Sans retour
<< Toto ! Toto ! Réveille-toi, vite ! Dépêche-toi tu vas être en retard ! >>
On me secoua avec énergie, et je sortis brusquement du monde des songes. J'ouvrai lentement les yeux le temps de m'accoutumer à la lumière de la pièce. Une forme était penchée au-dessus de ma tête, et je reconnu mon petit frère.
<< Michio... Vas-t'en, tu es trop près.., me plaignis-je.
Un sourire éclaira son visage.
- C'est pas trop tôt ! Si tu te lèves pas je fais du trampoline sur ton lit !
Cette fois-ci j'ouvris grand les yeux. Il m'avait déjà cassé une latte sous le matelas en faisant le mariole à sauter partout, et j'avais pris autant que lui par les parents !
Je me redressai, et m'assis en tailleur pour qu'il s'éloigne.
- Vas jouer ailleurs toi, grognai-je.
- Ouh ! J'ai peur !
Son sourire s'était élargi, à ce garnement ! Il parti en valsant à moitié, comme il faisait souvent.
- En tout cas tu peux me remercier ! Tu dois être partie de la maison dans vingt minutes, s'esclaffa-t-il.
- QUOI ??! >>
Mais il était déjà parti. Je jettai un rapide coup d'oeil à mon réveil, et mince Michio avait raison... Je me redressai, me tapotai les joues et enfilai mes vêtements à la va-vite. Je descendis les marches à la vitesse éclair et filai dans la salle de bain pour me rincer le visage et me mettre un coup de déo. Je m'appliquai ensuite du mascara ainsi que du crayon noir rapidement, sans prendre la peine de m'appliquer. J'étais plutôt pâle aujourd'hui, malheureusement, et j'avais l'impression d'avoir les traits tirés. Je sentis mon dos me lancer : sans doute le fait d'avoir dormi sur un trottoir hier... A cette pensée mon coeur se serra douloureusement. Je comptais bien mener ma petite enquête aujourd'hui ! J'attachai mes cheveux châtains en un chignon lâche, ne me préoccupant pas vraiment du résultat; je voulais juste être acceptable. J'entrai dans la cuisine. Maman n'y était pas; elle devait sans doute monopoliser la salle de bain du haut. J'ouvris le frigo et bu la fin de la brique de jus d'orange au goulot, je n'avais pas beaucoup de temps alors pas la peine de faire des simagrées. Je me penchai sur le meuble de cuisine pour regarder le ciel par la fenêtre, le temps semblait assez gris aujourd'hui, et l'air paraissait affreusement lourd. Je restai une minute à fixer les nuages, l'esprit vide, puis je jetai un rapide coup d'oeil au four et l'heure indiquée me prit de court. Je remontai les escaliers quatre à quatre jusque dans ma chambre pour choper mon sac à dos et y enfiler deux trois cahiers. Je redescendis ensuite tout aussi rapidement que j'étais montée - sans doute même plus vite - et loupai la dernière marche, m'étalant de tout mon long sur le parquet.
<< Aïe aïe aïe ! Ca fait mal purée ! >>
Je me redressai avec prudence, posant avec délicatesse mon pied gauche pour avancer d'un pas. Je sentis ma cheville chauffer désagréablement, mais la douleur était supportable. J'enfilai mes petites chaussures bordeaux, pris mon trousseau de clé posé dans la petite panière sur la commode et sortis à la hâte. Il faisait chaud en effet ! J'ouvris le petit portillon et entamai la route du lycée. Fort heureusement, au fur et à mesure que je marchais, je sentais la douleur dans ma cheville se dissiper jusqu'à disparaître complètement. J'avais course aujourd'hui, et j'aimais tellement qu'il n'était pas question que je loupe une seule séance ! Je pressai le pas et arrivai bientôt devant mon lycée. La cours était pratiquement vide, ce qui ne me rassura asolument pas; je me mis a courir aussi vite que je pus, comme si des ailes m'étaient poussées dans le dos. J'étais déjà arrivée en retard plus d'une fois, et je voyais bien que cela commencait vraiment à agacer les professeurs. Je vis la salle de ma première heure de cours, et me dirigeai vers elle telle une fusée. La sonnerie se mit alors à tinter, et j'ouvris la porte de la salle de classe juste avant qu'elle ne se termine.
<< Bonjour monsieur, dis-je avec bonne humeur, satisfaite de mon exploit.
M. Yamashita, mon professeur d'Histoire, tourna la tête dans ma direction, et me sourit.
- De justesse Mlle Yun-ji, de justesse, me répondit-il. >>
J'allai m'asseoir, étonnée qu'il soit gentil lui qui était si strict d'habitude. Ma place attribuée se situait dans la rangée du milieu, donc la troisième, à l'avant dernière table. A peine m'asseyai-je qu'on me tapota l'épaule. Je me retournai sans grande conviction, et plantai mes yeux dans un regard noisette et pétillant :
<< Azamie...
- Salut Toto ! Ca va ? me chuchota-t-elle avec entrain.
