Mon Sorceleur : au-delà du jeu
Chapitre 5 : La fragilité du 21e siècle face à l'Ancien Monde
1394 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a 24 jours
L'épisode de l'aiguisage d'épée avec Geralt m'avait laissé un goût en bouche aussi complexe qu'une potion de Sorceleur mal dosée. Une excitation palpable, oui, du genre "Mon fantasme vidéoludique prend chair devant moi !".
Mais aussi une frustration lancinante, du type "Il était à ça de m'embrasser, et puis pouf, l'interruption ! On n'est pas dans une cinématique de jeu, ici, c'est la vraie vie, et la vraie vie est pleine de Lambert !". Il était si proche, puis si distant.
Ce n'était pas le Loup Blanc accessible des écrans, mais un homme aux murs infranchissables, probablement faits de silence, de cuir et de cicatrices.
Plus tard dans l'après-midi, alors que je tentais désespérément de faire sécher mes chaussettes douteuses près du feu (elles avaient développé une vie microbienne que même les monstres des marais envieraient),
Vesemir s'approcha, une tasse de ce qui ressemblait à une tisane fumante à la main. Son regard sage se posa sur moi, moins curieux que celui de Lambert, plus empreint d'une sorte de lassitude tranquille.
Le genre de lassitude que vous gagnez après des siècles à surveiller des louveteaux mutants.
"Tu sembles… pensive," dit-il, sa voix rauque, mais douce, comme le frottement de deux vieilles pierres.
Il s'assit en face de moi, les yeux fixés sur les flammes.
"Ce monde n'est pas le tien, n'est-ce pas ? Malgré ce que tu en sais. Tu as l'air aussi perdue qu'un écureuil dans un tonneau de bière."
"Non, Maître Vesemir," répondis-je, un soupir m'échappant.
"C'est… c'est tellement différent. Dans mon monde, la nature est apprivoisée. On a des villes lumineuses, des machines pour tout faire, on se sent... en sécurité. Ici, chaque ombre peut cacher un danger.
L'odeur même de l'air est plus... brute. Et le plus grave, c'est qu'il n'y a pas de Deliveroo. Comment on fait quand on a la flemme de chasser son propre dîner ?"
Vesemir haussa un sourcil épais.
"Du 'Deliveroo' ? Encore une de tes sornettes de la 'Connaissance du Futur' ? Ça se mange, ça se chasse, ça fait des potions ? Ou c'est un nouveau genre de monstre que tu nous as apporté ?"
"C'est comme... de la nourriture livrée directement chez vous, préparée par d'autres ! Et on peut parler à des gens à l'autre bout de la planète en un instant, voir des images, des informations... Sans bouger de chez soi !"
Je gesticulais comme si j'essayais de mimer une connexion internet.
"Imaginez, vous pourriez savoir où est le griffon avant même qu'il ne ponde ses œufs ! C'est comme la magie, mais sans les incantations et les risques de brûler ses sourcils !"
Le vieux Sorceleur resta silencieux un instant, son regard perdu dans le feu.
"De la nourriture livrée... et des nouvelles de loin, sans bouger. Cela ressemble à de la magie, en effet. Mais une magie paresseuse."
Il secoua la tête, un filet de fumée s'échappant de sa tasse.
"Notre monde est dur. Impitoyable. Chaque jour est un combat pour la survie. La sécurité dont tu parles... est un luxe que nous n'avons jamais connu. Ici, la seule 'livraison', c'est celle d'un monstre au pied de votre porte, généralement avec de mauvaises intentions."
"Et l'hygiène ! Chez moi, on se lave tous les jours ! Avec de l'eau chaude qui sort du mur ! On a même des machines qui lavent les vêtements pour nous, sans les faire bouillir au chaudron avec des herbes suspectes !", dis-je, mes mains esquissant des gestes désespérés.
"Ici, j'ai l'impression d'être toujours sale. Et mes cheveux... ils n'ont pas vu de shampoing depuis des jours ! Je crois qu'il y a un petit village de nains dedans, ils ont l'air de bien s'y plaire !" Je me passai une main dans ma tignasse emmêlée, résignée.
Vesemir eut un petit rire sec, sans moquerie. Le genre de rire qui vous dit qu'il a vu bien pire.
