Mon Sorceleur : au-delà du jeu
Chapitre 2 : Bienvenue à Kaer Morhen… ou presque
2012 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour il y a environ 1 mois
Je trottinais derrière Geralt, tentant de suivre son rythme soutenu. Mes baskets, si confortables sur le bitume, glissaient sur la terre gorgée d'eau, et les branches basses me giflaient le visage.
Il ne se retourna même pas une seule fois pour s'assurer que je suivais. Il était juste là, une silhouette silencieuse et imposante, le dos large et rassurant (mais aussi un peu terrifiant).
L'odeur de la forêt s'intensifiait : humidité, pin, et une pointe de quelque chose de métallique, de sang séché. Bienvenue dans la vraie vie de Sorceleur.
"Alors," commençai je, essayant de briser le silence pesant.
"Dans mon monde, vous êtes comme… une rockstar. Avec des disques d'or et des tournées mondiales. Sauf que vos fans vous paient en monstres tués."
Il émit un grognement bas, sans même me jeter un regard.
"Des 'rockstars'. Je préférerais un peu de silence."
"Mais ce serait dommage ! Vous savez, on a des cosplays de vous, des figurines, des jeux de société… Tout le monde est fou de vous !" Je me sentais ridicule, mais je ne pouvais pas m'en empêcher. C'était un réflexe.
"Et les romans ! Tellement profonds. Et les séries télé ! Même si Henry Cavill n'a pas les yeux jaunes, mais oh mon Dieu qui est incroyablement sexy avec ses muscles… et…"
Il s'arrêta brusquement, et je faillis le percuter de plein fouet.
Son corps était aussi dur qu'une planche de chêne. Il pivota, son regard d'or fixant le mien, un mélange de confusion et d'agacement teinté dans ses pupilles.
"Des… 'cosplays' ? Des 'séries télé' ? 'Henry muscles’ ? Qu'est-ce que vous racontez, femme ? Est-ce une nouvelle forme de… sortilège ?"
Je ris, un rire nerveux et un peu hystérique.
"Non, c'est… c'est du divertissement ! Des histoires qu'on raconte sur vous. Genre, vos aventures avec Yennefer… ou Triss…"
Je m'arrêtai net. Les relations personnelles de Geralt, ce n'était peut-être pas le sujet à aborder avec le principal intéressé. Surtout s'il me regardait avec une telle intensité.
"Mes… aventures," répéta-t-il, un souffle de mot.
Son regard s'attarda sur mes lèvres une fraction de seconde, puis redescendit sur ma tenue. J'eus l'impression qu'il voyait à travers mon pull, ma peau, jusqu'à mes os.
La tension, déjà palpable, devint presque suffocante. Mon corps réagit. Ma respiration s'accéléra, une chaleur étrange monta à mes joues.
C'était le fantasme qui se matérialisait, et c'était à la fois excitant et intimidant.
Il détourna la tête, reprenant sa marche.
"Des sottises. Nous approchons. Évitez de raconter vos 'histoires' aux autres. Ils ont un sens de l'humour… particulier."
Je n'eus pas le temps de répondre. La forêt s'éclaircit soudain, révélant une clairière rocailleuse. Et au milieu, dressée sur un éperon rocheux, la silhouette massive et majestueuse de Kaer Morhen.
Mon cœur fit un bond. Le château légendaire, en ruines, mais debout. C'était encore plus impressionnant en vrai que sur l'écran. L'air était froid, pur, imprégné de l'odeur de pierre et d'ancienneté.
Alors que nous nous approchions de l'entrée, un vieil homme à la barbe blanche et aux yeux fatigués sortit du château, suivi de près par un sorceleur plus jeune, aux cheveux bruns coupés court, et un autre, les cheveux plus longs et les yeux brillants d'une malice certaine.
Vesemir, Eskel, et Lambert. Mon esprit de fan girl s'emballa.
"Geralt ! Qui est cette… demoiselle ?" La voix de Vesemir était empreinte de surprise.
Lambert, lui, affichait un sourire narquois.
