Soleil Couchant

Chapitre 5 : Terreur et Chaos

Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/09/2012 13:55


-Nom de Dieu! Vite on se casse d’ici, on redescend!

La voix d’Anthony avait résonné, à peine plus élevée qu’un chuchotement, enrouée, semblant presque éteinte sous le coup de l’horreur absolue et de l’ébahissement.
Pourtant, bien que presque entièrement noyée dans cette infernale cacophonie de plaintes sourdes et de claquements de mâchoires produits par les deux monstres, elle parut agir comme un coup de semonce sur le petit groupe, resté paralysé de stupéfaction et de dégoût pendant plusieurs secondes devant l‘ignoble spectacle.

Ce semblant d‘homme qui s’avançait maintenant vers eux de sa démarche titubante, bras tendus droit devant, un trou béant et dégoulinant de sang et d‘organes sectionnés dans le ventre. Cette femme au corps immobile, dont seule la tête fragilement reliée au reste, se mouvait en d’atroces et grotesques grimaces et claquements de dents, cherchant désespérément à atteindre les chevilles de quiconque passerait trop près d’elle.
Muriel avait pris Axel dans ses bras à la vitesse de l’éclair et commençait à dévaler les marches suivie de près par Séb et Ophélie.

-Non ne courez pas! La voix de Johann, très vive et terrifiée venait de retentir dans toute la cage d’escalier.

Ils se tournèrent vers lui, ralentissant l’allure mais sans cesser de descendre.
 
-On a aucune idée de l’étendue de ce bordel et on ne sait pas combien de ces saloperies il y a dans l’immeuble. Ces trucs sont vraiment lents, pas la peine de courir et de faire plus de boucan qu’il n’en faut. On va pas prendre le risque d’en attirer d’autres. Surtout on ne panique pas, on retourne tranquillement vers l’appart’, le plus calmement possible!

Il parlait vite car la situation l’exigeait mais semblait malgré tout s’efforcer de conserver son sang-froid et de ne pas créer plus de terreur qu’il n’y en avait déjà. Rapidement, tous se retrouvèrent donc à rebrousser chemin vers l’étage inférieur.

Johann attend une seconde!
 
La voix d’Alix venait de retentir, claire et nette bien que rendue tremblotante par la peur et le désir visible de partir d’ici le plus vite possible.

Alix se trouvait encore sur le palier du deuxième étage avec Louise et Emilien qui fermaient la marche. Anthony venait de leur passer devant, soutenant Julia qui semblait la plus choquée par ce qui venait de se produire et qui, bien que la situation ait semblé lui redonner la force de bouger, semblait avoir encore bien de la peine à se tenir debout ou à marcher droit.

-Alix bon sang! Johann répondait précipitamment en continuant de descendre. C’est pas le moment de discuter des heures là! Ces trucs sont lents et on a largement le temps de redescendre à l’appart’ mais ce n’est pas une raison pour traîner non plus, c’est comme ça qu’on a failli se faire niquer avec les autres en bas!

-Justement, fermons la porte. Ils n’ont pas su actionner le mécanisme tout à l’heure. Je ne sais pas ce que ça donnerait avec une poignée, mais à mon avis si on ferme à clé ils ne pourront tout simplement pas sortir. La bonne-femme a l’air incapable de se relever et ça m’étonnerait que l’autre arrive à la défoncer tout seul.

La voix de Johann parut encore plus terrifiée comme-ci il avait peur qu’elle soit vraiment folle et qu’elle ne se jette elle-même dans la gueule du loup.

-Putain Alix arrête tes conneries là! Descend et grouille toi, ça sert à rien de prendre des risques inutiles!

-Mais……

Avant que quiconque n’ait pu réaliser quoi que ce soit, Louise avait soudainement bondi de la marche inférieure où elle venait juste de poser les pieds et Alix la vit, sans le réaliser immédiatement, se ruer dans l’appartement en prenant bien soin de passer le plus loin possible de la femme en blouse. Celle-ci, toujours à terre, la fixait maintenant de ses yeux morts en continuant de claquer des mâchoires dans le vide.

La jeune femme disparut ensuite de son champ de vision. Elle se trouvait maintenant du côté droit du petit hall d’entrée dont la visibilité était masquée par le mur du palier et Alix entendait nettement des bruits de papiers et de petits objets métalliques.
Le voisin ou ce qu’il en restait semblait lui-aussi l’avoir remarqué et avait tourné la tête vers elle, modifiant un tantinet sa direction. Il s’avançait à présent de la même démarche de soulard en poussant un grondement caverneux et en découvrant toutes ses dents.

-Ca y est je l’ai trouvée! S’exclama Louise à l’intérieur de l’appartement.
-Bon sang Louise fais gaffe!
Le cri de panique qu’Alix venait de pousser fit grogner la tête de la femme qui gisait sur le sol, visiblement irritée elle semblait presque vouloir détacher complètement son crâne du reste et fondre sur elle pour mordre dans sa chair.
La jeune femme savait qu’il lui serait impossible de l’atteindre mais elle s’imaginait à présent comme dans un horrible rêve éveillé, des pattes d’arachnide sortant de cette horrible tête qui fonctionnerait désormais comme un organisme indépendant et fondrait sur elle d’une démarche de tarentule face à une proie particulièrement appétissante.

Le cri de surprise et de dégoût qu’elle entendit chassa cette horrible vision de son esprit.
Louise venait de réapparaître devant ses yeux, à deux mètres de la porte d’entrée. Elle tenait fermement les deux bras du voisin gémissant, qui venait vraisemblablement d’essayer de la saisir au cou pour la mordre. Elle semblait se débattre avec difficulté pour le repousser, ce qui n’avait rien d’étonnant car son corps semblait encore suffisamment bien constitué pour résister à ce genre de tentative.

Le monstre avait le regard vide et terne rivé sur la jeune femme et tentait d’approcher son visage de sa gorge en faisant claquer ses mâchoires dans un horrible bruit sec. Louise ne pouvait visiblement pas se servir de ses mains pour donner des coups, car trop occupée à tenir hors d’atteinte les bras de la créature.
 Elle ne pouvait risquer qu’il ne l’empoigne si elle lâchait prise et il paraissait délicat également pour elle de se défendre avec ses jambes, le moindre faux mouvement pouvant la faire chuter avec l’homme et donc risquer de nouveau la morsure. Etant donné sa position, elle devait fournir de gros efforts pour ne pas perdre l’équilibre.

Alix fut, pendant un quart de seconde, frappée par l’horreur de cette vision et crut que le pire était arrivé. Cependant, presque d’instinct, elle décida ensuite de tenter le tout pour le tout.

-Hé pourriture! cria-t-elle en s’avançant d’un pas vers l’entrée. Viens donc par ici j’ai beaucoup plus de viande à t’offrir!
Elle disait n’importe quoi mais c’est tout ce qui lui était venu pour tenter de faire diversion en captant l’attention du monstre ailleurs.

Pendant deux terribles secondes, la jeune femme pensa que tout était perdu et que sa tentative avait lamentablement échouée mais il finit tout de même par tourner la tête vers elle, oubliant sa première occupation et regardant maintenant Alix d’un air déboussolé voir un brin ahuri.
En le voyant ainsi et compte tenu du temps de réaction qu’il lui avait fallu pour percuter que quelque chose d’autre émettait des sons, la jeune femme ne put s’empêcher de penser que « décidément, ces saloperies avaient vraiment deux de tension quand même! ».

Et tandis qu’enhardie, elle agitait maintenant les bras, faisant de grands signes et continuant de crier à l’attention du monstre, ce dernier sembla pendant un bref instant hésiter, sans trop savoir si il devait s’intéresser à elle ou pas….mais sa rudimentaire intelligence n’eut guère le temps de se décider car profitant de ce répit. Louise venait de le repousser violemment, à hauteur des épaules, le plus loin possible de l’entrée. Elle y avait mis tant de force qu’elle faillit elle-même tomber à la renverse, se rattrapant de justesse sur le bord d’une petite table du hall.

La créature, quant à elle, perdit le peu d’équilibre qu’elle avait et s’affala sur le flanc gauche dans un bruit sourd et ponctué d’un gémissement rauque et étouffé.
Sans demander son reste, Louise se précipita vers la sortie.

-Nom de dieu attention!!!!!!!
Le beuglement d’Alix lui fit prendre conscience juste à temps que tout danger n’était pas écarté et elle eut tout juste le temps de faire un bref écart sur la gauche pour éviter d’extrême justesse les dents noirâtres de la femme en blouse qui se refermèrent dans le vide d’un bruit de castagnettes.

-Nom de dieu!
Louise n’avait pu retenir une exclamation
- Je l’avais oubliée celle-là, dans le feu de l’action!

Elle venait de franchir le seuil et referma la porte d’un coup sec, tournant dans la serrure la petite clé d’acier qu’elle avait récupérée sur un meuble du hall.
Avant elle eut juste le temps d’entrapercevoir le voisin tentant péniblement de se remettre sur pieds et l’horrible visage de la femme qui les avait suivies des yeux et semblait se résigner à regarder son repas lui échapper. Puis les grognements sourds et rauques leur parvinrent, assourdis par la porte fermée, comme si les deux monstres étaient contrariés de n’avoir pas pu se régaler d’un bon repas de chair humaine nouvellement débarquée pour le festin.
 
D’instinct, Louise et Alix tombèrent dans les bras l’une de l’autre, tremblantes et le cœur battant la chamade tandis que les horribles plaintes continuaient de retentir
derrière la porte.

-Ca va ma grande?
La voix d’Alix était aussi sourde que les grondements de ces horreurs et elle était si pâle qu’on l’aurait aisément confondue avec l’une d’elles de loin.

Louise se contenta d’acquiescer en la regardant dans les yeux. Elle semblait davantage contrôler ses nerfs mais elle était elle aussi avait pris une teinte bien plus blanche qu’à l’ordinaire et ses jambes tremblaient violemment, semblant menacer de céder sous son poids.

-Putain mais t’es complètement malade! Tu as failli y rester sérieux, on a vraiment pas besoin de ça miss!

Louise tourna la tête vers la cage d’escalier, tous avaient stoppé net leur course, vraisemblablement lorsqu’ils avaient compris ce qu’elle était en train de faire,
et semblaient encore pétrifiés d’angoisse et de terreur impuissante.
Johann qui venait de parler avait une voix ou la panique était bien plus évidente encore que la colère. Cela ne lui ressemblait guère lorsqu’on connaissait bien le bonhomme: Toujours d’un optimisme naturel, plutôt calme et posé, sans prises de têtes….il fallait vraiment qu’il ait eu peur pour se mettre dans cet état.

-Tu voulais nous faire quoi là, jouer les héroïnes? Alors que t’as déjà failli y passer tout à l’heure, que nous aussi en bas on a eu vraiment chaud aux fesses….franchement ça servait à quoi de faire ça alors qu’il suffisait qu’on redescende à l’appart’? Niveau vitesse on avait largement l’avantage!