J'allai répondre mais elle ne m'en laissa pas le temps.
- T'as eu de la chance avec M.Yamashita, il n'est pas aussi sympa d'habitude! Je m'en souviens de la dernière fois quand tu...
- Oui, je me disais justement la même chose, la coupai-je avant qu'elle ne puisse terminer.
- Ah ! Heu...>>fit-elle.
Je lui souris et me retournai face au tableau. Il n'était pas question que je lui laisse la moindre chance, le moindre instant pour qu'elle trouve autre chose à dire. Connaissant Azami, elle ne m'aurait plus lâchée de toute l'heure pour finir l'histoire qu'elle avait commencé ! Je me concentrai sur le déroulement du cours. L'Histoire était une matière que je trouvais très intéressante, plus que les maths en tout cas. J'étais actuellement en dernière année de lycée, classe scientifique, chose que je regrettais la plupart du temps... Encore deux heures...encore deux heures et je pourrai passer à l'infirmerie lors de la pause pour interroger l'infirmière sur les événements d'hier. J'avais tellement hâte ! Et peut-être un peu peur aussi, parce que même si je voulais connaître la raison pour laquelle j'avais été laissée inconsciente sur un trottoir, en même temps...je n'étais pas si sûre que ça que se soit une bonne idée. En attendant, je grattai machinalement sur mon cahier chaque mot du cours du professeur. Le temps passa à une vitesse extrêmement lente, et je faillis piquer du nez plus d'une fois ! Je regardai l'horloge qui était au-dessus du tableau, et vis qu'il allait sonner dans dix secondes exactement ! Je me redressai vivement sur ma chaise, souriant bêtement - et je n'étais pas la seule - et m'apprêtai a refermer ma trousse quand mon ventre se mit à gronder. Je le sentis à peine, par contre je l'entendis, et ce comme la plupart des gens dans cette pièce. La sonnerie éclata, et c'est en riant que tout le monde sortit, quand à moi je sentis le rouge me monter aux joues. Une main se posa sur mon épaule - celle d'Azamie.
<< Ca c'est pas de chance, me fit-elle.
Je soupirai en aquiescant. En effet ce n'était pas de chance, et ça ne pouvait tomber que sur moi évidemment. Azami se planta devant moi, tout sourire.
- Tu viens avec moi voir Honami et Sae ?
- Oh, non, désolée, je ne préfère pas, répondis-je, une autre fois promis !
Elle me regarda en faisant la moue.
- Tu dis ça à chaque fois...
- C'est que, heu, je dois aller à l'infirmerie, fis-je avec une petite voix.
Elle ouvrit grand les yeux.
- Qu'est-ce qui se passe ? Tu es malade ? Je t'accompagne !
Je me giflai en mon for intérieur. J'aurai dû lui dire que j'allais aux toilettes ! Elle n'allait plus me lâcher maintenant.
- C'est juste pour signer un papier, tentai-je vainement.
- Je viens quand même ! Ca me fera bouger comme ça, parce que ces deux heures avec Yamashita m'ont achevée !
Et sans me laisser l'occasion d'en placer une, elle me tira par la main. Nous nous frayâmes un chemin parmis les nombreux étudiants, et parvînmes finalement aux escaliers. Elle passa devant, ne me lâchant toujours pas la main. Je remarquai aussi que je serrai fermement la sienne, et la retirai brusquement. Je n'aimais pas spécialement les contacts. Azami me regarda, étonnée :
- Alors c'est pour quoi faire ce papier que tu dois signer ?
- Oh ! Et bien...c'est pour ma chute dans les escaliers, tu sais hier, au lycée.
Ce fut la chose la plus logique à dire qui me vint à l'esprit. Elle me scruta un intensément un court instant.
- Sérieux ? Je ne savais pas ! Comment ça se fait que je n'étais pas au courant ?
Elle me regarda et bougonna.
- Je t'avais passé mon numéro en plus, rouspéta-t-elle, tu aurais pû me prévenir...
Elle se tourna brusquement vers moi, affichant une mine boudeuse terriblement mignonne. Je me mis à rire, je ne l'avais jamais vue comme ça.
- Je te promets de te prévenir la prochaine fois, Azami !
Soudain, je vis ses yeux s'éclairer. Zut, j'avais baissé ma garde.
- C'est la deuxième fois que tu m'appelles par mon prénom ! >> s'écria-t-elle.
Je levai les yeux aux ciel, la dépassai prestement et descendis les escaliers. Quand à elle, toute contente, me suivit en sautillant presque aussi bien que mon petit frère Michio. Nous arrivâmes enfin devant l'infirmerie,et alors que j'allais toquer à la porte un vieu monsieur que je n'avais jamais vu l'ouvrit, plongé en pleine réflexion sur le document qu'il avait dans sa main gauche; de la droite il tenait une tasse de café à moitié remplie. Il ne nous avait pas vues, et continua tout droit son chemin en me fonçant droit dessus : il me bouscula de l'épaule droite, et lâcha sa tasse qui explosa avec un grand fracas, nous éclaboussant les mollets de quelques gouttes de la boisson. Il y eu un instant de vide.
