Soleil Couchant

Chapitre 4 : De chair et de tripes

Catégorie: M

Dernière mise à jour 27/07/2012 20:35

 

-Sérieux c’est quoi cette soirée? D’abord l’autre, là-haut qui nous fait une méga crise de je ne sais quoi, ensuite aucun numéro d’urgence ne fonctionne, à croire que tout le monde s’est passé le mot.

-Ouais j’avoue que c’est bizarre, enfin je suppose qu’il doit y avoir une explication logique et qu’ils nous la donneront quand on aura réussi à les joindre. J’espère vraiment qu’on aura plus de chance avec le fixe des voisins.

Johann et Alix dévalaient les escaliers quatre à quatre, heureusement c’était un petit immeuble de seulement deux étages et tous deux furent vite parvenus au rez-de-chaussée.

Tandis que Johann pressait le bouton d’ouverture de la porte vitrée, ils entendaient nettement le bruit de pas précipités des deux filles qui montaient au deuxième pour évaluer la situation chez le type d’en haut.

 Le petit vent de soirée caractéristique du début de l’hiver fit frissonner le jeune homme lorsqu’il se retrouva à l’extérieur et il regretta pendant une demi-seconde de n’avoir pas pris son manteau même s’ils n’allaient que vingt mètres à côté. La nuit était tombée et seule la lumière d’un réverbère situé non loin de là éclairait faiblement la rue déserte et silencieuse. La respiration saccadée d’Alix parvint aux oreilles du jeune homme. Visiblement il n’était pas le seul à avoir froid.

 

-Putain il pèle! s’exclama-t-elle avec un brin de mauvaise humeur. Qu’est ce qu’on est pas obligés de faire à cause de ce taré!

Johann se trouvait à présent devant la petite porte blanche qui était, il le savait, l’entrée privée de la maison des gérants du Malevil. Le bar, quand à lui, se trouvait juste à côté et était à cette heure plongé dans l’obscurité la plus totale. Les épais rideaux rouges étaient tirés derrière la baie vitrée et masquaient la vue aux passants.

-Tu crois qu’ils sont debout, je ne vois aucune lumière par la vitre du dessus?

Alix était occupée à faire des allées et venues sur deux mètres en pas chassés sur le trottoir juste à côté de lui, apparemment c’était sa manière de lutter contre le froid.

-Ben j’en sais rien franchement. Je ne connais pas du tout leur baraque mais bon: si Julia nous dit qu’elle les entend souvent rigoler devant leur télé à cette heure-ci…..

-Oui mais elle les entendait en passant devant, donc leur salon devrait logiquement donner sur la rue, peut-être que c’est cette fenêtre ajouta Johann en désignant les carreaux masqués par de lourds volets marrons juste à côté de la porte. Moi je trouve que c’est plutôt silencieux, les volets sont clos, j’espère qu’ils ne font pas exception à la règle et qu’on ne va pas les réveiller.

 

  Alix hocha brièvement la tête mais il était facile de deviner avec sa moue impatiente et ses mouvements se faisant de plus en plus raides, qu’elle voulait surtout en finir au plus vite et rentrer se réchauffer dans l’appartement.

 

Après une brève hésitation, Johann appuya sur la sonnette. Les deux jeunes gens attendirent quelques secondes durant lesquelles rien ne se produisit, aucun bruit ne se faisait entendre de l’autre côté de la porte. Le vent continuait de souffler légèrement, engourdissant quelque peu leurs mains. Ils entendirent la rumeur de l’aboiement d’un chien mais aucun autre son ne venait troubler le calme de la rue.

 

En revanche Johann crut percevoir au loin, très faiblement, quelque chose qui ressemblait vaguement à des rafales de pétards: comme si cette année le 14 Juillet était arrivé en avance et que de petits plaisantins s’amusaient gaiementà faire un peu de boucan en attendant que le feu d’artifice ne soit tiré. Cela dit, à en juger par la direction d’où la pétarade était émise, le bruit était vraiment très lointain et semblait provenir du centre-ville.

Parole, il devait y avoir une bande de joyeux lurons un peu éméchés qui écoulaient leur stocks de pétards de l’été dernier ou alors qui faisaient pétarader de vieilles mobylettes pourries toutes en même temps pour tirer du lit les honnêtes gens qui se couchaient trop tôt à leur goût, en cette belle soirée du début de l’hiver…comment savoir? De toutefaçon, pour l’instant le jeune homme avait bien d’autres préoccupations en tête que les virées festives et arrosées de quelques rigolos en quête de sensations pour se sentir vibrer.

 

Il ne demanda même pas à Alix ce qu’elle en pensait ni même si elle entendait les mêmes choses et appuya une seconde fois sur la sonnette dont le bruit, sec et métallique si caractéristique de toutes les sonnettes un peu anciennes, leur parvint une nouvelle fois. Il n’était pas très agréable à entendre mais il fallait vraiment être sacrément dur d’oreille pour ne pas entendre de l’intérieur.

Cette fois encore rien ne se produisit et rien dans la maison ne sembla indiquer que quelqu’un avait entendu ni même que les lieux recelaient une quelconque présence humaine.

-Ils sont peut-être sortis suggéra Alix dont le jeu de jambes s’était encore accéléré comme-ci elle craignait à chaque instant de tomber en hypothermie profonde. Remarque là on pourrait clairement confirmer qu’on n’a pas de bol ce soir.

Johann commençait à se sentir à la fois nerveux et un peu en colère.

-Fais chier! Comme si on avait le temps d’attendre des heures.Entre l’autre qui risque de tourner de l’œil à tout moment, les secours impossibles à joindre et maintenant personne chez les voisins. Il tenta une troisième fois d’actionner la sonnette et frappa trois coups secs et puissants à la porte immédiatement après.

-Il y a quelqu’un? s’écria-t-il. Si vous m’entendez ouvrez-nous c’est vraiment urgent, vous êtes là?

 

Pendant une dizaine de secondes ce fût de nouveau le silence total. Johann qui avait collé son oreille contre la porte pour essayer de percevoir un signe indiquant que quelqu’un les avait entendu et venait leur ouvrir s’apprêtait à se tourner, résigné, vers la jeune femme et à lui proposer d’essayer les maisons voisines. Il n’en eut pas le loisir car il sursauta tout d’un coup en percevant lointainement un coup sourd suivi d’un bruit de verre brisé.

-C’était quoi ça? Johann avait parlé d’une voix légèrement étouffée comme-ci il avait eu le souffle coupé.

 

Alix lui lança un regard interrogateur.

-J’ai entendu quelque chose là-dedans répondit Johann dans un murmure perplexe. Comme-ci quelqu’un avait tapé contre un truc et avait pété un truc de verre ensuite.

Une expression de surprise et d’interrogation se dessina sur le visage de la jeune femme qui vint à son tour coller son oreille.

-Je n’entends rien, tu es sûr qu’il y avait quelque chose?

-Oui je t’assure. Ca n’a duré qu’une seconde mais je suis sûr que je n’ai pas rêvé.

Ils restèrent quelques secondes de plus à écouter, attentif au moindre bruit qu’ils pouvaient percevoir, mais le calme semblait être revenu dans la maison.

-Ecoute il ne se passe rien. Opina Alix, rompant le silence. A mon avis tu as du te tromper et simplement croire entendre un bruit.

 

Johann ne semblait pas totalement convaincu et parut réfléchir profondément pendant un moment puis il sembla se résoudre à croire qu’elle avait raison et acquiesça.

-Ouais, bon peut-être bien! Mais du coup ils n’ont pas l’air d’être là et franchement on est pressés, si ça te dit on se grouille d’aller frapper à côté, on finira bien par tomber sur quelqu’un…..son expression se figea et la stupeur mêlée d’incrédulité apparut soudain aux yeux d’Alix alors qu’il avait commencé à relever la tête.

-Quoi, qu’est ce qu’il y a? interrogea t’elle tandis qu’il venait de recoller son oreille sur la porte.

-Ca a recommencé je te jure, cette fois impossible de s’y tromper: quelqu’un donne des coups sur je ne sais quoi!

 

Alix pensa pendant un quart de seconde qu’il se payait sa tête mais le moment était bien mal choisi pour ça alors elle se pencha à son tour et sursauta lorsqu’elle perçut elle aussi le bruit mat et lointain qui résonnait à l’intérieur. C’était comme si une personne frappait obstinément sur un mur, une porte ou un meuble.

La jeune femme fût parcourue d’une bouffée d’adrénaline qui lui fit oublier temporairement le froid qui commençait à lui engourdir les membres et les sens.