"Tu es une enfant de ton temps, c'est évident. Délicate, en comparaison. Mais tu as de la bravoure. Et de l'esprit. Et surtout... cette connaissance de notre monde, celle que tu as puisée dans tes 'histoires'. Cela, c'est précieux. Bien plus précieux qu'une 'nourriture livrée' ou des cheveux soyeux."
"Mais à quoi bon la connaissance si je suis totalement inutile ?", je me sentis vulnérable, presque au bord des larmes.
"Je ne sais pas me battre. Je n'ai pas de sorts. Je suis une cible facile. Une... une petite chose fragile du futur, coincée dans le passé, et qui sent un peu trop le feu de cheminée !"
Vesemir posa une main ridée sur mon épaule. Son contact était réconfortant, un peu comme une vieille couverture en laine râpeuse, mais chaude.
"La fragilité est relative, jeune femme. Les apparences sont trompeuses. Tu as survécu jusqu'ici. Et tu as apporté une aide inestimable à Geralt avec tes 'histoires'. Il ne l'admettra pas aisément, car il est plus discret qu'une ombre. Mais il t'écoute. Il te fait... confiance, à sa manière.
C'est le plus grand compliment qu'un Sorceleur puisse te faire, après 'tu n'as pas l'air d'une guenaude'."
Mon cœur fit un bond à ces mots. Geralt me faisait confiance. À sa manière. Je pouvais quasiment l'imaginer griffonnant dans un coin de son journal : "Nouvelle tactique : écouter la fille du futur. Étrange, mais efficace."
"Mais... lui, il est si… froid," murmurai-je, mon regard se perdant dans l'ombre où Geralt s'entraînait parfois, sa silhouette imposante se découpant.
"Il ne montre rien. Et cette tension... entre nous... c'est frustrant. C'est pire que de ne pas pouvoir sauvegarder sa partie à un moment crucial !"
Vesemir me regarda avec une lueur de compréhension dans ses yeux, un vieux sage qui a vu bien des histoires d'amour malheureuses.
"Geralt est un Sorceleur. Nos émotions sont... altérées. C'est le prix à payer pour survivre. Il ne montre pas ce qu'il ressent, non pas par manque, mais par discipline. Pour sa survie. Et la tienne. La 'tension' dont tu parles... Il la ressent. Il n'est pas aveugle, bien qu'il ne voie pas toujours ce qui est évident.
Il est juste... prudent. Un loup ne s'attache pas facilement.
Surtout quand le troupeau est en danger. Et que le 'troupeau' risque de se faire dévorer par une goule ou de ne pas trouver de quoi recharger ses 'appareils' bizarres."
Ses mots résonnèrent en moi. La prudence de Geralt, sa retenue, n'étaient pas un rejet, mais une forme de protection, la sienne et peut-être la mienne. C'était un réconfort inattendu, mais aussi un défi.
Le Sorceleur ne serait pas facile à atteindre. Mais l'idée qu'il puisse ressentir la même chose, même une étincelle de cette attraction, me donna une nouvelle force. Si je pouvais percer l'armure du Loup Blanc, ce serait une sacrée quête secondaire.
"Alors... je ne suis pas juste un fardeau ?"
"Non. Tu es un élément inattendu. Un vent nouveau. Et ce monde, aussi brutal soit-il, s'adapte. Tout comme toi, tu t'adapteras. Où tu périras." Il se leva, sa tasse vide à la main.
"Pour l'instant, ton rôle est de nous guider avec ta 'connaissance'. Et peut-être, de lui rappeler qu'il y a d'autres choses dans la vie que les monstres. Comme, des bains chauds. Et pourquoi pas, un jour, une de tes 'pizzas'. Même si je ne sais toujours pas comment on cuisine ça."
Il me laissa seule, ses mots résonnants, La fragilité du 21e siècle était une réalité bien concrète, mais ma connaissance et cette tension grandissante avec Geralt étaient mes atouts. Ce monde était dangereux, mais il était aussi l'endroit où mon fantasme prenait chair.
Et je n'avais pas l'intention de périr.
Surtout pas avant d'avoir eu mon rendez-vous avec le Loup Blanc.
Et peut-être, un jour, un vrai bain chaud... et pas qu'un bain chaud...
L'imaginant à poil dans ce fameux bain chaud me fit revivre la scène ou il écarta ses jambes en début du jeu... Je gloussai en bavant.
Vesemir au loin tourna sa tête et m'observant. Il soupira
"Ces jeunes et leurs magies bizarres."