Soleil Couchant
Chapitre 5: Panique
-Louise, nom de dieu! Ca va ma vieille?
La jeune femme, qui regardait le morbide spectacle de tous ces monstres désormais privés de vie qui gisaient tout autour d’eux, le crâne fracassé, baignant dans une mare noirâtre de sang coagulé entendit à peine la voix de Johann et ses pas précipités qui se rapprochaient d’elle.
Encore sonnée par ce qui venait de se produire, elle avait l’impression de sortir d’un horrible cauchemar sans pour autant être entièrement réveillée. Elle avait bien du mal à revenir à la réalité et à réaliser qu’elle venait d’échapper de justesse à un bien triste sort. Une douleur lancinante la faisait encore souffrir au niveau des côtes mais paraissait lointaine à son esprit. Elle sentit comme dans un rêve les mains fermes mais douces de Johann la soutenir au niveau du dos et des épaules.
-Attention la miss! Ne va pas te faire encore plus mal en tombant.
Il fallut cinq bonnes secondes à Louise pour s’apercevoir qu’elle avait du mal à tenir droit sur ses jambes et que son ami était arrivé au moment opportun pour l’empêcher de tomber à la renverse.
Maintenant que son cerveau commençait à s’éclaircir et à redevenir lucide, elle se rendit compte qu’en plus de ses jambes qui tremblaient sous le coup de la pression qui retombait, une forte sensation de tournis l’avait envahie, rendant la coordination de ses mouvements de jambe extrêmement difficile.
-Louise, ma p’tite princesse!, mon dieu cette chose qui t’as attaquée…tu t’es fait mordre?
Julia, venait de se précipiter à son tour vers sa meilleure amie, elle serrait à présent sa main dans la sienne, comme-ci elle avait peur qu’elle ne s’envole.
Louise leva les yeux vers elle et vit, malgré l’infernale sensation de tournis qui lui donnait l’impression d’être sur un bateau au beau milieu de l’océan déchaîné, l’expression catastrophée et paniquée de son visage.
-Ca va ma p’tite cavalière….je crois qu’il ne l’a pas traversé.
Elle effectua un rapide mouvement du pied et tourna la tête en direction du talon de sa chaussure.
L’instant d’après elle sentit Johann resserrer ses bras autour de sa taille et pousser un soupir de soulagement avant de lui donner un bisou amical sur le haut de la tête. Julia, face à elle serra sa main de plus belle tandis que ses yeux s’embuaient de larmes.
-Oh Louise…….
Elle éclata en sanglots et la pris à son tour dans ses bras pour l’y serrer.
-Bon sang! Toi si on ne te surveille pas un peu plus tu finiras par te faire tuer! Mais à quoi tu jouais ma belle? Tu crois que ça te donnera encore plus un air d’aventurière et que tu mériteras encore plus ton surnom si tu te fais bouffer par un enragé ou quoi!….
Julia avait réussi à articuler ces mots au beau milieu de pleurs étouffés et bien qu’elle paraisse extrêmement secouée, le ton de sa voix oscillait entre le reproche effrayé et la gentille ironie. C’était comme si ces nerfs avaient lâchés et qu’elle ne savait pas si une fois Louise hors de danger il valait mieux fondre en larmes en lui reprochant sa folle témérité ou bien éclater d’un rire libérateur en plaisantant sur ce qui venait de se produire pour décompresser.
Louise passa également ses bras autour des épaules de la jeune femme et lui donnait des tapes réconfortantes dans le dos.
-Je dois bien admettre qu’une fois de plus tu nous as fait une belle peur, renchérit Johann d’une voix bourrue, à mi-chemin entre le ton accusateur et soulagé. En tout cas tu devrais remercier ta bonne étoile la nantaise! Ce soir elle est vraiment avec toi.
Louise se tourna vers lui, parvenant, malgré la situation à esquisser l’ombre d’un petit sourire complice.
-Je crois que c’est plutôt la résistance du cuir des godasses du « Punk N Groll » de Nantes que je devrais remercier. Dorénavant, sur leurs écriteaux ils pourront rajouter la mention « Résiste aux morsures lors des invasions de mangeurs de chair enragés, testée et approuvée par notre cobaye Louise Le Dillaut! D’ailleurs je crois que je vais leur demander de me payer pour le test que je viens de réaliser, avec bien sûr la prime de risques en supplément!
Johann qui lui faisait face lui aussi à présent la regarda un instant avec des yeux ronds, comme si il n’en revenait pas de la voir déconner ainsi alors qu’elle venait d’échapper au pire et que tout le monde avait eu tellement peur pour elle.
-C’est pas possible ma parole! T’es vraiment inconsciente.
-J’aurais pas dit mieux….inconsciente et complètement givrée, mais c’est ce que t’as toujours aimé chez moi, mon vieux non?
Pendant une demi-seconde, le visage du jeune homme parut refléter une incrédulité sidérée, on aurait dit que pour lui, son amie venait effectivement de basculer dans la folie pure , l’instant d’après cependant, son air effaré et presque terrifié se transforma en un sourire difficilement réprimé, puis qu’il ne put masquer davantage, éclatant d’un fou rire sonore.
En quelques instants c’était parti, Louise aussi éclata de rire avec lui, se libérant à son tour de toute la pression accumulée et de sa propre peur d’avoir été mordue quelques instants plus tôt.
Ce fut alors Julia qui à présent semblait penser qu’ils avaient perdu la raison et leur jetait des regards effrayés. Cela cependant ne dura là-aussi qu’une ou deux secondes avant qu’elle ne parte finalement elle aussi dans de grands éclats de rire libérateurs.
-Oui ma jolie, tu es vraiment complètement folle! Articula Johann entre deux hoquets, et oui c’est ce qui me fascine chez toi, mais de grâce ce n’est pas une raison pour nous faire flipper comme ça et pour oublier de rester en vie.
-Johann a raison. Je n’ai pas envie de perdre ma meilleure amie parce qu’elle se sera mise dans une situation impossible. Ta folie douce me manquerait trop ma belle alors ne nous refait plus de frayeur pareille!
Louise parvint à interrompre son fou-rire nerveux pendant quelques secondes et à répondre à son amie les yeux pleins de larmes.
-Promis j’essaierais de faire gaffe….si j’y arrive!
-Ne bougez pas, restez tous ou vous êtes!
La voix sèche et puissante venait de retentir, coupant soudain court aux rires des jeunes gens. Les autres membres de la petite bande qui s’étaient approchés eux-aussi pour voir ce qui s’était passé pour Louise semblaient cette-fois ci trouver que l’heure n’était pas spécialement aux fous rires et plusieurs avaient paru vouloir entrer dans une discussion animée sur le sujet avec eux mais la sommation qui venait de retentir ne leur en avait guère laissé le temps et tous se retournèrent brusquement vers le côté opposé de la rue.
A une quinzaine de mètres d‘eux, partiellement éclairés par les phares de la voiture qui leur faisait face, qui projetaient dans leur direction une lumière éblouissante, les trois silhouettes humaines des nouveaux arrivants s’avançaient lentement et prudemment. Louise qui ne riait plus du tout, remarqua qu’ils avaient toujours en main, les armes à feu qui leur avaient servi à se débarrasser des créatures et qu’ils les tenaient à présent braquées vers eux, les tenant en joue.
-Mettez vos mains bien en évidence, à la lumière des phares et pas de gestes brusques!
La même voix venait de résonner de nouveau, ferme et sans appel.
Louise avait beau être consciente qu’ils venaient de la sauver en abattant le monstre qui l’avait attaqué, elle ne put s’empêcher de ressentir une bouffée d’indignation devant ces ordres clamés. Qui étaient-ils pour les menacer avec leurs armes et pour leur donner des ordres comme ça? Aussi sèchement et agressivement.
Elle ravala néanmoins une partie de sa colère, il ne servait à rien d’envenimer la situation. De plus si, comme elle le pensait, ces gens étaient des flics il valait mieux ne pas leur donner une raison supplémentaire de faire une démonstration d’autorité voire de force car elle savait qu’ils pouvaient partir au quart de tour dans ce genre de situation, voire même pour certains qu’ils n’attendaient que ça pour emmerder les gens ou leur taper dessus, surtout si il s’agissait de « petits branleurs de jeunes » qu’il fallait discipliner pour leur apprendre la vie.
Lorsqu’elle répondit ce fut d’une voix qu’elle essaya de rendre le plus calme et aimable possible.
-Ça va, pas de lézard on est tous là et on a aucune arme sur nous, ni rien de dangereux! On cherchait juste à quitter le quartier quand on s’est fait attaquer par ces trucs!
-Mettez vos mains en évidence, dépêchez-vous! Répéta la voix d’homme comme si la jeune femme n’avait pas parlé, je veux voir vos mains à la lumière des phares.
-Ok c’est bon calmez-vous! Repris Louise qui semblait un poil plus énervée, je vous répète qu’on a rien de dangereux.
-Troisième et dernière sommation, mettez vos mains en évidence et en bonne visibilité, si vous refusez d’obtempérer nous serons contraints d’ouvrir le feu, c’est une question de sécurité pour nous.
La voix avait de nouveau retentit, plus forte et plus impatiente également et cette fois la jeune femme parvint à repérer celui qui parlait ainsi.
C’était celui qui se trouvait au milieu, entre les deux autres, d’après ce que Louise pouvait voir il s’agissait d’un homme grand et plutôt mince, bien qu’un peu plus large au niveau des épaules et bien qu’elle ne distingua pas très bien son visage il lui sembla que seuls quelques filets de cheveux épars subsistaient au sommet de son crâne, le reste semblant partiellement dégarni.
-Putain mais c’est quoi votre problème?, je vous répète qu’on est pas armés et on va tous bien ici, ces saloperies n’ont rien eu le temps de faire!
Johann posa une main pressée sur l’épaule de Louise qui venait elle-aussi de monter d’un cran dans l’agressivité.
-Calme toi ma belle! Pour l’instant je crois qu’on a pas trop le choix, faisons ce qu’ils disent et ils vont se calmer.
Les trois personnes en face, ne prononcèrent pas d’autres paroles, se contentant de s’avancer de quelques pas de façon quasi-synchrone, tenant toujours leurs armes pointées sur le petit groupe.
Peut-être avaient ils remarqué le geste apaisant de Johann envers Louise et comprenaient- ils son désir de calmer la tension qui montait crescendo et qui ne pouvait que finir par dégénérer si cela continuait ainsi.
En tout cas l’homme à forte voix ne fit aucune sommation supplémentaire et ne sembla pas vouloir ouvrir le feu comme il l’avait dit auparavant. Pendant quelques secondes personne ne pipa mot, les deux groupes s’observaient silencieusement, on entendait plus que le bruit lointain de coups sourds et de pétarades provenant du centre-ville.
Un à un, ensuite, tous dans la petite bande levèrent les bras pour montrer leurs bonnes intentions.
Louise fut parmi les derniers à y consentir mais finit par penser que Johann avait raison et que c’était la chose la plus sage à faire pour le moment.
-Très bien, maintenant on va devoir vous examiner de près, pour notre protection nous devons nous assurer que personne dans votre groupe n’est infecté. L’un de vous a-t-il été mordu ou griffé par une de ces choses?
-Non monsieur! S’exclama Johann, nous avons pu l’éviter et même si nous avons tous pris des risques à tour de rôle nous avons eu beaucoup de chance. Vous avez du matériel médical pour contrôler notre état? Je suppose que vous allez nous faire passer les fameux tests dont ils parlent sur toutes les chaînes.
-Une chose à la fois voulez-vous rétorqua l’homme, tandis que lui et les deux autres s’approchaient encore davantage, visiblement un peu moins tendus mais leurs revolvers toujours levés. Nous ne sommes que des policiers en patrouille et nous nous sommes retrouvés piégés dans une zone contaminée, sans renforts et sans possibilité d’évacuation et même si ce protocole ne me surprend guère, vu les événements, nous n’étions pas au courant des mesures prises au dehors de cette zone pour contrôler l’épidémie.
Bientôt les trois personnes se retrouvèrent juste à côté d’eux et l’homme qui venait de parler d’avança jusqu’à leur hauteur tandis que ses collègues légèrement en retrait continuaient de les tenir en respect avec leurs armes de service.
Louise remarqua que l’homme venait de ranger la sienne dans son étui et qu’il tenait dans son autre main une petite lampe de poche.
-Heureusement qu’on avait pensé à en prendre une dans la boîte à gants! Grommela-t-il à voix basse, plus pour lui-même semblait-il. Sapija tu peux venir m’aider s’il te plaît?, Un seul d’entre vous suffira pour la surveillance armée.
En disant ces mots, il se rapprocha de Johann et braqua sa lampe-torche vers lui, le jeune homme parut un instant ébloui par la lumière, puis l’homme l’éloigna de son visage, promenant le halo à hauteur de sa gorge.
