.

-Bah… dit le second. 

Tiens, qui est-ce là ?


Il pointa une silhouette non loin de là et qui se rapprochait. Les quatre yokais se tinrent prêts. Elle avança d’un pas léger mais rapide, se retrouvant rapidement devant les quatre êtres impurs. Et avant qu’ils n’aient pu dire le moindre mot, ils tombèrent au sol. L’étranger en ces lieux put entrer sans d’autres encombres. Le palais était un vaste chantier où tengu, kappa et d’autres types de yokai travaillaient ensemble dans la construction du lieu.

Il se fit le plus discret possible. Il n’était plus qu’une ombre.

Il s’arrêta au détour d’un chemin, entendant des personnes arriver. Il escalada les échafaudages de bambou et observa. C’était deux tengus en train de discuter alors qu’ils portaient un certain nombre de plaques en pierre. Une fois passé, il releva la tête et vit un moyen de monter. Il escalada la paroi, s’aidant des poutres de bambous. Il finit par disparaitre dans la structure même du bâtiment.


Dans une vaste salle en cours de construction, une tengu portant un casque de chantier et des plans faisait la visite à Tom.


-Alors ici, voici la futur salle principale : la salle de justice, comme vous l’avez demandée.

-Je peux en voir plus ? demanda-t-il.

-Oui seigneur, répondit-elle en lui passant le morceau de papier.

-Heu… je dois l’avouer, vous êtes douée.

-Je vous remercie beaucoup, seigneur.

-Mais je préfèrerai m’occuper moi-même de la décoration. Il faut que ce lieu respire la grandeur mais aussi l’unité et la paix.

-On fera comme vous le désirerez.

-Mais en attendant… dit-il alors qu’il se rapprochait d’un petit promontoire au fond de la salle, là où devait être installé le fauteuil et qui était occupé par un vulgaire tabouret… je désirerais connaitre l’état des lieux en Gensokyo. 



Les ouvriers continuaient de travailler malgré la présence de leur nouveau seigneur, souhaitant lui donner bonne impression de leur travail.

Cependant, parmi les ouvriers, une personne n’était pas là pour la construction du lieu. Il s’avança prudemment jusqu’au bord d’une plate-forme. De là, il se jeta dans le vide avant d’atterrir tout en douceur au sol.


Tom se tourna brusquement vers la nouvelle présence qui venait de se manifester. Il fut d’abord étonné mais ce sentiment se mua en interrogation. Les ouvriers cessèrent le travail, observèrent et attendirent la réaction du jeune maître des lieux.

Il s’approcha lentement de l’invité impromptu, avant de lui parler, avec tous les honneurs auxquels cette personne avait le droit.


-Je vous souhaite la bienvenue dans mon palais, hélas en cours de construction. Je suis honoré par votre présence… maître.

-Je vois que les nouvelles apportées par les vents étaient véridiques. Je vois aussi que tu portes toujours ce sabre, Seigiken ! Cette arme ne doit plus t’appartenir ! Tu as rompu ton serment de justice !

-Je l’ai rompu ? Bien au contraire, maître, dit-il en s’avançant vers la personne qui portait des vêtements verts.

-Et toi ? N’as-tu pas trahi ta maîtresse ? Avoue-le ! Tu l’as abandonnée ! Tu as fui tes responsabilités ! Et puis, ce n’est plus maintenant que tu pourras retourner à ses côtés… dit-il alors qu’il affichait un sourire sardonique … puisque je l’ai scellée dans le Royaume des Morts.

-Si tu refuses d’entendre la voix de la raison… peut-être entendras-tu celle de l’acier, menaça-t-il en dégainant son sabre.

-Un combat ? Pourquoi pas. Cela fait longtemps que je n’ai pas eu le droit à un véritable combat, dit-il en dégainant à son tour son arme. Cependant, je vais vous avouez quelque chose. Je vais cesser de vous appeler maître car je vous ai surpassé et de loin.

-Tu n’es plus qu’un être de pur égoïsme désormais Tom !

-Attend toi au plus grand combat de ta vie… Youki Konpaku, dit-il avant de s’élancer vers lui à toute vitesse, bientôt imité par son adversaire.