Louise se sentit à la fois vexée et un peu en colère en entendant cette remarque. Certes ce qu’elle venait de faire était imprudent et elle avait clairement failli se faire tuer mais en même temps elle avait à présent réglé le problème immédiat des deux monstres et ils pouvaient à présent tous redescendre sans paniquer.
Et puis merde: elle n’avait jamais voulu « jouer les héroïnes », elle avait agi à chaud sans vraiment réfléchir, mais vraiment pas pour épater la galerie.

-Attend! Tu peux me dire comment on aurait fait pour en ressortir de l’appart’ si on avait laissé ces merdes nous coller au cul? Tu crois vraiment que j’ai voulu me rendre intéressante, dans une situation pareille?

Johann sembla un peu gêné et bien qu’il garda un visage empli de reproches et de peur qui commençaient tout juste à s’estomper, il parut aussi un peu embarrassé de s’être si vite emporté.

-Bon écoute on ne va pas se crier dessus hein. Je disais juste que j’ai vraiment eu la pétoche pour toi et que ce n’était pas hyper raisonnable.

-Johann a raison intervint Anthony qui avait toujours un bras autour des épaules de Julia et la regardait de la même expression ou se mêlaient frayeur et colère. On est plusieurs à avoir failli y laisser nos vies et tu en faisais partie. Je veux bien prendre le maximum de précaution pour nous protéger de ces saloperies mais se jeter dans la gueule du loup sur un coup de tête comme ça c’est vraiment inconsidéré. Julia t’a sauvé la mise tout à l’heure.

Il lui jeta à ce moment-là un regard flamboyant comme s’il lui
reprochait que sa petite amie soit en état de choc à cause d’elle.
Il lui jeta à ce moment là un regard flamboyant comme si il lui reprochait que sa petite amie soit en état de choc à cause d’elle.

-Et Alix aussi à l‘instant viens de te sauver la peau, si elles n’avaient pas été là tu aurais vraiment pu te faire tuer connement!!

Louise semblait à présent furieuse, l’état d’angoisse et de tension qui avait suivi l’épisode de l’appartement semblait l’avoir quitté et son visage reflétait maintenant une colère contenue.

Quiconque était ami avec elle depuis longtemps pouvait savoir, rien qu’à en juger par l’expression noire de ses yeux et ses joues prenant une teinte légèrement rouges, qu’elle était à deux doigts de laisser éclater sa fureur.
 Celle-ci n’exploserait peut-être pas avec de gros éclats de voix, mais donnerait lieu à coup sûr à une session d’explications musclées et sans le moindre velours. Elle n’en eut cependant pas immédiatement le loisir car quelqu’un d’autre prit la parole.

-Arrête Anthony c’est nul d’accabler Louise comme ça! Je ne sais pas si c’était la meilleure chose à faire mais au moins maintenant on est tranquilles par rapport aux pourritures de là-haut. D’ailleurs si elle n’avait pas eu le réflexe de se précipiter dans l’appart’ c’est probablement moi qui l’aurait fait et que tu serais en train d’engueuler maintenant et c’est peut-être bien Louise qui m’aurait sauvée pour le coup.

Anthony prit une mine outrée et vexée en répliquant à la remarque d’Alix

-Et si cette saleté avait fondue sur toi dès que tu l’as appelée pour la distraire, si tu n’avais pas eu le temps de l’empêcher de t’atteindre tu aurais fait quoi tu peux me le dire? C’était de l’inconscience et je t’aurais dit la même chose si c’est toi qui avais risqué ta peau.

-Anthony stop!
Julia avait parlé d’une voix qui tremblait encore et n’avait pas recouvré son timbre normal mais qui était ferme et déterminée malgré tout. Elle venait de se tourner vers lui et le fusillait du regard.

-Franchement tu dis n’importe quoi! Tu oublies ce qui s’est passé avant? On a tous été inconscients et franchement dans ce genre de situation qui pourrait nous le reprocher? Ce n’était pas inconscient peut-être de tenter de raisonner cette bonne-femme alors qu’on avait tous les trois sous les yeux le voisin qui baignait dans son sang, qu’elle venait de déchiqueter?
Ce n’était pas inconscient aussi de ta part d’essayer de lui chopper le bras au risque de te faire mordre ou de la mienne de persister à la rouer de coups alors que je voyais que ça ne servait à rien et que je ne faisais que m’exposer au risque d’une morsure?

Pour la première fois Anthony eut l’air un peu penaud, son visage restait dur et rancunier mais il regardait à présent son amoureuse avec l’expression de quelqu’un qui ne sait plus trop qui penser.
-Attend ce n’est pas pareil! rétorqua-t-il un peu piteusement. Là c’était vraiment pas responsable, elle a risqué la vie d’Alix aussi et la tienne avant!

-Ah oui! Parce qu’elle ne l’a pas risqué pour tenter d’empêcher cette saloperie de te bouffer la jambe tout à l’heure? Tu l’as oublié ça!

Anthony ouvrit la bouche tel un poisson hors de l’eau mais ne sembla rien trouver à répondre. Effectivement il semblait évident qu’il venait de réagir de manière très impulsive, oubliant certains détails sous le coup de la colère et sûrement de la terreur.
Il baissa les yeux vers le sol, semblant un peu honteux mais toujours buté et marmonna quelque chose d’incompréhensible, plus pour lui-même semblait-il, en jetant à nouveau un regard noir en direction de Louise qui le lui rendit avec les intérêts et semblait prête à présent à se jeter sur lui.

- Tu m’accuse d’avoir mis Julia et Alix en danger? Peut-être bien mais toi aussi tu nous as mises en danger Julia et moi, mais alors quoi! Avec ce qui s’est passé on aurait dû se dire « Chacun se démerde! », ne surtout pas se mouiller pour ne pas risquer sa vie et abandonner les imprudents à leur sort?

Elle avait parlé d’une voix qu’elle essayait visiblement de pondérer et de rendre le plus calme possible, mais le léger tremblotement de celle-ci trahissait une exaspération et une impatience qui commençaient à grandir.

Anthony prit une teinte rouge-brique.
-Ce n’est pas ce que j’ai dit ! J’ai juste fait une remarque, la même que Johann avant moi. Ce serait bien de plus réfléchir avant d’agir inconsidérément et tu ne vas pas me faire le reproche d’avoir eu peur pour Julia!

Louise ferma les yeux un bref instant, se tenant d’une main à la rambarde de l’escalier. La fureur montante additionnée au reste de l’émotion et de l’angoisse de son face à face avec le monstre accentuait visiblement le tremblement incontrôlable de ses jambes et il paraissait lui être nécessaire de s’y retenir pour garder l’équilibre.
Elle semblait fournir un effort colossal pour ne pas laisser sa colère éclater à la figure de son interlocuteur et bien que celui-ci, trop occupé à lui lancer des regards de défi ne le remarqua pas, elle avait à présent le poing de sa main libre serré comme si elle y pressait une balle anti-stress.

-Je ne te reproche pas d’avoir eu peur pour Julia. Je trouve simplement que tu abuses en me reprochant d’avoir été imprudente alors que nous avons tous plus ou moins agi sans réfléchir. Pour le coup de la clé de l’appart’ il y avait vraiment urgence. J’ai pris une décision qui est ce qu’elle est. Tu as le droit de la trouver mauvaise ou inconsidérée, mais j’ai agi selon ce que j’estimais le mieux pour nous mettre en sécurité immédiate et franchement je n’ai pas envie qu’on en débatte pendant quinze jours sous prétexte que tu ne m’approuve pas. Ce qui est fait est fait et je n’ai pas envie de me justifier davantage, je pense que pour l’heure il y a plus important!

Anthony eut soudain l’air de quelqu’un qui vient d’avaler un énorme morceau de pain
et qui a bien du mal à le digérer.
 Ses joues prirent une teinte plus rouge encore, si toutefois c’était possible et il ouvrit la bouche, apparemment prêt à riposter de plus belle, mais Julia qui le saisit par le bras d’un geste un peu brusque, se dégageant vivement par la même occasion de son étreinte au niveau des épaules, ne lui en laissa pas le temps.

-Bon ça suffit, fin du débat et Louise a raison. On a franchement d’autres problèmes plus urgents en vue.

Le jeune homme se tourna vers elle, les yeux agrandis, l’air à la fois surpris et offusqué.
-Quoi! Attends, tu as vu comment elle me parle? On dirait qu’elle s’en fout des risques qu’elle a pris et qu’elle a fait prendre aux autres, alors quoi, une fois de plus c’est moi le grand méchant qui vais avoir tort et toi tu vas défendre ta meilleure amie c’est ça!

-Bon ça y est oui! Tu me fais quoi là, une nouvelle crise de jalousie possessive? Franchement je croyais que tu avais dépassé ça. A quoi ça t’avance de pester comme ça sur elle, tu peux me le dire? Tu crois vraiment que c’est le moment de se prendre la tête et de s’accuser les uns les autres d’avoir été irresponsables? On est cinq à avoir failli se faire bouffer la gueule par ces trucs. Si on avait pas pris des initiatives à tour de rôle, même inconsidérées ou imprudentes, peut-être bien qu’il en manquerait plusieurs à l’appel à l’heure qu’il est. Peut-être bien même que sans l’ « imprudence » comme tu dis, dont Louise a fait preuve selon toi, tu ne serais même plus là à l’heure actuelle pour lui faire des reproches! Parce que je ne sais pas si tu l’as remarqué mais elle s’est démenée comme une folle pour que cette saloperie en putréfaction te lâche la cheville.
 
La jeune femme marqua une courte pause et leva les yeux vers son amoureux en lui jetant un regard intense, décidé, comme si elle voulait le persuader qu’elle n’avait aucune intention agressive contre lui mais voulait tout de même lui faire entendre quelque chose de très important.

-Sérieusement Anthony sérieusement! Je t’aime et je suis très touchée que tu aies eu peur pour moi à ce point, le problème n’est pas là, mais de grâce….de grâce cesse de vouloir à tout prix trouver un responsable et d’agresser n’importe qui. Ce n’est vraiment pas comme ça qu’on trouvera une solution constructive à ce qui se passe!