Pendant ce temps, une jeune femme en uniforme de Gardien de la Paix s’avança vers Louise qui était dans l’axe des phares et la toisa de haut en bas.
Elle effectua tout d’abord sur elle ce qui semblait être une fouille au corps réglementaire et porta ensuite ses deux mains à hauteur de son cou, tâtant par endroits.
Elle lui examina ensuite brièvement l’intérieur des yeux et Louise qui la voyait à présent de très près remarqua sa longue chevelure noire ramenée en queue de cheval et son visage mat qui dénotait ses origines nord-africaine.
Le regard de la jeune femme s’attarda également un instant sur l’uniforme de la dénommée Sapija, vieille habitude de mouvements étudiants certainement, mais Louise savait que c’était un peu devenu un réflexe de curiosité lorsqu’elle se trouvait face à des flics, histoire peut-être d’en savoir le plus possible sur l’adversaire.
A en juger par ses épaulettes décorées d’une simple bande blanche, la jeune policière devait être Gardienne de la Paix stagiaire, peut-être bien sous l’autorité directe d’un des deux hommes qui l’accompagnaient.
-Celle-ci semble saine capitaine, aucun signe de fièvre et pas de trace de morsure, la chaussure dans laquelle le zombie de tout à l’heure a mordu ne semble pas non plus avoir été traversée par ses dents.
-Ok, même chose pour le jeune homme que je viens d’examiner on va passer aux autres et faire vite, je n’ai pas envie de moisir dans le coin, surtout après qu’on ait réussi in-extremis à sortir vivant de ce guêpier.
-Dites! Ça serait trop vous demander de nous considérer comme des gens et pas comme des objets à examiner dont vous parler entre vous? Ça n’est pas parce que vous êtes flics que ça vous donne tous les droits!
Julia qui se trouvait juste à côté d’elle et vers qui la jeune policière se dirigeait à présent, lui lança un regard suppliant et un brin effrayé, elle paraissait redouter que le côté « grande gueule » et « rebelle face à la flicaille » de son amie ne leur cause des ennuis, surtout en ce moment.
Derechef la jeune policière, comme si elle avait reçu un coup de semonce se retourna vers Louise et toutes deux pendant deux secondes se fusillèrent du regard, on aurait presque dit que chacune cherchait à faire plier l’autre avec les yeux les plus assassins possibles.
Julia qui dans d’autres circonstances avait déjà vu son amie dans un état similaire face aux forces de l’ordre commençait à vraiment craindre que la situation ne dégénère.
- Ecoute-moi, mademoiselle Grande Gueule! Lança soudain la policière d’une voix furieuse et un brin menaçante, je me fous complètement de tes états d’âme et du fait que tu ne sois pas contente.
Tous autant que tu nous vois, mes collègues et moi, on a tous failli crever ce soir, se faire bouffer par des putains de saloperies mangeuses de chair humaine sur pattes et au cas où il faudrait te rafraîchir la mémoire on a dû encore risquer notre peau tout à l’heure pour vous sauver la mise parce que vous devez trouver ça hyper drôle avec votre petit esprit rebelle de traîner dans un quartier infesté de zombies lorsque l’alerte a été donné.
Si on avait pas été là pour sauver votre cul vous seriez tous en petits morceaux en train de moisir dans l’estomac de cadavres ambulants à l’heure qu’il est ok! Alors si toi et tes petits copains pouvaient éviter de trop la ramener avec le respect!
Perso je n’ai aucune envie de finir en chair froide pour morts-vivants et je trouve qu’on a déjà bien assez traîné, tout ce que je veux maintenant c’est me barrer de ce piège à cons en vitesse alors épargne moi le cri de révolte habituel contre les flics ça nous fera gagner du temps à tous.
Les joues de Louise virèrent en partie au rouge, peut-être encore plus que lors de sa dispute avec Anthony. En tout cas pour ceux qui se trouvaient assez près d’elle pour bien la voir, comme Johann ou Julia, le regard flamboyant qu’elle lança à la policière paraissait dix fois pire et dix fois plus sanguinaire que ceux auxquels elles les avaient habitués lorsqu’elle était très en colère, ce qui n’était pas peu dire.
Elle ne paraissait en tout cas nullement impressionnée par l’uniforme ou le ton de la jeune gardienne de la paix et s’avança d’un pas vers elle. On aurait juré qu’elle était à deux doigts de la saisir par les cheveux et de la jeter à terre sans ménagement. Julia poussa un gémissement qui ressemblait à une supplication terrifiée mais Louise l’ignora complètement.
-Et toi écoute donc aussi Mademoiselle Je Ne Me Sens Plus Pisser Droit parce que je porte un uniforme de police! Je ne sais pas ce que tu as traversé avec tes chers collègues mais figures toi que nous aussi les « petits merdeux rebelles qui trouvent amusant de se balader la nuit dans un quartier rempli de bouffeurs enragés », comme tu dis, nous avons eu notre dose au niveau peur de rester sur le carreau avec la face déchiquetée par ces saletés! Nous avons tous failli y rester à un moment ou à un autre de cette soirée et nous avons du aussi compter les uns sur les autres pour rester en vie et se tirer de cette merde!
Alors flic ou pas flic tes leçons de morales sur le fait qu’on ait aucune idée des risques et du danger ou qu’on aie eu de la chance que les braves et courageux policiers passent dans le coin pour tirer les jeunes merdeux inconscients du pétrin tu te les gardes et tu t’étouffes avec c’est clair?
Louise qui recommençait visiblement à bouillir intérieurement avait répondu du tac au tac, d’une voix que l’exaspération et la colère contenue faisait légèrement trembler et à la lumière des phares les autres pouvaient constater sans peine que ses joues avaient prises une teinte encore plus colorée.
Julia lui avait saisi la main et la caressait dans la sienne comme pour tenter de la calmer tandis que Johann essayait vainement de croiser son regard, espérant probablement tenter de la ramener à la raison.
En face, la jeune policière stagiaire parut ne plus pouvoir se contenir elle non plus et explosa
-Ah vous aussi vous avez échappé de peu à la mort? Mais c‘est très bien ça, vous voulez quoi? Faire un concours de ceux qui ont vu le plus d‘horreurs cette nuit?, satisfaire vos petits égos surgonflés en déclarant pompeusement que vous avez connu pire que ces abrutis de flics ce soir, que ça leur apprendra à ces cons en uniforme et que c‘est bien fait pour leur gueule? Vous avez quel âge sérieux? Enfin, jeune fille, si tu veux vraiment jouer à « qui a vécu pire que l‘autre ce soir » , sache que nous nous sommes retrouvés coincés dans un immeuble bourrés de zombies et j’ai bien cru pendant très longtemps que nous n’en sortirions jamais vivants. On a vu des jeunes de votre âge et même moins se faire déchiqueter par ces saletés, hurler et appeler à l’aide et nous n’avons rien pu faire pour les sauver, nous avons aussi perdu l’un des nôtres dans cet enfer. J’étais avec lui et nous avons été séparé du reste de l’équipe, c’était un type droit et qui a tout fait pour m’empêcher de péter les plombs alors qu’on était piégés dans une chambre assiégée par des bouffeurs qui tambourinaient sur la porte en poussant ces atroces gémissements. S’il n’avait pas été là je n’aurais jamais réussi à garder la tête froide, j’aurais probablement été dévorée par ces saloperies lorsqu’elles auraient fini par enfoncer la porte ou alors j’aurais pété les plombs et je me serais fait sauter la cervelle avec mon flingue pour échapper à une mort atroce.
Les deux jeunes femmes restèrent quelques secondes à s’observer, la tension croissante était palpable dans l’air et elles continuaient de se fusiller l’une et l’autre du regard. Chacune semblant vouloir rester sur ses positions par fierté et certainement aussi à cause de ce qu’elles venaient de traverser.
Ophélie qui s’était un peu rapprochée d’elles et semblait désireuse de calmer le jeu pris la parole en regardant son amie d’un air inquiet et un brin impatient.
-Louise, ma belle! Franchement elle a quand même raison, c’est pas en restant butés comme ça qu’on fera avancer les choses et franchement si ce qu’elle dit est vrai et que leur patrouille s’est effectivement sortie in extremis et pas intacte des griffes de ces enragés moi je comprends qu’ils soient si méfiants et qu’ils ne veuillent courir aucun risque.
-Hé attend un peu! Intervient Séb à son tour d’une voix courroucée, moi je suis plutôt d’accord avec Louise là! Ok faut pas faire de généralités sur les flics et peut-être bien qu’ils en on vues des vertes et des pas mûres ce soir, comme nous, mais c’est pas en étant d’emblée agressifs et menaçants comme ça avec les gens qu’ils vont gagner leur confiance, surtout dans ce genre de situation et sérieusement avec ce qu’on a vu aux nouvelles, j’dois dire que j’suis franchement pas optimiste à l’idée que les poulets qui ont été dispersés dans la villes aient une attitude aussi hautaine face aux autres gens. La situation est déjà assez merdique comme ça, c’est le meilleur moyen pour que tout dégénère et les seuls qui s’en tireront à bon compte ce sera ces pourritures cannibales qu’ils appellent « zombies ».
Louise n’écoutait pas vraiment et très honnêtement elle se fichait pas mal de la tournure que prenait la dispute et de qui était d’accord ou non avec elle.
Pour l’heure, elle ne voyait que cette jeune fliquette agressive et méprisante qui les prenait de haut et se permettait de leur faire la leçon et tandis qu’elles continuaient mutuellement à se lancer des regards assassins, la policière reprit la parole, s’adressant cette fois-ci à l’homme qui commandait la patrouille, tournant légèrement la tête vers lui.
-Avec tout le respect que je vous dois Capitaine, je vous avais dit que c’était une perte de temps et une prise de risques inutile de s’arrêter. Il me semble que ce soir on a bien vu ce que ça nous rapportait que de voler au secours des gens avant de penser d’abord à sauver nos vies. On a bien vu ce que c’était que de se casser le cul à vouloir sauver des personnes qui n’en ont rien à foutre et qui au final, pour nous remercier de les avoir tiré de la merde, nous mettent encore plus en danger ou même carrément n’hésitent pas à nous abandonner ou à menacer de nous buter comme des chiens pour sauver leur peau! Je ne sais pas ce qu’il vous fallait de plus, pour moi le proverbe « Trop bon, trop con! » avait pris tout son sens dans ce putain d’immeuble et encore une fois je constate qu’avec votre foutue manie de jouer les bons samaritains on se retrouve à risquer la mort pour des branleurs qui croient tout savoir et n’en ont rien à secouer de ce qu’on fait pour eux!
Sapija se retourna presque machinalement vers Louise, comme si c’était avant tout elle qu’elle visait dans ses derniers mots, avec un regard noir et empli de reproches.
-Et avec tout le respect que la branleuse que je suis est censée devoir à ton uniforme et à ton courage de bonne représentante de l’ordre, tu peux aller de faire foutre! Si pour aider les gens à « se sortir de la merde », toi et tes petits copains commencez par leur parler comme à des clébards en bombant le torse et en piquant des crises d’urticaire dès qu’on vous dit quelque chose qui vous déplaît, je ne m’étonne même pas que les témoignages de gratitude ne se bousculent pas et que tant de personnes vous plantent à la première occasion au milieu d’un attroupement d’enragés. En fait je crois même qu’avec une fille comme toi, flic ou pas flic je ferais pareil!
-Espèce de petite pute! Je te jure que tu vas regretter ce que tu viens de dire!
La voix de Sapija n’était plus maintenant qu’un murmure tremblant de rage et son visage avait pris une teinte qui lui donnait l’air d’avoir attrapé le tétanos.
Tout alla très vite et avant que qui que ce soit ait pu réagir, la jeune policière avait dégainé son arme de service et ôté le cran de sûreté.
Des cris retentirent alors dans l’assistance, des hurlements de frayeur, des protestations courroucées, des exclamations de colère.
Sapija n’y prêta aucune attention, même lorsqu’une voix sonore, à la fois terrifiée et impérieuse scanda son nom et lui intima l’ordre de « ranger ce flingue tout de suite ».
-Ne crois pas une seconde que j’hésiterais à m’en servir parce que je suis flic! Si tu t’imagines que je n’oserais pas c’est que tu n’as vraiment pas pris conscience de ce qui se passe ce soir et de ce que j’ai déjà du faire ces dernières heures pour rester en vie.
Les yeux remplis de haine et de colère douloureuse, la jeune policière avança le bras avec lequel elle tenait l’arme, pointant le canon sur le front de Louise.
De nouveaux cris retentirent.
-Bon dieu c’est pas vrai! Qu’est-ce que tu fous? Arrête tu vas finir par vraiment faire une connerie!
