Soleil Couchant

Chapitre 3 : Chapitre 2: Râle et colère

Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:06

 

Chapitre 2 : Râle et colère

 

-Hé mais qui voila donc : La femme-mystère. Bienvenue parmi les tiens !

 

Louise adressa un sourire et leva la main d’un geste amical en direction du jeune homme qui venait de s’adresser à elle d’un air joyeux.

Pas de doute, cet appartement était toujours aussi convivial quand il s’agissait d’y faire une petite soirée entre amis et la jeune femme appréciait toujours en y pénétrant le doux parfum mi-ambre mi-cannelle caractéristique de l’encens que Julia aimait tant faire brûler pour embaumer les lieux.

 

 Dés que l’on entrait, cette délicieuse odeur venant de la pièce de vie, juste au bout du petit hall d’entrée, prenait directement aux narines et en cette période hivernale semblait réchauffer les sens mieux que ne l’aurait fait n’importe quel radiateur. Louise distingua également une senteur de sauce Carbonara, toute aussi agréable, qui émanait d’une pièce située à droite du salon en entrant et dont Louise savait qu’il s’agissait de la cuisine. Julia lui avait dit, juste avant d’entrer, qu’Anthony avait absolument tenu à cuisiner ce soir et qu’il préparait une bonne plâtrée de pâtes-carbo.

Comme il disait d’ordinaire « -C’est simple mais ça plaît toujours. » et sur ce point en tout cas, Louise devait bien avouer qu’elle était d’accord avec lui.

 

-Hey Johann ! Ca faisait longtemps vieux pirate, comment ça va ? Le jeune homme lui rendit son sourire et leva un pouce enthousiaste vers le haut.

 

Il avait un visage fin et un brin juvénile .Louise qui, d’ailleurs avait beau savoir qu’il était à seulement deux ans de la trentaine, n’avait jamais pu s’empêcher de penser qu’il faisait décidément plus jeune que son âge. Bien que ce grand escogriffe n’ai jamais été pour elle qu’un ami et qu’il ne soit en outre pas vraiment son genre, la jeune femme devait bien admettre qu’il avait tout de même un certain charme et comprenait en tout cas que Muriel ait craqué en le rencontrant : Elle aimait en particulier ses yeux oscillants entre marron et vert et trouvait qu’il avait un don pour rendre son regard mystérieux et fascinant à la fois.

Johann était grand et plutôt mince et quelquefois, comme une petite plaisanterie avec sa conscience, elle se prenait à penser que si il n’avait pas eu les cheveux presque rasés elle aurait même pu le trouver sexy. Mais elle n’avait bien sûr jamais évoqué cela, si ce n’était à de rares occasions en délirant avec Julia et toujours sur le ton de la blague.

 

-Eh ben allez la nantaise, qu’est ce que tu attend ? claironna Johann d’une voix enjouée. Poses donc tes jolies petites fesses, tu vas finir par prendre racine !

 

-Johann !

 

Le jeune homme se tourna un bref instant vers la fille qui était assise à sa droite et dont les yeux verts semblaient lui lancer de vagues reproches.

 

-Oh Muriel voyons, ne fais pas la tête comme ça, tu sais très bien que je rigole, ça fait des années qu’on connaît Louise et tu sais bien qu’on a toujours eu ce genre de délires elle et moi, ce n’est pas méchant on est juste potes.

 

 Le regard de la jeune fille s’adoucit un brin mais elle continuait de dévisager son petit ami comme si elle éprouvait tout de même une certaine méfiance. Louise qui connaissait Muriel depuis un bon petit moment maintenant savait d’ailleurs qu’il ne fallait pas se fier à sa taille et à son visage de petite blonde angélique.

Certes, elle était une petite bonne femme d’1m61, un peu boulotte au visage rond et un brin joufflu qui semblait douce et réservée la plupart du temps mais Louise avait plusieurs fois eu l’occasion de la voir contrariée et savait que dans ces moments là il valait mieux éviter de lui chercher des crosses car elle était capable d’avoir de sacrées sautes d’humeur.

 Elle savait également que dés le départ le fonctionnement de son couple avec Johann avait été rythmé par ce petit jeu entre eux : Lui, rigolard et déconneur qui adorait la chambrer et la titiller, elle qui était de tempérament méfiant (peut-être même un brin parano) et qui pouvait aussi se révéler bien jalouse lorsqu’il s’agissait de leur relation.

 

C’était ainsi depuis que Louise et Julia les connaissaient et les deux amies avaient d’ailleurs plus d’une fois été témoins de ce genre de petites taquineries et même de petits accrochages entre eux.

 Par exemple lorsque Muriel était de mauvaise humeur et envoyait son cher et tendre sur les roses : il ne fallait pas toujours se fier aux apparences, la jeune femme qui mesurait deux têtes de moins que Johann n’avait absolument pas peur de s’affirmer et de dire ce qui ne lui plaisait pas.

En revanche, lui, du haut de son mètre 86, avait un tempérament très doux et patient.

Jamais Louise ni Julia ne l’avaient vu se mettre réellement en colère contre Muriel : Il tâchait de la raisonner  lorsqu’elle s’enflammait pour un rien et lui disait ce qu’il pensait, mais à la différence de sa compagne il ne semblait jamais vouloir partir dans les disputes et s’arrangeait toujours pour essayer de calmer le jeu quitte à laisser passer la vague et attendre que son amie soit capable de parler sans crier.

D’une certaine manière, tous deux paraissaient ainsi se compléter l’un et l’autre, cela faisait en tout cas un peu plus de cinq ans qu’ils étaient ensemble et jusqu’ici le couple, malgré les prises de bec, avait toujours tenu bon.

 

-Bon allez Louise, je te fais quand même une petite place mais évite de trop boire, d’accord ? Ca pourrait décupler tes ardeurs de petite célibataire et qui sait : l’envie pourrait bien te prendre de me sauter dessus en fin de soirée et je ne veux pas être responsable du déclenchement d’une guerre ce soir !

 

Johann s’esclaffa en disant ces mots et avec lui plusieurs des cinq autres personnes présentes dans le salon, Muriel entrouvrit légèrement la bouche en une moue qui signifiait clairement « Pff ! même pas drôle ! » mais il lui passa une main dans les cheveux d’un geste qui se voulait attentionné et rassurant et la jeune femme sembla un peu plus sereine, consentant même à lui rendre un bref sourire.

Louise, qui riait aussi de la petite boutade pris place entre Johann qui venait de se serrer davantage contre sa compagne et une fille qui n’était pas non plus très grande mais un peu plus trapue et qui avaient de longs cheveux châtains-clairs et particulièrement broussailleux qui retombaient comme un enchevêtrement de fils de fers sur ses épaules. Les deux filles échangèrent un sourire et se firent la bise.

 

-Salut Alix , alors vous avez finalement pu venir avec Ophélie ! Tu sais que Julia s’est demandé jusqu’au bout si on allait vous voir ce soir.

 

 Alix eut un rire amusé.