Louise, malgré la délicatesse de la situation, ne put s’empêcher de ressentir une véritable bouffée de gratitude pour son amie.
Son indéfectible loyauté en amitié, même face à son petit ami lui allait droit au cœur.
 Bien qu’elle se sente tout de même un peu gênée d’être la cause d’une nouvelle dispute entre eux et, que Julia revienne sur le fait que c’était justement elle qui avait porté secours à son prince-charmant tout à l’heure, elle sentit sa colère diminuer considérablement.
 C’était comme si un ballon qui aurait été coincé quelque part en elle avait soudain été dégonflé aux trois quarts. Elle adressa même, malgré elle, un vague sourire de remerciement à la jeune femme qui hocha la tête avec connivence durant un quart de secondes.
Anthony quant à lui paraissait à la fois un peu honteux et en proie à une lutte intérieure qui semblait lui demander beaucoup. Son visage était tendu, encore bien rouge, ses yeux
étaient plongés dans ceux de Julia qui le regardait maintenant d’un air entendu mais où il y avait aussi quelque chose de vaguement suppliant. Elle semblait souhaiter de tout son cœur qu’il comprenne vraiment ce qu’elle venait de lui dire et qu’il prenne sur lui.

A le regarder, il semblait estimer que son amie avait raison, qu’il était tout de même allé trop loin et qu’il était effectivement puéril de se disputer ainsi, surtout dans une pareille situation, mais ses traits restaient durs et obstinés malgré tout. Ceux-ci révélaient l’entêtement bien connu qui était le sien et qui rivalisait avec celui de Louise.
On devinait sans trop de peine qu’une part de lui refusait, par fierté poussée à l’extrême, de reconnaître totalement ses erreurs.
Il finit tout de même par répondre, en levant les yeux vers Louise sans toutefois la regarder droit dans les yeux.

-Bon….c’est vrai que je me suis emporté pour rien, je m’en excuse! J’étais à cran moi aussi à cause de l’attaque et tout. C’est sûr qu’on a pas besoin de ça et j’avais pas à te parler comme ça donc bon…mais ce serait bien qu’on soit tous plus vigilants à l’avenir.

Louise, qui s’avoua pour elle-même qu’elle n’aurait vraiment pas pu retenir sa fureur davantage sans l’intervention opportune de Julia et que les choses auraient vraiment pu dégénérer pour tout le monde, hocha la tête d’un air grave tandis qu’ils se regardaient à présent dans les yeux avec la même expression à la fois lasse et un peu embarrassée.

-Je ne dis pas le contraire, je crois que si on doit encore avoir affaire à ces machins avant d’atteindre un lieu sûr. On a tous à apprendre de ce qui vient de se passer et on doit vraiment ne pas céder à la panique et garder la tête froide. Je parle aussi pour moi bien entendu!

Anthony hocha la tête à son tour d’un air solennel.
-Bon on oublie ça?

-D’accord on oublie. De toute façon je pense qu’on a tout intérêt à rester soudés les uns, les autres jusqu’à ce qu’on en sache plus sur ce qui se passe, alors passons l’éponge!
Anthony eut un nouveau hochement de tête et Louise jura qu’il lui avait presque sourit.

-Bon si tout est réglé on peut peut-être se grouiller de repasser à l’appart avant de se casser ailleurs!
J’ai pas envie d’attendre qu’une autre charogne ne débarque sans crier gare pour venir se repaître des morceaux qu’on aura nous-mêmes répandus en se bouffant connement la gueule. Avouez que ce serait vraiment idiot qu’on leur facilite comme ça le travail!
Emilien, comme tous les autres, était resté sans rien dire pendant toute la durée de la prise de bec. comme les autres A leur instar, il avait préféré attendre que les choses se calment et, ainsi, éviter de se prendre une balle perdue. Comme les autres, Il s’était contenté de les regarder faire en échangeant des regards tantôt impatients, tantôt sidérés en voyant que malgré la gravité de leur problème certains trouvaient tout de même le moyen de s’engueuler.

Il venait de parler d’un ton à la fois blasé devant la dispute qui venait d’avoir lieu et un brin moqueur, comme s’il cherchait à détendre un peu l’atmosphère.
Cela sembla d’ailleurs fonctionner car, aussi étonnant et inapproprié que cela puisse paraître en de telles circonstances, tout le monde éclata d’un rire sonore et libérateur. Même Anthony qui un instant plus tôt semblait encore un peu contrarié et embarrassé par ce qui venait de se produire se mit à rire aux larmes avec les autres. Il se tourna vers Julia qui semblait avoir complètement oublié leur dispute et échangea avec lui un tendre baiser, consentant à le laisser remettre son bras autour de sa taille cette fois-ci.

L’hilarité générale était pour beaucoup, Louise le savait fort bien, liée aux nerfs qui lâchaient et à la pression des attaques qui retombait mais cela faisait un bien fou.
Des râles courroucés et le bruit de poings cognant avec insistance contre la porte à l’intérieur de l’appartement du deuxième leur rappela tout de même le danger imminent d’une potentielle autre attaque de créatures du même type et aussi qu’il leur fallait user de prudence. Il leur fallait donc se montrer discrets, même en parlant ou riant.

En file indienne, l’oreille aux aguets et en essayant de faire le moins de bruit possible, toute la petite troupe descendit jusqu’à l’appartement de Julia et Anthony. Personne ne parlait et la tension était partout palpable.
Chacun semblait s’évertuer à presser le pas en faisant toutefois le moins de bruit possible. Tous regardaient partout autour d’eux et se jetaient mutuellement des regards angoissés, communiquant par de petits signes discrets pour inciter celui de devant qui avançait trop lentement à accélérer un peu la cadence ou, au contraire, à ralentir s’il faisait trop de bruit ou bien encore, pour supplier celui qui semblait trop traînasser de ne pas moisir dans le coin.

A plusieurs reprises, ils furent nombreux à sursauter et étouffer des cris de peur et de surprise lorsque la plainte rauque des monstres enfermés dans là- haut devint plus forte et que les coups dont ils martelaient la porte augmentaient également en intensité.
Lorsqu’ils furent parvenus devant l’appartement, Emilien qui était sorti en dernier en fermant à clé se dépêcha de prendre cette dernière dans sa poche et de la faire tourner dans la serrure. La porte s’ouvrit à l’instant même où la cage d’escalier se retrouva plongée de le noir. Le temps de transition avait été quasi nul et un nouveau sursaut parcourut alors l’assistance. Un cri qui n’avait cette fois-ci visiblement pas pu être évité brisa le silence durant un quart de seconde.

-Merde la minuterie, j’ai eu une de ces frousses!
Johann avait parlé en chuchotant et il se passa plusieurs secondes avant que quelqu’un ne réponde.

L’état d’excitation et d’euphorie que tout le monde avait ressenti quelques minutes avant semblait maintenant s’être totalement évanoui laissant de nouveau place à la peur et la tension.
Anthony aida Julia qui paraissait toujours un peu secouée à franchir le seuil et Emilien leur emboîta le pas.
-Vite entrons! Murmura t’il alors que tous les autres se pressaient en file derrière lui.

-Les gens!

Johann qui fermait la marche de la petite troupe se retourna brusquement en direction de l’appel.
-Louise bon sang qu’est-ce que tu fous? Il faut qu’on se grouille maintenant, on prend quelques trucs et on s’en va en centre-ville. C’est pas sûr de rester dans le quartier vu ce qui s’est passé et plus on traîne plus on se met en danger.

Il avait parlé d’une voix un cran plus élevée qu’auparavant et il y transparaissait clairement l’impatience et l’angoisse de plus en plus prononcée.
La jeune femme quant à elle se tenait près de la vitre du palier, juste en face de l’appartement, elle regardait son ami fixement et lui fit soudain signe d’approcher.
-Viens voir ça putain!

Johann sembla hésiter un court instant mais il devait savoir d’expérience qu’il était inutile d’essayer de raisonner cette tête de mule lorsqu’elle avait une idée fixe car il s’avança d’un pas pressé vers elle.
-Quoi qu’est-ce qu’il y a? Je viens de te dire qu’il ne faut vraiment pas qu’on s’attarde ici, vu ce qui….
Louise le fit taire d’un geste impatient de la main et lui montra quelque chose qu’elle semblait voir par la vitre.
Johann, ne distinguant pas encore très bien d’où il se trouvait, se rapprocha encore jusqu’à sa hauteur et observa à son tour se figeant soudain sur place comme frappé par la foudre.

La rue, toujours aussi calme en apparence, était éclairée faiblement par quelques réverbères, il ne semblait pas y avoir âme qui vive et les deux imposantes maisons qui se trouvaient en face de l’immeuble étaient elles-mêmes plongées dans le noir le plus total.
En revanche en regardant par-dessus les toits, au loin quelque part en ville, quelque chose, une lumière aveuglante illuminait la nuit de manière lancinante comme un gigantesque projecteur qui n’aurait pas servi depuis longtemps et aurait quelques ratés mais aurait également gardé une puissance d’éclairage sans précédent.
On aurait dit qu’un stroboscope géant et avec une luminosité jaune-orangée avait été installé au coeur de La Roche.

-Qu’est-ce que vous faites? s’exclama soudain Muriel qui venait de rentrer dans le hall et s’était retournée vers eux.
Mais aucun des deux ne répondit, ils restaient face à la baie vitrée comme scotchés de stupéfaction devant ce spectacle. Johann ne l’avait pas vu dès le début mais il lui semblait à présent distinguer dans ce halo aveuglant des volutes de fumée noires s’élevant comme de sombres tornades en plein ciel.

-Johann, Louise vous allez……
-Chut! Coupa Johann d’une voix sourde écoute!

Il était impossible d’ouvrir la vitre qui n’était pas une fenêtre mais malgré tout avec un silence quasi-complet il était possible de distinguer des coups sourds, tels des explosions d’orage ou de feu d’artifice. Le bruit venait sans aucun doute possible lui aussi du centre-ville.

-Bon sang mais qu’est-ce que c’est que ce truc de fous!
Muriel les avait maintenant rejoints et parlait, elle aussi, d’une voix éteinte et ébahie.
Puis s’écartant soudainement de la vitre, Louise sembla retrouver ses facultés et arracha les deux autres à leur contemplation stupéfiée.
-Vite rentrons!

Se hâtant de rejoindre les autres dans l’appartement ils prirent soin de verrouiller derrière eux et avancèrent jusqu’au salon.
Louise remarqua que seule une petite lampe posée sur une étagère proche du hall avait été allumée. Visiblement personne ne tenait à alerter l’attention si d’autres monstres rodaient dans les parages et Louise leur en fut à tous très reconnaissante pour leur prudence.
 
L’heure était visiblement à l’empressement lorsqu’ils rejoignirent toute la petite bande dans le salon. Anthony qui avait sorti un petit sac de voyage était occupé à y entasser des piles de vêtements ainsi que quelques affaires de toilette et de couchage. Julia était assise non loin de lui, sur des chaises prévues pour le repas et, l’air toujours un peu choqué et absent, buvait à grandes gorgées ce qui semblait être un verre d’eau fraîche.
Alix et Ophélie avait récupéré chacune leur sac de voyage. Fort heureusement, elles ne l’avaient pas encore défait et n’avaient donc eu qu’à se préparer à partir avec. Louise songea que c’était également son cas et qu’elle était donc à peu près tranquille de ce côté-là.

