Mon Sorceleur : au-delà du jeu
Les jours ont fusionné en une course effrénée. Mon corps criait au secours, mais mon esprit refusait de se reposer.
La faim et le sommeil étaient des luxes que je ne pouvais pas me permettre. J'étais sur une piste. J'en étais certaine.
Le déclic est venu en revisitant la première fois. Pas l'attaque de Kaer Morhen, mais mon tout premier saut. Je me suis souvenue de ce jour, de cette sensation étrange juste avant d'être transportée.
La Chasse Sauvage. Ils m'avaient tirée dans leur monde. Pas par hasard.
Je me suis rappelée ce que Vesemir avait dit : "Ils s'intéressent aux anomalies." Et ce que Yennefer avait ajouté : "Cette empreinte... c'est une forme de magie primaire, presque tellurique.
Cela suggère qu'elle a été forcée de partir. Ou plutôt, qu'elle a provoqué inconsciemment une brèche lors de sa première arrivée."
C'était ça. Mon corps, ma présence, mon lien avec mon propre monde, avaient été détectés.
La Chasse avait perçu une singularité énergétique en moi, un potentiel non pas de les combattre, mais de les ancrer ici. Ils m'avaient utilisée comme un conduit initial, une sorte de balise involontaire pour sonder la perméabilité entre nos mondes.
La révélation m'a frappée avec la force d'une décharge électrique. Mon "accident" n'en était pas un. J'avais été la première cible d'Eredin, sa tête de pont dans un monde insoupçonné.
La sensation de froid intense, la poussière scintillante, le craquement spatial – c'était la signature de la Chasse Sauvage. Ils m'avaient tirée chez eux, m'avaient manipulée, et m'avaient renvoyée quand ils avaient fini de m'exploiter, me laissant là, brisée.
J'étais moins une héroïne échouée et plus une boîte aux lettres interdimensionnelle à usage unique. Charmant.
Si j'avais été un conduit, alors je pouvais l'être à nouveau. Pas pour eux, mais pour moi. Et pour Geralt. Mon propre monde, le 21e siècle, avec toute sa technologie et sa connaissance, devait bien pouvoir rivaliser avec la magie d'un univers parallèle, non ? Enfin, je l'espérais. Parce que si la seule solution était de me mettre à invoquer des démons en latin, j'étais mal barrée.
J'ai combiné toutes mes connaissances éparses : les ondes, les énergies, les rares légendes de mon monde sur des "lieux de passage". Mon regard est tombé sur une carte de la région.
Et ce fameux bosquet. Le point précis de convergence, là où j'avais "atterri". C'était le point faible, l'endroit où la barrière entre les mondes était la plus poreuse.
L'idée est devenue une certitude brûlante. Si je pouvais recréer les conditions d'une forte concentration d'énergie à ce point de résonance, je pourrais forcer une nouvelle ouverture.
C'était de la folie pure. Un pari insensé. Mais c'était mon seul espoir.
J'ai rassemblé le matériel nécessaire : un vieux générateur électrique de camping qui traînait dans le garage, des câbles épais, des dispositifs pour mesurer les champs magnétiques (achetés en ligne avec une livraison express), et même une petite charge explosive que j'avais trouvée dans un manuel de pyrotechnie amateur.
Oui, je sais, ça faisait très "MacGyver rencontre Oppenheimer", mais quand l'amour de votre vie est bloqué dans un autre monde, on ne lésine pas sur les moyens.
Mon cœur battait la chamade.
Ce soir.
Ce serait ce soir.
À Kaer Morhen, la tension était palpable. Geralt suivait la résonance avec une détermination effrayante. La vibration que ses médaillons captaient était de plus en plus forte, de plus en plus stable.
C'était comme une mélodie lointaine qui se rapprochait, une signature énergétique qu'il reconnaissait instinctivement comme étant celle de Luna. Il sentait qu'elle cherchait à revenir, qu'elle essayait de les atteindre.
Yennefer était arrivée, ses yeux violets perçants d'une intensité rare. Elle avait confirmé les hypothèses de Geralt. "Cette empreinte... c'est une forme de magie primaire, presque tellurique.
Elle suggère que la Chasse a forcé une première ouverture par l'intermédiaire de cette femme. Ils l'ont utilisée. Et maintenant, elle essaie de rouvrir cette même faille depuis son monde."