-On se l’est demandé jusqu’à la toute fin nous aussi. Tu sais on a beau être boursières toutes les deux c’est pas toujours la joie niveau thune quand on est étudiantes, surtout en cette période.

Je sais bien que Niort-La Roche c’est pas non plus le bout du monde mais on était un peu raques l’une comme l’autres ces temps-ci et on pouvait pas vous dire avec certitude si on allait venir ou pas.

Alix eut une moue qui ressemblait à un sourire d’excuse, on aurait dit qu’elle se sentait coupable de confier ses problèmes d’argent.

 

-Ouais ! Mais finalement on a réfléchi et on a fini par se dire que c’était pas tous les jours qu’on avait l’occasion de vous voir un peu et de fêter la grossesse d’une bonne amie, alors banco ! On a décidé que même si on devait se serrer un peu la ceinture on allait pas rater l’occasion ni le plaisir de passer une soirée sympa avec vous tous !

 

 Celle qui venait de prendre la parole était assise en face d’Alix, de l’autre côté de la petite table en verre rectangulaire autour de laquelle tout le monde avait maintenant pris place. C’était une fille un peu plus grande, plus proche de la taille de Louise, mince et aux cheveux bruns coupés courts, la petite mèche légèrement enroulée qui lui retombait sur le front contrastait avec sa coiffure et donnait un semblant d’impression qu’elle jouait de la musique dans un groupe de new-wave des années 80.

 

-Tu sais Ophélie, je te l’ai déjà dit et même si vous n’aimez pas qu’on vous saoule avec ça : Si c’est vraiment chaud pour vous deux niveau fric on peut se cotiser pour les billets que vous avez du prendre, entre amis faut s’entraider pas vrai ?

 

 Alix haussa les épaules et semblait un peu gênée, quand à la dénommée Ophélie bien que son bref sourire ait trahi le fait qu’elle soit touchée par cette attention elle arborait une petite mine réprobatrice.

 

-Non mais tu sais, on en a déjà parlé plein de fois : ça va aller  on peut se débrouiller.

 

-Je suis passée par là aussi, je sais que c’est pas toujours simple les études répondit aussitôt Julia. Et même si maintenant on est plus stable financièrement avec Anthony, qu’on bosse tous les deux j’ai pas oublié comment c’était.

 

Louise leva un pouce approbateur en l’air.

 

-Pareil pour moi, avoir arrêté la fac ne signifie pas que j’ai zappé cette période ou tu dois continuellement surveiller tout ce que tu dépenses et même maintenant, au chômage…c’est pas forcément mieux à ce niveau là !

 

-Ca tu l’as dit ma vieille opina Johann en riant à son tour. Bon ben écoutez moi je propose un truc : Avec Louise on est deux à être au chômdu donc vous comprendrez que c’est pas facile pour nous non plus, du coup je suggère que ce soit ceux qui bossent qui se cotisent. Parce qu’ils sont doués pour faire la leçon en se vantant à qui veut les entendre qu’eux au moins ils travaillent, là ce serait l’occasion de prouver qu’un « vrai honnête travailleur » peut aussi faire preuve de générosité envers ceux qui sont dans la mouise.

 

Il éclata d’un rire tonitruant, imité par toute la tablée. Même Muriel qui, tout le monde le savait, n’était pas très sensible à ce genre d’humour consentit à partager l’hilarité avec les autres.

 

-Je rigole bien sûr ! reprit le jeune homme en essayant tant bien que mal de reprendre son sérieux. Franchement je crois que vous pouvez compter sur tout le monde ici pour vous aider sur ce coup là.

 

Ophélie soupira comme-ci elle était exaspérée mais son air goguenard trahissait plutôt sa difficulté à ne pas se remettre à rire devant l’entêtement des autres à vouloir les biberonner.

 

-Sérieux Johann, vous nous avez déjà fait le coup dix fois et vous savez que l’une comme l’autre on est plutôt fières et que ça nous embarrasse.

 

-On sait bien que c’est pas ça, vous inquiétez pas renchérit Alix d’une voix égale comme-ci elle voulait éviter de vexer l’assistance en s’imaginant des choses, mais on ne se refait pas comme on dit et vous vous doutez bien qu’on aura toujours l’impression d’être assistée, de faire la manche. Tous se remirent à rire et Louise enchaîna.

 

-Oui en effet vous savez très bien que c’est pas du tout comme ça qu’on voit les choses mais vous ne  pouvez pas vous empêcher de ramener votre fierté, sacrées bourriques que vous êtes toutes les deux. Je te jure !

 

Elle donna une tape amicale dans le dos d’Alix et lança un clin d’œil complice à Ophélie qui pris un air faussement offusqué.

 

-Non mais tu sais ce qu’elle te dit la bourrique. Tu peux parler la petite nantaise –tête de mule avec ton caractère de cochon mal réveillé.

 

Louise lui lança un sourire gentiment narquois.

 

-Aaah je t’ai vexée hein ! tu vois que j’ai raison.

 

 Tout le monde s’esclaffa de nouveau.

Un des deux autres garçons présents dans la pièce leva soudainement son verre comme si il voulait régler la question au plus vite. C’était un jeune homme aux cheveux très noirs, de taille moyenne qui se trouvait assis en face de Muriel.

 

-Bon allez on ne va pas s’éterniser là-dessus hein ! Parce qu’il commence à faire soif là. On porte un toast ?

 

 Ce n’était pas un reproche car il avait parlé lui aussi sur le ton de l’humour et souriait de toutes ses dents très blanches en lançant autour de lui des regards signifiant clairement que pour lui il était tant de se mettre à l’apéro. En tournant la tête vers lui, Louise ne pu s’empêcher de penser qu’Emilien non plus n’avait pas changé d’un iota depuis qu’elle le connaissait et que les fins poils de barbe qu’il laissait pousser sur son menton le rendait assez beau gosse malgré la pointe de timidité avec les filles qu’elle lui connaissait. Elle était même certaine qu’il aurait pu se passer quelque chose il y a cinq ans, même si le cours de la vie en avait décidé autrement et pour l’heure, dans l’état actuel des choses il était difficilement concevable d’envisager quoi que ce soit même pour une histoire sans lendemain. En attendant le grand amour la jeune femme savait que ça ne l’aurait pas dérangé mais lui c’était autre chose et Louise sachant pourquoi ne voulait vraiment pas lui faire remuer le couteau dans la plaie.

 

Tous commencèrent à déboucher les bouteilles et à se servir : Alcools en tous genres mais aussi jus de fruits pour certains ce n’était pas la boisson qui manquait car en général pour ce genre de soirées chacun amenait un petit quelque chose à manger ou à boire.

 

-Ok mais on en reparlera ! s’exclama Johann qui dévisagea alternativement les deux jeunes niortaises avec un petit air de défi provocateur tout en se servant un verre d’oasis tropical. Ne croyez pas que c’est fini et que vous allez nous échapper indéfiniment à éviter le sujet.