-Bordel de merde mais retenez-la votre collègue. Elle est complètement cinglée là!
Plusieurs voix féminines s’élevèrent, suppliant la jeune femme de revenir à la raison et de baisser son arme, les pleurs du petit Axel éclatèrent au milieu de cette cacophonie.
Sans se préoccuper de quoi que ce soit dans tout cela, Sapija continuait de fixer Louise droit dans les yeux et de tenir son pistolet braqué sur son front et celle-ci n’avait pas non plus détaché son regard.
Elle n’avait eu aucun mouvement de recul et n’avait manifesté aucun signe apparent de peur lorsque Sapija avait pointé son arme sur elle. Peut-être pensait elle effectivement qu’il s’agissait d’intimidation et qu’elle ne tirerait pas, ou bien était-ce la colère qui en ce moment l’emportait sur la peur? En tout cas elle ne baissait pas les yeux et on n’aurait pas pu dire qui d’elle ou de celle qui lui faisait face dégageait le plus de haine et de rage pour l’autre. Alors que Sapija avait le teint livide, les joues de Louise était quasi-écarlates et les yeux dans les yeux elles semblaient presque pouvoir s’envoyer des étincelles l’une et l’autre.
-Maintenant tu vas retirer tout de suite ce que tu as dit, sinon je te promets que ça ira vraiment très mal pour ta petite gueule!
-Ma petite gueule elle t’emmerde copieusement fliquette! Vas-y ne te gêne pas, tires donc puisque tu ne peux pas me coller un outrage! En tout cas je comprends mieux pourquoi vous avez été les seuls survivants dans ce fameux immeuble! Si vous avez l’habitude de sortir vos armes dès que vous êtes contrariés, les autres gens que vous êtes soi-disant venus secourir n’ont pas dû faire long feu!
-Ferme là! Ferme-la tout de suite, je te préviens…..
-Tu me préviens? Et c’est toi qui parlais de petits branleurs irresponsables? Toi qui braque un flingue sur la tempe des gens quand ils ne sont pas d’accord avec toi? C’est sûr vu ton grade et ton âge tu dois pas être à la poulaga depuis longtemps!, Décidément c’est de pire en pire chez vous, on recrute de plus en plus n’importe qui!
-TA GUEULE!!!!!
Le coup de feu éclata et la détonation résonna dans la rue comme un gong. Des hurlements fusèrent de toutes parts, des pleurs se firent entendre, quelqu’un vociféra littéralement et l’on put entendre un nouveau cliquetis indiquant le retrait du cran de sûreté d’un second pistolet.
Louise, par reflexe avait reculé précipitamment d’un grand pas lorsque le coup était parti et avait manqué de tomber à terre. Se redressant de justesse, elle regardait à présent de nouveau la jeune policière, toujours en face d’elle et semblait à la fois prête à fondre sur elle pour lui porter le plus de coups possible et franchement alarmée par ce qu’elle venait de faire.
Le visage de Sapija exprimait un mélange de douleur désespérée et de haine absolue, ses traits étaient crispés et sa respiration saccadée, son arme encore fumante, de nouveau pointée sur la jeune femme. Louise remarqua que son bras qui tenait le pistolet tremblait légèrement et que ses yeux étaient maintenant embués comme si elle allait fondre en larmes.
-Tu veux encore jouer à la plus fine? Parce que là j’ai tiré en l’air mais il n’y aura pas de second avertissement!
-Ok! Rétorqua Louise d’un ton plus calme, qu’elle cherchait à rendre plus diplomate que provocateur, en dépit de la fureur qui l’animait encore plus depuis le coup de semonce, ça va calmes-toi et commence par ranger cette arme! On est parties sur de mauvaises bases toutes les deux, discutons calmement d’accord!
-Ne continue pas à te foutre de ma gueule en prime! Je te jure que ça ne me posera plus aucun problème de conscience de dégommer la tête de quiconque s’en prendra à moi d’une façon ou d’une autre!
-Pour la dernière fois Sapija rengaine ce flingue tout de suite, c’est un ordre!
Louise s’aperçut alors que l’homme mince à la voix grave et aux cheveux inégaux qui commandait la patrouille s’était approchée de sa jeune collègue et avait lui aussi à présent son arme levée.
La jeune femme effectua un bref tour d’horizon du regard et vit rapidement que tout le monde s’était rapproché: Johann, Séb, Anthony et Julia se tenaient à ses côtés et elle put lire dans leurs yeux la peur vis à vis de la situation qui dégénérait mais également une franche détermination et une colère froide et elle savait qu’ils se tenaient prêts à se jeter sur la jeune policière pour s’interposer et la désarmer si elle continuait à la menacer comme ça ou si elle recommençait à tirer.
Un peu plus loin Axel sanglotait, blotti dans les bras de Muriel et la serrant très fort contre lui. Elle aussi avait encore des larmes dans les yeux et caressait la tête du garçonnet d’une main tremblante mais qui se voulait tout de même rassurante. Ophélie était également agenouillée près de lui et paraissait lui murmurer à l’oreille des mots apaisants.
Alix enfin s’était rapproché du troisième gardien de la paix, celui qui avait été chargé de tenir le groupe en respect pendant le contrôle et Louise pensa deviner qu’elle avait tenté le tout pour le tout en essayant de le raisonner pour qu’il empêche sa coéquipière de faire une grosse bêtise et cela avait du fonctionner puisque celui-ci s’était également tourné vers Sapija, pointant son pistolet dans sa direction.
Le capitaine, ainsi que ses équipiers l’avaient auparavant nommé repris d’une voix excédée et furieuse.
-Bon ca y est oui! Vous croyez que c’est le moment de partir dans une bataille rangée?
Comme si ça ne suffisait pas de devoir se battre contre des morts-vivants enragés! Disons un partout la balle au centre et pressons nous un peu, vous je ne sais pas mais moi je ne tiens pas à moisir en pleine zone contaminée, je n’ai pas échappé de justesse à la mort dans ce putain d’immeuble pour risquer à nouveau de me faire tuer en traînant bêtement au milieu d’un territoire hostile!
Sa voix était ferme et impatiente. Il était à présent face à Emilien qui se contentait, comme un peu plus tôt dans la soirée de regarder la dispute en affichant un air à la fois incrédule et blasé.
-Sapija bordel de merde! Pour la dernière fois je t’ordonne de ranger immédiatement ce putain de flingue!
-Sinon quoi, vous allez me buter sur place? Allez-y ne vous gênez pas, si vous aussi vous avez décidé de me laisser tomber et de défendre cette fille et ses copains plutôt que vos collègues! Ce n’était pas la peine de vouloir me sauver tout à l’heure: Dans ces cas-là, pourquoi vous n’avez pas laissé ce taré me faire sauter la tête? Pourquoi, si maintenant vous n’en avez plus rien à foutre, comme tous ceux qui n’ont rien fait pour nous venir en aide et qu’on a failli y passer comme des rats! Je croyais qu’on était solidaires, qu’on formait une équipe!
-Et tu as raison, on forme une équipe et on est tous sacrément solidaires!
Le capitaine avait répondu d’une voix plus calme et mesurée, Louise pensa qu’il souhaitait rétablir un esprit de confiance avec elle afin de la ramener à la raison.
-Et ni moi, ni le brigadier Le Gal n’avons l’intention ni l’envie de te buter. Tu es une bonne flic Sapija et une fille géniale! Comme nous tu as juste été complètement retournée par ce qui s’est passé ce soir et tu es complètement à cran. Ce que je te demande c’est de le reconnaître et de te calmer.
Je veux que tu acceptes le fait que pour le moment tu n’es pas en état d’être objective et que ton comportement peut vraiment devenir dangereux pour toi et pour les autres. Baisse ton arme et arrêtons de nous déchirer les uns les autres tu veux bien?
-Ils nous ont laissé tomber!!!….repris la jeune femme, comme si elle n’avait presque pas entendu ce qu’il venait de dire, on a failli crever, tous crever comme des chiens et ils s’en foutaient!! Ils n’ont envoyé personne…..personne n’a levé le petit doigt pour nous venir en aide!!!!
Sa respiration était de plus en plus saccadée et le tremblement qui secouait maintenant tout son corps s’accentuait de plus belle.
Louise, qui était restée immobile, s’efforçait elle aussi de garder son calme malgré le mélange de fureur et de tension face au pistolet qu’elle pouvait ressentir, elle remarqua toutefois que la policière avait légèrement abaissée celui-ci.
-Jean-François….mort….leur faute! Ce type qui a pété un câble….il allait me tuer….tous ces jeunes qui nous appelaient à l’aide et on ne pouvait rien faire à part les regarder se faire bouffer vivants!!!…..Coincés comme des rats!….J’ai vu la mort de si près ce soir…..je croyais en tout ça capitaine…..ce qu’on nous apprend à l’ENP….aider les gens, les protéger….des conneries!!! Rien que des conneries. Personne n’est venu nous aider!, On a failli tous mourir et on a rien pu faire pour aider qui que ce soit, rien, Rien, RIEN!!!!!!
Sapija éclata soudain en sanglots, craquant littéralement, elle venait de parler d’une voix totalement décousue, désorientée, comme si elle avait du mal à faire le lien entre ses pensées qui se bousculaient dans sa tête.
Et à mesure qu’elle parlait, elle semblait de plus en plus perdue et sa voix s’était faite de plus en plus tremblante et étouffée par les pleurs qu’elle essayait de contenir jusqu’à l’explosion finale, dans un véritable hurlement de colère et de désespoir précédant les sanglots incontrôlables.
Ayant complètement baissé son pistolet à présent, elle n’opposa aucune résistance lorsque le capitaine s’avança complètement jusqu’à elle et lui saisit le bras dans un semblant de prise d’immobilisation pour la lui prendre.
Après l’avoir confiée au brigadier Le Gal qui venait lui aussi de s’approcher et hocha la tête d’un air approbateur il rangea son propre pistolet dans son étui, qu’il portait en bandoulière par-dessus sa fine chemise marron clair.
Louise le distinguait maintenant beaucoup mieux, à présent qu’il était juste à côté et en plein dans la lumière des phares.
C’était un homme qui semblait avoir une quarantaine d’années qui devait mesurer dans les 1m85, mince avec toutefois les épaules un peu plus carrées, il avait un visage tanné aux traits bruts, rudes, une physionomie qui paraissait avoir été endurcie par des années d’expérience et de service.
Son nez était légèrement pointu et ses petits yeux marrons brillaient d’un mélange de légère méfiance qui demeurait probablement en lui et d’apaisement, du fait sans aucun doute d’être parvenue à empêcher la jeune policière de commettre l’irréparable.
Ses fins cheveux, châtains foncés s’étalaient sur le contour de sa tête et se faisaient bien plus rares et épars au sommet, annonçant vraisemblablement un début de calvitie.
Contrairement aux deux autres flics de sa patrouille il ne portait pas d’uniforme mais une veste de cuir noir ouverte par-dessus sa chemise et qui lui donnait un air un baroudeur contrastant un peu avec sa fonction.
Il serrait à présent dans ses bras la jeune gardienne de la paix stagiaire, toujours secouée de sanglots et de tremblements et qui semblait avoir toutes les difficultés du monde à tenir seule sur ses jambes. D’un geste affectueux, presque paternel, il lui caressait les cheveux avec douceur et effectuait de petits mouvements des bras, à peine perceptibles, comme si il la berçait, cherchant à la réconforter.
-Je termine de contrôler les autres capitaines? Moi aussi j’ai fichtrement envie de me casser d’ici le plus vite possible.
-Ouais Le Gal, allez-y! Et vous autres, mesdames surtout, veuillez m’excuser! En principe la procédure nous interdit de faire fouiller les gens par une personne de sexe différent mais vous comprendrez que vu l’urgence de la situation nous devons agir rapidement et avec les moyens du bord.
Personne de toute façon ne semblait vouloir polémiquer sur la procédure en question et chacun avait l’air tout aussi pressé que le brigadier Le Gal de décamper au plus vite.
Même Louise qui d’expérience savait que les fouilles policières pouvaient non seulement être synonyme de gros emmerdements ultérieurs mais également d’attitudes bien machos ou en tout cas humiliantes de la part de certains agents ne paraissait aucunement vouloir se lancer dans un débat sur le sujet en ce moment.
D’ailleurs elle dut bien reconnaître que le brigadier Le Gal ne paraissait pas avoir grand-chose en commun avec certains de ces sinistres connards auxquels elle avait eu affaire en manif’ et qui ne se privaient pas, lors de contrôles d’identités et de fouilles au corps, de balancer des remarques blessantes pour faire sortir les jeunes de leurs gonds et avoir un prétexte pour leur coller un outrage à agent, les embarquer ou carrément les tabasser. Ou encore ceux qui, en attendant leurs collègues féminines pour la fouille, s’étaient déjà retournés en bombant le torse, décochant un rictus salace vers elle et certaines de ses amies manifestantes en lançant grassement « Désolé les filles ça ne sera pas pour cette fois! »
Le Gal restait un peu méfiant mais il avait renoncé à sortir son arme et il se contentait de prendre sommairement la température des jeunes gens avec une main sur le front, d’effectuer une fouille rapide et d’inspecter les différentes zones du corps à la recherche d’éventuelles morsures, traces de sang ou déchirure vestimentaire.