"Alors elle n'était pas leur prisonnière, même au début ?" a demandé Geralt, un éclair de compréhension.
"Non. Une anomalie. Quelque chose qu'ils ont détecté et exploité," a confirmé Yennefer. "Et maintenant, elle essaie de rouvrir cette même faille depuis son monde."
Vesemir était sceptique. "C'est de la folie. Elle va se tuer."
"Elle ne peut pas rester là-bas," a grogné Geralt. "Et je ne la laisserai pas tomber entre les mains d'Eredin."
Il a étudié les cartes que Yennefer avait apportées, des cartes détaillant les Lignes d'Énergie qui parcouraient le Continent.
Et sur l'une d'elles, un point se distinguait, un Nœud d'Énergie primaire à des kilomètres de Kaer Morhen, un lieu connu pour des légendes d'apparitions et de disparitions.
Le point de convergence. Si Luna créait une résonance de son côté, c'est là que l'impact serait le plus fort dans leur monde.
Un soir, alors que le soleil se couchait en traînées sanglantes sur les montagnes, la vibration est devenue assourdissante pour Geralt. Le médaillon s'est mis à chauffer, la mélodie de Luna résonnait dans sa tête. Ce n'était plus un écho lointain, c'était un appel.
"C'est maintenant," a déclaré Geralt, se levant d'un bond. Il a enfilé son armure, ses épées. Yennefer s'est préparée, ses mains crépitant déjà de magie. Vesemir et Eskel les ont suivis, sachant qu'ils étaient sur le point de faire face à l'inconnu.
Ils ont chevauché à bride abattue vers le Nœud d'Énergie. L'air est devenu froid, puis électrisant. Le sol vibrait. Au loin, une lueur violette a commencé à scintiller, grandissant, se tordant. C'était un portail. Et Geralt sentait, au plus profond de son être, la présence de Luna de l'autre côté.
Arrivée au bosquet ancestral éloigné de ma ville, le générateur ronronnant, La nuit était sans lune, le vent soufflait doucement.
J'ai branché les câbles, mon cœur battant à tout rompre. J'ai positionné la charge explosive, ma respiration saccadée. Ce n'était pas un sort de magicienne, c'était de la science, de l'intuition, et une dose massive de désespoir.
J'ai prié pour que ma théorie sur la résonance et le choc bio-énergétique soit correcte.
Je me suis reculée, j'ai activé le générateur à plein régime, et avec une boule au ventre, j'ai déclenché la charge.
Une explosion a déchiré le silence de la nuit. Pas une explosion de feu, mais une déflagration d'énergie pure. L'air s'est mis à vibrer. Une fissure est apparue devant moi, déchirant l'espace comme du tissu.
Une lumière violette a jailli, s'intensifiant, le craquement familier a résonné, plus fort que jamais. L'odeur de soufre et de givre a rempli mes narines. Le portail s'ouvrait.
Mais de l'autre côté, ce n'était pas Kaer Morhen calme que j'ai vu. C'était le champ de bataille. La Chasse Sauvage.
De l'autre côté, au Nœud d'Énergie du Continent, la fissure s'est ouverte avec un rugissement déchirant. La lumière violette a inondé la zone. Et à travers elle, on a vu... mon monde.
Des arbres différents, une architecture étrange au loin, et au centre de la brèche, ma silhouette, épuisée, mais debout.
Mais la Chasse Sauvage était là. Eredin, alerté par la résonance de Luna et la perturbation du portail, avait anticipé sa tentative. Il avait déployé ses cavaliers, ses mages, prêts à l'intercepter au moment où elle réapparaîtrait.
Alors que j'étais sur le point de franchir la brèche, le son sinistre des trompes de guerre de la Chasse a retenti. Leurs destriers fantomatiques ont franchi le portail, leur armure noire et glaciale reflétant la lumière violette. Ils étaient là. Dans mon monde.
Geralt et son groupe ont émergé de l'autre côté de la brèche, leurs visages marqués par la surprise et la détermination. Yennefer a immédiatement lancé un mur de feu pour contenir les premiers cavaliers.
"Luna !" a hurlé Geralt, sa voix emplie d'urgence. Il m'a vue, et la Chasse Sauvage qui se déployait autour de moi.