 

-Ouais et d’ailleurs à ce sujet tu as raison Ophélie : je crois qu’on est aussi obstinées l’une que l’autre. Et tu vois je ne sais pas si tous les gens à Niort sont comme vous deux mais tu as sans doute entendu dire que les bretons sont des gens très têtus et que Nantes c’est quasiment la Bretagne et même plus que quasiment pour certains d’ailleurs.

 

Elles se mirent à rire toutes les deux avant que la jeune femme ne reprenne.

 

- Alors n’espère pas que je vais te lâcher comme ça et que vous allez vous en tirer à si bon compte !

 

-Oh et puis de toute façon on a dit qu’on vous filerait un coup de main et c’est comme ça y a pas à discuter on va pas y passer la nuit renchérit Emilien en levant de nouveau son verre qu’il avait entre temps rempli de passoa-mangue. Alors qu’est ce qu’on attend pour trinquer à la santé de notre future et heureuse maman ?

 

-Peut-être que j’arrive non. Ce serait sympa.

 

La porte de la cuisine venait de s’ouvrir, laissant échapper un délicieux fumet de sauce carbonara encore plus prononcé que lorsque Louise était entrée dans l’appartement. Le jeune homme qui se tenait dans l’encadrement était plutôt bien bâti, il mesurait un bon mètre quatre-vingt-dix et avait de larges épaules qui lui donnait des allures d’armoire normande. Les cheveux châtains tirant fortement sur le blond coiffés en pics et rasé de près il avait de grands yeux bleus et une mine de poupon jovial malgré son apparence de menhir gaulois. Vêtu d’un jean simple par-dessus lequel il avait noué un tablier de cuisine et d’un tee-shirt gris-blanc légèrement tâché à manches courtes, il laissait apparaître sur son imposant bras droit le tatouage que tout le monde ici connaissait déjà. Il témoignait ainsi de sa passion pour l’univers manga en s’étant fait représenter la tête du héros de One Piece : le tatouage était d’ailleurs très réussi au point que Louise, à chaque fois qu’elle le voyait avait l’impression de voir Luffy la dévisager avec son grand sourire s’étalant sur tout son visage, son chapeau de paille et ses yeux exorbités qui lui donnaient un air oscillant entre le fou psychopathe et le rigolo de service à qui il ne manque pas seulement une petite case.

 

-Ben alors qu’est ce que j’entend : On veut trinquer sans moi alors que je suis directement lié à l’événement et que c’est donc aussi grâce à moi qu’on fait cette soirée.

 

 En disant ces mots il s’approcha de Julia, assise juste en face de Louise à droite d’Ophélie et l’enlaçant amoureusement de son bras gauche il se mit à caresser délicatement le ventre de son amie avec son autre main. Donnant à la jeune femme trois baisers consécutifs sur les cheveux il mit ensuite ses deux bras autour des épaules et approcha son visage du sien, la titillant par un battement de cil sur sa joue droite. Julia eut un petit rire amusé et tourna la tête vers lui : Ils se regardaient maintenant dans les yeux avec tendresse et s’approchant doucement l’un de l’autre ils échangèrent un baiser fugace mais visiblement plein de passion.

 

-Oh qu’est ce que c’est mignon. Susurra Johann d’une voix un peu moqueuse en prenant un air éperdu d’admiration devant un spectacle magnifique. Il y eut de nouveau un rire général et même quelques applaudissements volontairement exagérés. Les deux amoureux riaient avec les autres tandis qu’Anthony prenait place à côté de son amie, de l’autre côté et continuait de lui caresser tendrement le bras.

 

-Bon allez maintenant que notre grand chef-cuisinier est de nouveau parmi nous on va pouvoir trinquer, c’est pas que je me dessèche à parler mais bon….

 

Tandis que de nouveaux rires fusaient Anthony s’empressa de répondre du tac au tac.

 

-Ah ben attend un peu mec ! Ce n’est quand même pas rien ce qui nous arrive. Si ça ne vous embête pas trop j’aimerais dire quelques petits mots avant. Il y eut un grand soupir.

 

-Oh non pitié pas de discours maintenant. J’ai aucune envie de me taper les trucs qu’on ressert à tous les mariages : « Tu es la femme de ma vie, je suis l’homme de la tienne » et tutti quanti...

 

Ophélie éclata à son tour d’un rire tonitruant, bientôt imitée par tous les autres et flanqua une tape amicale dans le dos de son voisin de gauche situé en bout de table, un véritable fil de fer sur pattes aux cheveux blonds foncés et très inégaux, coupés très courts sur les côtés et beaucoup moins sur le dessus de son crâne. Il avait l’air de quelqu’un qu’on vient d’inviter à aller voir un film de deux heures et demi, particulièrement barbant au cinéma et qui a bien du mal à cacher son ennui.

 

-Hé oui je sais mon vieux Séb ! Bienvenue au club des célibataires, allez courage ça va pas durer longtemps tu n’as qu’à penser à autre chose.

 

 Le jeune homme la regarda un bref instant avec une mine très sceptique, il avait l’air d’en douter sérieusement mais ne répondit rien de plus.

Anthony, loin de se vexer semblait prendre la plaisanterie avec la bonne humeur sans doute propre à celle d’un futur papa le plus heureux du monde. Il y avait même un vague ton d’excuse dans sa voix lorsqu’il s’adressa à son tour au jeune homme.

 

-Non mais t’inquiètes, elle a raison. On est pas dans un film hollywoodien ici et je vous rassure tout de suite vous n’allez pas avoir droit à trois heures de discours méga-chiant des amoureux béats qui ont décidé de concrétiser leur union en ayant un enfant, mais bon j’aimerais quand même dire quelques petites choses avant qu’on ne trinque : C’est l’usage on y peut rien !

 

Et tandis qu’il riait à son tour à gorge déployée accompagné par la plupart des personnes assises, un bruit sourd se fit soudain entendre à l’étage au dessus, comme si quelqu’un ou quelque chose venait de choir lourdement au sol. Tous s’interrompirent un instant et regardèrent machinalement vers le plafond.

 

-Ca c’est encore l’abruti de voisin du dessus pesta Julia, rompant le silence au bout de quelques secondes. Je parie qu’il s’est encore cassé la gueule de son lit en voulant se lever trop brusquement. Décidément ça lui réussit pas la coke à celui-là.

 

-Attend il est encore là lui ? Celui qui nous avait réveillé à 7 h du matin une fois ou j’étais venue chez vous le week-end en mettant Claude François à fond ? Louise semblait sidérée et posa son verre avec force sur la table, comme scandalisée.

 

Julia eut un soupir désespéré et acquiesça.

 

-Ouais : Toujours fidèle au poste pour emmerder le monde ! Pourtant je pensais qu’il se calmerait après qu’on soit allées frapper chez lui en lui criant d’éteindre sa merde.

 D’ailleurs sur ce coup là ma p’tite princesse je crois que tu l’avais plutôt impressionné car on ne l’a pas entendu pendant une semaine.

 Mais bon, avec son cerveau complètement grillé par la came je me doutais qu’il allait forcément zapper un jour et recommencer son cirque.