-Ca m’a l’air d’être bon capitaine! déclara-t-il quelques minutes plus tard alors qu’il finissait de contrôler Alix, la dernière de la bande. Ils semblent tous avoir un discours cohérent, n’ont aucun symptôme de fièvre et pas de traces de morsure.
-Ok alors ne traînons pas ici! Je doute que ce rapide examen suffise si effectivement des barrages ont été mis en place mais au moins maintenant on sait qu’on peut vous escorter sans risque pour nous. Comment comptiez-vous atteindre la zone sûre, vous avez des moyens de transport?
-Oui nous comptions prendre deux de nos voitures répondit Johann en désignant d’une main le passage menant au parking, elles sont garées là-dedans.
-Ok! Je pense qu’on devrait se limiter au niveau bagnoles. Si des barrages ont été érigés il doit déjà y avoir pas mal de monde à faire la queue en attendant les tests médicaux à l’heure qu’il est. Je propose que certains de vous montent dans notre véhicule, les autres devront se serrer dans la voiture la plus spacieuse que vous aurez.
-Capitaine, si vous me permettez une suggestion. Je n’ai qu’à monter avec une partie du groupe dans leur voiture et vous montez dans la nôtre avec Sapija et les autres ça irait?
Le capitaine plissa le front, semblant réfléchir pendant deux secondes puis répliqua
-Oui je pense que ça devrait aller! Vous allez les accompagner jusqu’au parking et nous on monte ici. En se serrant on a de la place pour prendre cinq personnes en plus de l’agent Mohand et de moi-même. Cinq d’entre vous restent donc ici et les autres partent avec le brigadier Le Gal!
Louise se tourna vers lui et intervint d’une voix pressée.
-Ca me va! Juste pour info nous étions en route pour nous rendre à la Gendarmerie près du pont Morineau, vous pensez que c’est un bon plan?
Le capitaine la regarda gravement comme si il réfléchissait mais ne savait trop que penser.
-En tant normal je vous dirais que oui mademoiselle et si il a été annoncé aux nouvelles que des barrages allaient être mis en place dans le secteur cela me semble une assez bonne idée pour passer rapidement les tests médicaux et être évacués au plus vite en zone sûre. Cela dit comme nous vous l’avons précisé et mis à part le fait que nous sommes policiers, nous sommes à peu de choses près dans la même situation que vous et avec les mêmes interrogations et incertitudes par rapport à la suite des choses.
-Bon alors on peut essayer, on s’en tient à ce qu’on avait prévu et vous nous accompagnez jusque là-bas d’accord!
Pendant une seconde encore, le capitaine sembla bluffé, à la fois un peu agacé mais aussi impressionné devant le cran et l’assurance de cette jeune femme qui ne prenait pas cinquante chemins pour dire ce qu’elle avait à dire et n’hésitait pas à s’affirmer et à exprimer sans détours ce qu’elle ressentait.
Dans ses yeux, quelqu’un qui aurait cherché attentivement aurait sans doute pu déceler qu’il gardait un pic de rancune et d’exaspération contre elle par rapport à ce qui s’était passé avec sa jeune stagiaire et par rapport à l’animosité qu’elle manifestait sans aucune équivoque pour les forces de l’ordre, mais il semblait tout de même que l’officier de police avec également quelque chose de presque admiratif pour elle dans le regard.
L’instant d’après, cependant, il reprit un air grave et préoccupé en répondant.
-Oui, c’est sans doute la meilleure chose à faire, on va venir avec vous en espérant pouvoir gagner du temps et ouvrir un peu le passage avec la sirène.
Les membres du petit groupe se regardèrent un bref instant, s’interrogeant mutuellement du regard, puis échangèrent quelques brefs avis entre eux avant de tomber d’accord.
Et tandis que le capitaine qui avait accompagné la jeune Sapija Mohand-elle ne pleurait plus mais semblait encore très secouée et nerveuse- jusqu’au siège avant-droit de la voiture de police, pressait d’avancer la première moitié du groupe: Johann et Muriel qui tenaient chacun d’une main le petit Axel qui lui aussi avait séché ses larmes mais semblait encore sous le choc de ce qui venait de se produire devant lui, suivis de près par Ophélie et Alix, qui en bonnes et fidèles amies se tenaient par la main et parlaient entre elles à voix basse, cherchant visiblement à se rassurer l’une comme l’autre.
Le brigadier Le Gal suivi Emilien qui était parti en premier vers le parking pour aller chercher sa voiture, Louise, Julia et Antony ainsi que Séb suivirent aussitôt.
Bientôt tous furent installés du mieux qu’ils pouvaient dans le véhicule d’Emilien, plus grand que la clio de Julia ou que la Peugeot d’Anthony.
Emilien au volant démarra immédiatement, Le Gal avait pris place à côté de lui, les quatre autres se partageaient la banquette arrière et Anthony ayant délicatement installé Julia à qui il donna un baiser apaisant sur la tête, sur ses genoux, ils purent tous y loger.
Le cœur de Louise fit un bond dans sa poitrine lorsque malgré le vrombissement de l’auto qui démarrait elle distingua nettement un bruit de verre brisé, elle eut le temps avant qu’Emilien n’enclenche la boîte de vitesse de tourner brièvement la tête vers le petit jardinet des voisins transformés en créatures, que Johann et Alix avaient enfermés dans leur cuisine tout à l’heure. La vitre de la cuisine en question avait fini par céder sous le martellement continuel des monstres, rejoints visiblement par quelques autres de leurs semblables qui se trouvaient aussi dans la maison et alors que la voiture s’ébranlait et filait vers la sortie du parking, elle entraperçut plusieurs silhouettes humaines en sortir et gagner le jardin de leur démarche gauche et bancale.
Effectivement mieux valait ne pas s’attarder dans le coin et ils étaient partis au bon moment.
Lorsqu’ils débouchèrent sur la rue la voiture de police conduite par le capitaine les attendait déjà, gyrophares allumés et le moteur en route. Emilien lui adressa un bref appel de phares et l’auto s’élança dans un léger crissement de pneus, tandis que la sirène se mettait en marche.
-Tout ce boucan ça va en attirer d’autres!
Julia venait de parler d’une voix à peine audible, visiblement effrayée, tandis qu’Emilien appuyait à son tour sur le champignon, se lançant à la suite de la première voiture.
-Oui mademoiselle, je ne peux pas le nier! rétorqua le brigadier d’une voix mesurée, comme si il voulait lui éviter de paniquer.
On a remarqué nous aussi quand on était bloqués dans ce Foyer de Jeunes Travailleurs qu’ils semblent attirés par toute sorte de bruit, cela dit nous avons un sacré avantage sur eux, la vitesse et que ce soit à pied ou en voiture. Ces trucs sont vraiment d’une lenteur incroyable. Il marqua un bref silence avant de reprendre.
-Cela étant il faut bien avouer qu’ils semblent être en revanche bien plus avantagés au niveau de l’endurance, du peu que j’ai pu en voir ils ne paraissent ressentir ni la fatigue ni la douleur. C’est pourquoi même si nous pouvons sans problèmes les distancer à court terme il ne faudra pas traîner et passer le plus rapidement possible en zone sûre et c’est là que la sirène peut nous aider.
Louise devait s’avouer qu’elle n’était pas tout à fait certaine qu’elle soit effectivement un gage de sûreté mais préféra ne rien dire, jugeant sans doute que la situation était suffisamment tendue pour éviter d’en rajouter une couche. D’autres questions, en revanche la préoccupait.
-Vous dites que vous avez pu constater leur endurance et leur apparente insensibilité à la douleur, nous avons pu le voir nous aussi, par contre nous n’avons pas été aussi loin que vous dans les découvertes car on ignorait totalement comment s’en débarrasser. Lorsque vous êtes arrivés tout à l’heure vous n’avez pas hésité une seconde et vous leur avez tiré direct dans la tête, j’imagine donc que vous l’aviez expérimenté avec succès.
Anthony se tourna vers elle et lui jeta un regard ou perçait les reproches, sans doute craignait-t-il que la manière directe et sans retenue dont elle abordait le sujet ne heurte le policier voire ne le braque contre eux comme cela avait été le cas avec sa jeune collègue.
Pour lui la situation semblait vraiment suspendue à un fragile équilibre de calme et d’apaisement mais il pensait certainement qu’il n’aurait pas fallu grand-chose pour faire déborder à nouveau la marmite.
Cependant Louise n’avait pas grand-chose à faire de ce qu’il avait en tête et était avant tout avide de réponses concrètes.
Le brigadier Le Gal ne sembla d’ailleurs pas se formaliser de la façon un peu brutale dont elle abordait les choses, il se tourna lentement vers elle, lui répondant d’une voix égale et semblait il, plutôt polie et mesurée.
-Vous êtes perspicace jeune fille!
Effectivement nous nous sommes retrouvés dans une situation où nous avons dû assez vite faire usage de nos armes et nous avons constaté qu’ils ne mourraient pas lorsqu’on leur tirait dans le corps. Nos balles ne les affectaient pas plus que si on leur avait donné un coup de poing: Ils tombaient à terre et se relevaient peu de temps après sans que cela affecte en quoi que ce soit leur endurance ou leur détermination à vouloir mordre dans n’importe quelle partie de notre corps.
Ce n’est que lorsque certains de nos tirs ont fini, purement par hasard tout d’abord, par les atteindre à la tête que nous avons compris que le seul moyen pour les neutraliser définitivement était de détruire leur cerveau.
Cela semble d’ailleurs assez logique si l’on considère ce qui a été dit dans les quelques flashs radios qu’on a pu entendre quand nous étions coincés dans des studios! Si c’est bien un virus qui s’est répandu il doit s’agir d’un organisme qui affecte le cerveau et transforme les gens en espèces de zombies assoiffés de chair: Un organisme qui se transmet sans doute par la morsure comme nous avons pu également nous en rendre compte, mais ça je suppose que vous aussi vous le saviez déjà!
Louise acquiesça gravement, regardant le visage du policier qui avait l’air aussi soucieux et préoccupé qu’elle et parlait d’une voix calme mais qui trahissait l’inquiétude et un reste de nervosité due certainement à ce qu’il avait traversé.
C’était un homme qui devait avoir une trentaine d’années, de taille moyenne et relativement mince lui aussi à l’exception de quelques légers rembourrements au niveau du bas-ventre. Les cheveux châtains clair tirant parfois sur le blond coiffés en une brosse qui avait tout de même bien perdu de sa netteté au cours de la soirée et lui donnait un peu l’air d’être sorti du lit sans se coiffer.
Il avait un air plutôt sérieux et professionnel dans ses grands yeux bleus plongés dans ceux de Louise et la jeune femme remarqua pour la première fois quelques petites taches de sang coagulé sur son uniforme un peu froissé, les restes sans aucun doute du face à face avec les monstres.
-La vache, vous les appelez zombies vous? Bon j’dis pas le contraire ça leur va plutôt bien comme nom à ces saloperies, vu leur façon de bouger, d’agir et tout, mais quand même….ça fait bizarre je trouve! J’aurais un peu de mal à dire ça sérieusement quand même pas vous?
Séb venait à son tour de prendre la parole, d’un air intrigué et même si c’était possible dans ce genre de situation, un brin goguenard et Louise se demandait décidément comment il faisait pour réussir à conserver son côté éternel blagueur même au beau milieu de toute cette merde.
Enfin c’était peut-être bien sa façon à lui d’oublier sa propre peur et de rester positif.
-Oui plusieurs fois au cours de cette soirée on les a appelés comme ça, un peu malgré nous je dois bien l’admettre. En les voyant , se déplacer, attaquer, c’est un terme qui est revenu souvent quand on en parlait entre nous, pour décider de ce qu’il fallait faire. Nous aussi ça nous faisait drôle au début croyez-moi! Et puis on a fini par prendre l’automatisme et à tous les appeler comme ça un peu machinalement, faute d’un meilleur terme quoi!
-Et alors qu’est ce qui s’est passé dans ce Foyer de Jeunes Travailleurs, vu d’où vous êtes arrivés, je suppose qu’il s’agissait du FJT Mendès-France, sur le boulevard Arago.
Emilien venait de parler pour la première fois depuis le début du trajet, jusqu’alors concentré sur sa conduite pour ne pas perdre de vue la voiture de police qui filait à une dizaine de mètres devant, remontant la rue de Saint d’André d’Ornay vers le Boulevard De Lattre.