-Bon nous autres les yonnais, forcément on est venus sans affaires de voyage alors je pense qu’il va falloir qu’on mise sur la générosité des touristes pour partager au niveau des petites affaires.
Séb qui aidait à présent Anthony à sangler deux tapis de sol de camping roulés l’un dans l’autre par-dessus son sac avait parlé d’un ton léger, presque plaisantin.
Il devait penser qu’un peu d’humour, aussi décalé que cela puisse paraître en pareille situation, aiderait peut-être à détendre un peu l’atmosphère et, bien que personne ne parut vraiment enclin à rire à gorge déployée, Ophélie se tourna vers lui et esquissa l’ombre d’un demi-sourire.

-Comptes-y l’autochtone! Tu crois que je partage avec les vendéens?
Séb lui adressa un clin d’oeil complice et Louise se demanda comment ils faisaient tous les deux pour garder l’envie de déconner en un tel moment.

Alix qui au contraire de son amie avait vraiment l’air tendue et vraiment inquiète la regarda avec un air de reproche.
-Franchement vous trouvez que c’est le moment de raconter des conneries? Evidemment que tout le monde va partager ça me paraît évident, mais sérieux là est-ce qu’on pourrait se grouiller. J’ai qu’une seule envie c’est de foutre le camp de cet immeuble et de gagner un endroit sûr en ville.
Louise se tourna vers elle d’un air grave.

-Ben justement au niveau de la ville, je ne sais vraiment pas ce qui se passe mais t’avoue que c’est bien flippant! En regardant par la vitre sur le palier on a vu des trucs… J’avais jamais vu ça, comme-ci on avait allumé un gigantesque brasier quelque part dans le centre, on a entendu des détonations aussi. A mon avis il nous faut vraiment être prudents si on va là-bas, on ne sait pas de qui se passe mais pour moi tout ça n’annonce rien de bon. Ca a vraiment l’air d’être la merde.

-Ca ma belle il n’y a pas que là que c’est la merde si tu veux mon avis, venez voir ça!
La jeune femme se tourna vers le côté opposé de la pièce ou Emilien se trouvait, debout à côté de la télé qu’il venait d’allumer, sans doute pour avoir plus de nouvelles des événements. C’est lui qui venait de parler d’une voix alarmée et il avait la mine sombre et catastrophée.
Louise imita les autres et s’approcha à son tour de l’écran.

Le poste branché sur France 2 retransmettait l’image du présentateur dans les studios par une petite fenêtre de caméra située à droite de l’écran tandis que sur le reste de l’image on pouvait voir un autre homme tenant un micro et qui se trouvait visiblement en ville au milieu d’une foule considérable. Les mots bien visibles ALERTE GENERALE étaient inscrits en blanc sur fond rouge juste en dessous.

Séb actionnant la télécommande augmenta le volume de quelques crans.
« …Savons toujours pas précisément ce qu’il en est ici David!
Le quartier du Palais-Royal ou je me trouve actuellement paraît relativement sûr.
C’est en tout cas ce que nous affirment les unités du GIGN envoyées sur place ainsi que l’Etat-Major des Armées, que nous avons pu enfin contacter et quis après une longue discussion a fini par nous apprendre que des unités supplémentaires de l’Armée de Terre allaient être déployées pour sécuriser les quartiers de l’Ile de la Cité et de la Place Vendôme qui semblent aussi être des zones de sûreté pour l’instant. »

La voix rauque d’Antony couvrit la question que posa ensuite le présentateur au journaliste qui se trouvait dans la rue.
-Quoi mais qu’est-ce qu’il raconte, qu’est-ce que ça veut dire tout ce bordel?
Plusieurs « Chut » insistants et un brin courroucés se firent entendre et le jeune homme se résigna donc à garder le silence et à continuer d’écouter ce qui se passait.

« Non je n’en sais pas beaucoup plus pour le moment si ce n’est qu’un gendarme du GIGN m’a précipitamment laissé entendre en trente secondes qu’ils avaient totalement quadrillé les Halles et Saint Germain l’Auxerrois avec le concours des policiers du RAID et qu’ils attendaient à présents les antennes médicales de l’armée pour procéder aux contrôles nécessaires avant l’évacuation des survivants non-contaminés.

Par ailleurs je dois vous avertir que je viens de perdre contact avec mon collégue qui se trouve dans le 19eme ou, rappelons-le, un incendie sans précédent s’est déclaré au centre hospitalier Robert Debré, vraisemblablement suite à une explosion.

Aux dernières nouvelles CRS et gendarmes mobiles avaient reçu l’ordre de bloquer les accès à la zone sinistrée afin d’éviter que la contagion ne se répande en dehors. Tandis qu’une équipe de la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris protégée naturellement par une forte escorte policière était envoyée sur place pour tenter de maîtriser les flammes et de porter secours aux éventuels rescapés qui auraient échappé aux attaques de ces créatures monstrueuses….. »

Louise sentit ses entrailles se nouer dans son ventre et sentit son rythme cardiaque accélérer considérablement tandis qu’Emilien zappait précipitamment sur TF1 et que tous échangeaient des regards paniqués et interdits.

« …Ne savons pas grand chose à leur sujet pour le moment sinon qu’ils ne semblent pas posséder la moindre logique comparable à celle de l’être humain ni la moindre forme de cohésion et d’organisation sociale.

Ils ne semblent guidés que par l’instinct individuel et primaire de se nourrir et ils semblent avoir développé une nette préférence pour la chair humaine, bien que certains témoins nous aient affirmé en avoir vu s’attaquer à des animaux. Rappelons également que plusieurs personnes dont cet infirmier-stagiaire à l’Hopital Bichat qui a pu sortir vivant du Centre de Soins après la catastrophe qui s’y est produite en début de soirée et après la mise en quarantaine du quartier par les autorités, nous a affirmé dans son témoignage que nous avons pu recueillir, qu’il avait vu de ses propres yeux des sujets dont la mort avait été attestée plusieurs heures auparavant se relever et se ruer vers lui comme frappés de démence et poussés par le seul instinct de tuer.
 
Toujours d’après les dires de plusieurs rescapés des zones hospitalières sinistrées, il semble qu’ils soient extrêmement difficiles voire pour certains impossibles à tuer. Selon Un agent de sécurité qui travaillait au groupe hospitalier HEGP-Broussais: Ils tombent puis se relèvent lorsqu’on les crible de balles. »

Cette fois l’image principale qui accompagnait la petite fenêtre télévisuelle montrant la présentatrice de TF1 on pouvait voir une place où paraissait régner une agitation peu commune. Un cordon de CRS en tenue anti-émeute avait placé leurs fourgons en ligne, grilles de protections relevées par devant les capots, obstruant totalement les rues donnant sur l’endroit.

Plusieurs autres véhicules, fourgons, simples voitures de police ou camions blindés étaient garés sur la place, gyrophares allumés et un autre groupe de policiers en tenue d’intervention incitait visiblement les gens présents sur la place à se mettre en ligne tandis que quelques personnes en tenue hermétique se pressaient d’apporter du matériel qui semblait être médical.
La foule semblait très nerveuse et agitée et il était difficile de deviner les expressions faciales sur un écran de télévision mais on pouvait néanmoins sentir chez ces gens plusieurs tendances, comme la peur menaçant d’exploser en panique incontrôlable à n’importe quel moment ou bien une colère de plus en plus prononcée qui semblait aussi sur le point d’éclater sans crier gare.
Louise s’imaginait fort bien tous ces gens terrifiés à qui on ne donnait que des explications floues et peu claires qui se demandaient ce qui allait leur arriver et ce qui pouvait bien se passer en ville, quelle était cette menace nouvelle et inconnue à laquelle ils devaient faire face. La jeune femme comprenait à la fois leur peur et leur colère car elle-même, en cet instant et devant ce que leur montraient les chaînes de télé, ressentait un mélange de panique mesurée et d’indignation devant le peu d’informations qui était données sur le danger et sur les précautions élémentaires à prendre.

«…Nous rappelons également que les événements que nous vivons ce soir dans la capitale ne semblent pas être isolés. En effet, d’après les contacts que nous avons pu avoir avec nos différents correspondants, l’infection semble avoir frappée partout en France et il apparaît que des faits similaires se sont également produits cette nuit presque simultanément à travers tout le pays et même si l’on en croit certains de nos collaborateurs à l’étranger dans de nombreuses régions d’Europe et un peu partout dans le Monde.

Nous pensons pouvoir dire que de nombreuses nations du Globe connaissent actuellement une situation grave et sans précédent dans l’Histoire. Notons que notre équipe positionnée en ce moment-même à proximité du Palais de l’Elysée nous informe à l’instant que les ambassadeurs de différents pays industrialisés tels l’Allemagne, les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne viennent d’arriver sous bonne escorte militaire afin de s’entretenir avec le Président de la République. Celui-ci, selon un communiqué officiel parvenu il y a une demi-heure devrait d’ailleurs réunir dès que possible le Conseil des Ministres et l’Etat-Major afin de décider des mesures à prendre sur le plan national avant de s’entretenir ensuite en vidéoconférence avec ses homologues de différentes nations et avec les représentants du Conseil de Sécurité de l’ONU pour travailler dans un effort commun à solutionner cette crise qui…. »

-Bordel de merde ça pue vraiment cette histoire! Ce serait bien une maladie alors, une sorte de virus qui se serait propagé et qui donne cette rage et cette soif de sang aux contaminés?
Johann semblait partagé entre fascination terrifiée et répulsion.
 
-Attend mais qu’est-ce qu’on est sensé faire putain! Ils nous balancent comme ça que cette saloperie a frappé partout et ensuite….il y a un moyen de se protéger de ces saletés d’enragés? Qu’est-ce qui est prévu pour le reste du territoire, parce que Paris c’est bien joli mais nous à La Roche-Sur-Yon avec 50 000 habitants on doit réagir comment? Quelque chose a été prévu par ces foutus crânes d’oeufs pour nous tirer de ce merdier ou alors est-ce qu’on doit attendre sagement de se faire massacrer par tout un groupe de charognes puantes et complètement déchaînées?

La même colère et la même frayeur perçaient dans la voix furibonde d’Anthony et bien que Louise estima en son for intérieur qu’il ne ferait décidément pas long feu s’il perdait tous ses moyens sans les instructions données par les organismes officiels et, qu’il avait sans doute grand tort de remettre son sort et sa survie entre les mains de décisions gouvernementales plutôt qu’entre les siennes et celles des autres du petit groupe, elle ne fit cependant aucun commentaire estimant que la tension et la peur étaient déjà suffisamment présentes dans l’atmosphère pour éviter d’en rajouter une couche.

Lorsqu’elle prit la parole se fut donc d’un ton qu’elle essayait de rendre le plus calme et détaché possible.