 

Anthony qui paraissait aussi en colère que Julia jeta un regard noir en direction du plafond.

 

-Il a été placé sous curatelle et il paraît que maintenant il y a une aide-soignante qui vient s’occuper de lui toutes les semaines, mais si vous voulez mon avis c’est à l’HP qu’ils auraient du l’envoyer directement, peut-être que là bas ils auraient pu se débrouiller pour sauver les quelques neurones qui lui restent à cette épave.

 

Louise et Julia échangèrent un regard éloquent : Aucune d’entre elles n’aimaient entendre ce genre de propos simpliste, il y avait d’ailleurs eu plusieurs fois des discussions très animées sur ce sujet et même si le voisin en question avait tout autant énervé les deux amies, ni l’une ni l’autre n’aimaient entendre Anthony parler de lui comme-ci il s’agissait d’un déchet irrécupérable. Louise en tout cas brûlait d’envie de riposter et de partir dans une joute verbale et cela devait se deviner dans ses yeux car Julia s’empressa de changer de sujet et de rappeler à son amoureux qu’il avait une déclaration à faire.

La stratégie sembla d’ailleurs fonctionner puisque la mine, un instant plus tôt revêche et renfrognée du jeune homme se détendit et qu’un sourire aimable se dessina de nouveau sur son visage alors qu’il déclarait être plus heureux que jamais de la perspective d’avoir un enfant avec Julia et que rien ne pouvait lui faire davantage plaisir que de voir tout le monde réuni ce soir pour fêter l’événement.

 Lorsqu’à son tour, Julia eut exprimé sa joie de voir tous ses amis présents en cette soirée, les convives firent un rapide tour de table durant lequel chacun s’exprima sur ce que lui inspirait cette grossesse, certains qui n’aimaient visiblement pas prendre la parole devant tout le monde furent plutôt brefs, d’autres comme Alix qui, lorsqu’on la lançait sur un tel sujet était incapable de s’arrêter seule, auraient pu discourir toute la nuit si une petite voix un tantinet moqueuse ne s’était pas soudainement fait entendre.

 

-Holala ! J’espère que ce sera moins long quand j’aurais un petit frère ou une petite sœur !

 

Pendant une seconde, toutes les personnes présentes parurent si surprises qu’elles furent incapables de parler mais l’instant d’après on aurait juré qu’un véritable typhon de rires en tous genres avait envahi la pièce.

 

-Ah enfin de sages paroles. C’est la voix de l’enfance qui parle et on devrait l’écouter plus souvent lança le jeune homme maigre du bout de la table avec un clin d’œil complice au bambin qui se trouvait en face à l’autre extrémité et qui prenait la parole pour la première fois de la soirée.

 

La plupart semblaient avoir adoré la petite phrase chargée d’innocence et de sincérité de l’enfant, seule Muriel semblait un brin réprobatrice.

 

-Axel, je sais que je ne suis pas ta mère mais je n’aime pas quand tu te comportes comme ça, c’est très impoli.

 

Le petit garçon qui semblait pétiller de malice du haut de ses huit ans eut une moue qui singeait à la perfection l’air sérieux des adultes et Louise qui ne l’avait pas vu depuis près de deux ans ne pouvait s’empêcher de penser malgré elle qu’il était devenu vraiment dégourdi pour son âge : Lui qu’elle avait connu bien plus timide et timoré. Il semblait également être doué pour inspirer de l’attendrissement à qui le regardait et on pouvait se douter qu’il avait déjà usé de cette méthode avec succès bien des fois lorsqu’il avait fait une bêtise.

Il était vrai qu’avec sa petite bouille d’angelot et ses cheveux très bruns coiffés en brosse chacun lui aurait donné le Bon Dieu sans confession mais Louise par son métier était bien placée pour savoir qu’il fallait souvent faire preuve de psychologie et de discernement pour ne pas tomber dans tous les pièges et savoir que ces petits anges pouvaient se révéler plus cornus qu’on ne pouvait le croire.

Mais Louise savait également qu’ il s’agissait rarement de véritable méchanceté mais plutôt du caractère espiègle propre à l’enfance qui les poussait à tester la réaction des adultes et continuait à affirmer qu’il était absolument passionnant de travailler avec eux et qu’ils avaient beaucoup à apprendre aux adultes. La jeune femme eut à peine le temps de ressentir une nouvelle pointe de nostalgie en repensant à cela car Johann se tourna à son tour vers le petit Axel et reprit.

 

-C’est vrai que ce n’est pas très gentil. On en a déjà parlé, parfois on peut vraiment blesser les autres sans le vouloir quand on ne fait pas un peu attention à ce qu’on dit.

 

Le petit bonhomme leva à nouveau les yeux au ciel avant de répondre dans une superbe parodie d’enfant modèle.

 

-Oui papa, c’est promis je ferais attention ! Il y eut de nouveaux rires amusés et même Johann semblait avoir du mal à réprimer le sien. Dans tous les cas il ne se formalisa plus de cette affaire et ni Anthony ni Julia n’avaient paru heurtés par ce petit épisode, ils riaient avec l’assistance et Julia trouva même le moyen d’en plaisanter à son tour en regardant son compagnon.

 

-Tu as vu ce qui nous attend dans quelques années. J’espère que monsieur ne commence pas à regretter et à se dire que finalement ce n’était peut-être pas une idée aussi géniale.

 

Anthony qui semblait rayonner s’apprêtait à répondre lorsque de nouveaux coups sourds retentirent à l’étage supérieur.

 

-Ce coup-ci y en a vraiment marre. Vociféra Anthony qui n’avait plus le moindre sourire sur son visage et qui paraissait maintenant très contrarié. Il va même nous gâcher un événement merveilleux comme celui-là, je vais monter lui dire ma façon de penser à ce guignol et on va voir s’il la ramène toujours. Il amorça un geste pour se lever mais Julia le retint par le bras.

 

-Attend un peu mon cœur ! Il est encore tôt et je n’ai pas envie qu’on gâche l’ambiance à cause de lui, peut-être qu’il va s’arrêter tout seul si il est trop shooté. Si dans une heure ou deux il ne s’est toujours pas calmé on verra mais là….

 

Son ami secoua énergiquement la tête.

 

-Si on le laisse faire à chaque fois il ne s’arrêtera jamais. Je crois qu’on a été vraiment trop gentils jusque là et maintenant ça suffit : On aurait du appeler les flics depuis longtemps.

 

De nouveau, Louise et Julia se regardèrent de nouveau avec insistance car aucunes d’elles n’aimaient trop avoir affaire aux forces de l’ordre. Et quand Julia reprit la parole elle semblait catégorique.

 

-On en a déjà parlé et tu le sais très bien : Moins je vois de bleusaille autour de nous et mieux je me porterais. Si c’est la seule solution, que ça arrive encore en pleine nuit je suis d’accord pour m’y résigner mais on ne va certainement pas appeler la police alors qu’il est à peine neuf heures.