Il tourna un bref instant la tête vers le brigadier, le considérant gravement.
-Lorsque vous êtes arrivés et que vous avez flingués ces saloperies on a cru que vous aviez été envoyés par le commissariat central ou quelque chose comme ça. Que la police faisait des patrouilles de récupération dans les quartiers ou cette merde s’est déclarée pour rapatrier les survivants. Je m’imaginais que vous étiez les éclaireurs d’unités plus importantes qui venaient prendre position pour faire le ménage et sécuriser les zones sinistrées. On a entendu que des compagnies de CRS et de gendarmes mobiles avaient pris position pas très loin d’ici pour établir un périmètre de sécurité autour du centre-ville et que d’autres avaient été envoyées pour évaluer la situation dans les quartiers contaminés avant d’intervenir.
L’homme regarda Emilien, puis les autres à tour de rôle, hochant la tête d’un air sombre
-On ne sait absolument rien de tout ça! Lorsqu’on a été envoyés en intervention, c’était beaucoup plus tôt dans la soirée et on avait alors aucune idée de ce qui se passait.
Quand on s’est retrouvés coincés dans l’immeuble on a pu écouter rapidement les nouvelles en se réfugiant dans des studios, c’est comme ça qu’on a su que ce truc s’était répandu un peu partout en France et dans plusieurs régions du Monde. Mais on a pas eu beaucoup le temps de se tenir informés et on ignorait quelles mesures spécifiques avaient été prises par les autorités sanitaires et tout le reste! Même si au vu de ce que vous dites ça paraît assez logique.
-Vous n’en aviez aucune idée? Mais alors pourquoi cette intervention?
-Vers 20h on a reçu un appel au commissariat, des cris, des bruits de bagarres au foyer de Jeunes Travailleurs Mendès-France, un truc vraiment classique, c’est pas la première fois qu’on recevait des coups de fils de voisins qui se plaignaient de tapage nocturne ou d’engueulades qui venaient du bâtiment. J’avais pratiquement fini mon service et j’ai accepté de me joindre à la patrouille envoyée voir ce qui se passait quand le capitaine Normand me l’a proposé. Il n’est pas du genre soudard borné qui beugle ses ordres à ses subalternes sans leur demander leur avis vous savez!, Il connaissait mon emploi du temps de la semaine et savait parfaitement que j’étais en fin de journée et qu‘elle avait été plutôt rude, il m’a dit que ce n’était pas grave si ça m’embêtait, qu’il trouverait quelqu’un d’autre, mais ça ne m’a pas dérangé de partir pour une dernière interv’ avant de rentrer. Bien sûr, si j’avais pu deviner comment tout ça allait tourner j’aurais certainement hésité plus longuement , on était quatre à la base et on s’est rendus sur place en voiture.
-Et tout comme pour nous, vous vous êtes retrouvés confrontés à l’horreur la plus totale et la plus inattendue c’est ça? répliqua Louise qui devinait sans aucune peine ce qui était arrivé ensuite et avait parlé d’une voix sourde et à peine plus élevée qu’un murmure mais dont on distinguait clairement chaque syllabe.
-Tout juste! Il y a une société de sécurité qui s’occupe la nuit de la surveillance de la résidence en question, ils nous ont ouvert et nous ont rejoints pour aller voir ce qui se passait. Eux aussi avaient, semble-t-il, reçu un appel d’autres jeunes vivant dans l’immeuble, qui leur avaient dit qu’eux aussi avaient entendu des bruits vraiment inquiétants, avant que la communication ne soit brutalement coupée. Quand on est parvenus à l’étage ou le boucan avait été signalé j’ai cru que je devenais barge. Une puanteur insoutenable, la moquette du couloir tâchée de sang en plusieurs endroits, mais ce qui nous a interpellé tout de suite c’est les gémissements qui venaient d’un studio! La porte était ouverte et une traînée de sang encore frais s’étendait sur plusieurs mètres jusqu’à l’intérieur de la pièce. Il y avait aussi des râles et des gargouillis sourds….on a tous sortis nos armes de service et on s’est approchés, on a lancé une sommation…..et on en a vu un! J’ai failli lâcher mon flingue sous la surprise et l’horreur, ce monstre qui avait les deux bras plongés dans l’abdomen éventré de cette fille poussant des cris d’agonie étouffés par le sang qui lui sortait de partout, les tripes répandues sur le sol!
Julia qui se souvenait probablement de son propre face à face avec la femme en putréfaction sembla avoir un haut le cœur et poussa un couinement discret mais terrifié. Anthony qui avait mis ses deux bras autour de sa taille la couvrait de baiser sur le sommet de la tête en lui murmurant à l’oreille ce qui semblait être des mots doux pour la rassurer.
-Je crois qu’à ce moment-là on a tous été frappés d’horreur, qu’on a tous cru devenir dingues. En tout cas moi c’est ce que j’ai ressenti, continua le brigadier dans un souffle sourd, le visage crispé comme-ci le souvenir de cette soirée lui était particulièrement pénible. On a sorti nos armes et on l’a mis en joue direct! Le capitaine l’a sommé de se relever, je crois que c’était plus sous le coup de la surprise en fait, parce qu’il était clair que ce truc-là n’avait plus rien d’humain et que cette méthode ne marcherait pas avec lui! Il a tourné la tête vers nous et a poussé un râle horrible qui semblait venir du plus profond de sa gorge: C’était un jeune gars qui devait avoir à peine vingt ans mais sa peau était devenue d’une couleur gris-pâle et ses yeux étaient vitreux et vide de la moindre émotion, sauf peut-être une avidité affamée quand il nous a aperçu . Là, il a cessé immédiatement de s’intéresser à ce qui restait de cette pauvre petite nana et il s’est relevé en grognant de plus belle, a commencé à avancer vers nous les bras tendus et la bouche grande ouverte avec une démarche de vrai soulard. Après une deuxième sommation toute aussi inutile on a ouvert le feu pour se défendre. Il est tombé lourdement au sol, ayant reçu plusieurs balles dans le corps, mais s’est relevé quelques secondes après, sans manifester la moindre douleur et toujours aussi déterminé à fondre sur nous en grondant pour mordre dans notre chair!
Le Gal marqua à nouveau une pause, il était évident que raconter tout cela lui demandait beaucoup, se replonger dans l’horreur qu’il avait vécu avec son équipe n’était évidemment pas une partie de plaisir mais les autres lui laissèrent le temps nécessaire pour se préparer psychologiquement. Lorsqu’il reprit la parole se fût d’une voix encore plus sourde, dure et presque éraillée par moments, cela décidément paraissait lui couter beaucoup.
-Tout est allé très vite ensuite! D’autres zombies alertés par les coups de feu ont débarqué, il en est arrivés par dizaines, des studios voisins et de l’entrée du couloir….Ils marchaient vers nous inlassablement dans la même démarche et dans un concerts de plaintes rauques et assourdissantes. On a du se barrer à toute vitesse, prendre la sortie de secours pour essayer de quitter l’immeuble. Mais ici aussi on a rencontré d’autres monstres et on a dû effectuer un véritable parcours du combattant pour les semer, alternant entre l’escalier de secours et les couloirs des différents étages, en fonction du nombre de zombies qu’on trouvait sur notre chemin. Heureusement les vigiles qui étaient avec nous avec des passes pour ouvrir les issues de secours en sens inverse depuis les cages d’escalier!
Louise ne put retenir une exclamation, repensant elle-même a la première rencontre de son groupe avec les monstres, elle imaginait sans aucune peine ce qu’ils avaient pu ressentir et comprenait mieux que dans une situation pareille ils aient cru que leur dernière heure avait sonné.
-La vache! Mais qu’est ce qui s’est passé ensuite? Je veux dire, pardonnez la brutalité avec laquelle j’aborde tout ça mais, vous avez dit vous même que tout le monde ne s’en était pas sorti, qu’est ce qui a dégénéré?
-A un moment, dans un couloir, on est tombés sur un groupe de morts-vivants plus nombreux, peut-être pas loin d’une cinquantaine d’un coup, l’un des deux agents de sécurité qui nous accompagnait n’a pas réagi assez tôt et s’est fait attraper par les épaules. Dans la seconde qui a suivi il y avait dix saloperies sur lui qui le mordaient sauvagement et qui plongeaient leurs mains griffues et pourries dans sa chair. Après, ça a été la panique totale pour nous! Je n’ai pas pensé un seul instant qu’on allait s’ en tirer, les carottes semblaient bien cuites pour nous. C’est Sapija, enfin je veux dire l’agent Mohand, qui a eu le réflexe d’essayer d’ouvrir la porte de plusieurs studios pour qu’on s’y réfugie, elle est impulsive mais vraiment intelligente cette gamine ça c’est sûr! Certains étaient fermés de l’intérieur mais elle a fini par en trouver un et je suis parvenu à y entrer avec elle….Et soit c’est à ce moment-là, soit dit en passant, que nous avons compris qu’il fallait leur tirer dans la tête pour les tuer. En flinguant ceux qui étaient le plus près pour dégager le passage et les empêcher d’entrer avec nous à l’intérieur.
-Et pour les autres qu’est-il arrivé? Questionna à son tour Emilien, ils n’ont pas pu vous rejoindre?
-Effectivement non, dans la confusion ils n’ont pas été assez rapides pour nous suivre et nous avons été séparé d’eux pendant quelques temps…On s’est enfermés dans ce studio ou j’ai dû abattre en pleine tête son ancien locataire, ou du moins ce qu’il en restait, qui est brusquement sorti de la salle de bain et qui a bien failli tailler dans la gorge de l’agent Mohand.
Le cœur de Louise se serra, effectivement elle ne l’avait pas franchement réalisé, mais la jeune gardienne de la paix n’avait pas menti en disant qu’elle avait vécu de véritables horreurs dans cette résidence et encore, le brigadier n’avait pas fini son histoire et Louise en redoutait presque la suite à présent.
-Mais vous avez tout de même réussi à sortir, vous avez pu retrouver les autres?
-Oui au bout d’un certain temps, on était assiégés dans cette chambre avec des dizaines de zombies gémissants qui tambourinaient sur la porte et on savait qu’elle ne tiendrait pas éternellement. Un seul de ces trucs c’est une chose mais plusieurs dizaines, même avec une porte relativement solide, c’est beaucoup plus alarmant. Le gars qui habitait-là n’avait pas de télé mais on a pu trouver une petite radio et se tenir un minimum au courant de ce qui se passait: On a d’abord essayé de contacter le commissariat avec nos radios portatives mais on a jamais réussi. Tout était brouillé!, J’ai essayé avec mon portable, la ligne principale et celles de plusieurs collègues mais je n’ai jamais réussi à avoir qui que ce soit au bout du fil. Je tombais sur des messageries bricolées à la va-vite et pour les autres portables soit ils sonnaient dans le vide soit ils avaient été coupés et je tombais directement sur messagerie. On est restés un moment à réfléchir à un moyen de sortir en essayant de ne pas céder à la panique ou à la folie. Je vous jure bien que c’est pas facile quand il y a un attroupement de morts-vivants en train de gémir, massés derrière la porte et qui deviennent de plus en plus nombreux parce que d’autres sont attitrés par les râles de faim des premiers. A un certain moment on a entendu des craquements alarmants, le verrou de la porte menaçait clairement de céder à tout instant, on a donc eu l’idée de…….
-ET MERDE!
Il y eut un choc sur la voiture d’Emilien, accompagné d’un bruit mat.
Louise se demanda pendant une seconde ce qui s’était passé mais ne tarda pas à comprendre, en regardant par les vitres elle vit avec horreur que des dizaines de cadavres inertes jonchaient la rue et, à la lumière blafarde des phares et des lampadaires éclairant la rue, de longues traînées de sang étaient répandues partout autour.
A deux reprises, les chocs se répétèrent avec le même bruit sinistre et Emilien jura de plus belle.
Il s’efforçait à présent de slalomer entre les corps mais ne pouvait pas les éviter tous et en heurta ou en écrasa de nouveau plusieurs. Louise espérait qu’ils n’allaient pas finir par déraper et aller se planter dans le décor, ce n’était vraiment pas le moment.
-Je crois que vos collègues sont passés par là brigadier! s’exclama Anthony en regardant lui aussi le spectacle désolé des corps étalés dans des positions disparates, baignant dans des mares de sang et à n’en pas douter de morceaux de cervelle. Je suppose qu’ils ont fait un premier ménage à proximité de la zone sécurisée afin de pouvoir procéder plus tranquillement à leurs tests.
-Putain Emilien fais gaffe!
Julia avait poussé un véritable hurlement qui fit sursauter tous les autres.
