Sans retour

        Ça avait été une journée très chaude pour le milieu de printemps, et la température semblait avoir davantage augmenté en cette fin d'après-midi. On pouvait voir les passants se hâter de rentrer chez eux sous la menace du soleil, pressés de retrouver leur bienfaisante clim et leur canapé pour souffler un coup. Tous cherchaient à fuir la chaleur écrasante comme s'ils avaient été surpris par une pluie torrentielle. La fraîcheur de la nuit se faisait attendre avec impatience, et le début de soirée paraissait incroyablement long, à quel point qu'il semblait vouloir narguer les habitants.

         Froid. Il faisait froid. Ma position était très inconfortable, mon cou me faisait mal. Mon corps reposait dos contre terre sur une surface dure et irrégulière, et j'avais la bouche toute pâteuse, une sensation des plus désagréable. Mon esprit était tout embrumé, et je commençai à retomber dans un néant sans rêve. Mais mes muscles endoloris et un soudain mal de tête me ramenèrent à la réalité, et je tentai d'ouvrir mes paupières, qui restèrent obstinément collées. Je soulevai mon bras droit avec peine, et posai ma main sur mon visage. Je me mis à me frotter l’œil doucement, puis plus énergiquement en sentant avec dégoût des croûtes aux extrémités. Je fis de même avec le second. Puis j'essayai difficilement d'ouvrir les yeux, et réussi enfin, les clignant de nombreuses fois avant de parvenir à les laisser ouverts sans interruption plus de dix secondes.                                  Les bras le long des flancs, je regardai le ciel sombre, tandis qu'un millier de questions tournaient en rond dans ma tête. Quelle heure est-il ? Quel jour sommes-nous ? Où suis-je ? Que m'est-il arrivée ? Mais aucun moyen de répondre a l'une d'entre elles. Je poussai un long soupir. Il fallait que je bouge, que je me lève, que je rentre chez moi. Je baissai les yeux et regardai enfin autour de moi. Un mur se dressait face à mes pieds, j'en déduis être dans une impasse. Un autre se trouvait à environ un mètre de mon côté gauche ; je commençai enfin à apprécier les distances, je me réveillais, recouvrais mes esprits. J'entrepris de m'asseoir. Je relevai mon buste à l'aide de mes avant-bras, me faisant ressentir des pincements de douleur. Je décidai de ramper vers le mur le plus proche, à ma gauche, et m'affalai contre à demi assise.                                                                               Mais qu'est ce qui se passe bon sang?! Qu'est ce qui m'arrive?! Je cru devenir folle, et imaginai toutes les choses les plus horribles qui auraient pu arriver à une jeune fille la nuit, qui se réveille ensuite sans souvenir.. La nuit? Non, ce n'était pas que ça, je ne me souvenais pas plus de cette nuit que de la journée! Je me rappelais seulement m'être couchée, et puis plus rien. Par conséquent, cela faisait-il réellement un seul jour? Peut-être que ça avait été plus! Bien plus! Mes derniers souvenirs me semblaient remonter à tellement loin... Non! Je devais réfléchir a tout ça plus tard, pour l'instant il fallait que je pense à rentrer chez moi, et vite. Cette ruelle ne m'inspirait pas confiance. Appuyant mon dos contre le ciment, je me redressai lentement, jusqu'à enfin me retrouver sur mes pieds. Je vis une lumière au bout de la rue, et me dirigeai vers elle, la main effleurant la façade pour me retenir dans le cas d'une chute. A peine avais-je fait trois pas que mon pied heurta quelque chose, surprise par le bruit, je baissai les yeux rapidement. En dépit de la pénombre, je vis qu'il s'agissait de mon sac de cours, à côté duquel il y avait un petit sachet en plastique blanc. Je m'accroupi et m'en saisi, l'ouvrant sans délicatesse. Dedans s'y trouvait une petite boîte blanche en carton, mais je ne pouvais pas y voir davantage. Je me relevai, soulevai laborieusement mon sac et reprenait mon chemin en direction de la rue éclairée, tournant de plus en plus la tête de tous les côtés au fur et à mesure que je m'en approchais. J'entendais pour seul bruit les pulsations effrénées de mon coeur battant à mes tympans. J'arrivai finalement face à la rue, regardai à gauche puis à droite, et à nouveau à gauche. Personne. Cela ne me soulagea pas pour autant, et je traversai prestemment la route pour venir me planter sous le réverbère. Epuisée par ma marche, je laissai mon sac glisser de mon épaule et tomber au sol avec fracas. M'appuyant de tout mon poids contre le poteau, je levai la petite boite en carton devant mes yeux, les plissant pour mieux distinguer ce qui était écrit, n'étant pas encore habituée à la lumière. Je lus le mot suivant :

