Le Sorceleur, le Spectre et le Géant

Vencelas de Chenais, échevin démissionnaire de Trézac versa un nouveau verre de vin à Wyn. Ils dinaient tous deux à la lumière des bougies dans un bureau en cours de déménagement. Vencelas avait proposé à Wyn de passer la nuit dans une des chambres de la maisonnée, il y serait au moins au chaud. Les nuits du printemps étaient encore fraîches pour la saison. Wyn lui avait relaté la plupart des indices glanés en omettant sa discussion avec le légendaire Drac.

-         Le géant vient de l’autre côté d’un portail magique qui se trouve au fond d’un tunnel creusé au flanc d’une montagne. Connaissez-vous l’existence de cet endroit ? interrogea Wyn.

-         Il est connu depuis la fondation même de Trézac. Des érudits et magiciens de toute la Témérie sont venus l’étudier et sont repartis avec plus de questions que de réponses. Il fait tellement parti du paysage que je n’ai même pas pensé qu’il pourrait être lié à notre affaire. Vous me dites que des glyphes brillent au fond du tunnel. C’est assez incroyable ! Depuis des générations, le mur au fond du tunnel ne présentait rien de significatif… Cet endroit est connu sous le nom de Twenn Heb Adael, la caverne sans exutoire, c’est de l’elfe. L’histoire est macabre, on raconte qu’une armée humaine d’un royaume depuis longtemps oublié avait acculé le reliquat d’une force armée elfe dans ce tunnel. Ces elfes semblaient garder quelque chose de précieux, ils paraissaient gagner du temps. Puis, ils furent massacrés jusqu’au dernier en gardant un tunnel sans issue… Maintenant à l’aune de ce que vous m’avez raconté, cette histoire prend un tout autre tour… Les elfes avaient défendu un passage magique, qu’ils avaient refermé derrière eux…

-         Je me doute qu’il faut être versé dans la magie pour rouvrir un tel portail. Je vois mal un géant le faire. Justement, un géant est une cible létale même pour un sorceleur. Je ne suis plus sur un abattage en règle, je vais essayer de régler le problème sans avoir à le combattre, répondit Wyn.

-         Je comprends, je compte en parler au Burgrave une fois installé à Gors Velen. Si vous ne parvenez pas à solutionner le problème, la soldatesque règlera le cas du géant…

-         Pas si sûr, le géant risque d’écrabouiller par mal de conscrits et il ne sera pas benêt au point de servir de grosse cible aux archers. Ce n’est pas pour encenser ma profession mais je suis le plus à même à le combattre faute de tueur de géants patenté dans la région, rétorqua Wyn.

Le repas se termina sur quelques banalités et amabilités. Wyn se prépara à passer enfin une bonne nuit de sommeil. Une fois au lit, Wyn vint à repenser au Drac, celui-ci ne lui avait point parlé de la macabre histoire du Twenn Heb Adael. Un spectre, un géant, l’affaire était plutôt corsée, la prudence doublement de rigueur. Cela n’enchantait guère Wyn à franchir ce portail magique mais les clés du problème se trouvaient très certainement de l’autre côté de celui-ci.

La nuit fut calme. A l’aube, après une courte collation, Wyn déballa son barda alchimique pour préparer quelques décoctions en vue de son expédition. En fin de matinée, il avait élaboré une bombe ruche et trois potions, une Hirondelle, un Tonnerre et un Philtre de Pétri. Il prit le petit déjeuner seul, l’échevin mangeait avec le conseil des ainés du village. Après le repas et une transe méditative d’une bonne heure, Wyn prit le chemin des montagnes vers le fameux Twenn Heb Adael.

Wyn commençait à bien mémoriser le chemin à travers la moyenne montagne pour rejoindre la combe menant à la caverne. Il lui fallu deux bonnes heures de marche pour atteindre l’entrée. Les rares moutons avaient disparu, l’endroit était calme et isolé. Assis sur un rocher, il patienta jusqu’au soir dans une demi-transe méditative. Au crépuscule, le Drac se manifesta sous la forme d’un loup blanc. Comme à l’habitude du spectre, les paroles de celui-ci imprégnèrent aussitôt l’esprit du sorceleur.

-         Salutations, la lune ne va plus tarder à pointer sa face, le portail va s’ouvrir, dit le Drac.

-         Je suis prêt dans la mesure du possible, répondit Wyn en époussetant sa veste et en ajustant les deux lames dans son dos.

-         Je vais vous envelopper de ma présence, en faisant cela, vous allez disparaître à la vue du géant. Ce subterfuge est sans danger, répliqua le Drac. Le loup bondit vers Wyn tout en s’étiolant dans l’air du soir. Wyn eut un temps de recul mais il laissa tomber toute posture défensive.

-         Je suis invisible, interrogea Wyn. Pour lui, rien ne semblait avoir changé.

-         Oui, c’est fait vous l’êtes, répondit le Drac.

Le sorceleur avala une petite gorgée de sa potion du chat et s’enfonça dans les ténèbres de la caverne. Arrivé au fond du tunnel, le portail était ouvert sur des ténèbres huileuses et brillantes, les runes brillaient intensément. De temps en temps, le portail laissait échapper des bouffées de sable et de chaleur. Le sorceleur s’arma de patience et attendit le passage du géant.

Après une longue attente, le géant se manifesta. Brutalement, une extraordinaire silhouette dégingandée émergea des ténèbres du portail. Le géant devait mesurer dans les sept mètres de haut. Il avait la peau burinée par le soleil, d’une couleur quasi cuivrée. Son épiderme parsemé de vieilles cicatrices et de tatouages délavés par le temps et le soleil indiquait une longue existence. Son crâne totalement glabre, son regard caché par d’énormes sourcils broussailleux, son visage sévère et sec à la barbe noir et éparse lui donnait une apparence revêche et coriace. Les lobes de ses énormes oreilles étaient alourdis de colifichets osseux. Il portait un pagne au tissu grossier et épais. Une lourde et large ceinture en osier tressé entourait ses reins, pleins d’accessoires et d’outils étaient attachés par des cordes épaisses à celle-ci. Parmi ce bric-à-brac, Wyn décela un broc, un taillant, un couteau et une fourchette tous de taille énorme. D’une main, le géant maniait un bâton de marche s’apparentant à un poteau lisse de deux mètres de haut. De l’autre, il tenait une torche de belle taille, sa brillance équivalait à un bon feu de cheminée.

Pendant trois secondes, le géant reprit son souffle, le passage par le portail l’avait quelque peu déstabilisé. Puis, Tangudul quitta la caverne en quelques enjambées sans apercevoir Wyn, l’invisibilité accordée par le Drac pourtant irréelle semblait bien active. Après quelques instants, le loup blanc se manifesta subitement dans l’air.

-         J’ai rempli ma part du marché. A vous de faire la vôtre, sorceleur. Allez explorer de ce pas, l’autre côté du portail, dit le Drac.

-         Impressionnant ce géant, j’ai rencontré bien des créatures en voici une de plus sur ma liste, rétorqua Wyn.

-         J’espère être en première position sur votre liste des curiosités, répondit le Drac en finissant sur un petit rire espiègle.

-         C’est pas faux, répondit Wyn.

Le sorceleur se tourna vers le portail gigantesque aux ténèbres inquiétantes. Il se massa la nuque comme pour conjurer le sort et fit un pas dans le portail. Il fut aspiré par la noirceur huileuse.