-Si la même chose s’est produite ici, peu importe la taille de la ville, ils risquent d’appliquer les mêmes principes de précautions. Bien entendu il n’y a pas à La Roche de structures aussi importantes mais je pense qu’ils peuvent rassembler suffisamment de flics, gendarmes et policiers pour quadriller les zones contaminées.

-Ouais sans parler de la Délégation Départementale de l’Armée de Terre, ajouta Emilien d’une voix grave et soucieuse. Ils ont certainement reçu l’ordre d’intervenir aussi et d’épauler les flics…voire même de prendre eux-mêmes le contrôle des choses en cas de besoin.

-Mais alors on va se retrouver bloqués, coincés ici? s’écria Muriel d’une voix anéantie.

Le petit Axel qui se tenait toujours suspendu à sa main qu’il serrait contre lui comme un talisman la regarda soudain comme alarmé.
-Non moi je ne veux pas rester là, j’ai peur! Je veux qu’on s’en aille qu’on se mette en sécurité.

-Ecoutez, d’après ce qu’on vient de voir ils projettent d’effectuer des contrôles médicaux pour dépister la contamination. Si on se rend comme on l’a prévu à la Gendarmerie, il y a de grandes chances pour que l’on trouve une antenne ou on pourra passer ces tests et quand ils verront que tout le monde va bien nous serons évacués vers une zone sûre.
Anthony avait parlé d’un air plus confiant et optimiste et visiblement cela semblait redonner un peu d’espoir aux autres.

Après tout il devait avoir raison, il ne s’agissait que d’une simple formalité et ils n’avaient aucune raison de s’en faire puisque aucun d’eux n’avait été mordu, en tout cas s’ils avaient bien eu raison de penser que la contagion se transmettait par la morsure.
Seule Louise semblait plongée dans ses pensées et gardait une mine sombre et renfrognée.
Julia qui avait repris des couleurs et semblait se remettre doucement du choc qu’elle avait subi se tourna vers elle et la regarda d’un air soucieux.

-Qu’y a t’il Louise? Tu ne penses pas que c’est une bonne idée? Tu sais moi non plus je n’aime pas trop les flics et les huiles qui nous gouvernent mais là je pense que c’est la seule….
 
-Non ce n’est pas ça! Je me demandais juste ce qu’ils faisaient des infectés….les gens que leurs tests révèlent comme étant contaminés….
Un lourd silence suivit ses paroles et la jeune femme se demanda, bien qu’elle en était presque sûre si tous se posaient la même question qu’elle concernant le sort des personnes exposées au virus….si toutefois c’en était un bien sûr.

-Ils…ils les emmènent sûrement à part suggéra Muriel, dans des zones spéciales aménagées pour eux, pour qu’ils soient soignés! Je pense qu’on doit les enfermer et les maintenir sous haute surveillance le temps de trouver un remède contre ce truc.

Un nouveau silence plus lourd et plus angoissant encore que le précédent s’ensuivit.
-Sans doute! Murmura Louise plus pour elle-même enfin, de toute façon personne ici n’est infecté et ce n’est pas en restant ici à se torturer l’esprit qu’on trouvera des réponses à nos questions, on en saura certainement plus une fois là-bas. On ferait bien d’y aller maintenant on a perdu pas mal de temps.

-Attends, deux secondes!
Emilien venait une nouvelle fois de changer de chaîne.
-France 3 Régional, reprit-il. Je pense qu’il y a plus de chance qu’on ait des infos et des conseils concrets concernant La Roche ici.

-Pas con!
Louise n’avait pu s’empêcher de lui sourire, en effet c’était bien vu et elle n’y avait pas pensé.
Elle leva le pouce en l’air en le regardant tandis qu’il lui rendait un bref sourire et tous se rapprochèrent de nouveau de la télé.

Cette fois la même petite fenêtre que précédemment affichait l’image d’une présentatrice-studio avait des cheveux blonds coupés courts et on pouvait également remarquer son regard extrêmement préoccupé et soucieux tandis que le premier plan montrait des images vidéos, apparemment de plusieurs villes différentes de la Région des Pays de la Loire.

On pouvait brièvement apercevoir des policiers et gendarmes en tenues de protection dressant des barrages à des coins de rues et des intersections, avec des barrières métalliques grillagées et des grilles anti-émeutes de fourgons garés en ligne. Des ambulances et des camions de pompiers filaient à toute allure tous gyrophares clignotants et sirènes hurlantes derrière des policiers en tenue anti-émeute complète, tous équipés également, comme sur les chaînes nationales d’ailleurs, de masques à gaz enfilés sous leurs casques dont ils avaient pour l’occasion levé les visières.

Là encore, ils semblaient en confrontation verbale plutôt électrique avec des groupes de gens qui s’amassaient dans les rues ou sur les places.
Louise remarqua de nombreux sigles très différents sur leurs uniformes de la simple mention POLICE ou GENDARMERIE aux trois lettres BRI ou à l’insigne animalier distinctif des officiers de la BAC en passant bien sûr par l’écusson des CRS et même par quelques agents lourdement armés de fusils mitrailleurs, contrairement aux autres, sur le dos desquels étaient visibles les inscriptions GIGN et GIPN.

Elle remarqua également que certains d’entre-eux, même si ils ne brandissaient pas d’armes létales étaient équipés de bombes lacrymogènes, tasers et autres pistolets lanceurs de Flashballs. Elle devinait sans peine que ce matériel était destiné à dissuader ou à neutraliser tout mouvement de foule qui empêcherait les flics et leurs antennes de travailler correctement et ressentit aussitôt une bouffée de colère et de révolte monter en elle.

Elle était la première à dire qu’il fallait user de prudence avec cette infection dont personne ne semblait encore connaître l’origine ni la portée et elle comprenait que des précautions médicales puissent être prises dans ce sens. En revanche, elle doutait fort que les forces de police arrivent à quoi que ce soit de bon s’ils commençaient à faire usage de ces trucs pour prouver leur virilité ou montrer que c’est eux qui commandaient.
Elle n’aimait vraiment pas voir cet étalage de force et d’uniformes quadriller les villes et elle se méfiait toujours d’eux et de leurs méthodes même en pareilles circonstances….plus encore en pareille circonstance se surprit elle-même à penser. Car, contrairement à ces créatures dont elle ignorait encore tout pour l’instant, elle connaissait leur manière à eux de réagir lorsqu’ils étaient énervés ou qu’ils avaient le sentiment de ne plus contrôler la situation.
Elle savait que dans ces cas-là ce n’était jamais bon et en venait même à se demander qui il faudrait craindre le plus dans ces cas là…les enragés ou les condés….
 
La voix de la présentatrice la sortit soudain de sa torpeur. Elle parlait d’une voix tremblante, presque mourante par instant.
« …Est recommandé aux gens se trouvant dans l’impossibilité de sortir des zones contaminées de rester chez eux et de fermer portes et fenêtres, si possible en barricadant les ouvertures avec des planches.
Si vous en avez le temps érigez des banderoles indiquant votre position afin que les autorités puissent venir vous porter secours après avoir réglé la situation et sécurisé de nouveau votre quartier. Nous vous tiendrons informés aussi souvent que nous le pourrons des événements et de leur évolution.

Je vous rappelle également que des dispositifs d’accueil pour les réfugiés des zones sinistrées sont à l’heure actuelle mis en place par les forces armées dans les principales villes de la Région.
Pour Nantes rappelons que pour l’instant, seuls les quartiers proches de l’Hôtel-Dieu et de l’Hôpital Bellier ainsi que le quartier Chanzy où un incendie meurtrier s’est déclaré à la clinique Brétéché, ont été placés en quarantaine.
La Mairie de Nantes et le commissaire principal de l’Hôtel de Police Waldeck-Rousseau nous assurent que le reste de la ville est sous contrôle et sûr. Information confirmée par la direction Régionale des Compagnies Républicaines de Sécurité basée à Saint-Herblain et par les Responsables d’Etat-Major des 10eme et 20eme divisions d’infanterie de la garnison d’Armée de Terre de Rennes qui aura pour mission comme nous venons de l’apprendre de sécuriser les zones sûres et d’y protéger la population de la menace des « marcheurs enragés » ainsi que de « nettoyer » et décontaminer les territoires sinistrés dans le secteur sud-Bretagne et nord-Pays de la Loire.

Plusieurs unités sont actuellement en route vers la capitale ligérienne et dès lors les forces de police et de gendarmerie multiplient en ville les patrouilles d’inspection et de sécurisation. On sait dès à présent que les antennes médicales déployées ont commencé leurs contrôles de santé sur la population évacuée d’une zone à une autre et qu’un premier camp d’accueil pourrait ouvrir ses portes dans les heures qui viennent et sera située dans l’école primaire Pierre de Ronsard dans le quartier de la Bourgeonnière au nord de la ville, nous invitons donc tous les…
 
Louise n’écouta pas la suite et son cœur sembla s’emballer dans sa poitrine. Ce choix ne signifiait rien bien sûr, l’école Ronsard était bien plus grande. Elle était passée devant plusieurs fois et il n’y avait pas à en douter c’était seulement pour cette raison, par souci du plus grand nombre possible de places pour les personnes réfugiées qu’elle avait été choisie.
De toute manière le nord de la ville paraissait sûr, mais bon comment faire vraiment confiance à des beaux parleurs qui prétendaient toujours contrôler la situation même lorsque ce n’était guère le cas?

Non elle ne devait pas s’en faire, au nord de la ville aussi l’alerte avait dû être donnée très vite et les gens, par sécurité s’étaient probablement tous barricadés chez  eux….mais certains avaient probablement tentés de fuir ou d’aller chercher des informations en ville comme elle s’apprêtait elle-même à le faire avec les autres, comment prévoir la réaction des gens dans une situation comme celle-ci?

Cela dit si un centre d’accueil allait être ouvert non-loin il y avait forcément une forte présence policière et certainement aussi militaire dans le secteur. Et Louise avait beau les avoir dans le nez les uns comme les autres elle devait bien reconnaître que pour l’heure cela constituait au moins l’assurance que les informations médicales concernant l’épidémie seraient bien divulguées dans cette zone à défaut d’autre chose. Pour la protection et les règles de sécurité à proprement parlé c’était évidemment autre chose et la jeune femme.

 En voyant toute cette excitation de bleusaille et de kaki elle ne se sentait pas plus en sécurité que si elle l’avait vue avant que les infectés ne commencent à envahir les rues et continuait, malgré l’urgence et la gravité des choses, à émettre de sérieux doutes personnels quant à la nécessité de se ranger derrière l’armée où la police ou de suivre les consignes données par une institution officielle en cas de problèmes, fût-il le plus grave que l’humanité ait jamais connu.