 

Anthony sembla vouloir discuter mais il paraissait aussi savoir que Julia était intraitable sur ce sujet et il se contenta de répondre avec un brin de mauvaise humeur

 

-Bon d’accord mais si jamais il continue son cinéma c’est moi qui vais monter et ça risque d’être bien pire crois-moi.

 

Julia ouvrit la bouche, manifestement décidée à en débattre avec lui jusqu’au bout mais à ce moment là un affreux hurlement résonna, un cri à glacer le sang comme celui d’un porc qu’on égorge, de nouveaux coups sourds et plus réguliers suivirent presque aussitôt comme-ci quelqu’un frappait obstinément sur le sol avec un objet très lourd.

Nul ne disait mot et chacun se regardait avec un air mêlé de stupeur et d’appréhension. Un nouveau bruit de chute encore plus violent que le premier éclata à ce moment là, ponctué d’autres sons moins distincts et plus faibles qui ressemblait à un long râle rauque et guttural.

 

Personne ne semblait décider à prononcer le moindre mot, le silence était tombé d’un coup sur le salon ou régnait une ambiance si joyeuse et bon enfant quelques minutes auparavant. Quelqu’un qui serait entré à ce moment dans la pièce aurait eu du mal à croire que tout le monde y riait à pleins poumons il y a seulement quelques instants.

Le petit Axel qui n’était visiblement pas très rassuré pris le bras de Muriel dans ses petites mains et le serra contre lui, rompant le silence en premier.

 

-Qu’est ce qui se passe ? J’ai peur !

 

La jeune femme lui caressait maintenant les cheveux pour le rassurer et lui donna un baiser sur le front.

 

-Ne t’inquiètes pas mon chéri ! Ce n’est sûrement pas grave. Mais un léger tremblement dans sa voix trahissait sa propre peur qui commençait à se manifester.

-Le monsieur qui habite là-haut prend de la drogue mon bonhomme renchérit Johann d’une voix un peu plus gaillarde, comme-ci il voulait lui aussi calmer l’angoisse de son fils, ou la sienne. Et quand on se drogue on a parfois des crises de folie, on voit des choses qui n’existent pas, c’est sans doute ce qui lui arrive. Tu comprends ?

 

Axel acquiesça mais semblait toujours inquiet. Il n’était d’ailleurs pas le seul puisque tous continuaient à échanger des regards d’incompréhension en jetant parfois des coups d’œil angoissés vers le plafond.

 

Le voisin du dessus semblait s’être calmé car on entendait plus de coups et que son cri avait cessé. En revanche en tendant l’oreille on pouvait encore percevoir de temps à autre des bruits semblables au précédent gémissement rauque et sourd.

 

Peut-être l’homme délirait-il effectivement à cause de la drogue, en tout cas il semblait tout de même plus calme à présent.

 

-Et là tu vas continuer à me dire qu’il ne faut pas appeler les flics ? fit Anthony dans un souffle, la voix à peine plus élevée qu’un murmure comme-ci il avait eu presque peur de parler normalement. Le son n’était pas très net car l’insonorisation entre les étages était tout de même relativement correcte mais si l’on tendait l’oreille en se concentrant sur le moindre bruit on pouvait malgré tout percevoir le gémissement, semblable à une plainte sourde et presque mélancolique qui continuait de retentir au même rythme et vraisemblablement avec une tonalité similaire.

 

-Bordel ! Je ne sais pas ce qui se passe la haut, mais si il fait une crise de manque ou un truc de ce genre c’est peut-être plus les Urgences qu’on devrait appeler. La voix du dénommé Séb n’était pas plus élevée que celle d’Anthony un instant plus tôt, apparemment ce dernier n’était pas le seul à avoir momentanément perdu l’usage de son timbre de voix normal.

 

-Mais ce cri, sérieux….C’était quoi ce cri horrible ? On aurait dit qu’on le broyait dans un mixer…Une crise de manque qui fasse cet effet là….à ce point est ce que c’est possible ? Alix avait parlé d’un ton saccadé, elle aussi murmurait et semblait encore sous le choc du terrible hurlement qu’ils avaient entendu.

 

Emilien se tourna vers elle et répondit dans le même style de chuchotement.

 

-Ma mère est infirmière et à ce qu’elle m’a raconté ça ne me surprendrait vraiment pas. A ce qu’elle dit on voit vraiment de tout chez les drogués. Au bout de quelques années passer dans les hôpitaux à les prendre en charge quand ils partent dans ce genre de délire, on ne s’étonne plus de rien.

 

Il y eut quelques secondes de silence pendant lesquelles on entendit plus que le bruit du gémissement affaibli par la séparation du plafond. Puis Anthony repris la parole d’une voix un cran plus élevé mais à peine.

 

-Bon qu’est-ce qu’on fait ,on appelle qui dans l’histoire ? Personnellement je pencherais pour les flics, si ce type est sous cocaïne ou autre saloperie du même genre il peut être dangereux….surtout après ce qu’on vient d’entendre on ne sait pas ce qu’il a dans la tête, je ne suis pas tranquille.

-Ecoute ! On appelle le CHD et on leur explique en détails la situation, ils doivent avoir plus l’habitude que nous de ce genre de problèmes et ils sauront nous conseiller sur la chose à faire dans ces cas là. Peut-être même qu’ils enverront une ambulance accompagnée d’une voiture de police. Julia attrapa son portable, posé sur un petit meuble non loin de la table et commença à composer le numéro du Samu. Anthony quant à lui ne semblait pas totalement satisfait mais sembla se résigner à ce choix puisque personne d’autre ne semblait le contester.

 

-Très bien. Murmura-t-il d’une voix un peu lasse. De toute façon c’est probablement mieux, je me serais encore fait taxer de réac’ étroit d’esprit si j’avais commencé par faire le 17 et on se serait encore disputé, comme ci ça suffisait pas avec l’autre taré de la haut !

 

Presque malgré lui, il sembla tourner très légèrement la tête vers Louise en disant ces mots et parut la fusiller du regard pendant un quart de seconde. Celle-ci sembla d’ailleurs le remarquer et le lui rendit avec les intérêts ouvrant la bouche, manifestement prête à partir en joute verbale mais la voix de Julia la coupa dans son élan.

 

-C’est bizarre je suis tombée directement sur une messagerie vocale qui me dit que toutes les lignes du centre hospitalier sont saturées pour le moment et qu’ils me prient de bien vouloir renouveler mon appel ultérieurement etc, etc….En principe ils prévoient ce genre de galère, quand une ligne est saturée tu es transféré ailleurs mais là  toutes les lignes d’un coup, c’est quoi ce délire ?

 

Anthony tapa machinalement sur la table.

 

-Ah ben c’est bien notre veine, il manquait plus que ça. Tout est fait pour nous emmerder ce soir, même aux Urgences ils semblent s’être donné le mot.

 

-Anthony !

 

 Julia semblait visiblement choquée par son attitude

 

-          Sérieusement calme toi là ! Tu ne rends service à personne, tu stresses tout le monde et ça ne nous avance à rien.