Les deux lames s’entrechoquèrent, produisant un violent souffle qui fit voler les particules de poussières à travers tout l’édifice. Les deux guerriers étaient l’un en face de l’autre, séparés uniquement par leur lame. Le grand maître repoussa l’attaque de son apprenti, le faisant reculer d’un pas.


-Pas mal… pour un vieux, dit-il avec un air supérieur.

-Tu ne pourras pas gagner, répondit le gardien des secret du Royaume des Morts.


Les deux adversaires commencèrent à lentement tourner, formant un cercle dans la poussière retombée. L’extrémité de l’arme du jeune homme frotta au sol alors qu’il fixait son adversaire, droit dans les yeux. 

Le Soleil apparut de derrière un nuage, illuminant la scène. La pièce, en matière noble brillait sous le soleil de fin février. La tension était palpable. 

Tom ferma les yeux à l’instant où il passa devant l’astre lumineux.


Youki profita de cet état de faiblesse pour fuser droit sur l’ennemi de Gensokyo. Il prépara son coup, la lame en arrière et sur le côté gauche puis frappa. Il marcha encore quelques mètres avant de se stopper, tournant légèrement la tête vers son adversaire. Celui-ci se tenait alors le flanc gauche alors meurtri par l’attaque, une blessure s’ouvrit et se mit à saigner.

Il se retourna violemment, outrer par le geste du demi-fantôme dont la partie fantomatique avait disparu depuis le début du combat.  

Il fit un pas en sa direction mais se stoppa net, comme paralysé. Fou de rage, les yeux jaunes contractés au maximum, il s’adressa à son ancien maître.


-Qu’est-ce que t’as fait !? 


Le jeune homme dut poser un genou à terre et la douleur ne fit qu’empirer.


-Je te fais gouter à la froideur de la mort. Tu peux empêcher cela, tu le sais. Tom, écoute la voix de la raison. Crois-tu faire la justice ainsi ?

Son interlocuteur déplia la jambe, tentant de se remettre debout. Malgré la douleur, il avança d’un pas.

-J’ai compris que pour réaliser la paix ici, on doit y mettre les moyens, dit-il en effectuant un autre pas, maladroit vers son ancien maître, Youki. Je dois unifier Gensokyo sous ma domination. L’unité apportera la paix. La division n’apportera que le chaos.


Alors que Tom marchait vers le demi-fantôme, celui-ci s’approcha lentement du «l’humain».


-Tu peux faire la justice autrement. Différentes voies sont possibles. Tu la souhaites ? En la réalisant ainsi, tu ne créeras que la tyrannie. 


Ils n’étaient plus qu’à une poignée de mètre l’un de l’autre, Tom se tenait le flanc avec la main gauche, la droite portant son sabre. Youki portait son sabre à deux mains, pointé vers son adversaire.


-Youki, tu ne pourras jamais comprendre ma vision du monde. 


Il pointa l’extrémité de son arme vers le vieux maitre, prêt à riposter.


-J’ai… peur de la mort. Tu le sais ?

-Oui.

-Ma mère… mon père… ils sont morts !


Tom cessa de tourner et relâcha la pression, la pointe de l’arme frappa le sol.


-Il y a plus de dix ans… un accident de voiture… Je les ai vus mourir sous mes yeux ! 

Et le pire… le chauffard n’a jamais été condamné…

Depuis lors, j’ai vécu en voyant l’injustice du monde… mais ici… je peux enfin accomplir mon souhait… faire régner la justice.

Tu sais quoi… ma mère disait que tout le monde meurt un jour… En venant ici, j’ai cru découvrir des créatures lui donnant tort… je les considérais comme invincibles… Mais maintenant…


Tom cramponna la poigne de son arme.


… JE LES AI PERDUS ! J’ai voulu fuir mon passé, Gensokyo me l’a permis. Mais ici aussi, je vois l’injustice ! Mes pouvoirs… mon sang… mon héritage… mes vies antérieures… Tout cela doit avoir un but.

-Oui Tom. On nait tous avec une destinée.

-La mienne… c’est de faire la justice en Gensokyo… par cette manière.


A peine avait-il terminé sa phrase qu’il donna un violent coup horizontal au niveau du torse avec sa lame.