La jeune femme fût interrompue sans ses réflexions par quelqu’un qui lui tapotait avec empressement sur l’épaule.
-Hé ma p’tite princesse, tu rêves? C’est pas le moment! Ils viennent de nous donner les infos pour La Roche et apparemment cette merde s’est déclarée dans plusieurs endroits et notamment vers le CHD, ce qui expliquerait qu’on arrivait pas à les joindre.
Il semble aussi qu’il y ait plusieurs lieux de vie collectifs, des immeubles, des foyers, des maisons de retraite…ou une épidémie se soit déclarée. Apparemment là aussi les flics s’occupent de condamner l’accès aux quartiers contaminés et la Délégation Départementale de l’armée a reçu l’ordre de procéder aux mêmes tests médicaux qu’ailleurs.
A ce qu’ils disent le centre-ville serait sécurisé depuis la Place de la Vendée jusqu’au cœur de ville, avec tout l’axe autour de la Place Napoléon jusqu’aux boulevards périphériques du centre. Au-delà ça dépend vraiment des quartiers, mais bon!! Le centre-ville est sûr et c’est une bonne nouvelle.

Louise mit quelques secondes à revenir à la réalité et s’aperçut en regardant autour d’elle qu’Emilien avait éteint la télé et aidait maintenant Alix à enfiler son gros sac à dos, tous les bagages avaient été rassemblés et tout le monde s’apprêtait à partir.

La jeune femme se munit donc du sien et le sangla autour de sa taille.
-Ouais désolé Julia je pensais à autre chose, j’ai pas écouté la fin, ils ont donné des précisions par rapport aux points de contrôles médicaux.

-Oui, d’après eux un barrage de police a été mis en place à hauteur du Pont Morineau, tout près de la Gendarmerie ou on voulait se rendre du coup! D’après la présentatrice il y a un groupe de CRS et de gardes mobiles qui est parti en reconnaissance vers Arago et un autre vers la jonction entre l’avenue du Maréchal Leclerc et La Roche-Nord. Il y aurait eu de gros foyers de contagion déclarés là-bas ils veulent donc s’en assurer avant d’intervenir.

-D’ac! Et sur les centres?

-Ils comptent bien en mettre aussi, même si ils n’auront pas la taille de ceux des grandes villes, un au Commissariat à Delille, un autre à la mairie et quelques autres dans des maisons de quartiers et d’associations ou aux services municipaux annexes je crois.

-Ok allons-y et dépêchons nous, je pense qu’il va nous falloir deux voitures, on va devoir agir rapidement et discrètement. Evidemment avec les bagnoles on risque d’attirer tout un tas de ces saloperies si il y en a encore dans le coin, on serait plus silencieux à pieds mais en cas de mauvaise rencontre et chargés comme on est, on aura pas l’avantage de la vitesse ni celui de la protection de la carrosserie donc bon c’est peut-être plus sûr.

Tous, enfin prêts prirent la porte de sortie et dévalèrent les escaliers le plus silencieusement possible. Julia et Anthony fermant la marche, prirent soin de fermer à clé après avoir éteint la petite lumière.
Louise qui était en tête avec Emilien et Johann pressa le bouton de sortie de l’immeuble et tous se retrouvèrent bientôt sur le trottoir.
Des exclamations de surprise fusèrent de toute part. Louise mit quelques secondes à comprendre ce qui les avaient provoquées mais s’apercevant que la majeure partie du petit groupe avait les yeux levés vers le ciel elle ne mit guère longtemps pour le savoir.

A part Johann, Muriel et elle, aucun autre n’avait encore vu cette lumière tremblante et aveuglante, cette fumée noire au loin par-delà les rues et personne ne s’était soucié de regarder par les vitres en descendant l’escalier.

Johann regardait autour de lui d’un air inquiet: quelque part dans la ville il entendait ces pétarades qui étaient parvenues à ses oreilles tout à l’heure. Elles semblaient plus bruyantes, plus fortes, comme si il venait de se rapprocher d’un lieu où était tiré un feu d’artifice.
Des coups sourds comme ceux qu’ils avaient entendus en regardant par la vitre se faisaient entendre aussi de temps à autre, amplifiés par le fait qu’ils se trouvaient maintenant à l’extérieur.
Louise qui contemplait à présent le ciel elle aussi constata que la lumière qu’ils voyaient émaner du centre-ville n’était pas la seule qui se dessinait dans le ciel.

Plusieurs halos lumineux accompagnés de la même fumée noire éclairaient la nuit paraissant clignoter légèrement. Il y avait visiblement d’autres incendies qui s’étaient déclarés en ville et on pouvait en distinguer à un droite, en partant vers l’ouest de la ville dont la luminosité semblait plus intense et donc plus proche que les autres.
 
-Putain c’est quoi ça, la fin du monde? On se croirait dans un foutu film catastrophe à la con, c’est pas possible je vais me réveiller là!
Emilien semblait à la fois émerveillé par la lumière des incendies et atterré par ce qu’ils semblaient signifier.

-Ben je sais pas si c’est la fin du monde les amis, mais moi c’que je dis c’est qu’il vaut mieux éviter d’aller par-là!
Séb désigna la direction ouest de la Route de Saint André d’Ornay avant de reprendre.
-Vous avez vu cette lumière? Je sais pas où il s’est déclaré ce putain d’incendie mais à ce que j’ai vu aux infos, incendie équivaut enragés pas loin et donc gros emmerdements en perspective.

-Oui j’ai vu t’inquiète! Opina Louise de toute façon ce n’est pas par là qu’on va, la gendarmerie est de l’autre côté.

-Mais attend objecta Alix l’air inquiet il y a aussi des incendies vers le centre-ville, pourquoi ce serait moins dangereux?

Emilien se tourna vers elle et répondit d’une voix qu’il voulait rassurante.
-Parce que c’est une zone sûre. Même si un incendie a éclaté, l’endroit a dû être sécurisé, autrement ils n’ouvriraient pas de centres d’accueil.
Alix hocha la tête l’air peu convaincu mais sembla un peu moins craintive.

-Pour l’instant on ne sait pas trancha sèchement Louise, on ignore ce qui est vrai ou pas dans ce qu’ils nous disent, sur ce qui est sûr ou pas! Je ne sais absolument pas si c’est plus sécurisant pour nous d’aller là-bas mais c’est la seule piste qu’on ait pour le moment donc on y va!

-Je vois que Miss-Louise la bretonne, têtue comme dix mules reste sur ses gardes par rapport à ce qu’on nous dit aux infos et aux consignes des forces de l’ordre…attitude fort louable et certainement très chère à ta conscience d’anticonformiste, mais je pense vraiment que l’heure n’est pas à la parano et qu’on a mieux à faire pour l’instant que de chercher des complots partout ou que de pester sur la désinformation gouvernementale relayée par les médias et sur les dangers d’une société militariste et hyper fliquée.

Louise bien que tout-aussi pressée de quitter les lieux était bien tentée de rétorquer à Anthony, qui venait de s’adresser à elle d’une voix ou la sévérité contrastait avec une gentille ironie, qu’il était franchement mal placé, vu son attitude de tout à l’heure, pour donner des leçons en matière de parano et sur le fait de voir des complots imaginaires partout. Elle se contenta néanmoins de lui adresser un sourire moqueur accompagnée d’une petite moue narquoise.

Emilien lui adressa un grand sourire en la voyant faire et semblait prêt à éclater de rire.
C’est évident, il connaissait bien cette expression faciale chez elle, cette petite expression partagée entre exaspération espiègle et moquerie légèrement dédaigneuse qui l’avait parfois énervé mais qui, il ne pouvait s’en cacher, le faisait aussi franchement rire.
Le côté attendrissant de la bretonne entêté? La bouille tirée par ce petit bout de femme rebelle qu’il valait mieux éviter de trop titiller malgré les apparences de jeune fille douce et réservée?
Il n’aurait su le dire, mais en tout cas elle ne le laissait pas indifférent et il lui avait même avoué une fois, lors d’une soirée un peu arrosée, qu’il la trouvait franchement sexy et limite craquante quand elle faisait cette tête.
Ce à quoi elle lui avait répondu sans ménagement mais non sans humour d’arrêter de se remplir des verres de passoa à tour de bras et de « lui passer la bouteille au lieu de raconter des conneries, afin qu’elle puisse en reprendre un chouïa avant qu’il ne l’ait complétement sifflée ».

La discussion s’était close sur une franche rigolade entre eux mais il n’en avait jamais douté même après avoir dessaoulé, il était vraiment sérieux quand il lui avait dit ça.
 
-Bon repris la jeune femme, je crois qu’on a pas le temps non plus pour partir dans un débat sur le sujet je ne répondrais donc pas à la provoque. Par contre va vraiment falloir qu’on bouge, alors si on pouvait aller chercher les voitures.
 
-Ok on a qu’à prendre la nôtre! s’enquit Anthony en se dirigeant vers le passage menant au parking.

-Ouais je vais prendre la mienne aussi renchérit Emilien en lui emboîtant le pas, Y a de la place, à nous deux ça devrait le faire!

Johann eut soudain l’air affolé et se précipita vers eux.
-Bordel attendez! Vous n’allez pas y aller seuls C’est là-bas qu’on a enfermées ces choses chez les voisins, si ça se trouve y en a toute une palanquée dans les parages.

-Et alors! s’exclama Anthony, t’as vu comme ils sont lents? A mon avis on ira plus vite à sortir les bagnoles tous les deux, on fera gaffe c’est tout.

-Putain ouais mais bon!! J’ai pas envie qu’on ait des…..

Un hurlement de terreur strident le coupa net dans sa phrase.
Le jeune homme fit volte-face et crut avoir le souffle coupé en voyant son fils accroché de toute la force de ses bras autour de la taille de Muriel qui semblait elle-même pétrifiée et totalement incapable de bouger.

Le vieil homme maigre au crâne dégarni vêtu d’une veste en jean et d’un pantalon noir tâchés de sang venait de se lever à quelques mètres d’eux, sortant de la petite allée sans portail menant à la maison d’en face. Personne n’aurait pu dire s’il se trouvait avachi dans l’allée ou autre part dans le jardin et s’il était arrivé ici par pur hasard ou attiré par la conversation des jeunes gens mais il se tenait à présent debout et avançait d’une démarche chaloupée d’alcoolique chronique vers Muriel et Axel qui s’étaient imprudemment avancés très prêt du mur de la maison de l’autre côté de la rue.
 Les bras tendus devant lui, le regard sans vie, le visage émacié, torturé et les dents pourries faiblement éclairé par la lumière du réverbère, une plainte sourde et profonde jaillit de ses entrailles tandis qu’il s’approchait se ses proies en titubant.

Les cris d’Axel s’étaient changés en sanglots et Muriel tremblait de tout son corps, paralysée par la peur et l’impuissance.