Un coup sourd avait retentit, faisant trembler l’auto et une silhouette venait d’apparaître à proximité de la vitre avant gauche. Louise en le voyant marteler sur la porte pensa d’abord qu’il s’agissait d’un enragé mais constata bien vite qu’elle se trompait en voyant une batte de base-ball dans l’une des mains massives de l’homme qui était apparu et qui, à la différence des zombies, avait des mouvements parfaitement coordonnés.
Ni d’une ni deux, Emilien appuya à fond sur l’accélérateur et la batte que le type venait de lever avec l’intention manifeste de briser la vitre alla s’écraser dans un bruit sourd de carrosserie sur l’arrière de la voiture. Tous entendirent une exclamation qui ressemblait à un juron. Louise se tournant et regardant par la vitre arrière vit qu’il commençait à leur courir après. Néanmoins au bout d’une dizaine de secondes, il abandonna la poursuite en lançant de loin d’autres cris ponctués de gestes obscènes.
-Putain! s’exclama de nouveau Emilien pour lui-même.
-Ouais, il va falloir être plus vigilants. Renchérit Le Gal en scrutant de nouveau la rue par la vitre. j’ai bien peur qu’on rencontre de plus en plus de gens paniqués qui cherchent à fuir par tous les moyens. Et malheureusement si, comme ça vient d’arriver, quelqu’un essaye de forcer une porte pour monter, voir pour nous faire descendre sous la menace nous devrons d’abord penser à notre sécurité et fuir le plus vite possible sans états d’âme.
Louise n’était pas tout à fait d’accord et estimait pour elle-même qu’il y aurait beaucoup moins de gens en panique s’ils étaient un peu plus au courant de ce qui se passait et si les autorités n’en rajoutaient pas une couche par leur agressivité et leur mépris. Cela dit, vu ce qui venait de se passer elle pensait elle aussi qu’il fallait redoubler de prudence et ne pas baisser sa garde.
La jeune femme jeta elle aussi un nouveau coup d’œil par la vitre et aperçut vaguement un bric à brac hétéroclite qui parsemait la rue.
Un monticule d’affaires diverses semblaient être tombées de bagages préparés à la va-vite et certaines des maisons de la rue avaient leurs portes grandes ouvertes tandis que d’autres avaient maintenant leurs fenêtres recouvertes de planches cloutées.
Louise en remarqua une ou deux qui avaient pris feu et étaient laissées à l’abandon, sans personne pour éteindre l’incendie.
Quelques voitures s’étaient accidentées, contre les murs des bâtisses de pierre, sur des lampadaires ou encore les unes contre les autres en travers de la route et étaient parfois également en flammes. Les fugitifs avec leurs deux autos devaient maintenant ralentir l’allure et faire des manœuvres savantes pour éviter les obstacles de plus en plus nombreux.
-Oh nom de dieu! Qu’est-ce que c’est que ce bordel?
L’exclamation de Séb avait retentie d’un coup et tout le monde semblait en ce moment partager sa surprise devant la vision qui se dressait devant eux.
A vingt mètres de là environ, une dizaine de voitures environ étaient immobilisées les unes à la suite des autres et Louise distingua faiblement trois ou quatre fourgons garés en ligne, des grilles anti-émeutes rabattues devant le capot obstruant la majeure partie de la rue.
Sur la gauche, le petit passage libre restant était fermé par une barrière métallique semblable à celles utilisées pour les travaux urbains ou certaines manifestations sportives ayant lieu en ville. Derrière on pouvait également voir plusieurs personnes en tenue d’intervention complète avec casques, matraques et boucliers. Un énorme projecteur avait également été installé derrière la grille et éclairait la rue d’une lumière vive et éblouissante.
-Putain c’est quoi ça?
-On arrive près de la Gendarmerie rétorqua Emilien, je crois qu’ils en protègent tous les accès en bloquant la rue.
-En effet! enchaîna Le Gal, Je pense que beaucoup de gens paniqués doivent avoir le réflexe de vouloir trouver refuge dans les commissariats ou les gendarmeries.
-Mais qu’est-ce qu’ils font, là? Intervint soudain Julia avec une certaine impatience mêlée d’inquiétude, ils ne font passer personne, ils se contentent de bloquer la rue, qu’en est-il des fameux tests médicaux dont ils parlaient tant aux nouvelles?
Emilien venait de stopper la voiture, gardant le moteur allumé et Le Gal avait ouvert sa portière pour en sortir. Quelque chose semblait l’avoir interpellé et Louise comprit vite de quoi il s’agissait en ouvrant la sienne à son tour pour aller voir ce qui se passait.
La voiture de police qui les précédait s’était arrêtée aussi et la sirène avait été coupée même si le gyrophare restait en marche.
Sur la droite on pouvait apercevoir les grilles peintes en bleu de la clôture et de l’un des portails latéraux de la nouvelle gendarmerie yonnaise qui donnait sur la rue de Saint André d’Ornay et plusieurs gendarmes mobiles en tenue se tenaient également, matraques et boucliers dans l’autre sur le trottoir, le long des grilles, pendant que d’autres patrouillaient à l’intérieur de l’enceinte.
Louise distingua même par-delà le projecteur et le barrage de gendarmerie, d’autres gyrophares qui clignotaient au loin, à l’endroit où la rue débouchait sur le boulevard du maréchal Leclerc, ce qui laissait supposer qu’un autre poste de surveillance avait été place là-bas.
Mais ce qui sauta derechef aux yeux de la jeune femme ce fut ces deux gendarmes qui s’étaient avancés vers la voiture de police, l’un tenant fermement sa matraque et l’autre ayant carrément dégainé son arme de service et la pointait en direction du capitaine Normand et de quelques autres membres du groupe qui en étaient sortis.
Louise et les autres étaient trop loin pour comprendre ce qui se disait mais il apparut très vite cependant que l’officier de police n’était pas du genre à se laisser faire ni impressionner par la menace d’une arme et que le ton montait très vite entre lui et les gendarmes.
La jeune femme promena un regard un peu inquiet sur la rue, elle se rendit compte que tous les gendarmes présents étaient équipés de masque à gaz comme à la télévision et que beaucoup de ceux qui se trouvaient les plus près d’eux les regardaient avec insistance, visiblement prêts à intervenir au moindre problème, aucun autre cependant ne sortit d’arme létale.
Son attention se porta ensuite sur les autres voitures bloquées dans la file et remarqua que certains de leurs passagers étaient eux aussi sortis à l’extérieur pour mieux voir l’avancée des choses.
Elle était encore trop loin pour vraiment voir tout le monde mais une agitation montante lui paraissait tout de même y régner.
Les seules personnes qu’elle voyait distinctement se trouvaient juste devant la voiture de police, visiblement une famille en monospace.
Une femme d’une trentaine d’années avait ouvert la porte arrière latérale et était assise sur la banquette, les pieds à l’extérieur, serrant dans ses bras une petite fille qui pleurait à chaudes larmes.
Pendant ce temps, un homme se tenait debout à proximité et faisait les cent pas, un combiné collé à l’oreille, pestant d’une voix forte, apparemment à cause d’appels infructueux.
Louise remarqua d’autres silhouettes assises à l’intérieur du monospace et supposa qu’il devait y avoir d’autres enfants mais n’eut guère le temps de se poser davantage de question car le capitaine Normand accompagné de Johann s’avançait vers elle. Les gendarmes avec qui ils venaient d’avoir une discussion musclée avaient repris leur place sur le trottoir et rangé toute arme à feu.
- Que se passe-t-il capitaine? interrogea Le Gal en voyant l’air grave et furieux de son chef, il y a un problème?
-Ils nous ont sauté dessus direct en nous demandant très vivement d’où on arrivait comme ça et si on avait été mordu par un de ces trucs! Ça n’a pas été facile d’en placer une tellement ils étaient speeds mais j’ai tout de même réussi à leur expliquer rapidement la situation. Du coup ils nous ont expliqué qu’un barrage plus important avait été installé à hauteur de l’entrée principale de la Gendarmerie, pour en bloquer l’accès mais aussi pour contrôler les voitures qui arrivent sur le boulevard depuis La Roche Nord.
-La Roche Nord?
-Oui là ou apparemment, de gros foyers d’épidémies se sont déclarés. Ce qui fait que les gens fuient cette zone par centaines pour gagner le cœur de ville. A ce que le gars m’a dit ça n’a rien à voir avec ici, ou c’est un petit barrage, parce qu’il y a moins de gens qui prennent ce chemin pour venir. Sur le boulevard il semblerait qu’il y ait une file monstre qui s’étende sur toute la partie Nord et que ce soit également la même chose sur la rue Salengro ou les CRS, cette-fois, sont postés pour bloquer l’accès au centre passant sous le pont Morineau. Les voitures arrivent par dizaines et la file d’attente s’étendrait presque jusqu’au boulevard Arago.
-Bordel! Ça a l’air vraiment chaud là! Mais qu’est-ce qu’il en est pour ici? Ils ont précisé? Parce que je n’ai pas l’impression qu’ils laissent passer beaucoup de gens.
-En effet! Rétorqua la capitaine avec un air un peu agacé devant le petit air de défi et la voix légèrement moqueuse de Séb qui venait de les rejoindre. Il semble qu’ils soient en manque de matos médical et qu’ils en attendent un arrivage. Tout le matériel disponible va en priorité aux gros barrages comme celui de l’entrée principale de la Gendarmerie ou du Pont Morineau. Alors ils sont obligés d’attendre. Ca les stresse autant que nous croyez-moi mais je pense qu’ils n’ont pas le choix.!
-Peut-être qu’on aurait plus de chance en allant vers Salengro alors! intervint Louise qui semblait inquiète elle aussi et paraissait réfléchir intensément au problème.
Si ils ont plus de matériel sur les gros barrages, il y aura une file beaucoup plus longue, certes et à mon avis on risque aussi d’attendre longtemps, mais au moins il semblerait que d’ici il y ait des gens qui aient pu gagner le centre-ville.
-Mais j’y pense capitaine, pourquoi ne pas en avoir profité pour essayer de contacter votre commissariat? Les gendarmes avaient sûrement du matériel radio dans leur fourgon, peut-être qu’avec celui-ci ça aurait marché.
L’officier de police eut une moue dédaigneuse et contrariée. Se tournant vers Anthony qui venait de lui poser cette question.
-J’y ai bien pensé croyez-moi, mais ces types ne veulent rien savoir: Ils ont refusé catégoriquement que qui que ce soit mette les pieds dans un de leurs fourgons sans avoir passé leurs tests et quand j’ai insisté pour qu’ils essayent eux-mêmes ils m’ont rétorqué sèchement que pour le moment ils n’avaient pas que ça à faire, qu’ils avaient déjà assez de boulot et que flic ou pas flic la consigne était la même pour tous ceux qui arrivent des zones sinistrées.
Ils restèrent un moment silencieux, les regards des uns et des autres se promenant furtivement des gendarmes en tenue qui allaient et venaient de leurs fourgons aux grilles, des grilles jusqu’au-devant des gens attendant en file, lorsque la tension montait.
Au loin par-delà les toits des maisons brillait toujours la vive lumière des incendies déclarés un peu partout en ville.
-Bon qu’est-ce qu’on fait? Intervint Emilien d’une voix sourde, comme pour empêcher tous les autres de rester ébahis devant le spectacle à la fois fascinant et terrifiant qui s’offrait à eux.
-Ok c’est bon! Puisqu’apparemment, il n’y a rien à faire ici et que personne ne passe, essayons rue Salengro, l’officier de Gendarmerie avec qui j’ai parlé m’a dit que c’était beaucoup plus fluide là-bas malgré le nombre plus important d’automobilistes. Parce qu’ils sont mieux équipés.
Louise haussa les épaules.
-J’aurais bien du mal, je dois l’avouer, à déterminer ce qui est le mieux ou pas et je ne sais pas si c’est un meilleur plan de se rendre à Salengro, mais de toute façon si je reste ici à poireauter sans savoir, je crois que je vais devenir dingue. Alors oui moi aussi je suis d’accord pour qu’on aille voir là-bas.
Apparemment les autres semblèrent considérer qu’elle avait raison car nul ne souleva d’objection. Tout le monde semblait partager la même nervosité et la même angoisse devant la situation présente et face à laquelle personne n’avait été préparé.
Tous reprirent place dans leurs voitures respectives et Emilien qui se trouvait derrière amorça un demi-tour avec force crissement de freins qui firent sursauter plusieurs personnes dans la file.
Certaines d’entre elles jetèrent un œil et des gendarmes regardèrent également dans leur direction.
Louise qui regardait par la vitre arrière craignit un instant qu’ils ne leur cherchent à nouveau des histoires et les forcent à rester mais elle constata rapidement qu’ils avaient repris leur place après leur avoir jeté un bref coup d’œil.