-Hé mec toutes mes excuses tu avais raison! s’exclama-t-elle en donnant une petite tape amicale sur l’épaule de Johann. Il m’a bien l’air d’y avoir quelqu’un là-dedans. Le problème c’est qu’ils ne semblent vraiment pas nous entendre et pourtant vu le boucan qu’on a fait à leur porte ça devrait être le cas.

 

Elle frappa à son tour avec force.

-Vous m’entendez? On a besoin d’aide s’il vous plaît, ouvrez-nous! Aucune réponse ne se fît entendre mais le bruit continuait à la même cadence.

Alix tenta machinalement d’ouvrir la porte mais celle-ci était fermée à clé.

-Dommage murmura t’elle. Je sais que c’est pas très correct d’entrer chez les gens comme ça mais au moins ils nous auraient entendu depuis le hall d’entrée.

-Putain mais ils font quoi? Lança Johann en jetant un regard d’incompréhension en direction de son amie. C’est la télé qui les met dans cet état, ils sont tellement à fond dans leur truc qu’ils ne nous entendent pas?

Alix soupira.

 

-Vas savoir. Si ça se trouve ils sont déjà bien blindés, Julia nous disait que leurs petites soirées entre potes étaient rarement sobres, à tous les coups le bruit de verre que tu as entendu tout à l’heure c’est un de ces pochtrons qui a laissé son verre s’échapper de ses mains.

Johann émit une sorte de grognement à mi-chemin entre le rire goguenard et le soupir d’exaspération.

-Eh ben ça va être super si on doit demander de l’assistance à des barriques aux trois quarts pleines pour nous occuper d’un toxico complètement grillé par la came….franchement tu crois qu’ils sont en état de comprendre ce qu’on va leur demander? Sérieux ils ne nous entendent même pas, on ferait mieux d’aller voir ailleurs tu crois pas?

Alix secoua vivement la tête.

-Attend on peut encore essayer un truc, tu te souviens une fois Julia nous avait montré leur jardin qu’on pouvait voir depuis le parking de son immeuble. Je me souviens qu’il y avait une grande baie vitrée qui donnait sur la cuisine, peut-être qu’ils y sont et que si on va toquer là-bas on aura plus de chance.

-Hein! Mais attend ça va servir à quoi si ils sont complètement saouls et qu’ils ne comprennent pas un mot de ce qu’on leur dit? On perdra notre temps plus qu’autre chose. En plus on sait pas non plus dans quel état ils finissent bourrés, comme-ci on avait pas assez de l’autre à gérer.

 

Alix commençait visiblement à s’impatienter.

-Ecoutes on en sait rien, ils sont peut-être juste joyeux, peut-être que leur télé est allumée à fond et qu’ils n’entendent rien, on ne peut pas savoir et franchement je me sentirais conne de n’avoir pas tout essayé alors qu’ils sont juste à côté. Si au bout de trente secondes on se rend compte que c’est Mission Impossible pour le dialogue on ira ailleurs mais sérieux avoue que ce serait bête: on peut pas faire plus près et visiblement ils sont bien chez eux.

Johann la regarda un instant comme-ci il pensait qu’elle n’était pas sérieuse et qu’elle le faisait marcher mais de toute évidence il n’en était rien.

-Bon ok ok! Lâcha t’il avec un soupir résigné On y va, je crois qu’on a vraiment pas le temps de discuter de toute manière, mais franchement j’y crois pas des masses à ton plan à mon avis on va perdre de précieuses minutes plus qu’autre chose.

 

Alix ne répondit pas et s’était déjà élancé vers l’entrée du parking, située à trente ou quarante mètres de là, taillée dans le mur de l’immeuble voisin et qui formait une voute dans le plus pur style roman. L’ouverture faisait deux mètres environ et était assez large pour laisser passer une voiture. Ce passage était une sorte de mini-tunnel de quelques mètres de long qui reliait la rue au parking de la résidence.

Johann lui emboîta le pas sans plus tarder, non sans marmonner pour lui-même un vague juron vraisemblablement destiné à tous ces « foutus drogués et alcoolos de France et de Navarre qui leur gâchait une soirée si sympa ».

Tous deux se retrouvèrent rapidement devant le petit grillage en plastique dur, d’une hauteur d’un mètre cinquante à tout casser, qui séparait le parking du jardin des gérants du Malevil. Ceux-ci avaient planté de leur côté de jeunes pousses de sapin qui commençaient à bien prendre forme et à masquer la clôture par endroits.

 

Le petit jardin était plongé dans l’obscurité dans sa majeure partie mais la lumière émise par un réverbère de la petite rue des Pierrailleurs, de l’autre côté, leur permettait de distinguer le petit potager sur la gauche. Il était recouvert en cette saison d’une solide bâche verte hermétique et la terrasse de béton gris donnant sur la maison à droite.

En levant la tête ils pouvaient également apercevoir, un étage plus haut les fenêtres de la cuisine et du salon de l’appartement de Julia et Anthony.

 

Les stores de la première étaient tirés, les privant de toute visibilité sur l’intérieur de l’endroit mais on pouvait distinguer les murs du salon couverts de posters de Bleach, Naruto et Harry Potter, ainsi que l’agrandissement d’une photo où les deux amoureux posaient ensemble en se tenant par la taille et en se souriant amoureusement. On pouvait les distinguer malgré le fin rideau bleu ciel que Julia avait eu tant de joie à acheter dans une petite boutique qu’elle affectionnait particulièrement puis à poser dans l’appartement afin de les faire admirer à tous ses amis

 

La photo en questionétait évidemment impossible à reconnaître nettement de là où elle setrouvait mais Alix, elle, le savait très bien puisque c’est elle qui l’avait prise lors d’une venue du jeune couple à Niort.

-Bon trancha Johann rompant le court silence. On y va? Et on tâche de faire vite hein!

-Ouais ok de toute façon ce grillage ça ne sera rien à escalader. Bon je le redis, j’aime pas entrer comme ça chez les gens mais là c’est un peu des circonstances exceptionnelles, je pense qu’ils comprendront et….Hé! C’était fermé par devant et ils n’ont pas l’air de nous entendre du coup on va essayer par la cuisine, mais franchement je sais pas trop ce que ça va donner, on se demande si ils ne sont pas complètement pleins eux-aussi.

 

Johann se demanda à qui elle s’adressait soudainement mais en levant la tête dans la direction ou elle regardait il aperçut soudain Ophélie et Séb qui avaient ouvert la fenêtre de salon est étaient penchés par dessus la rambarde métallique. Visiblement l’un d’eux les avaient vus arriver ici et s’interrogeait sur l’avancée de leur quête d’une bonne âme pour les aider.

 

-Ah la vache! Mais c’est vraiment le bordel ce soir résonna la voix de Séb. Louise et Julia sont toujours là-haut à essayer de parler au mec. Je sais pas trop ce qu’il en est, depuis un petit moment on l’entend marcher là-haut, il a l’air toujours en plein trip à pousser des gémissements et je crois aussi qu’il a trébuché et qu’il s’est cassé la gueule, du coup Anthony est parti voir aussi et s’assurer que sa douce chérie va bien.

 Il eut un petit rire faussement moqueur en disant ces mots et Alix ne put s’empêcher de sourire également malgré l’urgence de la situation. Johann qui s’apprêtait à passer par dessus le grillage lui tapa légèrement sur le bras comme pour la presser d’avancer mais la jeune femme était décidément bien bavarde. Il était difficile de l’arrêter une fois qu’elle était lancée, et il lui semblaqu’elle avait momentanément oublié ce qu’ils devaient faire dans l’immédiat et était en train de raconter aux deux autres tout ce qu’ils avaient entendus.

 

-Bon j’y vais tu me rejoins! Johann n’en pouvait visiblement plus d’attendre et d’un bond leste et athlétique sauta dans le jardin et couru vers la maison.

Alix sembla revenir à la réalité et amorça un geste pour le suivre mais se ravisa.

-Je vais attendre ici avec vous, je pense que Johann s’en sortira très bien tout seul.

Elle semblait tout de même partagée entre l’envie de voir dans quel état étaient les voisins et si on arrivait à joindre les secours depuis leur téléphone fixe et le désir imminent de faire partager aux autres ce qu’ils avaient déjà pu constater.