-Bordel dégage de là!
Johann sans réfléchir s’était rué sur la chose et la repoussa violemment en arrière, l’apparition tomba à la renverse, étouffant un gémissement.

-Putain vite allez chercher les bagnoles, faut qu’on se tire! beugla-t-il en regardant alternativement Anthony et Emilien qui s’étaient immobilisés sur place en pleine marche devant l’horrible spectacle.
Le jeune homme faillit payer cette erreur car il ne remarqua pas la créature qui à terre venait d’effectuer un demi-tour sur elle-même et empoigna sa cheville d’une main ferme et rampait à présent vers lui en faisant claquer ses mâchoires et en poussant un grognement caverneux.
-Merde!

Il essaya vainement de se dégager mais dans le feu de l’action il perdit l’équilibre et tomba lourdement sur le bitume laissant échapper un bref cri de douleur.
La chose était toujours agrippée à sa cheville et se trouvait à présent à bonne hauteur pour y planter ses dents jaunâtres.
Louise fondit sur elle et lui décocha un coup de pied en pleine tête. Un bruit mat accompagna le choc et la créature lâcha prise, l’expression avide de son visage se figea en une grimace grotesque et elle tomba sur le sol, libérant sa victime.

-A défaut de s’en débarrasser on dirait bien que ça les calme un bon coup sur la caboche! Constata la jeune femme le souffle court.

-Ouais on dirait!….Merci à propos! Rétorqua Johann, qu’elle aidait à se relever, d’une voix éraillée et tremblante!!

-Bordel ça va personne n’a rien?

-Emilien nom de Dieu qu’est-ce que tu fous? On a pas le temps de bavasser là!, On fonce chercher les caisses et on se barre le plus vite possible, c’est de la folie de rester là, on ne sait pas combien ils..

Anthony vit avec effroi la fin de sa tirade couverte par de nouveaux grondements rauques et Emilien qui, sous le coup des événements, semblait avoir oublié momentanément ce qu’il était parti faire et était revenu en trombe vers le reste du groupe poussa un cri d’horreur en désignant le côté droit de la rue.
 A une dizaine de mètres tout au plus, quatre ou cinq formes humanoïdes à la démarche gauche avançaient droit sur eux en poussant des gémissements plaintifs et saccadés.
Impossible encore de les distinguer vraiment, de connaître l’âge qu’ils avaient eu ou de déterminer si ils s’agissaient d’hommes ou de femmes. De toute façon quelle importance, ces choses venaient vers eux avec pour seul but de les dévorer vivants et si ils restaient une minute de plus sans réagir ils étaient morts.

-Bordel ça sent pas bon!

-Oh non c’est pas vrai! Vite tout le monde dans le parking, on fonce aux voitures et on disparaît!!
En un clin d’oeil tous obliquèrent vers le passage en forme de voute et s’y précipitèrent à la file aussi vite qu’ils le pouvaient.

-Oh regardez!
Le petit Axel venait brusquement de s’immobiliser dans sa course, freinant du même coup Muriel qui le tenait fermement par la main. Il avait le regard rivé sur le côté opposé de la rue.

-Axel! Hurla la jeune femme paniquée qu’est-ce que tu fais? Il faut qu’on se dépêche avant qu’ils…

Elle s’interrompit, comprenant ce que le petit bonhomme venait de distinguer.

-Il y a des gens qui viennent, ils sont en voiture, ils vont nous sauver!
Muriel avait les yeux écarquillés de surprise et regardait à présent elle aussi dans la même direction qu’Axel, les yeux pleins d’espoir.

Effectivement au bout opposé de la route de Saint André d’Ornay, séparé par le rond-point faisant la jonction avec le boulevard Réaumur, les phares d’une auto venaient d’apparaître et roulait à toute allure dans leur direction.

-Oh mon dieu venez vite! Il y a d’autres gens, il faut qu’ils s’arrêtent pour nous aider. Ils ont peut-être des choses avec lesquelles on pourrait se défendre.

Louise, Anthony et Séb qui fermaient la marche et se trouvaient juste à l’entrée du passage firent volte-face et par réflexe reculèrent de quelques pas pour constater ce qui se passait.
La voix de Julia qui était avec le reste du groupe, probablement déjà sur le parking se fit entendre, demandant pourquoi les autres s’étaient arrêtés.

-Il y a des gens qui arrivent en voiture ma chérie, ils vont pouvoir nous prêter main-forte s’extasia Anthony en allant rejoindre Muriel, déjà en train d’adresser de grands signes au conducteur en criant, au milieu de la route.

-Vite, vite! S’impatientait Axel, partagé entre l’excitation et la peur en jetant un oeil de l’autre côté de la rue, ils se rapprochent!

En effet, les créatures ne semblaient nullement avoir réalisé qu’il se passait quelque chose de nouveau et continuaient leur marche titubante vers eux, gémissant et claquant des mâchoires, elles n’étaient plus à présent qu’à cinq ou six mètres.

-Ohé par ici! Il y a des gens! Venez vite on a besoin d’aide! s’époumonait Muriel en redoublant de gestes avec des deux bras tandis qu’Anthony s’était tourné vers les monstres en putréfaction, semblant prêt à les repousser pour protéger les autres si le besoin se faisait sentir.
 
-Ils arrivent, on est sauvés! Vite, vite venez par-là, venez nous aider!
 
Ni d’une, ni deux, Axel avait soudainement lâché la main de Muriel et courait vers la voiture en répétant la même phrase à pleine voix.
« Venez nous aider, venez nous sauver! »
Muriel affolée se mit à hurler, le suppliant de revenir mais le garçonnet ne semblait pas l’entendre et continuait de courir vers l’auto qui se rapprochait en criant l’air surexcité.
Muriel esquissa un geste comme pour s’élancer à sa poursuite mais Louise surgissant à son tour du passage de voiture, suivi par le reste du groupe, alerté par les cris, lui fit un signe de la main comme pour lui dire de rester où elle était et se mit à courir à la suite de l’enfant.

La jeune femme n’était pas une marathonienne mais ayant pratiqué l’athlétisme en club étant adolescente, tout le monde s’accordait à dire qu’elle était tout de même plutôt rapide, en tout cas lorsqu’elle se trouvait dans une situation ou l’adrénaline le lui permettait elle savait qu’elle pouvait vraiment tracer et cela lui avait rendu service plus d’une fois pour diverses raisons.

-Axel! criait-elle. Reviens ici, attend moi!
Mais celui-ci ne semblait toujours pas écouter et n’était plus qu’à quelques mètres de l’auto.
Le chauffeur venait de stopper net au beau milieu du rond-point et avait forcément remarqué le groupe ou tout au moins le bambin qui courait dans sa direction.
Son moteur restait allumé et quelques secondes s’écoulèrent. Peut-être la ou les personnes se trouvant à l’intérieur hésitaient elles entre sortir pour venir au secours de la petite bande ou passer leur chemin pour sauver leur peau avant tout.

Mais Louise n’eut guère le temps de s’interroger davantage sur leurs intentions. Au moment où elle était sur le point de rejoindre Axel, un second rugissement de moteur tournant à pleine vitesse se fit entendre ainsi qu’un bruit d’avertisseur continu et une autre voiture déboula du boulevard à gauche du rond-point. Des crissements de pneus caractéristiques d’un freinage de dernière minute s’ajoutèrent à la cacophonie mais la voiture, lancée à trop grande vitesse pour s’arrêter tout de suite, heurta de plein fouet la première qui, sous le choc, fit un demi-tour sur elle-même, allant brutalement s’encastrer dans un lampadaire à quelques mètres de là et enfonçant, au passage, une cabine téléphonique dans un bruit d’éclats de verres et de tôle déchiquetée.

Le petit Axel poussa un véritable cri d’horreur en voyant la seconde auto, légèrement déviée par l’impact fondre sur lui et sur Louise qui venait de l’attraper par la taille.
La jeune femme n’eut que le temps de sauter de côté avec lui mais ne fut cependant pas assez rapide pour l’éviter complètement. Elle sentit le bord droit de la voiture la heurter sur le flanc et fut projetée un peu plus loin sur la route où elle chut lourdement étouffant un cri de douleur.
Fort heureusement, elle eut tout de même le réflexe de maintenir ses bras en ceinture autour de la taille du jeune garçon, qui tomba lui aussi de côté mais vit le choc partiellement amortit par son étreinte.
La course infernale de l’auto avait entre-temps été stoppée nette par la clôture d’une maison proche, dans un fracas infernal de pièces métalliques broyées contre un mur de parpaings et le capot éventré laissait échappé une fumée noire et nauséabonde.

-Louise!

Le cri paniqué retentit et la jeune femme entendit des pas précipités se rapprocher d’elle. Son flanc gauche, sur lequel elle était tombée la lançait fortement sous l’effet du choc avec le bitume et elle ressentait également une vive douleur musculaire de l’autre côté, à l’endroit où elle s’était fait percuter. A première vue cela ne semblait pas très grave, la voiture ne l’avait pas heurté de plein fouet et ses jambes avaient l’air intactes puisqu’elle parvint à se redresser en position assise mais ses côtes la faisaient tout de même souffrir, surtout du côté droit ou elle avait l’impression d’avoir reçu un violent coup de poing!
Sur le flanc gauche la douleur était moins intense mais remontait tout de même jusqu’au bas du thorax et rendait les efforts de la jeune femme pour se remettre sur pieds extrêmement pénibles, chaque mouvement un peu trop brusque la faisant vraiment souffrir.
Elle tenait toujours enlacé dans ses bras, le petit Axel qui lui semblait indemne si l’on exceptait une vilaine plaie sur le coude d’où s’échappait un fin coulis de sang et paraissait juste avoir été très secoué psychologiquement restant inerte dans les bras de Louise sans bouger, le regard dans le vide, le corps entier secoué par des tremblements.

-Ma p’tite princesse tu n’as rien?

La main de Julia se tendit au-dessus d’elle et elle la saisit de bonne grâce, ce qui lui fut d’un grand secours pour se remettre sur pieds en évitant de trop grands élancements au niveau des muscles du torse.
Julia qui semblait aussi avoir été pas mal retournée et avait la respiration haletante serra son amie dans ses bras en poussant un soupir de soulagement mais relâcha rapidement son étreinte en voyant sa grimace de douleur.
 
-Pardon je t’ai fait mal! Tu es blessée ma belle?

Elle semblait à nouveau très inquiète et regardait Louise avec des yeux catastrophés, comme-ci elle était responsable de ce qui lui était arrivé.

-Ca va ma p’tite cavalière! articula-t-elle en essayant d’esquisser un sourire, c’est rien de grave ne t’en fais pas. Bien qu’elle avait du mal à bouger sans ressentir de vives douleurs abdominales.