Les gens de la file eux-aussi après avoir manifesté un semblant d’intérêt pour ce qu’ils faisaient semblaient à présent ne plus y attacher aucune importance et la jeune femme eut l’étrange sensation qu’il n’y avait plus grand monde qui se souciait de ce que les autres faisaient, que les gens pensaient avant tout à sauver leur peau et à échapper aux zombies coûte que coûte.
Elle sentit un mélange de malaise et de peur lui tenailler le ventre en voyant que les choses ne semblaient guère s’améliorer et eut soudain l’impression qu’un raz de marée géant avait englouti la ville et menaçait de les submerger les uns après les autres. Quelque chose d’incontrôlable, de trop fort pour lutter contre lui qui allait les noyer et il n’y avait aucune chance d’en réchapper.
Elle fut soudainement interrompue dans ses noires pensées par le son d’une voix qui la fit légèrement bondir. Son rythme cardiaque s’accéléra légèrement mais elle se rendit compte que c’était Emilien qui venait de mettre la radio en marche, alors que la voiture accélérait, suivie par le véhicule de police du capitaine Normand, en sens inverse, dans la rue de Saint André d’Ornay et que le jeune homme slalomait comme il le pouvait pour éviter les cadavres qui jonchaient le sol et les objets de toute sorte répandus sur la route.
« …seil des Ministres et l’Etat-major ont fait un premier point général sur la situation en France et l’Etat d’Urgence a d’ores et déjà été décrété dans de nombreux quartiers de plusieurs villes à travers le pays.
L’armée de Terre y est désormais chargée de maintenir l’ordre, parfois avec le concours de la police locale. Il nous faut également noter, même si cela reste encore minoritaire que dans certaines zones c’est l’Etat de Siège qui s’est substitué à l’Etat d’Urgence et que l’armée est en train d’en prendre le contrôle.
C’est notamment le cas pour certains quartiers des villes de Besançon, Périgueux et même Montpellier ou rappelons-le, l’incendie qui s’était déclaré dans le bâtiment Lapeyronie du CHRU s’est, plus tard dans la soirée, propagé jusqu’à des bâtiments voisins, finissant par gagner une file de voiture immobilisée entre la Route des Ganges et l’avenue du Doyen Giraud et provoquant l’explosion d’un camion-citerne s’y trouvant puis de plusieurs autres véhicules .
S’en est suivi un mouvement de foule paniquée et une confrontation musclée avec les Forces de l’Ordre. La quarantaine a été déclarée dans le quartier et l’Etat de Siège dans les zones voisines, dont certaines ont même commencées à être évacuées pour laisser la police et les forces armées régler ce…..
-On dirait vraiment pas que ça s’arrange! Souffla Anthony d’une voix rauque tandis que Julia, qui semblait de plus en plus nerveuse elle aussi se serrait fort contre lui, comme pour échapper à ce raz de marée que Louise gardait toujours en tête et que rien ne semblait pouvoir stopper.
Les voitures étaient revenues au rond-point et Emilien donna un grand coup de volant sur la gauche, fonçant sur le boulevard Réaumur, Louise eut tout juste le temps de jeter un coup d’œil à la rue telle qu’ils l’avaient laissée, elle n’aperçut pas d’enragés mais poussa une petite exclamation en voyant que la voiture qui, tout à l’heure avait percuté le mur de béton avait pris feu et que le brasier avait atteint la haie de la maison qui flambait maintenant illuminant la rue d’une lueur inquiétante.
Très vite, cependant, ils s’éloignèrent du nouveau point d’incendie et personne ne sembla réagir au cri de Louise, tout le monde était sans doute trop préoccupé par la route et la vitesse pour y prêter attention.
Sur la droite, les imposants bâtiments de la Maison de l’Agriculture et de la Mutualité Sociale Agricole se dressaient, plongés dans l’obscurité à l’exception de quelques veilleuses aux entrées qui révélèrent soudainement plusieurs silhouettes s’affairant près des grilles métalliques rabattues
devant les vitres d’entrée des administrations, avec ce qui ressemblait à de longues et solides barres d’acier. Emilien passa son chemin à toute allure, leur accordant à peine un regard et même le brigadier Le Gal semblait penser au regard qu’il lança aux jeunes gens qu’en ces circonstances particulières on ne pouvait pas en vouloir aux gens de chercher à se mettre à l’abri.
Cela dit il semblait aller de soi qu’ils ne pouvaient également rien faire pour leur porter assistance et le constat n’en était que plus amer et effrayant.
Dans des lotissements qui bordaient le boulevard, Louise entraperçut également plusieurs autres maisons en flammes et ils manquèrent à trois reprises de percuter d’autres véhicules arrivant à pleine vitesse en sens inverse ou par une rue latérale.
Le dernier, un van Chrysler familial, déboulant de la rue Jean Bouin manqua d’ailleurs de les envoyer dans le décor et Emilien ne put rien faire d’autre qu’un brusque écart sur la droite avec son volant, envoyant tout le monde dans la voiture s’écraser brutalement sur son voisin, retenus seulement par les ceintures de sécurité.
Tandis que le jeune homme rééquilibrait à grand peine ses roues, tous purent voir l’auto de police qui les suivait piler avec un long bruit de klaxon, juste à temps pour éviter de percuter le Chrysler qui dans un concert de crissement de pneus sur le bitume alla s’encastrer violemment dans un poteau électrique du coin de la rue.
Le cœur de Louise se serra un peu plus mais elle essaya de ne pas imaginer ce qui était arrivés à ses occupants, ils n’avaient pas le temps de se le permettre pour l’heure.
Emilien avait coupé la radio avec humeur en maugréant quelque chose qui ressemblait à
« Rien de nouveau sur la Roche, les règles de sécurité habituelles, aucune nouvelle supplémentaire ».
-La vache regardez!
La voix de Séb venait de briser la torpeur qui s’était installée dans la voiture.
Louise se décala légèrement pour pouvoir regarder à travers le pare-brise.
Elle connaissait bien la ville et su tout de suite qu’ils arrivaient en vue de la longue rue Salengro qui, elle le savait, s’étendait du cœur de ville, depuis l’imposante Place de la Vendée jusqu’à l’ancienne petite ville de Saint André d’Ornay, devenue à présent un quartier de La Roche sur Yon, qu’elle traversait par le milieu pour rejoindre la route des Sables d’Olonne.
Mais elle vit également tout de suite ce qui avait provoqué le cri d’Emilien: Arrivés à l’intersection on pouvait voir une gigantesque file de véhicules en tous genres s’étaler dans la rue, les plus proches brillants dans le noir telles de grosses bêtes étranges alignés en troupeau, à la lumière de dizaines, voire de centaines de phares et des réverbères.
Une rangée de fourgons de CRS étaient stationnés en file des deux côtés de la rue, à vue de nez il devait y en avoir une bonne dizaine à chaque bord et les policiers en tenue anti-émeutes complète et tous équipés de masque à gaz étaient alignés, boucliers dressés et matraques au poing le long de leurs véhicules.
Certains autres, moins nombreux et qui ne portaient pas forcément l’écusson CRS déambulaient entre les files de voitures, semblant parfois s’adresser aux gens qui se trouvaient à l’intérieur ou étaient sortis et faisaient eux-mêmes les cent pas autour ou simplement évaluer la situation et tenter de ramener le calme si nécessaire.
Louise s’aperçut aussi que deux autres flics en tenue similaire s’étaient substitués au feu de circulation qui fonctionnait dans le vide.
En regardant de plus près elle constata que deux autres fourgons, simplement frappés de la mention classique POLICE étaient stationnés, gyrophares allumés, de chaque côté de l’extrémité du boulevard Réaumur. Aux bandes bleues sur leurs casques elle sut qu’il s’agissait des simples sections d’intervention de la Police, ceux qui venaient avant les CRS en manif’ et qui les épaulaient ensuite quand ils débarquaient.
Le policier qui se trouvait à leur droite leur fit signe de ralentir puis de s’arrêter.
Il s’approcha et Emilien baissa sa vitre.
-Vous venez de la zone contaminée?
Bien que partiellement étouffée par le maque à gaz la voix du flic était rude et sèche, comme si il avait déjà beaucoup posé cette question au cours de la soirée et connaissait déjà la réponse.
-Oui et j’imagine que vous vous en doutez. On est accompagnés par trois de vos collègues, l’un d’eux est à côté de moi, ils nous sont venus en aide alors que…..
-Vous allez devoir attendre ici! coupa le policier de la même voix dure et un peu cassante. Avec nos collègues de la CRS nous avons installé plusieurs barrages filtrants. Le premier est à cent mètres et nous y effectuons des premiers tests médicaux afin de déceler une possible contagion, le second cent mètres plus loin bloque l’accès au centre-ville juste sous le pont Morineau et rejoint celui qui a été monté à l’entrée du boulevard Leclerc par la Gendarmerie Mobile, à la fois pour contrôler les gens venant du Nord et pour protéger le bâtiment de Gendarmerie.
-Un instant intervint Le Gal, ouvrant sa portière et sortant bien en vue, afin de montrer sans doute, qu’il portait un uniforme de police, pourrions-nous utiliser votre radio si elle fonctionne, la nôtre s’est détraquée et nous devons faire notre rapport à Delille, nous avons pu sortir du Fjt Mendès-France qui est envahi par ces saletés.
L’autre policier sembla le considérer un moment, comme si il cherchait à l’évaluer et se méfiait un peu, avant de répondre.
-Ok Brigadier! Venez avec moi au fourgon, vous pouvez appeler cependant la règle sera la même pour vous et vos autres collègues. Qu’on soit de la Maison ou non les consignes de sécurité s’appliquent pour tout le monde, on a des ordres très stricts en ce sens.
Louise aurait juré l’avoir vu faire une moue un peu vexée avant de le suivre, comme si malgré tout il avait quand même eu un petit espoir que sa fonction ne lui accorde une sorte de passe-droit auprès de ses collègues.
La jeune femme ignorait si il avait simplement tenté de jouer là-dessus pour gagner au plus vite un endroit sûr ou si il avait également voulu les aider, elle et son groupe, en insistant sur le fait qu’ils les accompagnaient, cela dit même si elle n’avait qu’une hâte, celle de gagner une zone où elle et les autres puissent être en sécurité elle n’aurait pu s’empêcher d’être mal à l’aise et de trouver injuste si ils avaient pu passer en priorité, parce qu’accompagnés par des flics.
Elle se disait que tous ces gens qui s’agglutinaient-là étaient dans le même pétrin et qu’il n’y avait pas de raison pour qu’ils soient privilégiés par rapport à eux.
La jeune femme sortit à son tour de la voiture, bientôt accompagnée par plusieurs de ses amis, ainsi que par le capitaine Normand qui se dirigeait vers les hommes en tenue anti-émeute, visiblement décidé à discuter avec eux pour se renseigner sur la situation.
Louise s’avança un peu jusque dans la rue même, sous l’œil des CRS alignés, qu’elle devinait méfiant et un brin suspicieux sous les masques et pu avoir une vue plus générale de ce qui se passait.
Sur la gauche, vers le centre-ville, elle devina le premier barrage et les trois ou quatre fourgons supplémentaires bloquant la rue et éclairant devant eux avec de grands projecteurs.
Elle distinguait vaguement d’autres policiers casqués et équipés de boucliers ainsi que des gens qui faisaient sortir tour à tour les automobilistes de voiture et les faisaient monter à l’arrière des véhicules de police, probablement pour effectuer les fameux tests.
A droite, vers la route des Sables, la file s’étendait à perte de vue et il lui était impossible d’en distinguer la fin. Des petites ou grandes voitures, vieilles, récentes, familiales ou non, il lui sembla même apercevoir dans cette nuée quelques camions et autobus.
La ligne de véhicules s’étendait sur les deux files de la rue et Louise imaginait que la circulation avait été totalement bloquée depuis le centre afin de la mettre en sens unique.
A quelques mètres, elle pouvait également voir que de nombreux occupants des voitures les plus proches d’elle étaient eux aussi sortis dehors et semblaient réagir de manière très diverses.
Un homme tenant un portable collé à l’oreille vociférait, apparemment en communication avec quelqu’un qui se trouvait déjà en centre-ville et pestait contre « ces procédures médicales interminables, qui faisait perdre leur temps aux gens et tardait à les mettre en sûreté ».
Une jeune fille d’une vingtaine d’années pleurait à chaudes larmes, serrée dans les bras d’un jeune homme qui semblait être son petit ami et lui donnait des tapes dans le dos en essayant de prendre un air plus assuré, bien que le mouvement de ses jambes ne trahisse une grande nervosité.
Deux ou trois personnes faisaient les cent pas, sur quelques mètres, se rapprochant du barrage et jetant des coups d’œil inquiets ou impatients pour voir si les choses avançaient ou non et s’en retournaient ensuite vers leurs véhicules en jurant ouvertement ou en marmonnant des choses incompréhensibles dans leur barbe.