Une mince bande du kimono de Youki tomba à terre, celui-ci avait paré le plus gros de l’attaque puis répliqua. Tom esquiva puis contre-attaqua. Elle fut parée par son maitre. Les coups s’enchainèrent de plus en plus vite. Un coup frotta la joue droite du vénérable guerrier, le forçant à reculer. Il se frotta la partie où il avait reçu le coup et vit qu’il saignait.


-Une créature qui saigne peut mourir, dit Tom en marchant autour de lui. 

-Souviens-toi Tom, tu es mortel, lui répondit-il.

-Je sais… mais je compte mourir uniquement quand j’aurais terminé mon œuvre.


Il s’avança vers lui. Le maitre escrimeur se déplaça sur le côté et lui donna un violent coup, paré à la dernière seconde. 

Les coups se mirent à pleuvoir de chaque côté, chacun tentant d’atteindre l’autre.


-Je croyais que tu étais plus puissant que ça, dit le vieux maitre.


Tom, prit de rage, accéléra les coups jusqu’à ce qu’un bruit non métallique se fit entendre.

Les coups cessèrent, le calme revint, le ciel se couvrit. Du sang s’écoula le long de la jusqu’à la poigne de l’arme. Un bruit métallique se fit entendre. 

Au pied du tyran, gisait l’arme de Youki. Il regarda devant lui. Son ancien maitre avait le visage crispé, grimaçant de douleur. Son regard descendit vers le bas, accompagnant celui de l’épéiste demi-fantôme. 

Au milieu du torse, la lame du maitre des lieux transperça de part en part le corps du maitre du sabre. Un léger filet de sang commença à couler de la bouche du vieil homme. Tom retira violemment la lame de la justice qui vola en éclat, brisé en trois fragments. Il tint le corps du maitre puis le posa délicatement au sol. Il lui caressa le torse, encore abasourdit par ce qu’il venait de se passer. Sa main fut prise par celle du mourant qui tourna sa tête pour lui parler.


-Tom…

-Oui… que veux-tu dire ?

-Reviens sur le chemin de la lumière…

-Mais je dois faire ainsi, c’est le seul moyen.

-Il y a toujours… un autre moyen…


La respiration du grand maitre devenait de plus en plus lente, au-fur-et-à-mesure que le sang se répandait sur le carrelage de marbre blanc. Il lui tint fermement la main. Le vieil homme regarda le regard du jeune homme, ses pupilles étaient redevenus rondes et il vit des larmes se former.


-Je ne voulais pas ça ! Je voulais que la justice triomphe ! C’est tout…

-La lame s’est brisée… Sa solidité est égale à la volonté de faire la justice de son porteur… Tu t’es perdu Tom… perdu dans les ténèbres de ton cœur…

-Tu ne vas pas mourir. Ce n’est pas cette petite blessure qui va t’être fatal ?! lui demanda-t-il.

-Mon temps étaient comptés… il me restait plus beaucoup… avant de…

Youki toussa un peu de sang.

-Mon temps est révolu… Tom… je t’en prie… fait… ce… qui est… bon… arrête avant… qu’il ne soit… trop tard.


Les paupières de l’ancien maitre devinrent de plus en plus lourdes, son souffle continua d’être de plus en plus faible. 

La poigne diminua, ses sensations se mirent à disparaitre les unes après les autres. 

Il ne pouvait plus sentir son environnement. 

Sa vision ce troubla progressivement jusqu’à la cécité.

Les sons se confondirent avant de disparaitre. 

La dernière sensation qu’il ressentit fut une légère brise, une brise aux odeurs de fleurs de cerisiers. 

Il sourit puis s’éteignit.


Tom resta un moment sans bouger devant le corps de son maitre. Il n’arrivait pas à croire ce qu’il venait de faire : il avait tué un honnête homme, un homme d’une grande sagesse, un ami, un maitre, Youki Konpaku.

Il se releva, couvert du sang de celui pour qui il avait, profondément au fond de lui, de l’estime. 


Les yokai lui demandèrent quoi faire. Il leur ordonna de lui donner des funérailles dignes d’un être de son rang.

Il quitta sur le champ le chantier et se retrouva seul sur le bord d’une falaise.


-Youki… espèce de vieux fou. Tu crois que ta vision de ce que dois être la justice est la bonne ? Elle le serait dans un monde parfait. 

Hélas, ce monde ne l’est pas. Il lui faut un dirigeant pour unifier et pacifier Gensokyo. 

Adieu, mon ami…


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