 

C’était là un des traits de caractère prédominants chez elle, même dans les situations nécessitant plus que jamais de se trouver sur le qui-vive, même lorsqu’il y avait une urgence, elle avait besoin d’échanger, de partager ce qu’elle vivait avec d’autres personnes, peut-être aussi pour décompresser et pour garder la tête froide. C’est en tout cas ce que se disait Ophélie qui la connaissait mieux que quiconque ici et qui n’était pas étonnée de la voir réagir ainsi. Séb, en cequi le concernait, la connaissait assez mal et ne cessait de lui jeter des coups d’œil en se demandant visiblement quelle mouche pouvait bien la piquer pour qu’elle soit dans un tel état d’excitation et ressente à ce point l’envie de taper la causette et de raconter ce qu’ils avaient vus et entendus au détail près.

 

-Ben si ils sont eux-aussi dans un sale état je me demande bien à qui on va pouvoir s’adresser pour remettre un peu d’ordre. Maugréa Ophélie en s’efforçant tout de même de garder le sourire et une attitude positive.

-Oh ils ne peuvent pas être pires que l’autre au-dessus quand même! répondit Alix qui rendit à son amie un sourire crispé même si l’on voyait bien que le fait de reparler du voisin et des choses étranges qui se produisaient ce soir ravivaient en elle une certaine anxiété.

 

-Au fait! renchérit Séb, peut-être un peu pour pouvoir en placer une au milieu de ce véritable concert d’échange d’impressions sur la soirée entre pipelettes. C’est vraiment bizarre, non seulement Anthony n’a pas réussi non plus à avoir les flics mais Emilien viens également d’essayer de joindre sa mère pour lui demander des conseils, tu sais….eh ben sa ligne professionnelle est également en dérangement et son portable personnel est coupé.

-Quoi! Bon sang mais qu’est ce que ça veut dire, c’est quoi ce merdier?

Avant que quiconque ait pu répondre à Alix, un hurlement de surprise mêlé d’horreur retentit, déchirant la nuit.

La jeune femme et les deux autres à la fenêtre se figèrent comme glacés, l’air interdit et perplexe.

 

-Putain c’est quoi ce bordel!!!! Lâchez-moi! Lâchez-moi vous entendez, putain!

 Le cri avait de nouveau retentit venant de la maison. Alix retrouvant ses esprits sauta derechef à son tour par dessus la clôture sans prêter attention à Ophélie et Séb qui continuaient d’échanger des regards stupéfaits et angoissés, semblant incapables de bouger et courut vers la petite maison comme une dératée. Un grand bruit de verre et de porcelaine brisée se fit entendre à l’intérieur, ainsi qu’un cri sourd et étouffé.

 

-Johann! Hurla la jeune femme à plein poumons tandis qu’elle arrivait devant la baie vitrée de la cuisine, qu’est ce qui se passe, est ce que ça va?

Elle remarqua que la porte-fenêtre avait été ouverte, Johann devait se trouver dans la pièce mais elle ne distinguait absolument rien car seule une petite lumière dont Alix supposait qu’il s’agissait du néon au dessus de l’évier, éclairait faiblement la pièce.

La jeune femme ouvrit la vitre un peu plus largement et entra à son tour, cherchant à tâtons sur le mur un interrupteur, très vite sa main trouva le bouton qui allumait sans doute le plafonnier et elle le pressa. Une vive lumière inonda soudain la cuisine mais avant qu’Alix ait pu constater ce qui s’y était passé une main se referma vigoureusement sur son bras.

D’instinct elle poussa un grand cri et se retourna vivement l’autre poing levé dans un réflexe d’autodéfense.

-Alix du calme c’est moi! La jeune femme mis une seconde entière avant de réaliser qu’il s’agissait bien de Johann, qui continuait de lui serrer le bras comme-ci il avait eu peur qu’elle ne lui échappe. Le jeune homme était haletant et tremblait légèrement.

-Oh bon sang Johann! S’exclama Alix en poussant un bref soupir de soulagement. Tu m’as flanqué une de ses frousses, mais qu’est ce que…..Elle remarqua soudain l’expression de dégoût et d’horreur sur le visage du jeune homme, cela ne lui avait pas de suite sauté aux yeux à cause de la frayeur qu’elle venait d’avoir et du temps nécessaire pour se remettre de ses émotions mais à présent c’était flagrant. Il était également ruisselant de sueur et semblait avoir du mal à tenir sur ses jambes.

- Bon dieu….qu’est ce que tu as, qu’est ce qui s’est passé!

Elle sentit l’appréhension la gagner de nouveau et son regard se porta soudain sur le côté opposé de la cuisine et elle poussa un nouveau cri.

 

Au beau milieu d’un amas d’assiettes et de verres brisés gisait la forme recroquevillée d’une femme d’un certain âge qui semblait agitée de petits spasmes, un mince filet noirâtre coulait de son visage et Alix put distinguer de petits gémissements rauques et plaintifs qui s’échappaient de sa gorge comme le long râle de quelqu’un qui serait à l’agonie. Elle était vêtue d’un jean légèrement tâché d’une substance blanche qui semblait être de la peinture séchée et d’un sweat-shirt Adidas un poil trop large pour elle. Sa tête était légèrement tournée sur le côté ne laissait pas apparaître complètement son visage mais elle semblait consciente et paraissait maintenant faire des efforts pour se redresser.

 

-Johann, qu’est ce que c’est que…..qu’est ce qui s’est passé? repris Alix en s’approchant de la vieille femme et en s’agenouillant près de sa tête. Bon sang est-ce que c’est toi qui as…..

Johann sembla secoué par une décharge électrique et se rua en avant, vers elle en hurlant.

-Putain Alix non, écartes-toi!…….Mais avant qu’il ait pu achever sa phrase la femme sur le sol leva son bras et empoigna la main de la jeune femme. Elle était à présent en équilibre sur le bassin, le torse légèrement relevé et regarda la jeune femme en poussant un gémissement beaucoup plus sonore.

 

Alix poussa un cri bien plus terrifié que lorsque Johann l’avait surprise et contemplait avec la plus grande horreur le visage grisâtre et émacié qui la dévisageait de ses yeux laiteux, un semblant d’expression avide comme-celle d’un chat devant une grosse souris sur ses lèvres tirant légèrement sur le noir.

Tandis qu’Alix, paniquée, hurlait de plus belle en essayant vainement de dégager sa main que la créature tenait fermement serrée dans la sienne, cette dernière ouvrit grand la bouche, laissant apparaître ses deux rangées de dents jaunâtres et une langue bien plus foncée que celle de n’importe quel humain ordinaire. Son haleine insoutenable tenait à la fois de la viande avariée et du cadavre en putréfaction. Le monstre poussa une longue et sourde plainte, tel le prisonnier affamé d’une geôle du moyen-âge qui n’aurait pas mangé depuis plusieurs jours et approcha lentement sa tête d’Alix, serrant de plus belle la main de la jeune femme.

 

-Lâchez-moi! Laissez-moi tranquille! Alix criait, se débattait désespérément. Elle asséna à la vieille femme plusieurs coups violents avec son autre main libre mais ceux-ci ne semblèrent aucunement l’affecter. La créature indifférente aux hurlements et aux coups ouvrit plus largement la bouche encore, s’apprêtant à planter ses dents dans le bras de sa victime.

Quelque chose siffla à l’oreille de la jeune femme et un coup sourd suivi d’un cri étouffé résonna dans la pièce, le monstre sembla coupé dans son élan et s’effondra lourdement sur la gauche.

Alix vit comme dans un rêve la main de Johann se tendre vers elle et saisir la sienne pour l’aider à se remettre debout. De l’autre il tenait fermement une lourde poêle Tefal.

-C’est tout ce que j’ai trouvé lâcha t’il dans un murmure essoufflé.

 

Alix tremblait de tous ses membres et ses jambes semblaient plus difficilement que jamais pouvoir supporter son poids. Elle parvint à peine à articuler un vague merci secoué de soubresauts et de tremblements.

Johann voyant cela se mit à fermement la soutenir, un bras sur chaque épaule.

-Bon sang mais qu’est ce qui se passe ici?

 

Ils restèrent un moment à se regarder l’un et l’autre sans rien dire, Johann tenait les mains d’Alix dans les siennes et les sentaient secouées de violents tremblements, à moins que ce ne soient les siens qui s’y ajoutaient et qui rendaient la sensation plus intense.

-Ca va toi?

C’est tout ce que le jeune homme parvint à articuler. Alix se contenta s’acquiescer brièvement en continuant de jeter des regards apeurés et empreint d’un profond dégoût vers la créature inerte et inconsciente qui gisait sur le sol. Seul était audible le bruit lent et régulier d’une respiration sourde et rauque venant des profondeurs de sa gorge.

 

Alix se tourna vers Johann, s’apprêtant visiblement à dire quelque chose, lorsque d’autres sons parvinrent brutalement à leurs oreilles: Des bruits de pas traînants et mats qui venaient du couloir et se rapprochaient.

