«Explique-moi la Vie.»
« Souhaitons la bienvenue à notre nouvelle inspectrice de seconde classe. J’ai nommé : Nishimura Nayuu.»
Ces mots résonnaient encore dans ma tête lorsque je traversais les couloirs et escaliers à grandes enjambées. On m’avait très exactement confié :
« J’ai ouïe dire que tes performances en biologie se situaient au-delà des espoirs de ton ancien professeur. Tu vas donc prendre provisoirement la responsabilité du projet Ryuu, durant mon absence. »
Ces éloges venaient de mon nouveau partenaire, Mr Kunizaku Sâto. Il devait effectivement s’absenter pour quelques jours… Ce qui n’a pas empêché ses supérieurs de lui confier tout de même un binôme. J’avoue être assez déçue d’à peine avoir découvert mon professeur pour le voir repartir. Cependant, rien ne pourra gâcher ma joie de pouvoir travailler au laboratoire, avec une équipe sous mes ordres !
Je n’ai encore aucune idée de ce qu’est le projet « Ryuu », et la réponse se trouve en bas de ces escaliers, derrière l’ensemble de portes blindées. On nous avait bien souvent répété que le CCG ne lésinait point sur les moyens de sécurité, à l’académie. Je suis en effet passée sous plusieurs portes à détection Rc. Pour vous donner une idée : ce sont des portes conçues pour détecter les cellules Rc… Comme dans les aéroports avec la détection de métaux.
Les cellules Rc sont dix fois plus importantes chez un individu goule comparé à un humain. Si une goule venait à traverser… Toutes les alarmes du CCG se déclencheraient et elle serait immédiatement abattue. Il est juste impossible de gruger le fonctionnement de ces nouveaux pièges.
Quoi qu’il en soit, j’arrive enfin devant les portes du laboratoire, que j’ai ouvert avec mon pass de sécurité. En entrant, j’ai pu dévorer des yeux le beau spectacle d’un laboratoire du CCG : une multitude de bureaux équipés chacun d’un ordinateur et d’un kit d’analyse, une sorte de bloc opératoire et également –curieusement, une prison. Du moins, elle paraissait vide de là où je me trouvais. Le bonheur, il n’y a pas d’autres mots à dire.
M’avançant lentement, laissant promener ma main valide sur le blanc nacré de la table, une personne a mis fin à mes rêveries :
« Ha ! Vous devez être Nayuu. Ravie de vous rencontrer, moi c’est Chujiro ! Je suis scientifique ici et également votre bras dro… »
Il s’interrompit en voyant la cape que je portais à mon épaule droite, et parut affreusement gêné. J’ai soupiré, habituée à ce genre de regard, et j’ai préféré enchaîner rapidement :
« Merci à vous. Quel est donc ce fameux projet « Ryuu » ? »
Ce Chujiro parut soulagé que je ne tienne pas rigueur de sa maladresse. Il retrouva rapidement son sourire et allait me tendre un énorme dossier lorsqu’il se ravisa soudain pour le poser sur la table. Bien joué Chujinou, pas de seconde gaffe. Il s’inclina, tout rouge, en parlant plus fort qu’il l’aurait du :
« Excusez-moi, mademoiselle. Je vous laisse tranquille pour lire le dossier, il vous expliquera ce qu’est Ryuu bien mieux que moi. »
Je l’ai remercié d’un signe de tête, lasse des gens qui s’excuse dès qu’ils voient une personne invalide. En m’asseyant sur une chaise libre, les questions se bousculaient dans ma tête : Qu’est-ce donc que Ryuu ? Une nouvelle arme ? Un antidote ? Un plan ?... Impatiente, j’ai ouvert le dossier pour voir en première page une photo d’un petit garçon aux cheveux blancs et aux yeux rouges.
Cheveux blancs… Yeux rouges… Une sueur froide me glaça le dos.
« Mad’moiselle, vous allez bien ? »
Me recomposant rapidement un nouveau sourire, je me suis tournée vers cette personne décidément trop curieuse. Ce Chujiro avec ses lunettes de travers, qui venait de passer sa tête à travers la porte du fond, il ne sait pas encore à quelle maniaque de la propreté il s’adresse. Je lui ai répondu calmement :
« Mais oui, ne vous inquiétez pas pour si peu. »
Il a de suite disparu de mon champ de vision. « Non mais quel gamin, je vous jure… » ai-je pu penser très fort, et seul Dieu sait combien de fois me le dirais-je encore.
Tentant de passer outre mon étourdissement, je me suis répétée une des seules phrases acceptables qu’Elle avait pu me dire : « N’écoute jamais tes sentiments. Ils forment un tout appelé plus communément ta faiblesse. ». Elle avait bien raison, et c’est ainsi que j’ai continué ma lecture.
« Jeune goule… Kidnappée très jeune… Il y a de cela dix ans… Cobaye du CCG pour toute sorte de produits… Etait sous la protection du Docteur Shimizu… A assassiné ce dernier il y a peu… » Ai-je rapidement parcouru. Alors ce Ryuu était en fait une goule, destinée à des expérimentations de neutralisation, d’humanisation, dès qu’il aurait dévoilé son kagune… C’est monstrueux, tout simplement. Comment une goule pouvait-elle devenir un jour humain ? En lisant les détails, je pouvais voir que le Docteur Shimizu était mort bercé par cette illusion, le jour où Ryuu avait déployé son kagune.
Je n’irais pas jusqu’à dire que c’était bien fait pour lui, même si je n’en pensais pas moins. J’ai appelé :
«Chujiro ? »
Il apparut instantanément, rajustant ses lunettes :
« Vous m’avez demandé, mad’moiselle ? »
Levant les yeux au ciel, j’ai répliqué :
« Oui, mais c’est pour voir à quoi ressemble Ryuu. Et cessez donc de m’appeler mad’moizelle… Je suis votre supérieure, Chujiro. »
Il s’est précipité vers la petite cellule –que je pensais vide, sur le côté du laboratoire, tout en criant :
« Compris, mad’moiselle ! »
Et bien… Nous allons bien nous entendre tous les deux… M’avançant derrière, j’ai attendu patiemment qu’il déverrouille la porte blindée. J’ai ainsi pu découvrir un petit garçon qui me dit poliment :
« Bonjour, madame. »
Je ne put m’empêcher d’être choquée. Il était terriblement amaigri, et ne paraissait pas avoir plus de sept-huit ans, alors qu’il avait été kidnappé il y a de cela dix ans. Cet air innocent, ses paroles emplies de politesse… Mais surtout, ses cheveux blancs ébouriffés et ses yeux rougeoyants…
Je me suis ensuite aperçue que tout était devenu gris et noir autour de moi.