Eredin a surgi, sa forme imposante se découpant sur la lumière du portail, sa voix résonnant avec une puissance glaciale. "L'anomalie est enfin à notre portée ! Attrapez-la !" Ses mages ont commencé à projeter des sorts de glace et d'ombre.
La bataille a éclaté dans mon bosquet. Les Sorceleurs, acculés mais féroces, se sont jetés dans la mêlée. Geralt s'est précipité vers moi, sabrant et parant les cavaliers de la Chasse.
Son épée d'argent a sifflé dans l'air familier de mon monde. Yennefer, ses mains crépitant de magie, a repoussé des vagues d'ennemis, ses éclairs violets illuminant les arbres.
Vesemir et Eskel se sont battus avec la détermination des vétérans, leurs lames cliquetant contre l'armure de glace.
J'étais prise entre deux feux, mon monde et le leur se heurtant avec une violence inouïe. La panique montait, mais aussi une étrange clarté. Je ne pouvais pas juste regarder.
J'ai vu Eredin sourire derrière son casque, levant sa lame pour un coup fatal sur Geralt qui était aux prises avec plusieurs cavaliers. Sans réfléchir, j'ai attrapé le câble du générateur et, avec toute la force du désespoir, je l'ai jeté dans la faille vibrante. Une décharge électrique a déchiré le portail. Le générateur a hurlé, puis a explosé dans un éclair de court-circuit. L'énergie a crépité violemment.
Le portail, instable, a vacillé, menaçant de se refermer.
"Geralt ! La brèche !" j'ai hurlé, sachant que c'était notre seule chance.
Il m'a regardée, ses yeux dorés remplis de compréhension et d'une confiance aveugle. Il a repoussé Eredin avec un Aard dévastateur, puis s'est élancé. Eredin, voyant le piège, a rugi de fureur, tentant de le retenir. Mais c'était trop tard.
Dans un ultime bond, Geralt a franchi la brèche. Yennefer, avec un éclair de magie concentrée, a repoussé les derniers cavaliers de la Chasse Sauvage qui tentaient de passer.
La faille s'est refermée derrière Geralt avec un claquement assourdissant, coupant Eredin et la Chasse de mon monde, les renvoyant de force à l'endroit d'où ils venaient, leur donnant une leçon sur la stabilité des portails.
Geralt a atterri lourdement devant moi, ses yeux fiévreux fixant les miens. Nous étions seuls. Dans mon bosquet. Dans mon monde. Il y avait du sang sur son armure, des égratignures sur son visage. Mais il était là.
"Je t'ai trouvée," a-t-il murmuré, ses mains enserrant mon visage.
Je me suis jetée dans ses bras, les larmes coulant à flot. Le combat avait été acharné, la séparation déchirante. Mais il était là. Et maintenant, la question était : comment le renvoyer, ou comment vivre avec lui, dans mon monde du 21e siècle ?
Le choc du contact, la chaleur de son corps contre le mien, était le seul point d'ancrage dans le chaos.
Geralt était là, ses mains sur mon visage, son souffle chaud sur ma peau. L'odeur familière de son armure, de la sueur, du métal, et de cette pointe de... monstre, me remplissait les narines.
C'était réel. Il était réel. Mais la réalité autour de nous ne l'était pas pour lui.
Autour de nous, le bosquet d'arbres ancestraux n'était plus silencieux. Les oiseaux, effrayés par l'explosion et la brève incursion de la Chasse Sauvage, s'étaient envolés.
Mais bientôt, les bruits de mon monde allaient revenir. Le chant lointain d'une sirène de police, le vrombissement d'une voiture sur la route voisine, le murmure d'une conversation humaine à quelques centaines de mètres. Des sons anodins pour moi, mais qui faisaient frissonner Geralt.
Ses yeux dorés, habitués aux paysages sauvages et aux architectures médiévales, parcouraient les arbres familiers du bosquet avec une curiosité mêlée de confusion.
Son médaillon de loup, qui avait vibré si fort dans son monde, était inerte ici. Une preuve silencieuse que la magie de son univers ne réagissait pas de la même manière dans le mien.
"Où... où sommes-nous ?" sa voix était un grognement bas, teinté d'une incompréhension palpable.