Et avant que l’un d’eux ait eu le temps de réagir, de nouvelles plaintes sinistres et gutturales retentirent et quelque chose poussa la porte carrelée de la cuisine qui était restée entrouverte. Un frisson glacé parcourut la nuque de Johann et Alix poussa un nouveau cri de frayeur.

 Deux autres de ces horreurs venaient d’apparaître sur le seuil de la porte:un gros homme ventru d’une soixantaine d’années venait en tête. Il avait le crâne partiellement dégarni avec une touffe de cheveux blancs-gris de chaque côté, son survêtement Nike semblait trop serré pour lui et menaçait de craquer à mesure qu’il avançait en titubant. Il portait également un sweat-shirt bleu de la Fédération Française de Football souillé en plusieurs endroits par des tâches sombres et irrégulières. A en juger par ses dents proéminentes, rouges d’un sang qui dégoulinait encore de son menton jusque sur ses vêtements, la jeune femme n’avait aucun doute sur la nature de ses tâches.

 Le second était plus petit et plutôt maigrelet, des cheveux châtains clairs en bataille et une barbe taillée n’importe comment et grisonnante par endroits qui portait une veste Adidas ouverte sous laquelle on pouvait distinguer un t-shirt de la dernière tournée de Johnny Hallyday, maculé lui aussi d’un rouge sale par endroits.

 Tous deux avaient les mêmes yeux ternes, vides de toute émotion à l’exception d’une once à peine perceptible mais effrayante d’avidité, braqués sur les deux jeunes gens, ils marchaient de la même allure lente et saccadée, la bouche grande ouverte, découvrant leurs dents souillées, le visage blême et qui semblait avoir été brûlé par endroits avec un jet de vitriol.

 

-Merde!

C’est tout ce que Johann avait laissé échapper dans un souffle alors que les deux monstres s’approchaient les bras à présent tendus dans leur direction, dans un ignoble et dissonant duo de râles plaintifs et rauques.

Passé le premier coup de stupéfaction terrifiée cependant, le sang du jeune homme ne fit qu’un tour et il empoigna vigoureusement par le bras, Alix, qui restait plantée sur place, apparemment paralysée par la peur et la sidération.

-Allez vite! On se tire d’ici, dépêche-toi.

Elle sembla ramenée aussi sec à la réalité et avec une rapidité fulgurante, fit volte-face, imitant son ami et ils se précipitèrent en toute hâte vers la porte-fenêtre donnant sur le jardin.

 

La cuisine n’était pas très grande et il y avait à peine trois mètres entre la porte-fenêtre et l’encadrement de celle ou se tenaient les deux créatures qui, voyant visiblement leurs proies s’échapper, geignaient de plus belle.

 C’était une petite cuisine classique avec un linot de bandes marrons clair sur le sol, un imposant buffet rectangulaire servant à ranger divers plats et ustensiles culinaires occupait une bonne partie de la place mais laissait tout de même un bon passage de plus d’un mètre entre lui et une petite table ronde nappée de fleurs dans le style années 70-80.

 Juste à côté il y avait l’habituel complexe comprenant l’évier, les plaques chauffantes avec hotte aspirante, frigo et placards muraux fixés dans le mur. Le mobilier était plutôt neuf, mais les murs semblaient plus vieux et commençaient à se lézarder un brin, l’isolation entre les pièces en tout cas ne devait pas être géniale et Johann était sûr que même si la porte donnant sur le couloir avait été fermée et malgré le faible écho qui y régnait. Les deux autres monstres auraient tout de même été alertés par le raffut qu’il venait de faire et il était trop tard maintenant pour dresser une barricade de fortune entre eux et les créatures. Toutefois une idée lui vint brusquement à l’esprit lorsqu’il se retrouva dehors.

 

-Attend!

Alix qui semblait avoir retrouvé l’usage de ses jambes pour la course se figea une seconde sur place et se retourna en lui lançant un regard d’incompréhension effrayée.

Johann ne donna pas plus d’explications mais se retourna vers la porte-fenêtre et la poussa de toutes ses forces pour la refermer. Il aperçut les silhouettes bancales et titubantes des monstres, parvenus à moins d’un mètre de la vitre lorsque celle-ci se referma avec un bruit sec.

 

-Mais qu’est ce que tu fous bon sang! Ca sert à quoi?

Alix avait la voix plus aigüe qu’à l’ordinaire et semblait supplier indirectement le jeune homme de fuir au plus vite.

Mais celui-ci avait cessé de courir et avançait à présent sans se presser vers elle.

-Mais enfin qu’est ce que….

Johann mit son index sur sa bouche avec insistance et un semblant d’impatience dans son expression.

-Regarde! Il désigna d’un vague geste de son autre main les deux hommes derrière la porte-fenêtre. Et s’il te plaît arrête de crier, on ne sait pas combien il y en a de ces trucs, j’ai pas envie qu’on en attire d’autres, il y en a peut-être dans le jardin ou dans l’allée du parking va savoir!

 

Alix ne répondit rien mais regardait les deux créatures que l’on voyait assez nettement avec la lumière de la cuisine à l’intérieur.

Elles semblaient presque collées à la vitre et il était assez effrayant de constater à quel point, malgré la nuit et donc la quasi absence de visibilité à l’extérieur, elles semblaient savoir très précisément ou se trouvaient les deux jeunes gens. La jeune femme n’aurait su dire si c’était juste un effet de son imagination mais elle avait la désagréable sensation que les monstres les voyaient malgré l’obscurité et continuaient de les observer de leurs regards brillants de convoitise.

 Des coups sourds se firent soudain entendre, la faisant sursauter et lui causant une bonne accélération cardiaque. Ces deux horribles choses semblaient maintenant très agitées et frappaient avec insistance de leurs deux poings sur la vitre, sans répit et en continuant de dévisager leurs proies et de gémir, bien que la rumeur de leur plainte soit un peu moins audible avec la porte fermée.

 

-Tu as vu ça! Repris Johann en posant une main sur l’épaule de son amie, on dirait bien qu’ils ne peuvent pas sortir, ils ne semblent pas comprendre comment fonctionne le mécanisme pour faire coulisser la porte et on dirait bien qu’ils n’ont pas non plus l’idée de faire le tour par l’autre côté ou de se séparer pour nous bloquer chacun d’un côté.

-Oui tu as raison ma parole, qu’est ce que ça veut dire, qu’est ce que c’est que ces trucs là sérieux?

Johann marqua une courte pause et haussa les épaules d’un air un peu résigné.

-J’en sais rien Alix, franchement j’en sais rien du tout, mais t’inquiète moi aussi ils me filent la chair de poule.

 

Et tandis que les coups sourds continuaient de retentir de plus belle, les deux jeunes gens échangèrent soudain un regard alarmé.

-Johann….

-Tu penses à ce que je pense aussi? Les gémissements qu’on a entendu chez les voisin….

-Ouais, Louise et Julia sont montées là-haut bordel!

-Je sais, grouille toi, il faut qu’on y retourne, bon sang j’espère que tout va bien!

Comme enhardis par une force intérieure soudaine, ils enjambèrent de nouveau le petit grillage pour se retrouver dans le parking.

-Nom de Dieu qu’est ce qui se passe, c’est vous qui avez crié comme ça, qu’est ce qu’il y a?

La voix de Séb venait de résonner à l’étage. Johann et Alix levèrent brièvement les yeux, il était toujours accoudé à la fenêtre et cette fois c’était Muriel qui se tenait à côté de lui et qui reprit la parole.

-Johann est-ce que ça va? Vous avez pu trouver…..mais son ami l’interrompit précipitamment.

-Louise et Julia sont toujours là-haut? Il faut tout de suite qu’elles redescendent!

Muriel sembla surprise et un peu anxieuse.

-Oui, Anthony est allé les rejoindre, apparemment le type ne va vraiment pas bien, il s’est cassé la gueule plusieurs fois, mais justement à ce propos, vous avez trouvé les voisins? Et les secours, vous avez réussi à…..

-Oublie tout ça pour le moment, allez chercher les autres tout de suite et qu’ils n’ouvrent surtout pas la porte.

 

Même avec la faible luminosité qui leur venait de la lumière de l’appartement ils pouvaient distinguer le visage de Muriel en proie à l’incompréhension et à une angoisse de plus en plus évidente.

