Le Sorceleur, le Spectre et le Géant
Wyn s’extasiait sur la contemplation des glyphes magiques et leur papillotement rougeâtre mais cela lui demeurait étranger en fin de compte. Se sentant épié, il se retournait vivement en guettant l’obscurité du tunnel. Dans le clair obscur de l’entrée éloignée se découpait peu à peu une silhouette humanoïde. Plus elle se déplaçait vers Wyn, plus celle-ci gagnait en taille. Elle s’arrêta à quinze mètres de lui, elle devait mesurer quatre mètres de haut. Elle portait un chapeau à large bord, c’était même un doux euphémisme, le chapeau devait atteindre un bon mètre de diamètre. Tout en elle était d’un noir d’encre, son couvre-chef, son long manteau, ses bottes et ses gants. Son visage était bien singulier, totalement glabre, aux oreilles pointues, aux yeux complètement noirs ainsi que la peau. Quand il se mit à parler, ses lèvres se bougeaient pas et pourtant Wyn l’entendait, les mots résonnaient dans le crâne du sorceleur.
- Salutations à vous, Tueur de monstres, les gens du coin me connaissent comme le Drac… Les Elfes m’appellent l’Arpenteur des Monts, les Nains l’Esprit des Roches, les anciens Vrans l’Originel de la Nichée. Tous ses titres sont aussi faux que le premier… Aucun père ou mère ne m’a nommé, je suis né de la terre mais personnellement le Drac me convient…
- Salut à vous, je m’appelle Wyn. Il m’arrive d’abattre des monstres mais l’apparence ne fait pas le monstre…
- Houla, un assassin philosophe, bien rare dans nos montagnes… La discussion risque d’être intéressante…
- Vous me suivez depuis quelques heures, n’est ce pas ? Le loup et le cheval blanc, c’est vous ?
- Oui, je tiens à préciser que je ne suis pas un dieu, je ne fais pas de miracle. Pendant des siècles, j’ai été vénéré à tort pour ce que je ne suis pas… Je me suis lassé de tout çà… Certains érudits humains me classent dans la catégorie des vestiges, je n’ai pas l’impression d’être une relique ancienne… Je ne connais pas d’équivalent. Il est vrai que pour moi, le monde s’arrête à ces monts. On pourrait dire que je suis attaché à cette terre. C’est comme çà. L’Homme ne respire pas sous l’eau. Le Drac ne peut aller au-delà de ces monts. J’ai testé mes limites, cela a été spirituellement douloureux… J’ai d’une certaine manière l’instinct de ne pas disparaître totalement…
- Qu’est ce que vous me voulez ? Vous devez savoir à quoi rime ce portail ? demanda Wyn en montrant du doigt le portail.
- Je vais répondre tout d’abord à votre deuxième question. C’est un portail magique qui s’ouvre uniquement à la pleine lune. il s’ouvre tous les vingt-neuf jours. Il va s’ouvrir demain dans la nuit. Depuis des siècles, il était inopérant puis il s’est revivifié. Ma mémoire à long terme me fait des tours, je ne me rappelle plus du comment et du pourquoi de ce portail… J’ai un souvenir vague de lien avec les Elfes. La réactivation est intervenue de l’autre côté. Quand il est pleinement ouvert, il charrie chaleur, sable chaud et un géant…
- Vous connaissez donc le voleur de brebis et le tueur de pâtres ? demanda Wyn.
- Connaître est un bien grand mot. J’ai discuté quelque peu avec lui. Il n’est pas des plus benêts pour un géant. Il s’appelle Tangudul. Il pille les bergeries et ramène les bêtes capturées chez lui de l’autre côté du portail. Il vit dans un endroit inhospitalier, ce portail est une aubaine inespérée pour lui.
- De fait, je comprends que vous n’êtes pas intervenu dans la protection des troupeaux…
- Je n’ai pas eu à intervenir, le géant n’a pas massacrer les ovins… Pour les pâtres, ce n’est pas pareil. Il semble animé d’une certaine inimitié avec les humains. Il ne les porte pas dans le cœur. Je suis indifférent au sort de l’humanité, désolé, je me suis lassé… Pour faire simple, je défends plus un concept d’équilibre dénué de perspectives d’évolution.
- Vous êtes un genre de druide fantomatique ? s’interrogea Wyn.
