«Explique-moi la Vie.»
En prenant le volant de ma voiture, je songeais encore à Yuka. La jeune fille, après avoir été absente durant plus d’une semaine, était enfin revenu. Cependant elle n’avait donné aucun motif valable, et paraissait amaigrie. J’avoue que je m’inquiétais assez pour elle. Mon rôle de professeur était avant tout, de prendre soin de mes élèves afin qu’ils soient au top le jour de l’examen final… Chose que certains de mes collègues tendaient d’ailleurs à oublier. C’est pourquoi, tout en roulant vers la maison, je pris la décision d’appeler les parents de l’adolescente dès ce soir.
Prise à mes chimères, j’ai raté le tournant menant à mon raccourci favori. Lâchant un juron, je pensais amèrement être contrainte de prendre le pont principal… Avec la ribambelle de bouchons assortie. Pas d’autre choix possible. Arrivée vers la route menant au pont, j’ai constaté avec surprise qu’elle était barrée. Me tordant le cou par la fenêtre, je ne vis pourtant rien de notable mais ne souhaitant pas prendre davantage de retard, je fis demi-tour.
Consultant ma montre, j’ai pu constater avec énervement que j’avais bien perdu une demi-heure, ce qui signifiait que mon mari était déjà rentré… Ereinté par son boulot et à la charge de triplés surexcités qui rentraient de leurs activités respectives. Yuki à l’équitation, Yuugo au violon et Yume au théâtre. Comme ils sont encore assez jeunes, ils ne sont pas inscrits au cours du soir le lundi, ce qui leur permet de faire une activité qu’ils ont choisi. C’est pourquoi je préfère ne pas être en retard ce jour-là, afin d’aider mon époux.
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En arrivant à la maison, après avoir verrouillé la porte derrière moi, je fus accueillie par trois petites tornades. Après avoir distribué une dizaine de bisous à la mêlée des trois diablotins, je me suis dit qu’ils en avaient tous eu suffisamment. Leur souriant et leur ébouriffant les cheveux, j’ai pensé une énième fois qu’ils étaient tous les trois trop mignons. Ils avaient pris de moi pour les iris clairs et les cheveux châtains, mais gardaient les yeux bridés et la chevelure épaisse de leur père. Trois petits anges, vraiment.
J’ai pu ensuite enfin embrasser mon mari, crevé comme à son habitude, qui retourna ensuite à sa télévision. Je ne lui en voulais pas, les enfants étaient douchés et avaient déjà diné, il avait bien droit à sa pause lui aussi. Yume, Yuki et Yuugo partirent d’eux-mêmes jouer dans leur chambre et je me suis installée dans la cuisine pour manger rapidement mon bento.
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En sortant de la douche, j’entendis Taiki :
« Natalia… Viens ici deux secondes s’il te plait. »
Etrange, il avait l’air soucieux. En débarquant dans le salon, je vis ce qui semblait être un flash info spécial. En gros titre se trouvait : « SERIEUX ACCIDENT AU PONT ***** : LES GOULES SONT SUSPECTEES. ». Eberluée, je me suis laissée tomber sur le canapé aux côté de Taiki, afin d’observer des images des plus effroyables passant en boucle. On pouvait voir des camions renversés, des gens –en combinaison qui m’étaient alors inconnues- mutilés de toutes parts, un groupe de personne masquées des plus étranges, et également un jeune garçon blessé sur le côté de la route. Le sang était grossièrement caché par la censure.
C’était des images d’amateurs mais le peu de netteté laissait tout de même paraître son âge : pas plus de 16 ans à priori. Sur la bande défilante, il y était inscrit : « Ce garçon est suspecté être une goule, si vous l’apercevez, ne cherchez pas à communiquer avec lui. Contactez le CCG sans attendre au : ***********. ». Lui ? Une goule ? Etait-il la cause de l’accident ? Etait-ce un coup monté ? Il était maigre, pâle à faire peur et semblait blessé, était-ce vraiment une goule… ? La caméra zooma alors sur ses yeux et j’eux un geste de recul malgré moi, il avait les yeux d’un rouge étincelant ! C’était donc ça, une goule…
Mon mari se tourna alors vers moi d’un air grave :
« Natalia, ne te préoccupe plus des goules. S’il te plait. »
Encore choquée de toutes ces révélations, j’ai hoché la tête tout en me levant :
« J’ai encore du travail. Je monte me coucher. »
Et sans un mot de plus, je suis partie m’installer dans notre lit avec mon ordinateur portable. Ne plus me préoccuper des goules ? Alors ça, sûrement pas ! A la télé, ils avaient parlé d’un certains CCG, je tenais à voir ce qui en découlait sur la toile.
Après quelques minutes de recherche, je suis enfin tombée sur un vrai résultat : « Le CCG, brigade des goules. Prenez contact au ***********. Ses activités sont tenues secrètes. ». Pas grand-chose quand même… J’étais déjà choquée qu’une telle info était dissimulée. Ces combinaisons que je n’avais pratiquement jamais vues devaient appartenir à ces hommes. Je me fais déciément vieille, pour ne pas en avoir entendu parler…
Soudain, j’entendis mon mari qui criait sur les petits qui ne s’étaient certainement pas couchés, comme ils auraient du. Soupirant, j’ai fermé mon ordinateur pour le mettre sous notre lit et me suis appuyée contre l’oreiller, faisant semblant de dormir. Taiki n’allait pas tarder, mais toutes les informations de ce soir m’avaient vidée.
Plus tard, après l’avoir senti se coucher auprès de moi, j’ai soudainement repensé au garçon goule. Son allure cadavérique, ses vêtements sales et troués, sa large blessure au ventre, son air d’abattement… Tout cela n’était pas clair. Les goules avaient attaqué le convoi, alors pourquoi restait-il en retrait ? Et puis, que fait le CCG ? Il capture des goules ? Il les tue ? Non, ce serait trop inhumain… Mais, une goule est humaine ou non ?
Sentant la lassitude m’envahir, j’ai fermé les yeux. Ce garçon était discrètement bien maigre… Comme Yuka… D’ailleurs avec tout ça je n’ai pas pu appeler ses parents… Mais pourquoi je pense à elle avec ce garçon ? Et si… ?
Et j’ai basculé dans un sommeil pas des moins agités.