-Comment ça, qu’est ce que tu veux dire, qu’est ce qui s’est passé, je ne……

-Je t’expliquerais plus tard, allez chercher les autres immédiatement. Répéta Johann dont la voix trahissait une peur grandissante. Je ne sais pas ce que c’est que ces saloperies mais ils ne doivent surtout pas s’approcher de……

-Putain t’as entendu ça, qu’est ce qui se passe là-haut?

Séb qui l’avait interrompu par un grand cri s’était brusquement retourné et semblait à présent fixer le plafond, Muriel exécuta le même mouvement de la tête et lorsqu’elle tourna de nouveau le regard vers Johann elle semblait totalement paniquée et incapable de bouger.

Séb en revanche sembla décoller du plancher comme si il avait été monté sur ressorts, Johann et Alix le virent disparaître dans le coin opposé du salon et se doutaient qu’il se précipitait alors vers la porte d’entrée.

Il sembla à Johann qu’une main d’acier lui nouait les entrailles et il sentit son cœur effectuer un triple saut périlleux dans sa poitrine.

-Quoi! Qu’est ce qu’il y a, qu’est ce qui se passe, on entend rien nous de l’extérieur!

 

Muriel était affaissée contre la rambarde et paraissait s’y retenir de toutes ses forces pour ne pas tomber à la renverse, les deux autres voyaient ses jambes en proie à de léger tremblements. Ellemenaçaitde flancher à tout moment.

La jeune femme semblait incapable d’exécuter le moindre mouvement et même si ils ne voyaient pas très distinctement son visage, Johann et Alix devinaient sans peine sa frayeur car sa voix était saccadée et légèrement tremblotante.

-Je…je ne sais pas, on a entendu les autres crier, il y a eu un gros bordel ensuite, comme des gens qui se bagarrent et puis une lourde chute sur le sol….mais qu’est ce qui….

 

Avant que la jeune femme ait pu finir sa phrase, Johann s’était déjà élancé ventre à terre pour sortir du parking et revenir vers la porte du hall d’entrée. Alix, qui avait eu le même réflexe, était sur ses talons. Il prit tout juste le temps de crier à sa compagne de leur ouvrir la porte avec l’interphone et se mit à courir à toutes jambes, la panique lui tordant les boyaux.

Il entendit Alix s’exclamer derrière lui.

-Bon sans mais qu’est ce qu’on va faire? Ces bruits qu’ils ont entendus, tu crois que c’était….

-J’en sais rien bordel! Coupa Johann qui haletait. Mais je t’en supplie ne commence pas à imaginer le pire c’est déjà assez horrible de l’envisager dans sa tête.

Alix ne rajouta rien. Johann savait que sa frayeur était la même que la sienne mais qu’elle avait plus besoin de l’extérioriser pour la supporter, cela dit ce n’était franchement pas le moment de parler de malheur.

 

Parvenu devant l’entrée de l’immeuble, Johann appuya vigoureusement sur le bouton de l’interphone et il ne se passa qu’un quart de seconde avant que Muriel, qui avait du elle aussi se précipiter vers le combiné, n’enclenche l’ouverture.

Le jeune homme, la remerciant intérieurement pour sa rapidité, s’engagea dans les escaliers qu’il parcourut quatre à quatre avec une Alix qui essayait tant bien que mal de suivre sa cadence avec ses petites jambes en lançant par moments des « Hé attend moi! » ou autres « Pas si vite! » compréhensibles mais auxquels Johann ne pouvait se permettre de prêter attention.

Il  ne s’arrêta même pas pour demander quoi que ce soit lorsqu’il fût arrivé au premier étage et fila directement à celui du dessus. Lorsqu’enfin il parvint au palier situé entre les deux, le brouhaha qui était parvenu à ses oreilles, mélange de pleurs et de voix saccadées, sourdes et haletantes se fit plus distinct et Johann saisissait à présent les mots et les choses de manière plus claire. Quelqu’un, possédant une voix féminine, pleurait le souffle court, répétant sans cesse d’une voix interdite et catastrophée.

-Mon Dieu, mon Dieu mais qu’est ce que j’ai fait, j’avais pas le choix, elle nous a attaqués, j’avais pas le choix, mon dieu qu’est ce que j’ai fait! 

-Ca va aller Julia, calme toi. Tu as fait ce qu’il fallait, pour toi, pour nous tous, tu n’as rien fait de mal ma belle!

 Johann reconnu la voix de Louise, plus calme, qui s’efforçait d’être apaisante mais qui était parcourue elle aussi de tremblements et qui haletait comme si elle venait de courir un cent mètres haies ou de porter un objet particulièrement lourd.

-C’est vrai ça ma chérie, regardes ce que cette saloperie a fait à ce type, tu as eu exactement la réaction qu’il fallait avoir.

Johann eut le temps de reconnaître la voix forte et rassurante d’Anthony, bien qu’il sembla lui aussi avoir été secoué émotionnellement, avant de parvenir à son tour au deuxième étage.

Il resta un instant sans voix et comme paralysé devant la scène qu’il découvrit.

 

Anthony ruisselant de sueur, le teint rouge comme un radis, le t-shirt maculé par endroits d’une substance noirâtre qui ressemblait à du sang coagulé tenait serré contre lui une Julia qui tremblait de tous ses membres et avait le teint beaucoup plus pâle qu’à l’ordinaire.

Johann remarqua que ses vêtements étaient aux aussi tâchés de la même substance visqueuse. À en juger par la petite flaque humide et malodorante à ses pieds, oùse mélangeaient des gâteaux apéritifs pas encore digérés et ramollis ainsi que de la bile marron-claire, ses lèvres couvertes de la même substance qui commençait un peu à sécher et lui coulait dans le cou jusque sur son haut, elle venait de vomir tripes et boyaux.

 

Elle semblait avoir extrêmement de peine à respirer normalement. Elle fixait le sol d’un air hébété, sans expression, comme si on l’avait vidée de toute vie. Elle avait lesyeux encore ruisselants de larmes, sa bouche entrouverte tremblotait en un mouvement répété, qui en d’autres circonstances aurait pu sembler presque comique, et elle était fréquemment prise de hoquets qui paraissaient incontrôlables.

Elle se tenait ainsi serrée contre Anthony qui avait passé l’un de ses bras imposants autour de sa taille comme pour empêcher ses jambes dangereusement flageolantes de se dérober sous le poids de son corps qu’elles semblaient supporter de plus en plus difficilement. De son autre main, le jeune homme caressait ses cheveux blonds, lui déposant de temps en temps en baiser sur le haut de la tête ou sur le front et lui murmurant de petits mots rassurants à l’oreille.

Louise se tenait de l’autre côté et avait pris dans les siennes la main de son amie qu’elle tapotait, essayant vainement d’arrêter les tremblements qui l’agitaient. Elle aussi perlait de sueur et le teint de son visage oscillait entre le rouge et une certaine pâleur par endroits, sa manche droite était partiellement déchirée et ses mains semblaient constellées de tâches noires et collantes.

 

Mais tout cela n’était certes rien à côté du macabre spectacle qui s’offrait aux yeux de Johann: Le corps de cette femme étendu à terre à un peu plus d’un mètre du trio, sa fine blouse blanche couverte d’hémoglobine séchée. Les mains inertes du cadavre semblaient étrangement pâles et desséchées, couvertes elles aussi de tâches noires et  des lambeaux informes de chair déchiquetée pendouillant de sous ses ongles sales.

 Le jeune homme réprima à grand peine son envie d’ajouter son propre apéritif à celui de Julia sur le sol à la vue de sa tête quasiment détachée du reste de son corps, qui n’était plus retenue que par quelques ligaments et qui, tordue dans une position grotesque, formait un quasi angle-droit avec son buste.

La blouse qu’elle portait avait les boutons du haut dégrafés et laissait ainsi apparaître un léger haut bleu-marine qui avait certainement du être très élégant avant d’être lui aussi souillé de la même substance noire et visqueuse et à n’en pas douter par la différence nette de couleur, de sang un peu plus frais également.

 Sa peau au niveau du cou et de la poitrine avait le même teint blême et torturé que ses mains et il en était de même pour cette tête qui sans trop qu’il sache pourquoi donnait pratiquement l’impression à Johann d’être en elle-même une sorte de corps étranger indépendant du reste. Les yeux ouverts étaient vides, sans aucune expression. Sa bouche était tordue en une horrible grimace de clown maléfique découvrant des dents oscillant entre le pourpre et le grenat et dégageant une horrible puanteur.

Johann ne l’avait pas remarqué tout de suite mais en s’approchant un peu plus, il eut un nouveau haut le cœur et se sentit faiblir. Ce qui devait autrefois être un homme brun d’une quarantaine d’années, baignaitdans des flaques rouges qui commençaient à s’épaissir, des restes de tripes visiblement arrachées avec une extrême sauvagerie lui ressortant du ventre.