- Les fantômes et les druides, je pourrais vous en parler des heures. Cela fait belle lurette que les druides ne me considèrent plus comme un disciple de la cause sauvage. Les druides sont des frustrés, ils demeurent intrinsèquement humain, ils ont des besoins physiologiques, ils ne vivent pas nus au fond d’un terrier. Ils font la promotion du sauvage alors qu’ils ne seront jamais tout à fait des animaux du fait même qu’il intellectualise tout cela… Je m’égare, j’adore discuté mais il n’est point l’heure à de longues palabres.
- Vous m’avez perdu en route, j’étais plutôt en train de penser à régler le problème du géant et de ses rapines… rétorqua Wyn.
- Justement, je vais répondre à votre première question. Je souhaiterais que vous passiez le portail pour explorer l’autre côté. Premièrement, qui ou quoi a réactivé cette ancienne magie ? Je suis curieux. Je vois mal Tangudul se livrer à des manipulations magiques dignes d’un mage omnipotent… Deuxièmement, un sorceleur et un fantôme pour défier un géant ce n’est pas très efficient. J’ai la capacité de vous camoufler à la vue du géant, vous pourrez discrètement franchir le portail. Vous êtes d’accord ?
- Bizarrement, j’ai confiance en vous. J’espère que ce n’est pas une manipulation de votre esprit sur le mien. J’ai du mal à croire que seule la curiosité vous anime ?
- Et bien si, l’arrivée de ce géant et l’ouverture de ce portail ont vivement vivifié ma curiosité. Je ne peux pas franchir le portail dans mon état... Le géant le franchit sans problème à l’aller comme au retour avec des dizaines de moutons. Il y a vraiment peu de chances que cela se passe mal dans le cas d’un sorceleur.
- Le portail reste ouvert combien de temps ?
- Toute la nuit de la pleine lune, du lever de celle-ci jusqu’à son coucher. Vous offrant quelques heures pour agir. Il y a bien l’éventualité que vous soyez bloqué vingt-neuf jours de l’autre côté mais la discrétion et la rapidité sont de rigueur. Tangudul est peu loquace cependant il m’apparaît comme un géant solitaire et affamé… Je vous réaffirme que je suis uniquement curieux, le sort de Tangudul et de Trézac m’indiffère…
- Bon, je vais rentrer à Trézac et réfléchir à tout çà. A demain soir pour l’exploration, répondit Wyn.
- Qu’il en soit ainsi comme dirait les dieux, à demain soir, émit le Drac. En disparaissant d’un coup à la vue de Wyn.
Les yeux de Wyn se mirent à piquer et à pleurer, non à cause de l’obscurité mais bien d’avoir regardé longuement cet énigmatique Drac. Le sorceleur avait du mal à faire confiance à cet esprit. Le Drac n’était pas le croquemitaine que l’on lui avait raconté mais il demeurait intrinsèquement inhumain et insondable. Le Drac singeait peut-être les émotions humaines… Après une courte introspection, le Drac s’apparentait à un spectre, Wyn avait noté quelques indices… Il apparaissait ou disparaissait comme un fantôme, sans par contre être sensible à des notions de nuit ou de jour, d’obscurité et de lumière. Le Drac semblait protéiforme mais affectionnait cette fameuse apparence de veneur noir, d’elfe noir. Il n’avait jamais entendu parler de spectre d’elfe noir dans les contes et légendes… Pour finir, à l’instar d’un spectre, le Drac faisait fi de toute notion de déplacement commune au vivant, ne laissait aucune trace de pas dans le sable.
Wyn quitta l’obscurité du tunnel, sa vision nocturne l’incommoda quelques minutes à la lumière du soleil. Puis, il repartit en direction de Trézac. Le chemin de retour ne lui posa pas de problème particulier, par deux fois, il se pensait perdu mais il tomba nez à nez avec les vieilles pierres dressées qu’il avait déjà croisé à l’aller. Il arriva en approche du village avant le crépuscule. Les portes d’entrée n’étaient pas encore fermées pour la nuit. Il remonta la ruelle centrale et frappa à la porte de l’échevin. Le même garde lui ouvrit et l’amena au bureau de son maître. Wyn raconta à l’échevin, les indices glanés sur les bergeries, l’existence du géant et du portail magique. Justement, Wyn l’interrogea sur la connaissance de la curieuse caverne…