"Chez moi, Geralt. Dans mon monde," ai-je murmuré, la gorge serrée. Le mot "chez moi" sonnait faux. Mon chez-moi, c'était devenu Kaer Morhen.
Il a froncé les sourcils, saisissant l'épée sur son dos. "Un monde étrange. La magie est... muette." Il a balayé l'air de la main, comme s'il cherchait une présence invisible. "Et ces bruits... ces... odeurs."
J'ai compris. Son monde était un monde de magie et de monstres, de nature brute et de villages isolés. Le mien, avec ses fréquences radio, ses ondes électromagnétiques, sa pollution sonore et lumineuse, devait être un assaut sensoriel insupportable pour lui.
Il était un Sorceleur, taillé pour un univers précis. Il ne pouvait pas rester ici. Ce n'était pas sa place. La pensée m'a déchirée. Je l'avais ramené, mais c'était un exil pour lui.
"Geralt," j'ai commencé, ma voix tremblante. "Il faut... il faut que tu retournes."
Son regard s'est durci. "Non. Je t'ai trouvée. Je ne te laisserai pas."
"La brèche est fermée," ai-je expliqué, désignant l'endroit où le portail s'était refermé. "Et je ne sais pas si je pourrai la rouvrir de nouveau.
Pas tout de suite. Et ce monde... ce n'est pas le tien. Tu es un Sorceleur. Tu as une quête. Ciri. Et la Chasse Sauvage... ils ont reculé, mais ils ne sont pas partis."
Le nom de Ciri a fait vibrer quelque chose en lui. Sa mission. Sa fille adoptive. C'était sa raison d'être. Ses yeux ont exprimé une lutte intérieure déchirante. Le devoir contre le désir.
"Je comprends," a-t-il dit finalement, sa voix un murmure rauque, le poids de la décision évident dans chaque syllaphe. "Mais tu viens avec moi."
Je l'ai regardé, surprise. "Mais comment ? Je ne sais pas rouvrir le portail sur commande. C'était un accident, une résonance..."
"Nous trouverons un moyen," a déclaré Geralt, la détermination brûlant dans ses yeux dorés. "Tu as prouvé que tu pouvais créer des brèches. La Chasse t'a utilisée. Nous utiliserons leurs propres méthodes contre eux. Il y a des mages qui savent manier ces forces.
Et des lieux où la frontière est fine. Cette brèche était un conduit à double sens. Si tu as pu revenir, tu peux repartir. Et je ne repars pas sans toi."
Il a fait un pas en avant, m'entraînant plus près de l'endroit où le portail s'était refermé. Il a posé sa main sur la terre humide. Il a senti le léger vestige de l'énergie, l'écho de la Chasse, et la faible, mais persistante, résonance de Luna.
"Yennefer va nous aider," a-t-il affirmé, sa voix pleine de certitude. "Elle sait comment naviguer les Sphères. Elle sait comment se servir de ce genre de magie."
Mon cœur s'est emballé. Il ne m'abandonnait pas. Il me demandait de le suivre. De le suivre à nouveau dans l'inconnu, dans un monde où les monstres étaient réels et la mort, une compagne constante.
Mais c'était son monde. Et c'était le monde où j'étais tombée amoureuse.
"Comment faisons-nous ?" ai-je demandé, regardant l'endroit vide où le portail avait rugi.
Geralt a levé les yeux vers le ciel, ses pupilles balayant les étoiles que mon monde partageait avec le sien, mais qui semblaient différentes ici.
"Nous attendons. Et nous cherchons le prochain point de convergence. S'ils sont venus, ils reviendront. La Chasse Sauvage ne lâche jamais sa proie. Et cette fois, je les attendrai." Il s'est tourné vers moi, un faible sourire.
"En attendant, tu as des vêtements pour moi dans ce monde bizarre ? Et tu as de la nourriture qui n'a pas l'air de cracher du feu ?"
Le soulagement et la surprise ont fait monter un rire nerveux en moi. Il était bien Geralt, même dans mon monde. L'aventure, loin d'être terminée, venait juste de prendre une tournure incroyablement compliquée.
Nous devions nous adapter, survivre, et trouver un moyen de retourner dans le monde où nous pouvions être vraiment nous-mêmes. Ensemble.