L’odeur de la récente éventration conjuguée à celle qui dégageait de la pourriture quasi-sans- tête l’obligea finalement à faire brusquement volte-face, détournant le regard, et à mettre son poing devant sa bouche en faisant un effort surhumain au niveau de la contraction de son abdomen pour ne pas vomir lui aussi.

Là encore il y parvint de justesse mais ne put se résoudre à se tourner à nouveau vers cette affreuse vision. Il avait à présent le regard fixé sur Alix, presque aussi blême que l’horreur qui gisait à terre. La jeune femme s’était remise à trembler de tout son corps, paraissait lutter pour ne pas s’évanouir et semblait incapable de bouger et encore moins de parler.

 

Johann qui lui aussi semblait être momentanément entré dans un état d’hébétude fut ramené à la réalité par des mains qui se posèrent doucement sur ses épaules. D’instinct, il sursauta et son rythme cardiaque s’accéléra encore. Par réflexe, il se retourna d’un coup pour entrevoir comme dans un rêve Louise qui s’était avancée vers lui, laissant Julia toujours sanglotant dans les bras de son ami qui tentait encore de la rassurer. Elle gardait les mains posées sur ses épaules et on n’aurait pas très bien su dire si elle cherchait à le réconforter ou à essayer d’oublier le choc qu’elle venait elle-même de vivre.

 

-Ca va! Parvint-elle à articuler dans un souffle qui lui parut sourd et étouffé, à la limite du rauque. On a rien, rien du tout! Il a juste fallu qu’on fasse ce qu’il fallait pour nous défendre.

Sa voix semblait rocailleuse et encore essoufflée.

 Johann remarqua que son bras droit tremblait de manière incontrôlable mais il ne put s’empêcher de répondre du tac au tac, semblant par magie retrouver l’usage de ses cordes vocales.

 

-Qu’est ce qui s’est passé? C’est ...cette chose par terre qui vous a attaqués? Avec Alix on en a trouvées trois comme ça…chez les voisins là…..je crois bien que c’était eux, qu’ils se sont transformés en….en ces trucs.

Louise eut un brusque mouvement de la tête en entendant cela et un éclair de panique et de dégout passa pendant un quart de secondes dans ses yeux mais l’instant d’après sa voix se fit beaucoup plus sonore, bien que paraissant encore enrouée et elle lâcha dans un souffle.

-On est entrées chez lui car la porte n’était pas verrouillée.On entendait que des gémissements et des bruits de pas. On pensait qu’il était en plein shoot ou un truc du genre, comme on a entendu un bruit de chute on a cru qu’il était tombé, on a pensé qu’on devait faire quelque chose rapidement, on est entrés et on a allumé la lumière….

 

Elle s’interrompit un bref instant pour reprendre son souffle. Derrière elleni Julia ni Anthony ne semblaient suivre la conversation. Le jeune homme étreignait toujours son amie dans ses bras vigoureux et elle continuant de pleurer, de trembler comme une feuille et de tenir des propos incohérents.

-Et ensuite continua Johann c’est lui qui vous a attaqués?

-Non il était déjà mort, dans le même état que tu l’as vu en arrivant et cette…horreur là continua t’elle en désignant la femme quasi-décapitée d’une main secouée de spasmes, était agenouillée devant lui, les mains plongés dans son bide, couvertes de sang et d’organes, la bouche dégoulinante et elle s’est approchée de nous dés qu’elle nous a vus.

Louise marqua une nouvelle pause et semblait exténuée, raconter ce qui s’était passé sembler lui demander un effort important.

-On lui a crié plusieurs fois de rester ou elle était, de ne pas approcher, en essayant d’être fermes, malgré ce qu’on venait de voir. Elle n’a jamais semblé entendre quoi que ce soit, elle continuait d’avancer vers nous les bras tendus, dans la même démarche titubante.Elle est arrivée tout près et elle a fait claquer ses mâchoires dans le vide comme pour nous mordre. Après ce qu’elle avait fait à ce mec on a tous eu le réflexe de faire un bond en arrière! Dans le feu de l’action Anthony a essayé de lui chopper le bras pour l’immobiliser. Le truc c’est qu’elle n’avait, semble t’il, aucun équilibre dans les jambes, elle s’est cassé la figure à nos pieds mais avant qu’on ait pu réagir elle a choppé à son tour la cheville d’Anthony et a bien failli le mordre.

 

A ce moment une autre voix s’éleva, tremblante, chevrotante mais parfaitement claire et tout le monde parut légèrement surpris, ne s’attendant visiblement pas à ce que Julia soit en état de raconter quoi que ce soit de logique ni qu’elle ait en fait assez bien suivi la discussion.

 

-A ce moment-là je suis devenue comme folle, je lui ai balancé mon pied en pleine gueule plusieurs fois. J’ai du lui briser le cartilage du nez et lui péter au moins trois dents mais elle avait vraiment l’air de s’en foutre totalement, c’était ça le plus horrible, et en voyant ça, j’étais de plus en plus furieuse et paniquée….

 

Elle avait courageusement donné une part de son récit mais ne semblait à présent plus capable d’aller plus loin, elle se remis à pleurer et tomba à genou.Anthony amortit sa chute au dernier moment en plaçant avec une douceur infinie ses mains puissantes sous ses épaules et il l’enlaça de nouveau en l’embrassant tendrement sur le sommet de la tête.

 

-Comme cette saleté ne paraissait pas sentir les coups j’ai tenté à mon tour de virer sa main de la cheville d’Anthony mais elle s’accrochait vraiment et paraissait décider à mordre dans sa chair.

Finalement, j’ai fini par réussir en lui brisant une partie du poignet au passage….d’après le craquement que j’ai entendu et Anthony lui a envoyé sa godasse en plein bide mais même ça elle n’a pas eu l’air de le sentir. Je la tenais par un bras, mais mal semble t’il puisqu’elle a réussi à se retourner vers moi dans l’autre sens. Rien eu le temps de voir venir! Elle a approché sa gueule puante et pleine de résidus de mon cou en grognant d’une manière horrible ….j’ai bien cru qu’elle allait me mordre et m’arracher toute la gorge. Si tu n’avais pas été là ma p’tite cavalière!

 

Julia redoubla de sanglots et de tremblements, Anthony sembla lui murmurer quelque chose qui ressemblait à « Tu as fais ce qu’il fallait! » mais on pouvait voir dans ses yeux qu’il avait lui même été bien sonné par cette histoire.

-Quoi, qu’est ce qu’il y a eu ensuite? demanda Johann d’une voix légèrement inquiète. Julia c’est toi qui l’as?

La jeune femme laissa échapper un petit couinement qui ressemblait au cri de douleur d’une souris qu’on écrase sous une chaussure et articula d’une voix secouée par les pleurs.

-Je….je n’ai pas réfléchi. Je la voyais s’approcher de Louise et elle l’aurait sûrement mordue alors je me suis jetée sur elle et je lui ai mis mon poing en plein visage de toutes mes forces. Sous le coup elle a lâché prise et perdu l’équilibre alors je l’ai empoignée par le col….je voulais lui faire mal, je voulais qu’elle souffre et c’était horrible de voir que rien ne semblait l’atteindre alors sans lui laisser le temps de se reprendre je l’ai poussée aussi fort que je pouvais vers le côté opposé de la pièce et là….elle est de nouveau tombée au sol, sa tête l’a heurté de plein fouet et s’est presque détachée du reste de son corps. Je l’ai vue rouler sur le côté opposé et s’arrêter les yeux fixés sur moi, j’ai eu l’impression qu’elle me narguait qu’elle me disait « Alors tu t’es bien défoulée, tu as eu ce que tu voulais, tu es fière de toi j’espère? ».

 

Julia se tut et enfouie sa tête dans ses mains, recommençant à sangloter.

Louise s’agenouilla près d’elle et les lui prit dans les siennes, essayant également d’essuyer ses yeux avec sa manche elle jura être parvenue pendant une demi seconde à lui faire décocher un sourire d’amusement entre deux sanglots.

-Ecoute ma belle, tu n’as rien fait de mal et tu n’as rien à te reprocher, tu as vu ce qu’elle a été capable de faire au voisin…..en plus il est bien possible que tu m’aies sauvée miss! Un peu plus et cette horreur me découpait la gorge, vu son précédent chef d’œuvre je n’ose imaginer ce qui se serait passé si elle avait touché un organe vital.