"Oh, Geralt s'est trouvé une nouvelle conquête ? Et une qui sort de la forêt comme un champignon ! Vêtue comme une vagabonde riche, en plus."
Je rougis, mes joues me brûlant.
"Je ne suis pas une vagabonde ! Et je ne suis pas sa conquête ! Je suis juste… tombée."
Eskel, plus pragmatique, fronça les sourcils.
"Tombée d'où ?"
"D'un autre monde ! D'un 'jeu vidéo' où Geralt est un héros !"
Les mots dérapèrent de ma bouche avant que je ne puisse les retenir. Geralt se contenta d'émettre un grognement d'avertissement.
Lambert éclata de rire, un rire gras et moqueur.
"Un 'jeu vidéo' ? La demoiselle a l'esprit en vrac ! Geralt, tu lui as tapé sur la tête en chemin ?"
"Elle ne ment pas," dit Geralt, sa voix neutre, mais avec une pointe de fermeté qui fit taire Lambert.
"Elle est apparue. Sans magie. Elle est inoffensive."
Vesemir s'approcha, ses yeux sages m'observant attentivement.
"Inoffensive, peut-être. Mais étrange. Et un peu trop… bruyante pour cette forteresse."
Il me regarda de haut en bas, un regard qui semblait percer mes couches de vêtements modernes.
"Venez. Il faudra la réchauffer et… la comprendre. Si tant est que ce soit possible."
Je suivis Vesemir à l'intérieur, laissant Geralt et les autres derrière moi. Le grand hall de Kaer Morhen était froid, les murs de pierre suintaient l'humidité.
Une énorme cheminée crépitait, dégageant une chaleur bienvenue, mais le contraste avec le confort de mon appartement était saisissant. Je sentis les regards curieux de Lambert et d'Eskel sur moi, et je sus que ma "légende" ne faisait que commencer.
Alors que Vesemir m'indiquait une table rudimentaire, je me tournai et mes yeux croisèrent ceux de Geralt.
Il était là, adossé à l'embrasure de la porte, son regard doré posé sur moi. Cette intensité, cette ambiguïté dans son expression… Mon cœur rata un battement.
Je m’installai à la table près du feu, Vesemir me tend une écuelle que je pris et remerciez poliment. Une putain d'écuelle en bois brut, le genre que tu vois dans les musées, ou dans une reconstitution médiévale.
Et dedans ? Un ragoût. Pas le ragoût bien présenté et équilibré de ma grand-mère. Non. Ça sentait fort, un mélange de viande de gibier – je n'ose pas demander quoi – et de légumes racines à peine épluchées, flottant dans un bouillon épais et gras. La cuillère aussi était en bois. Je l'ai prise, lourde et rêche.
Le pain était noir, dense, et semblait avoir été cuit il y a une éternité. À côté, un morceau de fromage qui sentait la chèvre et la moisissure, un peu trop fort à mon goût.
Je me suis forcée à prendre une bouchée du ragoût. Le goût était… puissant. Terreux, salé, avec un arrière-goût que je n'arrivais pas à identifier. J'ai failli recracher, mais l'idée de manquer de respect à Geralt, qui me fixait du coin de l'œil, m'a retenue. J'ai avalé, le visage grimaçant.
Puis est venue la boisson. Une chope en terre cuite. Je m'attendais à de l'eau, mais non. L'odeur piquante m'a fait tiquer. J'ai hésité, puis j'ai porté la chope à mes lèvres. C'était de la bière.
Mais pas une bière légère et pétillante. Une bière forte, épaisse, avec un goût de céréales fermentées qui me raclait la gorge. C'était chaud, ou du moins à température ambiante, et absolument pas rafraîchissant.
Je me suis souvenu des sodas glacés, des lattes de chez Starbucks, aaahh, je tuerai pour avoir un macchiato frappé.