 Je comprend que tu sois énervé, cette soirée est importante pour moi aussi figure toi, mais

ça ne sert à rien que tu en veuille à la Terre entière là. Il y a sûrement une raison à ça.

 

Son ami sembla un peu honteux de son emportement mais il restait buté dans sa mauvaise humeur.

 

-Ben tiens ! maugréa-t-il en évitant de regarder sa compagne comme si il se parlait davantage à lui-même. Fallait que ça tombe pile aujourd’hui. Le hasard quoi ! Et c’est quoi le prochain gag de la soirée ? L’autre crétin d’en haut devient complètement fou à cause de sa merde et il fait péter l’immeuble entier ? Ah c’est sûr c’est exactement ce qui nous manquait : Un bon feu d’artifice pour que la fête soit immortalisée.

 

-Bon ça y est tu as fini ou tu tiens absolument à passer en revue tout ce qui te met en colère ? On y est pour rien d’accord et ça ne nous enchante pas plus que toi alors si tu pouvais éviter de passer tes nerfs comme ça en vociférant devant tout le monde.

 

Louise soupira, visiblement excédée.

-Bon stop ! Sérieusement je crois que la situation est assez tendue, on ne pas commencer à s’étriper là.

 

Julia et Anthony s’interrompirent mais semblaient à tout instant prêts à repartir au quart de tour. Louise qui quelque temps plus tôt avait semblé vouloir partir dans une discussion musclée paraissait maintenant bien plus raisonnable et semblait en tout cas décidée à prendre les devants en ne laissant aucun répit au couple pour se chamailler.

Derechef elle tira son propre téléphone portable de sa poche droite de jean.

 

-Je vais réessayer d’avoir le CHD. Si ça ne fonctionne toujours pas je propose qu’on aille demander à d’autres voisins si on peut utiliser leur ligne, ça fonctionnera peut-être avec un fixe.

 

-Bonne idée opina Ophélie. Moi en attendant j’essaye les Pompiers, on dit souvent qu’ils sont plus réactifs que le Samu, on aura sans doute plus de chance avec eux. A la limite on pourra toujours essayer d’aller toquer à la porte voir ce qui se passe en les attendant.

 

Alix réprima à peine un cri de surprise et de sidération.

 

-Tu déconnes j’espère ! Moi je monte pas chez ce type ! Anthony a un peu raison quand même, imagines qu’il soit effectivement en pleine crise et qu’il devienne violent on ne sait jamais.

 

-Attend ! rétorqua son amie. Si ça se trouve il a besoin d’aide et si il faisait un malaise, qu’il était tombé par terre et s’était cassé un truc, qu’il soit incapable de se relever tout seul ? Ou alors si c’était plus grave qu’on le pensait et qu’il claquait soudainement alors qu’on est là et qu’on pourrait venir à son secours ?

 

 Alix ouvrit la bouche comme pour protester mais Louise lui lança un regard appuyé qui signifiait clairement. « Ah non vous n’allez pas vous y mettre vous aussi ! » et elle sembla renoncer à se lancer elle aussi dans une dispute.

Le gémissement quant à lui continuait au même rythme, tout aussi faiblement et à la même fréquence. Instinctivement Muriel posa sa main sur l’épaule de son compagnon et Johann dans un geste rassurant lui pris délicatement le bras de la sienne tandis que le petit Axel qui paraissait toujours aussi inquiet se tenait toujours serré contre lui en jetant des regards furtifs et angoissés autour de lui.

 

- Alors ? demanda-t-il en regardant alternativement Louise et Ophélie.

 

-Rien pour moi répondit la première en reposant son téléphone sur la table d’un coup sec, je suis tombée moi aussi sur le message vocal et j’avoue que c’est un peu étrange venant des Urgences.

 

 Tous les regards se tournèrent alors vers Ophélie.

Celle-ci semblait à la fois stupéfaite et consternée.

 

-Je ne comprends vraiment pas ! C’est exactement la même chose pour moi : Un serveur vocal qui dit que toutes leurs lignes sont actuellement en dérangement et qu’ils nous prient de bien vouloir les en excuser, sans aucune autre explication sur la marche à suivre dans ce genre de situation ou quoi que ce soit. Même le message en lui-même est bizarre, on dirait qu’ils l’ont fait à toute vitesse et qu’ils l’ont balancé directement sur leur serveur, ça n’était pas de la synthèse vocale et c’est peut-être moi qui me monte un peu la tête mais avec la voix qu’il avait, le type qui parlait donnait l’air d’avoir fait ça à l’arrache, sans prendre le temps de peaufiner quoi que ce soit.

 

Tous échangèrent un regard qui trahissait à la fois l’incompréhension et une inquiétude de plus en plus marquée.

 

-Bon sang ! Mais qu’est ce qui se passe ? Les yeux de Julia allaient d’Ophélie à Louise mais celles-ci semblaient tout aussi décontenancées. Son regard sembla d’attarder une seconde de plus dans celui de sa meilleure amie et comme cela leur arrivait fréquemment, elles parurent instinctivement tomber d’accord sur la meilleure manière d’agir.

 

-Ok ! Là il n’y a pas trente-six solutions : On monte voir ce qui se passe et on va chercher d’autres voisins pour cette histoire de téléphone mais aussi pour voir s’ils peuvent nous aider d’une manière ou d’une autre, ils le connaissent peut-être mieux que nous et sauront alors comment il est susceptible de réagir. Elle regarda à nouveau son amie qui hocha la tête d’un air approbateur avant d’ajouter.

 

-On y va ! Anthony se tourna vers elle comme-ci il avait reçu une décharge électrique.

 

-Tu es folle ! Qui sait de quoi il est capable, c’est pas très prudent deux filles qui montent comme ça et en plus dans ton état. Sa compagne répondit au quart de tour, visiblement il la gonflait.

 

-Si tu pouvais éviter ce genre de remarques sexistes sur les « faibles femmes » sans défense ça a tendance à bien me saouler et pour ce qui est de mon état je suis assez grande pour savoir ce que j’ai à faire et ce qui est le mieux pour moi.

 

Louise soupira, visiblement exaspérée elle aussi mais coupa de nouveau Anthony dans sa tentative de rétorquer en regardant alternativement les deux amoureux avec de lents mouvements des deux mains vers le bas. Elle paraissait énervée aussi par la remarque du jeune homme mais désireuse avant tout de calmer le jeu.

 

-Julia je suis d’accord à 100% avec toi mais là pour une fois on n’a pas trop le temps de s’étendre sur le paternalisme sexiste et de s’engueuler, alors si on y allait avant que l’autre gugusse ne nous clamse entre les doigts ?

 

Johann se leva à son tour, boosté par l’empressement des deux filles.

 

-Ok moi je vais aller sonner chez les autres habitants de l’immeuble.