A son tour elle serra son amie dans ses bras, Julia sembla s’apaiser très légèrement mais restait toujours aussi pâle et tremblante, elle se contenta d’acquiescer sans pouvoir répondre en regardant furtivement Louise avant de contempler à nouveau le sol.

 

-Nom de dieu mais c’est quoi ça, qu’est ce qui s’est passé ici?

 

La voix de Séb, partagée entre horreur et stupéfaction, venait de retentir à leurs oreilles.

Louise se retourna et aperçut le reste de leur petit groupe. Séb et Ophélie en tête se tenaient un peu en arrière sur le palier, non loin de Johann et Alix. Ils étaient suivis de près par Emilien qui semblait se mettre sur la pointe des pieds pour mieux voir, car malgré sa taille, Johann qui était plus grand encore se tenait juste devant son champ de vision.

 Muriel fermait la marche, tenant par la main le petit Axel qui semblait interloqué.

Louise l’entendit murmurer.

 

-Qu’est ce qu’il y a, il s’est passé quelque chose de grave?

Johann sembla l’entendre également car il parut avoir reçu une décharge électrique.

 Il se précipita vers l’escalier d’un air affolé.

 

-Muriel cria t’il d’un ton alarmé, il ne faut pas qu’il voie ça, Axel ne regarde pas s’il te plaît! Le mieuxce serait que vous retourniez dans l’appart’ tous les deux pour l’instant. Mais Louise l’interrompit soudain.

-Johann excuse moi je sais que je n’ai pas d’ordres à te donner mais je pense vraiment qu’il est plus prudent que nous restions en groupe et qu’on ne laisse pas une ou deux personnes isolées, surtout un enfant comme Axel.

-Mais pourquoi qu’est ce qu’il y a qu’est ce qui se passe. Le petit bonhomme faisait des efforts désespérés pour se libérer de l’étreinte que Muriel exerçait doucement mais fermement sur son petit bras. Celle-ci semblait décidée à ne pas céder et conformément à ce qu’avait demandé Johann elle lui cacha les yeux de son autre main.

 

-Putain mais c’est quoi ce foutu bordel? reprit Séb effaré en contemplant à son tour l’horrible spectacle.

 Louise qui voyait que Julia n’aurait pas la force de tout raconter de nouveau résuma grosso-modo aux nouveaux arrivants ce qui venait de se produire, interrompue quelquefois par une exclamation étouffée ou un petit cri d’horreur vite réprimé. Les autres semblèrent aussi choqués et abasourdis qu’eux.

-Mais attend! s’exclama Séb se tournant soudain vers Johann et Alix et semblant comprendre quelque chose. Quand je vous ai vu tout à l’heure revenir paniqués de chez les voisins ne me dites pas que…..

-Si! coupa le jeune homme, nous aussi on a bien failli se faire déchiqueter par des monstres du même genre et le pire c’est que je crois bien qu’il s’agissait des voisins en question.

Il y eut un silence encore plus terrible que tout ce qui venait de se passer jusqu’ici, un silence empreint d’une terreur sans nom, d’une angoisse ignoble qui semblait se refermer autour du petit groupe comme un piège sur un rat.

 

-Mais qu’est ce qui a bien pu se passer? Coupa soudain Johann dans un souffle qui était proche du murmure. Qu’est ce que c’est que ces saloperies?

Le silence lui répondit, personne ne semblait avoir la force de prononcer une parole. Pendant plusieurs dizaines de secondes, d’horribles secondes, on n’entendit aucun autre son que la respiration saccadée de Julia, toujours étroitement blottie dans les bras d’Anthony qui continuait de lui caresser tendrement la tête, bien qu’il paraisse lui-même assommé.

Tous s’étaient immobilisés comme pétrifiés et regardaient sans mot dire avec la même expression de dégoût, d’horreur et d’incrédulité la carcasse puante de la femme qui gisait à terre et la cadavre atrocement mutilé de l’homme un peu plus loin.

 

De temps à autre le jeune Axel, dont Muriel avait enlevé la main de devant les yeux mais tenait à présent serré contre elle en lui tournant la tête lorsqu’il essayait de regarder dans le mauvais sens, tirait avec avidité sur la manche de cette dernière et semblait vouloir poser des tonnes de questions. A chaque fois cependant, la jeune femme secouait énergiquement la tête de gauche à droite avec un regard appuyé et ferme à son intention. Il était très clair qu’elle était totalement d’accord avec Johann pour empêcher le garçonnet de voir ce répugnant spectacle et pour en parler le moins possible devant lui.

 

-Dites!

La voix qui venait de rompre ce silence de mort, oppressant et sournois, tel un cobra hypnotisant ses proies pour mieux les paralyser de peur et les frapper ensuite, était sourde et enrouée comme si elle appartenait à quelqu’un qui n’aurait pas parlé depuis des mois. Instinctivement tout le monde sursauta légèrement et tous se tournèrent vers Emilien. Le visage de celui-cisemblait déconfit, interdit, on aurait dit qu’il venait de se faire lobotomiser, ses yeux étaient vagues et obstinément fixés vers le sol et lorsqu’il recommença à parler sa voix gardait le même timbre dur et éteint.

 

-Vous pensez que tout ça aurait un rapport avec les autres trucs bizarres qui se sont produits ce soir? Les lignes d’urgences injoignables tout ça… La bonne femme ici, les voisins, vous croyez qu’il pourrait y en avoir d’autres, qu’il puisse s’agir de…d’une maladie ou quelque chose comme ça qui se soit déclaré en ville, que le personnel médical ait du être mobilisé en masse, que les flics aient du intervenir aussi?

 

Pendant quelques secondes, personne ne répondit puis Séb prit la parole à son tout d’une voix toute aussi horrifiée et incrédule que celle du jeune homme.

-Une maladie? Putain je ne sais pas mais quelle maladie pourrait bien transformer des gens en saloperies pareilles, rien que d’avoir entendu ce qui s’est passé avec elles et de voir ce qui est arrivé à ce pauvre type….

-C’est vrai que ça collerait assez aux événements. Ça expliquerait tout ce délire avec les numéros de téléphoneet compagnie, rétorqua Johann comme s’il avait du mal à croire lui-même à ce qu’il disait mais que ça lui paraissait cependant la seule explication logique.

 

Julia avait cessé de sangloter et bien que sa respiration était encore bien rapide, elle semblait commencer à se calmer un peu. Dans un effort qui parut quand même lui coûter beaucoup d’énergie elle tourna la tête vers le jeune homme.

-C’était un petit gros presque chauve et une bonne-femme grisonnante que vous avez vus dans la maison?

Johann acquiesça d’un air un peu absent

-Alors c’était bien nos voisins qui se sont transformés en ces saletés et qui vous ont attaqués.

-Mais comment ça transformés? Alix paraissait elle aussi avoir retrouvé l’usage de la parole et  tremblait légèrement en parlant d’une voix qui trahissait la terreur la plus totale. S’il s’agit vraiment d’une maladie, c’est vraiment complètement fou. Qu’est ce qui peut bien leur donner une telle agressivité, les pousser à attaquer des gens comme ça et à essayer de les dévorer? Et vous avez vu l’horrible teinte que ça leur donne, les cris affreux qu’ils poussent, qu’est ce que c’est que cette horreur bon sang?

 Elle dut s’appuyer contre la rambarde de l’escalier pour ne pas tomber à genoux et semblait avoir du mal à se calmer.

 

Le silence qui régnait un instant plus tôt fut tout à coup remplacé par un concert de murmures. Chacun semblait retrouver un peu le courage d’échanger ses impressions, à moins que le besoin ne se soit fait sentir pour ne pas laisser l’angoisse gagner l’assistance de parler pour évacuer la tension et pour se rassurer les uns les autres.

 

-Tu crois que ça pourrait être un virus genre vache-folle qui aurait muté? Que la contagion vienne d’un truc alimentaire genre farines animales ou autre saloperie de ce genre?

 

-En tout cas ça a forcément un rapport avec les appels infructueux, ça a l’air sérieux, tu crois que c’est grave?

 

-Dites donc vous avez vu ce truc sur son cou? On dirait vraiment une morsure, tu crois que cette merde se transmet comme ça? Si c’est le cas on a vraiment eu du bol.

 

-Tu penses que c’est un virus qui est à l’étude en ce moment, peut-être bien que des gens contaminés ont été évacués vers des laboratoires d’études pour faire des examens approfondis, vous croyez qu’ils pourraient trouver un vaccin ou un antidote?

 

La conversation portait sur l’hypothèse de la mystérieuse maladie et allait bon train, chacun élaborant ses propres théories sur sa nature et sa possible apparition, sur les mesures qui devaient être prises en ce moment-même, sur l’épicentre, la taille de l’épidémie…….