<< Je...je suis désolée monsieur ! m'exclamai-je.
Je redressai la tête dans sa direction et remarquai la petite expression toute tristounette de son visage.
- Je suis vraiment désolée, dis-je à nouveau, en le pensant cette fois.
Il regarda les taches sur le sol.
- Ce n'est pas grave, c'est ma faute, fit-il sans m'adresser un regard.
Je détournai les yeux, ne sachant quoi dire, alors que lui était toujours dans sa contemplation du sol. Puis je me repris, me souvint ce pourquoi j'étais venue ici et m'approchai de lui.
- Excusez-moi monsieur, mais sauriez-vous où je pourrai trouver Mlle Mukai ? C'est l'infirmère qui travaille ici.
Il plongea alors ses yeux gris dans les miens et me scrusta d'une manière dérangeante.
- Je sais pertinament qui est Mlle Mukai, répondit-il brusquement, mais hélas tu ne la trouveras pas là aujourd'hui.
Il marqua une pose.
- Elle n'exerce plus ici, c'est moi qui remplace dorénavant. Je suis M. Ban, enchanté de faire votre connaissance les filles.
Mon coeur palpita, et je le regardai sans comprendre.
- Mais...il y a sûrement un moyen de la contacter, un numéro de téléphone, une adresse...
- Je vous arrête tout de suite, fit-il en levant la main, mais ce sont des informations personnelles que nous n'avons pas le droit de fournir aux élèves, je suis désolé Mlle...
- Yun-ji.
- Je suis désolé, donc, Mlle Yun-ji. Si vous me disez de quoi il s'agit je pourrai peut-être vous aider, est-ce une affaire administrative, des documents à fournir, à faire signer...
Il fut malheureusement coupé par Azami.
- C'est exactement ça ! Un papier à signer ! Elle est tombée dans les escaliers hier et elle a dû aller à l'infirmerie.
Je la secouai intérieurement. Elle ne pouvait pas me laisser mener ma conversation tranquillement sans venir y mettre son grain de sel ?
- Attendez ! s'écria-t-il soudain, ce qui nous fit sursauter, je crois voir de quoi il s'agit !
Il souleva son document, qui en cachait quelques autres, tourna les feuilles une à une. Il brandit ensuite l'une d'elle avec fierté.
- Je savais bien qu'elle était quelque part par là !
Azami se pencha et regarda le papier avec un petit air étonné.
- Vous avez l'air de bien vous impliquer dans votre travail, le complimenta-t-elle.
Il la gratifia d'un regard appréciateur. Il ouvrit la bouche.
- Otomo. Azami Otomo, sourit-elle.
Il lui rendit son sourire.
- Merci Mlle Otomo, j'aime m'y mettre fort dès le debut pour être moins débordé ensuite.
Il me tendit la feuille.
- J'aurai juste besoin de votre petite signature ici, et celle de votre responsable légal sur ce papier. Vous pourrez me remettre tout cela en fin de semaine.
Je pris le document, le lus rapidement.
- Très bien, merci M.Ban.
Il se gratta la tête d'un air embêté.
- Bon, quand à moi, je vais nettoyer ce bazar, dit-il en faisant un geste vague de la main en direction des morceaux de tasse brisés.
- Oh, nous pouvons le faire vous savez ! proposa Azami avec gentillesse.
- Retournez plutôt en cours, cela vous mettrait en retard.
Comme il voyait que nous hésitions, il insista :
- Allez, dépêchez-vous avant que je ne change d'avis !
- Merci M.Ban ! >> fire-nous de concert.
Nous tournâmes ensuite les talons, et M.Ban agita la main pour nous dire au revoir. Nous montâmes les escaliers sans prononcer le moindre mot - chose très rare en compagnie d'Azamie. De mon côté j'étais terriblement déçue de ne pas avoir pû interroger l'infirmière, et je me posai la question sur ce que j'étais censée devoir faire ensuite. Il n'y avait peut-être rien à chercher en fin de compte, rien à trouver. Ce qui était étrange cependant était le fait que Mlle Mukai ait démissionné du jour au lendemain. Je me torturais cependant trop avec ça, et je pris enfin ma décision : il était préférable de ne plus y penser et laisser les choses reprendre leur cours habituel. Je vis Azamie me regarder avec interrogation.
<< Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je.
Elle se mit à rire.
- Je disais : il a l'air gentil M.Ban.
- Ah ! Désolée je n'avais pas entendu...mais c'est vrai qu'il a l'air sympa >> constatai-je.
C'est alors que tout commença. Mon ventre me fit soudain mal et se tordit avec un grondement sourd. Azami, quand à elle, rit de plus belle, une larme au coin de l'oeil. J'entendis les battements de son coeur, son sang circuler dans ses veines, je sentis son haleine délicieuse que je humai à pleins poumons. J'avais faim.