 

-Essaie plutôt le bar d’à côté : Le Malevil. Rétorqua Julia C’est le petit bistro-type, genre PMU du coin, il sûrement fermé à l’heure qu’il est mais on connaît un peu les gérants et ils connaissent sûrement aussi le mec en question vu le nombre de fois ou je l’ai vu avachi à leur comptoir devant son verre de blanc, je pense qu’ils sauront nous conseiller sur l’attitude à adopter quand il part dans son grand délire et avec un peu de chance on pourra aussi appeler de chez eux. Johann se tourna vers elle.

 

-Ok je vais voir. Tu crois qu’ils sont réveillés ?

Julia eut un demi-rire

 

-Oh certainement : vu le boucan qu’on entend chez eux en passant le soir je crois qu’ils se couchent plutôt tard. Je te parie qu’en ce moment-même, ils sont à regarder la télé avec une demi-douzaine de leurs copains avec un petit rouge à la main en se marrant comme des baleines toutes les dix secondes.

 

Johann parut un peu amusé mais ne traîna pas à se lever de son siège pour se diriger vers la porte d’entrée. Alix lui emboîta le pas.

 

-Attend je viens avec toi, j’ai envie de me dégourdir un peu les jambes.

 

Muriel leur jeta un regard calculateur, comme-ci malgré l’urgence de la situation elle craignait tout de même de voir son compagnon avec une autre fille. Elle ne fit cependant aucune remarque sur le sujet et se contenta de les regarder sortir l’un à la suite de l’autre.

Anthony qui paraissait encore vexé par la dispute précédente alla se rasseoir avec humeur et en sortant son portable il marmonna avec entêtement.

 

-Rien à foutre en tout cas. Moi j’appelle les flics.

 

Julia qui s’était levée à son tour pour aller à l’étage supérieur ou l’on entendait encore les faibles gémissements réguliers, se retourna un bref instant et parut vouloir discuter mais Louise qui la suivait de près posa une main compatissante sur son épaule en murmurant.

 

-Laisse, laisse. On n’ a pas le temps pour ça ! T’inquiète, il va finir par se calmer.

 

Julia hésita un bref instant puis hocha la tête en regardant son amie. Les deux jeunes femmes se hâtèrent de sortir sur le palier et de gravir les escaliers qui les séparaient du deuxième étage.

Arrivées devant la porte derrière laquelle les râles paraissaient plus nets et aussi plus inquiétants.

 Julia frappa trois coups énergiques. Aucune réponse ne se fit entendre mais les gémissements s’interrompirent aussi sec. Le silence total qui suivit paraissait presque plus angoissant. Louise, surmontant son malaise grandissant devant cette situation frappa à son tour, lançant d’une voix forte.

 

-Monsieur. Est-ce que ça va ?

 

Elle se prit à penser malgré elle que jusqu’à ce soir elle n’aurait jamais cru s’inquiéter à ce point du sort de cet homme qu’elle avait joliment envoyé sur les roses à travers cette même porte quelque temps auparavant et en dépit des événements faillit se mettre à rire pendant une seconde.

La jeune femme colla son oreille contre la porte, attentive au moindre son. Pendant un bref instant rien ne se produisit puis elle entendit nettement des pas, très lents à l’intérieur tandis que la plainte sourde retentissait de nouveau.

 

-Je crois qu’il marche dans l’appart’ chuchota t’elle à Julia. C’est bon signe au moins : Ca semble vouloir dire qu’il est entier, peut-être qu’il est juste en pleine défonce.

 

De nouveau elle frappa trois coups brefs et retentissants.

-Monsieur, répéta t’elle. Est-ce que tout va bien ? Elle se retourna à nouveau vers Julia et recommença à chuchoter.

 

-Tu ne saurais pas comment il s’appelle des fois ? Son amie se rapprocha de la porte.

 

-Si si, attend ! Elle refrappa à son tour. Je crois que c’est Florian.

 

Cette fois non plus personne ne répondit, mais les gémissements semblèrent se faire plus distincts et le bruit des pas se rapprochait également.

 

-Florian vous allez bien ? Est-ce que vous avez besoin d’aide ?

 

Rien ne sembla indiquer que l’homme avait entendu : le même râle rauque continuait, toujours aussi plaintif et angoissant et les pas se faisaient de plus en plus proches.

 

Julia baissa la voix et regarda sa meilleure amie.

 

-A mon avis il est en plein shoot et il ne se rend même pas compte qu’on est là.

 

-Je pense que si ! répliqua Louise. On dirait qu’il se dirige vers la porte, il va peut-être nous ouvrir. Je pense qu’il ne calcule pas trop ce qui se passe et qu’on va devoir le faire asseoir quelque part et écouter ses délires incohérents en attendant que les secours n’arrivent. Même si il n’est pas blessé je pense qu’on va devoir l’aider à marcher, à en juger par le bruit de ses pas il a tout juste l’air de pouvoir tenir sur ses jambes.

 

Un grand bruit de pièces métalliques qui s’entrechoquent éclata d’un seul coup, faisant sursauter les deux amies, suivi du son plus mat d’une chute au sol accompagné d’un cri étouffé. De toute évidence, le voisin semblait s’être pris les pieds dans quelque chose en titubant et être tombé lourdement par terre. Pouvait-il vraiment être défoncé à ce point ?

 

Les deux jeunes femmes échangèrent un regard alarmé.

 

-Là par contre il s’est vraiment cassé la figure et on va finir par le récupérer en sang !

 

Louise frappa une nouvelle fois.

 

-Florian, vous n’avez rien de cassé ? Pouvez-vous vous relever pour nous ouvrir ? Ou alors votre porte est-elle déverrouillée afin qu’on puisse entrer pour vous aider ?

 

Pour toute réponse, les deux amies purent entendre le bruit caractéristique d’une personne qui essaie péniblement de se remettre debout, ponctué par un nouveau gémissement grave et plus guttural encore.

 

La jeune femme tendit une fois de plus l’oreille vers la porte, cherchant à percevoir d’éventuelles bribes de paroles au milieu de ce concert de gémissements plaintifs. Julia qui semblait de plus en plus anxieuse devant la tournure des choses s’approcha un tantinet d’elle, ouvrant la bouche pour dire quelque chose mais fut interrompue par des pas précipités dans les escaliers.

 

-Tout va bien, vous avez réussi à……bon sang qu’est ce qui se passe là-dedans ?

Anthony venait d’apparaître sur le palier, légèrement haletant et les joues un peu rougies.

 

Visiblement le bruit de la plainte sourde et des objets métalliques venaient de parvenir à ses oreilles car il semblait perplexe et sa mine crispée trahissait aussi une légère appréhension.

 

-On en sait rien pour l’instant, il ne répond pas et ne paraît même pas en mesure de parler, tout ce qu’il fait c’est de gémir comme ça.

On l’a entendu marcher donc on sait au moins qu’il ne doit pas être blessé. Enfin on savait plutôt ! Parce qu’on l’a entendu se déplacer vers la porte et là il a du se prendre les pieds dans des trucs métalliques et tomber par terre. Je pense qu’il est en train d’essayer de se relever et qu’il a vraiment du mal, comment savoir vraiment, il ne dit rien, tout ce qu’on entend comme son c’est cette plainte horrible : Il doit être vraiment pété à mort.