<< Spa...sfon >>

Spasfon! J'eus l'impression qu'on se fichait de moi. Je senti ma george se nouer.. Toto, Toto, calme-toi, pleurer ne te mènera à rien, réflechis, réfléchis seulement. Un petit couinement misérable remonta de ma poitrine jusque dans mon cou, je le ravalai avec rage. Pas question de chialer, je ne donnerai pas cette satisfaction à mon ou mes ravisseurs, qu'ils soient en train de me regarder ou non. Je remis mon sac sur le dos, et jettai la petite boîte, car même si je souffrais d'un mal de ventre et de crâne carabiné, je ne toucherai pas à leur sale truc. Je me remis en route, croisant les bras sur mon ventre car j'avais la chair de poule. Ce n'est qu'alors que je réalisai que je portais mes vêtements de cours, ayant l'habitude de les avoir sur le dos, je n'avais pas fait attention au fait que ce n'étais pas moi qui avais pu les enfiler vu que mes derniers souvenirs remontaient à l'heure de mon coucher, où j'étais donc en pyjama. Ces pervers! Obsédés par les lycéennes en tenue de cours! Je les haïssai tous, tout ces imbéciles heureux excités par des jeunes filles inconscientes...on peut décidément trouver toutes sortes de tarés dans ce monde! Je pleurais cette fois, sans bruit, des larmes de dégout que j'essuyai avec colère. Je continuai tout droit, me mordant les lèvres et priant de ne croiser personne.                                                                                                                                                                    J'arrivai bientôt à un carrefour, qui me sembla bien familier! En effet je le reconnu, il se situait pas très loin de chez moi, je l'empruntais tous les jours pour me rendre en cours. Cette nouvelle me soulagea énormément : je pourrai enfin rentrer chez moi et retrouver ma famille, qui devait sans nulle doute être folle d'inquiétude. Sur le qui-vive tout de même, je tournai à droite, pressant le pas comme je pouvais et titubant à moitié.

      Après quelques minutes, qui me parurent durer une éternité, j'apercu enfin ma maison, les lumières encore allumées. Je n'avais aucune idée de l'heure mais vu les rues désertiques, je me doutais bien qu'il était suffisamment tard pour que ma famille soit endormie depuis longtemps. Ils devaient être si inquiets, je n'imaginais même pas! J'arrivai devant le portail, épuisée par l'effort . Je le poussai, il grinça légèrement sur la fin, comme à son habitude. Sans prendre la peine de le refermer, je grimpai les marches. Mes mollets me faisaient mal, mes cuisses me brûlaient et de la sueur coulait de mon front, et malgré cela je me sentais légère. Je rentrais enfin à la maison. J'avais eu tellement la frousse! Je sonnai deux fois, et entendis quelqu'un se diriger vers la porte en courant. Mon petit frère Michio ouvrit la porte à la volée.

<< Toto ! s'écria-t-il.

- Haha! Tu n'es pas encore couché toi? demandai-je.

Il n'imaginait pas à quel point j'étais heureuse de le voir. Il m'avait bondi dessus comme une sauterelle.

- Bien sûr que non, on est presque tous réveillé! s'exclama-t-il.

- Un garçon de douze ans est encore un enfant, le taquinai-je. 

Il accusa le coup et bougonna, puis retrouva bien vite son entrain habituel.

- Allez viens! Tout le monde t'attend! >>

Il me pris la main et je le suivis, claquant la porte au passage. Je sentis avec un frémissement de plaisir la chaleur tiède de l'habitat s'engouffrer dans chacun des pans de mes vêtements. J'étais transie de froid, dehors, et la température de la maison me mis dans un bien-être pas possible. Nous arrivions au salon. Je vis mon père endormi sur son fauteuil, un journal sur les genoux, et ma mère assise sur le canapé gris, qui leva la tête à mon arrivée. Elle se releva subitement et me fonça dessus. 

<< Ma chérie, tu es enfin là! sourie-t-elle, je commençais à me faire du soucis!

Ma maman était là. Je sentis à nouveau une boule dans ma george.

- Maman!

Je lui sautai au cou. Surprise pas l'impact soudain de mon corps contre le sien, elle recula de deux pas. Je lui fis un gros câlin, bien au chaud dans ses bras, la tête enfouie dans son pull couleur lavande. Mes nerfs lachèrent et une larme s'échappa de mon oeil gauche. Maman posa une main sur mon dos, et de l'autre me caressa les cheveux.

- Eh ben alors ma puce! Ca a été si difficile que ça? fit-elle.

Je redressai la tête, n'étant pas sûre de comprendre.

- Comment ça? dis-je, les sourcils froncés.