Personne ne parlait vraiment pendant le repas. Juste quelques grognements, le bruit des cuillères contre le bois, le crépitement du feu dans l'énorme cheminée. Je me sentais minuscule, une intruse avec mes fringues du 21e siècle et mon estomac délicat, au milieu de ces colosses. J'ai regardé Geralt, qui mangeait avec une efficacité silencieuse. Il a levé la tête, nos regards se sont croisés. Il y avait une lueur dans ses yeux, comme s'il lisait mes pensées, mon dégoût à peine masqué. Un léger haussement de sourcils, et c'était tout.
Je me suis forcée à manger, à boire. J'avais faim, même si mon corps moderne protestait à chaque bouchée. C'était une question de survie, pas de plaisir culinaire. Cette soirée était une immersion forcée, brutale, dans la réalité de leur monde. Je me demande si j'arriverai à m'habituer à tout ça, ou si je vais mourir d'une intoxication alimentaire avant même de rencontrer un monstre. Coincée dans The Witcher. Avec le Loup Blanc. Les choses allaient devenir très, très intéressantes. Et potentiellement, très dangereuses.
Le silence est tombé sur la grande salle comme un sortilège apaisant. Les chopes vides, les dernières braises dans la cheminée. Pas de signal sonore pour le dodo, juste un regard de Vesemir vers Geralt, et la compréhension silencieuse qui s'est installée. Pas besoin de mots entre ces légendes.
Je me suis levée, mes muscles protestant un peu, pas habitués à cette rudesse ambiante. Les sorceleurs ont fait de même, avec leur grâce féline habituelle. Pas de "bonne nuit", pas de rituels modernes. Juste le bruit feutré de leurs pas sur la pierre alors qu'ils disparaissaient dans les couloirs sombres. J'ai suivi Geralt, mon cœur de fan battant la chamade, même si mes pieds me faisaient un peu mal.
Le crépitement mourant du feu était le seul son dans la salle maintenant vide, et les ombres des torches dansaient, transformant les couloirs que j'avais tant explorés sur mon écran en une réalité saisissante et un peu intimidante. L'air était plus frais ici, et l'odeur de la pierre humide et de la suie était omniprésente.
Il s'est arrêté devant une porte en bois brut. Pas de poignée design, juste un loquet simple. Il l'a poussée et m'a fait signe d'entrer. La chambre était... exactement comme dans les jeux. Spartiate. Un lit sommaire avec une paillasse, une couverture en laine épaisse, et une petite table.
C'était tout. Pas de prise électrique pour recharger mon téléphone imaginaire, pas de Wi-Fi, pas de miroir, pas même une bougie. Juste une obscurité profonde, à peine chassée par la faible lumière du couloir.
Geralt est resté sur le seuil un instant, sa silhouette massive se détachant sur l'entrée. Il n'a rien dit. Pas un mot de réconfort, pas un "tout ira bien". Seulement un regard, lourd de toutes les questions que je n'osais pas poser. Puis il a acquiescé légèrement, et a refermé la porte, le loquet tombant avec un clac sec qui a résonné dans le silence assourdissant de la pièce.
J'étais seule. Seule dans une pièce froide, dans la forteresse emblématique de Kaer Morhen, dans un univers qui n'était plus virtuel. J'ai retiré mes baskets, mon sweat à capuche, mon jean. La paillasse était dure, et la couverture rêche sous mes doigts.
Dans le noir complet, le silence était assourdissant. Pas le bourdonnement lointain de la ville, pas le ronronnement d'un frigo, pas la moindre notification de mon téléphone que je n'avais plus. Rien. Juste le souffle lent de mon propre corps et le battement de mon cœur dans mes oreilles.
Je me suis blottie sous la couverture, et pour la première fois depuis que j'étais tombée ici, j'ai laissé un sourire se dessiner sur mes lèvres. Le choc était là, oui, mais aussi cette incroyable sensation d'être enfin là, dans cet univers que j'avais tant rêvé.
Ce soir-là, à Kaer Morhen, j'ai fermé les yeux, épuisée, mais étrangement heureuse.
Le silence persistait, glacial et implacable, mais cette fois, il semblait presque protecteur, comme si la forteresse elle-même.
Veillait sur moi.
J'étais là.
Pour de vrai.