 

-Ecoutez! s’exclama soudain Louise, parlant un cran plus fort que les autres personnes présentes. Je ne sais pas si ça sert à grand chose qu’on reste là cent sept ans à débattre sur le sujet! Pour l’instant on ne sait absolument rien sur ce qui s’est passé et ce n’est pas comme ça qu’on en apprendra plus. Vous ne pensez pas qu’on devrait bouger en ville pour essayer d’avoir des nouvelles plutôt que de commencer à psychoter en imaginant tout et n’importe quoi?

 

Il y eut à nouveaux des murmures inquiets, Alix regarda Louise comme-ci elle avait dit quelque chose d’affreusement obscène et sembla déglutir avec difficulté.

-Bouger en ville? Mais tu veux qu’on aille ou comme ça? On a aucune idée de ce qui se passe, de l’ampleur de ce truc, si c’est vraiment une maladie les flics sont peut-être en train de bloquer des quartiers entiers, si ça se trouve nous aussi on va se retrouver en quarantaine parce que ça s’est déclaré dans la rue.

- Pour l’instant on n’en sait rien! répliqua Anthony en essayant d’être aussi calme et posé que possible. Si les flics et les secours ne répondent pas c’est peut-être parce qu’ils sont surchargés d’appels concernant ce qui se passe, peut-être bien que si on allait au commissariat on nous expliquerait en détail la situation. D’ailleurs si effectivement d’autres gens ont signalé des trucs de ce genre ailleurs en ville on ferait bien le faire aussi, pour que la police et une équipe médicale puissent intervenir rapidement, que ça ne se propage pas. Vu comme ça je pense aussi que c’est ce qu’on a de mieux à faire.

 

Louise ne fit aucun commentaire et se contenta d’un signe de tête approbateur.

 Une petite voix dans sa tête lui souligna l’effet vaguement comique de la situation et malgré les circonstances elle ne put s’empêcher de songer que si les choses continuaient comme ça elle aurait bientôt besoin de noter le nombre de fois où Anthony et elle étaient tombés d’accord parce que ça commençait à en faire quelques-unes.

 

Muriel suggéra sans trop de conviction qu’une petite partie du groupe pouvait partir en reconnaissance et tenir les autres informés de la situation mais personne d’autre ne semblait trop emballé par cette proposition.

-Ah non ça va pas! En tout cas moi il n’est pas question que je reste ici en sachant qu’il y a encore certaines de ces saletés qui marchent et gémissent en attendant de se jeter sur nous pour nous bouffer à côté, répondit Alix comme si cela réglait la question.

 

-Je pense aussi qu’il ne serait pas très avisé au vu des événements de se séparer, ajouta Louise en essayant elle aussi de garder la tête froide malgré l’angoisse et la tension qui l’oppressaient également. Comme tu l’as fait remarquer, Alix, on ne sait absolument pas ce qui se passe, comment c’est arrivé et on a aucune idée de la gravité du problème ni des mesures prises par rapport à cela. Donc à mon avis jusqu’à ce qu’on en apprenne un peu plus en tout cas, il serait sage que l’on reste groupé.

 

Il y eut quelques vagues murmures d’approbation dans le groupe.

Axel tira de nouveau la manche de Muriel comme-ci il ne comprenait pas tout ce qui se passait et demandait plus d’explications. La jeune femme en guise de réponse lui passa ses deux mains dans les cheveux en un geste affectueux et lui posa un baiser qui se voulait rassurant sur le front. Elle lui lança un regard qui devait signifier « Ne t’inquiète pas mon chéri ce n’est rien » et pour l’heure le petit garçon parut s’en contenter.

 

-Bon ok ça marche! reprit Johann en essayant de prendre un air gaillard et positif. On repasse à l’appart’ prendre quelques trucs et on essaie d’avancer jusqu’au commissariat et on évite de laisser quelqu’un en arrière.

 

-Attend pourquoi ne pas essayer la gendarmerie proposa Emilien, la nouvelle qu’ils ont construit à La Roche est boulevard du maréchal Leclerc à trois rues d’ici si je me souviens bien.

Ce sera peut-être plus prudent de faire moins de route vu qu’on ignore tout de l’étendue de ce machin.

 

-Effectivement ce n’est pas une mauvaise idée! renchérit Anthony qui paraissait un peu rassuré de ne pas devoir prendre de gros risque en allant jusqu’en centre-ville.C’est certainement plus sûr et….

 

Il fût interrompu par un horrible gargouillis doublé d’un gémissement étouffé et sifflant comme un gonfleur de matelas pneumatique usé, un bruit affreux de suffocation et de râle.

Tout le petit groupe sursauta de nouveau et plusieurs d’entre eux poussèrent un cri de surprise en bondissant légèrement en arrière.

 

 Julia poussa un hurlement bref et suraigu, son visage prenant de nouveau une teinte de craie tandis qu’elle recommençait à trembler en se tenant la tête de ses mains comme-ci elle avait eu peur de la voir tomber aussi.

 Anthony dut déployer un effort considérable, malgré sa musculature pour l’empêcher de tomber car ses genoux semblaient l’avoir complètement lâchée. Elle fixait avec horreur le corps de la femme devant elle et semblait ne pouvoir en détacher son regard.

 

-Oh mon dieu! sa voix n’était plus qu’un murmure sans vie et elle paraissait lutter pour ne pas tourner de l’œil.

 

-Bon sang c’est pas vrai, c’est impossible!

 Anthony tout aussi effaré et médusé regardait lui aussi la créature avec répugnance mais une peur de plus en plus intense semblait voir le jour dans ses yeux.

 

Il n’était d’ailleurs pas le seul: tous avaient maintenant le regard braqué sur l’horrible tête du monstre qui était sortie de son inertie et était à présent secouée de spasmes et de mouvements de lèvres désordonnés.

 Sous l’effet de la sidération et de l’horreur Muriel en oublia même de couvrir de nouveau les yeux du petit Axel et celui-ci était maintenant, lui aussi, hypnotisé par le terrifiant et incroyable spectacle qu’aucun enfant de cet âge ne devrait être forcé de voir.

 Cette tête penchée sur le côté, reliée au reste du corps par seulement quelques ligaments qui semblaient très fragiles et peu solides et qui pourtant roulait des yeux fous et découvrait une rangée de dents jaunâtres et recouvertes de chair humaine séchée et sanglante.

 

Louise ne voulait non plus croire ce qu’elle voyait et pourtant elle ne pouvait que constater. Elle détourna le regard de cette effroyable apparition et malgré le bruit insoutenable que produisait la créature, une vague de lucidité parvint à son esprit. Deux idées très claires s’imposèrent à elle malgré ce qui se déroulait sous ses yeux.

Premièrement, il leur fallait retrouver leurs sens et ne pas traîner dans les parages. Ils allaient tous s’écarter et refermer cette porte pour ne plus entendre ces claquements de mâchoire dans levide et ce gémissement de noyé. Deuxièmement, devant cela les choses lui paraissaient plus graves qu’elle ne l’aurait imaginé et lui faisaient redouter le pire.

 

Une pensée folle lui traversa même la tête un court instant. Elle tenta de se reprendre en se disant qu’ils paniquaient déjà assez comme ça et qu’il était inutile de penser à une chose pareille. Iln’était pas indispensable d’en rajouter une couche mais ce qu’elle entendit tout à coup lui fit clairement comprendre que son intuition s’était hélas révélée exacte et une vague de terreur sans précédent lui parcourut l’échine.

 

C’est alors que tous lesautres, qui étaient restés fixés sur l’ignoble visage de la femme étendue qui avait soudainement repris vie, poussèrentde nouvelles exclamations bruyantes et alarmées et  portèrentcomme un seul leur regard sur le fond de la pièce. Louise, osant à grand peine lever à son tour ses yeux aperçut avec une horreur sans nom, le cadavre éventré et ensanglanté du voisin, en position mi- assise. Celui-ci, dont les tripes pendaient de son ventre jusqu’au sol, les regardait de ses yeux morts et laiteux et poussa un gémissement rauque et guttural en amorçant un ultime effort pour se remettre sur pieds.

 

 

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Merci une fois de plus à mon Bêta-Lecteur pour sa patience et ses conseils. Toutes mes excuses également aux lecteurs/trices pour le temps d'attente, j'ai vraiment été surbookée ces derniers mois. J'ai à présent davantage de temps pour écrire, vous n'aurez donc pas si longtemps à attendre pour le prochain chapitre je pense.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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