- L'infirmière nous avait prévenu que tu arriverais tard, mais je ne pensais pas que ça serait autant!

Mon coeur eu un raté. J'entendis mon père bailler, et me tournai vers lui, la bouche entrouverte pour dire quelque chose, mais sans trouver mes mots.

- Une chute dans les escaliers...tu as eu de la chance tu sais, de ne pas t'être cassée quelque chose, intervint-il.

- C'est vrai, renchérie ma mère, et je suis bien contente de te retrouver en un seul morceau!

- Ah...oui, parvins-je à prononcer.

Maman s'approcha de moi et me regarda avec inquiétude.

- Tu es sûre d'aller mieux?

- Elle est fatiguée, Shizuyo, et ça se comprend, dis papa. Tu devrais filler au lit, s'adressa-t-il ensuite à moi, et je vais te suivre je crois, je n'en peux plus!

Il s'étira et se leva du fauteuil.

- Je suppose que tu as raison, soupira maman, allez au lit les enfants! Et tu exagères un peu d'être resté debout Michio! Ta petite soeur est en train de dormir elle, alors ne te plains pas si tu es fatigué demain!

- mais Saki elle n'a que dix ans! riposta mon petit frère.

- Vas dormir Michio, ordonna maman en ossant un sourcil.

Elle lui fit un bisou sur le front ainsi que papa. Le petit garçon me lança un clin d'oeil et fuya dans sa chambre en sautillant. Maman vint ensuite m'embrasser sur le bout du nez.

- Fais attention la prochaine fois, tu m'as vraiment fait peur aujurd'hui, avoua-t-elle, les yeux remplis d'inquiétude.

Papa s'approcha de moi et me mis une main sur l'épaule.

- Aïe, grimaça-t-il en se grattant la tête, question maladresse tu dois tenir de moi!

- Allez, bonne nuit! dirent-ils de concert. >>

Je relevai légèrement le menton et leur tournai le dos, allant en direction de ma chambre. Je sentais le poids de leur regard sur moi. Je rentrai les épaules et montai les escaliers, dans un état d'hébétude absolue. Une fois à l'étage, je m'assis contre le mur en haut des marches. Que...que venait-il de se passer? Je ne savais pas quoi penser, j'avais l'esprit totalement embrouillé. J'avais été incapable de formuler le moindre mot, en bas. Mais...mais pourquoi une chute dans des escaliers? L'infirmière de mon lycée avait appelé? Je repliai mes genoux contre ma poitrine, baissai la tête et appuyai mes mains sur le sol, comme pour vérifier qu'il était bien là. Ce n'était tout simplement pas possible que j'ai été au lycée aujourd'hui sans m'en rappeler, ni que je sois tombée dans des escaliers sans séquelle physique, et ayant eu pour seule conséquence d'altérer ma mémoire! Ca n'était pas possibel! Pas possible du tout! Mon coeur tambourinait dans mon corps, j'avais l'impression de me sentir vibrer. Il y avait autre chose. Un autre événement s'était produit, et on essayait de me le cacher, quelqu'un avait fabriqué quelque chose, j'en étais certaine. Ma tête tomba d'un coup vers l'avant. La fatigue me pris de court. Il fallait que je dorme avant d'essayer de répondre à mes questions. Demain je pourrai réfléchir, me consacrer entièrement à ce problème. Les paupières alourdies, je me relevai d'un pas mal assuré, et ouvrai la porte de ma chambre en grand. Méfiante et sans y entrer, je passai ma main de l'autre côté du mur pour allumer la pièce. Personne. Tout était à sa place, comme si nul n'y était entré. Peut-être était-ce le cas, peut-être avais-je fait une grosse crise de somnambulisme? J'entrai, refermai la porte derrière moi et balayai ma chambre des yeux. Toujours en restant près de la porte, je me mis à quattre pattes et regardai sous mon lit. Rien. Je sautai dessus et fermai la fenêtre rapidement puis tirai les rideaux, veillant bien à ce qu'on ne puisse rien voir de l'extérieur. D'habitude je laissais la fenêtre entrouverte pour la nuit, mais maintenant, pas question de laisser la moindre chance à un individu voulant entrer. J'allumai ma lampe de chevet, allai éteindre la lumière principale, et filai sous ma couette. Bien qu'ayant vérifié qu'il n'y avait personne, je préférais me changer en étant sûre qu'on ne pourrait me voir. Je mis un tee-shirt large et blanc en guise de pyjama, et laissai tomber mes vêtement du jour par terre, à côté du lit. La journée sera longue, demain.             Je mis une bonne demie heure à m'endormir, car même si j'étais affreusement fatiguée, mon mal de tête ne me quittait pas, et la peur me nouait le ventre..