 

Les deux amoureux se regardèrent un bref instant, comprenant leur sentiment commun d’impuissance mêlé d’inquiétude qui semblait grandir en eux.

 

-Au fait tu as appelé les flics ? Malgré la situation Julia conservait dans sa voix un ton de vague reproche mais Anthony, pour une fois, ne s’en formalisa pas, il semblait consterné et en proie à l’incompréhension la plus totale.

 

-Ben…je…je ne sais vraiment pas ce qui se passe ma chérie, je n’y comprends rien ! Le numéro de la Police est injoignable lui aussi. Comme pour les Pompiers ou l’hôpital je suis tombé sur une messagerie vocale qui disait simplement que le numéro étant momentanément indisponible, sans aucune autre explication.

 

Je ne sais vraiment pas : franchement cette soirée ! D’abord ce type dans l’appart’….tous ces trucs bizarres et les numéros d’urgence qui ne fonctionnent plus ce n’est pas très rassurant.

Julia sembla tout aussi stupéfaite et sembla temporairement incapable de répondre, se contentant de fixer son ami avec un regard de totale sidération, semblant presque naïvement s’attendre à ce qu’il lui ait fait une mauvaise blague et qu’il lui annonce en souriant un peu qu’il avait inventé cette histoire pour leur faire peur mais la situation ne se prêtait hélas guère à la plaisanterie, il fallait se rendre à l’évidence : Anthony avait dit vrai et quelque chose ne tournait pas rond.

 

 Louise, qui pendant-ce temps ne semblait pas tellement avoir suivi la conversation rompit soudain le bref silence par un cri.

 

-Venez vite ! Sa porte est ouverte, comme il ne répond toujours pas j’ai à tout hasard essayé d’abaisser sa poignée : La porte n’était pas verrouillée.

 

Julia sembla un peu se ressaisir et se tourna vers elle.

 

-Tu crois qu’on peut entrer comme ça quand même ?

 

-En tout cas pour l’instant je ne vois pas d’autre solution, on ne sait pas ce qui se passe. Mieux vaut en avoir le cœur net avant d’envisager quoi que ce soit d’autre.

 

Louise entrouvrit doucement la porte.

 

-Attendez je viens aussi, on ne peut pas prévoir ses réactions.

Julia pendant un quart de seconde sembla vouloir repartir dans la discussion sur les attitudes sexistes que pouvait avoir son amoureux mais elle était de toute évidence assez raisonnable pour juger que ce n’était pas vraiment le moment de se chamailler sur le palier.

 

Louise ne prêta quand à elle aucune attention à la remarque et ouvrit plus largement la porte.

Tous trois s’approchèrent avec prudence, regardant à l’intérieur : L’appartement était plongé dans le noir et les volets fermés les privaient de la luminosité de la Lune.

Seule la lumière venant du palier leur permettait de distinguer un peu plus loin, au-delà du hall d’entrée une vague silhouette humaine indéfinissable en position mi-accroupie mi-assise et qui essayait avec peine de se redresser. Pas de doute, le voisin semblait être tout de même être mal en point.

 Il sembla pourtant remarquer l’ouverture de la porte et la présence des jeunes gens devant car Louise crut le distinguer en train de tourner brusquement la tête vers eux. Cela parut étrangement provoquer chez lui une sorte de semonce car à sa nouvelle tentative pour se remettre sur pieds, il parvint cette fois à se lever, titubant toutefois assez dangereusement dans une parfaite démarche d’ivrogne marchant la nuit dans la rue.

 On aurait également juré qu’il avait étendu ses deux bras devant lui tel un somnambule et d’un pas très lent et très mal coordonné il se mit à avancer vers l’entrée en laissant échapper l’un de ces grognements si angoissants : C’était donc bien lui qui en était à l’origine et une fois passé de l’autre côté de la porte cette plainte paraissait dix fois plus sinistre aux oreilles des jeunes gens.

 

-Il s’est aperçu qu’on était là chuchota Julia qui paraissait nerveuse et de plus en plus effrayée, il vient vers nous, tu crois que ça va aller ?

 

-Je ne sais pas, on va bien voir. Louise semblait tendue elle aussi et se préparait visiblement à devoir faire face à tous types de comportements de la part d’un mec qui était dans un état semblable.

 

-Florian ? La voix de Julia que l’angoisse perceptible rendait un peu plus aigüe qu’à l’ordinaire résonna de nouveau. N’ayez pas peur, on vient pour vous aider, on ne vous veut pas de mal, vous comprenez ce que je dis ?

 

Le voisin ne donna aucune réponse et continuait d’avancer tout aussi lentement, les bras tendus devant lui, gémissant de plus belle.

 

-Florian, vous m’entendez ? reprit Julia Restez calme, on va vous aider en attendant les secours d’accord ?

 

-Attend !

 

Louise promenait sa main sur le mur de l’entrée, cherchant quelque chose à tatons.

 

-On n’y voit rien du tout. Florian ? reprit elle en haussant un peu la voix. Nous allons allumer la lumière d’accord ? Ne vous inquiétez pas, on va vous aider.

 

Les doigts de la jeune femme touchèrent enfin ce qui était sans l’once d’un doute l’interrupteur du plafonnier de l’appartement, tandis que la silhouette continuait son avancée vers eux à la même vitesse et avec la même raideur et la même plainte sourde elle pressa sur le bouton.

Une vive lumière inonda aussitôt la pièce et Louise bondit en arrière poussant un cri d’horreur, imitée presque aussitôt par les deux amoureux.

 

 La jeune femme avait l’impression d’avoir reçu un coup de matraque électrique dans la nuque et restait incapable de faire un geste ou de prononcer un mot, comme paralysée devant l’horrible apparition qui s’offrait devant elle.

Le corps déchiqueté de cet homme sur le sol, baignant dans une marre de sang et de tripes dégageant une puanteur insoutenable et cette chose, que les jeunes gens avaient pris pour le voisin en question et qui se rapprochait d’eux, les bras tendus : cette femme au teint pâle, la peau brouillée par endroits comme-ci on l’avait brûlée, une cicatrice noircie semblable à une morsure au niveau du cou, des veines bleues ressortant par endroits sur le visage et sur les mains, les ongles sales et noirs encore recouverts de lambeaux de chair déchiquetée et de sang, le regard vague qui semblait terne et vide de toute émotion.

 L’horrible créature avançait pas à pas, d’une démarche titubante et désordonnée vers Louise, Julia et Anthony, encore pétrifiés de terreur et d’incrédulité horrifiée.

 Sa bouche s’ouvrit largement ,déversant des restes de boyaux et d’ hémoglobine sur le sol juste devant elle, les dents luisantes de sang et de résidus d’organes qui commençaient à sécher et, ses yeux sans vie braqués sur les trois jeunes gens horrifiés, elle poussa un long gémissement rauque et plaintif.

Laisser un commentaire ?