Elle sursauta soudain en sentant quelque chose lui enserrer fermement la jambe et poussa un cri de surprise, s’apprêtant à riposter vivement mais ce n’était qu’Axel que Julia avait aidé aussi à se relever et que les jambes tremblant violemment menaçaient à tout instant de lâcher. Le petit garçon se tenait cramponné à la jambe de Louise qu’il serrait contre lui comme un doudou protecteur, le regard toujours perdu dans le vide, visiblement incapable de dire quoi que ce soit.
Sous l’effet de la surprise les deux jeunes femmes échangèrent un regard et malgré la gravité de la situation ne purent s’empêcher de se sourire mutuellement, comme attendries.
 
C’était comme si, en cette soirée aux allures apocalyptiques, avec le chaos qui régnait en ville, le bruit des explosions, les gens paniqués qui s’accidentaient et les bouffeurs de chair humaine enragés qui semblaient bien décidés à se tailler une bavette dans leurs jambes, il n’y avait rien de plus apaisant et de plus beau que de voir ce petit bonhomme pelotonné contre la jeune femme qui l’avait sauvé et qui par ce simple fait semblait lui témoigner sa reconnaissance éternelle.

-Décidément, même au chômage et même quand des saloperies cannibales envahissent les villes, tu ne peux pas t’empêcher de te dévouer corps et âmes pour les gamins toi! s’exclama Julia qui semblait partagée entre envie de rire et de fondre en larmes. Je crois qu’on a compris que tu remuerais ciel et terre pour eux….Y a un petit bonhomme là qui t’en doit une fière et je crois qu’il l’a compris. Mais quand même tu as bien failli!….
Elle porta sa main à son visage comme pour cacher les larmes qui lui montaient aux yeux.
-Pardon ma belle, je suis trop sensible! Tu l’as sauvé ce môme, mais vous auriez pu y passer!

-C’est ok Julia! Je te répète qu’il y a eu plus de peur que de mal rétorqua Louise en essayant de ne pas prêter attention aux vigoureuses protestations de ses muscles pectoraux qui lui faisaient un mal de chien et en passant une main affectueuse dans les cheveux de son amie tandis qu’elle ébouriffait l’enfant de l’autre. Et toi Axel tu reviens de loin bonhomme!

Le garçonnet sembla retrouver un peu ses esprits car il se tourna vers elle et lui esquissa un petit sourire marmonnant vaguement quelque chose d’indistinct qui ressemblait à un « Merci! » tout tremblant.

-Allez bordel, tout le monde dans le parking maintenant!, On a de quoi les tenir éloignés grouillez-vous! Les filles, Axel revenez vite par là on pourra pas les retenir très longtemps!

La voix forte d’Anthony avait soudainement retenti et Louise s’aperçut que Julia et elle, dans le feu des événements, avaient presque oublié ce qui se passait à dix mètres de là. Le groupe de monstres qui barraient l’autre côté de la rue et il lui sembla revenir brutalement à la réalité du danger en voyant Johann et Anthony armés respectivement d’une vieilles chaise de bois laissée sur le trottoir et d’un panneau de sol de sens-interdit, datant sans doute de récents travaux dans la rue et qui n’avait pas encore été ramassé.
Et tandis que, tenant chacune par la main le petit garçon, les deux amies revenaient en courant le plus vite possible vers l’entrée du passage, Louise regardait avec angoisse les deux jeunes hommes faire barrage au petit groupe d’enragés qui grondaient de plus belle, les bras tendus en faisant claquer leurs dents pourries et en essayant d’avancer vers eux.

La jeune femme en distingua quatre debout, deux hommes d’une vingtaine d’années, l’un vraisemblablement d’origine maghrébine et l’autre blanc au crâne rasé, vêtus de jeans classiques et de vestes de survêtements tâchées d’hémoglobine, une jeune femme noire, bien en chair qui portait une robe jaune déchirée en plusieurs endroits et couverte aussi de sang séché et enfin un homme entre cinquante et soixante ans, mince, avec une chemise à carreaux dont il manquait la moitié et qui laissait apparaître un torse quasi éventré duquel pendait des tripes jusqu’au sol.
Il lui était impossible d’où elle se trouvait de distinguer ceux qui se trouvaient au sol mais du peu qu’elle en voyait ils semblaient avoir été frappés et poussaient des gémissements beaucoup plus faibles comme étourdis.
-Allez les filles allez! s’époumona Anthony en se tournant vers elle, le regard trahissant une impatience nerveuse et angoissée, tandis que Johann éclatait son épave de chaise avec un bruit sourd sur le crâne de la femme noire. Celle-ci poussa un cri étouffé et s’effondra sur le sol.
Tandis que Louise, Julia et Axel arrivaient aux abords du passage, Johann fit de même et envoya un bon coup de panneau qu’il tenait des deux mains en pleine mêlée
renversant les deux jeunes hommes en survêtement au passage. Les garçons avaient l’air de maîtriser la situation mais il fallait faire vite car cela ne pouvait pas durer éternellement, les monstres à terre amorçaient déjà des gestes lents mais sûrs pour se relever et ils finiraient immanquablement par ne plus pouvoir les tenir en respect.

Au moment d’entrer dans la voute du mur et tandis qu’Anthony repoussait brutalement l’homme plus âgé qui tomba à la renverse, de ses bras puissants pendant que Johann étaient à nouveau aux prises avec la femme noire qui s’était relevée et cherchait à saisir les pans de ses habits, Julia se retourna vers le lieu du combat jetant un œil inquiet.

-Ca va il s’en sortira t’inquiète! Lui assura Louise devinant sans peine ce qu’elle avait en tête. Allez vite on fonce!

Et elle poussa légèrement son amie et le petit garçon en avant pour les inciter à gagner le parking lorsque quelque chose l’arrêta net dans sa course, une main venait de lui attraper le pied et lui enserrait la cheville.
-Qu’est-ce que…..

Elle n’eut guère le temps de réagir et ne comprit que trop tard ce qui venait de se passer en sentant la pression d’une mâchoire se refermer d’un coup sec sur le haut de son pied.
Elle poussa un hurlement en apercevant la chose, le type qui tout à l’heure avait surgi du jardin et qui était resté à terre après que Johann se soit battu contre lui.
Il avait réussi à l’attraper alors qu’elle était passé devant lui sans le voir et s’était hissé jusqu’à elle pour la mordre.

Louise soudainement pris d’une peur panique et d’une rage incontrôlable redoubla de cris et leva son autre jambe écrasant de son pied libre la main osseuse et rendue plus fragile par la putréfaction.
Dans un horrible craquement la jeune femme sentit le cartilage des doigts se briser sous sa chaussure mais si le monstre lâcha prise cela ne sembla lui procurer aucune douleur ni l’affecter de quelque manière que ce soit.
Pire encore ses dents restaient accrochés au cuir dans lequel elles venaient de mordre et la mâchoire semblait déterminée à tailler encore plus profondément car l’enragé accomplissait de secs et violents mouvements de bouche comme un fauve sur la carcasse d’un animal à la peau particulièrement dure et qui serait pressé de tailler enfin dans la chair.

Ses efforts étaient accompagnés d’horribles grognements geignards et affamés qui semblaient venir du plus profond de sa gorge et il avait les yeux levés vers la jeune femme, des yeux ternes mais qui semblaient la défier, la provoquer en lui faisant comprendre qu’elle ne lui échapperait pas et qu’il finirait par la déchiqueter et la dévorer vivante.
Louise n’avait plus aucune idée de ce qui se passait, elle continuait de taper furieusement avec son pied et maintenant avec ses poings, insultant la créature de tous les noms, jurant comme une charretière et essayant de toutes les façons possibles de lui faire desserrer les dents.
Mais cela semblait impossible car l’enragé restait obstinément et fermement accroché et ne prêtait aucune attention aux coups qui lui étaient portés même sur la tête.

Plusieurs coups sourds suivis de jurons résonnèrent aux oreilles de la jeune femme, le cri paniqué de Julia qui scandait son nom, un bruit de moteur qui semblait se rapprocher à vive allure, un nouveau crissement de pneus et une détonation assourdissante.
Louise ferma les yeux pendant une demi-seconde sous l’effet de la surprise et sentit en les rouvrant les mâchoires de la créature relâcher leur pression sur son pied. Elle jeta un oeil à terre et fit un bond de côté en criant lorsqu’elle aperçut son agresseur désormais inerte, face contre le bitume, deux trous béants de part en part de la boîte crânienne d’où s’échappait un flot de liquide noirâtre qui commençait à inonder la chaussée autour de lui.

Relevant la tête elle crut presque rêver en voyant Johann et Anthony en sueur, maintenant juste à côté d’elle qui tenaient toujours leur « armement » en main, Julia livide comme un linge et secouée elle aussi de tremblements serrant contre elle Axel qui avait détourné les yeux en enfoui son visage dans les pans de sa veste. Mais surtout ces phares qui brillaient dans la nuit et éclairait la poignée de monstres grondante et gémissante qui semblait avoir changé de cible et avançait maintenant tel un seul corps mécanique et bancal vers la voiture qui venait de s’arrêter à quelques mètres de là.

Les portières avant et arrière s’ouvrirent en trombe et trois silhouettes en sortirent braquant devant eux ce qui ressemblait à des armes à feu.
Louise ne voyait pas leur visage car éblouie par la lumière des phares, en revanche dans le reflet de celle-ci sur la carrosserie il lui sembla vaguement distinguer une sérigraphie bien connue et fut pratiquement sûr qu’il s’agissait d’une voiture de police.
Une étincelle jaillit dans le noir et un autre coup de feu résonna atteignant en pleine tête le jeune homme maghrébin qui tomba aussitôt à terre, tel une marionnette dont on aurait coupé les fils dans une éclaboussure de sang noir et coagulé.

Un « Non! » courroucé et terrifié suivi la détonation et une voix grave et sèche s’exclama.

-Nom de Dieu Le Gal attendez! Il y a des gens qui sont encore vivants là-dedans!

Les monstres semblaient avoir été irrités par les détonations et les éclats de voix et leurs grondements se firent de plus en plus sonores et menaçants tandis qu’ils se rapprochaient de l’auto.

-Capitaine! S’écria une voix féminine Ils s’approchent de plus en plus ne perdons pas de temps ou on va tous finir en kebab pour zombies!

-Ok écartez-vous ceux qui sont encore vivants dans tout ce merdier et plaquez-vous à terre! On a pas envie de vous abattre par mégarde en flinguant ces pourritures sur pattes.

Et tandis que tous s’exécutaient à la vitesse de l’éclair et se plaquaient au sol sur le trottoir se protégeant les oreilles comme ils le pouvaient de nouveaux coups de feu retentirent et Louise distingua du coin de l’œil  leurs assaillants se faire défoncer la boîte crânienne les uns après les autres à coups de balles et tomber au sol comme des mouches en faisant gicler autour d’eux des gerbes odorantes de cervelle et de sang coagulé.





 

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