A une dizaine de mètres sur la gauche, une dispute paraissait en cours et des éclats de voix retentissaient sans que la jeune femme puisse vraiment en comprendre les mots.
Elle pouvait vaguement entrevoir plusieurs silhouettes d’hommes et de femmes visiblement en confrontation verbale musclée, qui allaient et venaient les uns vers les autres dans des mouvements agressifs pendant que d’autres tentaient visiblement de calmer le jeu en s’interposant entre eux et en leur parlant plus calmement.
Les policiers restaient sur les côtés à observer ce qui se passait, semblant par moment s’avancer un brin, la matraque légèrement relevée, lorsque quelqu’un hurlait un peu plus fort mais sans aller plus loin pour le moment.
D’autres, enfin, semblaient absorbés dans de grandes conversations sur l’origine de tout ce qui se passait et sur les moyens mis en œuvre par les autorités et le gouvernement pour y remédier.
Ils semblaient chercher avant tout à se rassurer les uns les autres mais là non plus, Louise ne percevait que des bribes de mots, car les conversations, mêmes proches d’elles étaient en partie noyées par les cris de disputes à plusieurs endroits et par les klaxons furieux de certains automobilistes visiblement excédés par la lenteur de l’opération.
-Visiblement, là-aussi on est loin d’être les premiers! Johann venait de la rejoindre et regardait également la scène avec une expression à la fois fascinée et anxieuse.
Julia, Anthony et Séb s’était également avancés à leur hauteur et la même mine soucieuse et en même temps ébahie devant ce spectacle peu banal se dessinait sur leurs visages.
-Bon d’après ce qu’ils en disent là au moins ça avance et ils ont le matos qu’il faut.
-Ouais Julia! Là je sais pas franchement. Ça avance peut-être un peu mieux mais ça risque de prendre encore longtemps et on voit que les gens commencent à être bien à cran. Je commence à me demander si on va finalement se retrouver hors de danger ou si ça ne va pas devenir le vrai foutoir à un moment.
Il y avait à la fois de la colère, de l’inquiétude et un brin d’ironie dans le ton de Séb et une fois de plus, Louise avec ce mélange le reconnaissait bien l’un, elle ne connaissait personne d’autre qui soit capable de mêler à ce point le cynisme presque plaisantin au sérieux dans les situations les plus alarmantes.
Au vu de ce qui se passait devant eux, cependant et bien qu’elle partagea pour beaucoup l’énervement et les inquiétudes de tous ces gens, elle estimait qu’il fallait un minimum garder la tête froide et conserver son calme.
-Moi non plus je ne sais pas Séb, je ne vais rien t’apprendre en te confiant que je n’ai que peu de confiance dans « l’autorité policière » comme on dit. Cela dit, je pense que pour l’instant il ne sert à rien de dramatiser, on a bien plus de chance de passer rapidement ici que devant la Gendarmerie en tout cas!
Bien sûr face à un truc comme ça je serais plus tranquille si les gens commençaient à s’organiser entre eux pour y faire face, au lieu de laisser les flics tout gérer, mais à ce que je vois pour le moment ne me laisse pas vraiment optimiste.
-Louise c’est beau l’esprit de révolte autogestionnaire, mais dans cette situation franchement je vois mal les gens s’organiser eux-mêmes. Regarde-les, ils ont tous l’air à deux doigts d’exploser. La panique, la colère, une situation d’une gravité qu’on a jamais connu, vaut mieux laisser les forces de l’ordre gérer le truc, c’est leur boulot et dans un cas comme ça je dis heureusement qu’ils sont là sinon tout partirait en sucette
La jeune femme lança un regard noir à Anthony qui venait de lui répondre d’une voix agacée et légèrement moqueuse.
Elle eut bien envie de lui rétorquer que si les gens avaient autant de mal à s’organiser entre eux et à s’autogérer, le conditionnement social, y compris à la peur du gendarme et au respect de l’autorité y était pour beaucoup et qu’elle n’estimait pas non plus que la présence accrue de flics soit une quelconque garantie que « les choses ne partent pas en sucette », bien au contraire. Elle n’en eut cependant pas le temps car un bruit de rotor se fit entendre au-dessus d’eux.
En levant la tête, comme la plupart des gens présent dans la file, ils purent apercevoir un hélicoptère les survoler à seulement quelques dizaines de mètres au-dessus des toits de la rue et éclairer brièvement la foule d’une lumière de projecteur supplémentaire. L’appareil ne s’attarda guère et passa en cercle au-dessus de la rue avant de bifurquer et de s’éloigner en direction du centre-ville.
-C’était quoi ça, la télé?
-Non mon vieux Séb! C’était un hélico de Gendarmerie, j’ai eu le temps de le distinguer un peu, tout bleu avec une cocarde tricolore et la mention dessus.
Louise leva les yeux au ciel, suivant l’éloignement de l’hélicoptère qui rapetissait à vue d’œil mais fut distraite par des bruits de pas qui se rapprochaient d’eux.
En se retournant elle aperçut le capitaine Normand suivi de près de ses deux collègues, qui les rejoignaient. Ils avaient l’air contrarié.
- Que se passe-t-il capitaine? Interrogea Anthony d’une voix légèrement anxieuse, des mauvaises nouvelles?
Normand eut un demi-sourire crispé.
-Non pas vraiment, juste le sentiment que c’est de plus en plus le bordel et que notre hiérarchie ne contrôle pas autant la situation qu’ils nous l’assurent!
Le jeune homme le dévisageait avec ce qui semblait être une appréhension grandissante.
-Qu’est-ce que vous voulez dire?
-Le brigadier Le Gal a pu contacter le commissariat central de La Roche. Je leur ai parlé moi aussi et les collègues semblaient complètement dépassés. Ils se contentaient de nous balancer des phrases bateau, nous disant qu’on ne devait pas s’en faire, que les choses allaient rentrer dans l’ordre, mais ils n’ont pu nous apporter aucune info concrète sur les solutions mises en place et sue l’avancée de la décontamination.
-Et par rapport à l’évacuation vers le centre-ville, la nôtre je veux dire, qu’est-ce qu’ils ont dit?
Le Gal eut lui aussi une grimace mais répondit comme si cela lui paraissait tout de même logique, bien qu’il sembla également plus inquiet et contrarié de ne pas pouvoir gagner rapidement la zone sécurisée.
-Pas de surprises, évidemment la même chose que les autres: « On est au courant mais on peut rien faire, on a des ordres directs de la DGPN on doit obéir. Soyez patients et attendez de passer les contrôles médicaux. Présentez-vous au rapport dès que vous atteindrez le cœur de ville. »
Anthony roula des yeux ou perçaient l’impatience et l’angoisse montante et il sembla pendant une seconde sur le point de demander autre chose, un nouveau bruit de rotor l’en empêcha toutefois et cette fois ci en levant les yeux, Louise aperçut elle aussi la mention GENDARMERIE accompagnée de la cocarde tricolore.
Là encore l’hélicoptère éclaira encore plus vivement la scène pendant quelques secondes avec un projecteur et fit un bref survol en cercle de la rue avant de se diriger également vers le cœur de ville.
-C’est sans doute de simples missions de reconnaissance aérienne mais c’est sûrement pas ça qui va nous convaincre que la situation est sous contrôle et qu’il n’y a pas à s’inquiéter murmura Séb entre ses dents et Louise tourna le regard vers lui, acquiesçant gravement. Elle était à 100% d’accord avec lui.
D’ailleurs ils n’étaient visiblement pas les seuls que les vues répétées de l’hélico tournant au-dessus de leurs têtes rendaient nerveux.
Un brouhaha s’était soudainement élevé dans la foule de gens, certains regardaient en l’air et montraient du doigt d’un air angoissé l’appareil qui s’éloignait, d’autres parlaient entre eux d’une voix sourde ou la tension et l’énervement semblait monter très vite. Quelques autres étaient même en train de brailler littéralement.
-Et ils veulent nous faire croire qu’il y a rien de grave, qu’ils gèrent la situation? S’époumonait un homme à forte corpulence, entre quarante et cinquante ans.
-Moi je dis, c’est que des menteurs, des enfoirés de putains de menteurs! s’égosillait une femme décharnée, la trentaine, surmaquillée et qui avait une voix rauque de grande fumeuse. Ils vont tous nous laisser crever là comme des rats, ils en ont rien à foutre de nous, c’est du pipeau tous leurs machins de tests et tout le bordel, ils cherchent juste à gagner du temps et à nous faire croire qu’ils savent ce qu’ils font, mais c’est des conneries que je dis! Ils en savent rien, que dalle!
Un peu plus loin d’eux, une mère de famille serrait dans ses bras un petit garçon de trois ou quatre ans qui pleurait et une petite fille de sept ans blottie contre elle, en jetant des regards inquiets à son mari à côté d’elle.
Celui-ci semblait littéralement furieux.
-C’est vrai ça! On a des gosses avec nous merde. On nous fait poireauter là et on nous explique rien, ça commence à bien faire!
Louise et les autres se regardèrent d’un air préoccupé, tous semblaient sentir que les esprits s’échauffaient et que la situation pouvait déraper à n’importe quel moment et on aurait également dit que leurs avis étaient partagés par rapport à la meilleure chose à faire, rester ici ou repartir et essayer de trouver une troisième entrée au centre-ville.
Sans le dire il semblait aussi que leurs points de vue divergeaient concernant l’attitude des autres automobilistes, aucun ne semblait décider à s’exprimer sur le sujet, de peur peut-être d’envenimer encore plus la situation, mais on sentait que si certains d’entre eux les jugeaient un peu irresponsables de partir dans ce genre de cris et de vociférations vu la situation actuelle, d’autres comme Louise comprenaient ce qu’ils pouvaient ressentir et partageaient les mêmes craintes et la même colère montante vis à vis du comportement adopté par les forces de l’ordre.
Un cri strident retentit soudain, poussé par une femme que les membres du petit groupe aperçurent en se retournant vers le côté droit de la rue, une jeune femme qui avait la fin de vingtaine et se tenait en position mi-assise contre sa petite Twingo à quelques mètres de là, un téléphone portable en main.
-J’ai réussi à avoir mon copain qui était coincé entre Arago et Branly depuis plus d’une heure. Je n’ai pu lui parler que deux minutes….il me dit que c’est la folie complète là-bas, ces monstres sont parvenus à briser les premiers cordons de police et ont déboulé par centaines dans la rue, devant le lycée professionnel, ou il était coincé!
La jeune femme semblait paniquée, choquée, presque hystérique et des larmes coulaient sur ses joues fines.
-Il m’a dit que personne ne s’y attendait! Ils ont surgi depuis le côté nord du boulevard, il y en avait partout et ils s’attaquaient aux voitures, cherchant à dévorer leurs occupants.
Il a dit que tout le monde fuyait et j’entendais des hurlements de terreur et des rugissements de moteur dans le combiné. Il a dit qu’ils avançaient, ils se rapprochent de nous! Ensuite il y a eu un bruit de bousculade et d’autres cris dans le téléphone et la communication a été coupée, je ne sais pas ce qui lui est arrivé, mon dieu! si ça se trouve ces choses l’ont tué lui aussi et elles avancent vers nous, on va y passer jusqu’au dernier!!!!
A ces mots, les gens les plus proches qui avaient écouté sans mot dire, le regard empli de terreur se mirent à hurler de plus belle, certains laissaient exploser leur colère et leur révolte, d’autres leur peur panique. D’autres pleuraient ou devenaient hystériques eux aussi.
-Mon dieu! On va tous y rester! Tous! On peut rien faire on est foutus merde!
-Il faut qu’on se tire d’ici putain! A vitesse grand V, on s’en fout on coupe à droite, on essaie de trouver un autre passage.
-Rien à foutre putain! On va pas se laisser mourir ici comme des foutus cochons qu’on égorge bordel! On fonce dans le tas, on prend d’assaut leur putain de barrage de mes deux et on file vers le centre-ville se mettre en sécurité!
Quelques moteurs rugirent brusquement, les bruits de klaxons redoublèrent de plus belle et ni d’une ni deux les policiers réagirent au quart de tour.
Ils se placèrent en ligne, matraque levée et bouclier tendu et commencèrent à avancer lentement dans les allées entre les files de voiture.
Apparemment la rumeur et la panique s’était répandue comme une trainée de poudre car Louise en tournant la tête vers la gauche vit que les flics du premier barrage s’activaient et bouchaient les trous qu’ils y avaient laissés pour « filtrer » les gens en y lançant des herses à piques et barricadaient les portes arrières de leurs fourgons se plaçant à leur tour en ligne.
Une voix sonore retentit soudain à la même hauteur, visiblement amplifiée par un porte-voix.
-Restez tous ou vous êtes! Que personne ne redémarre ou ne tente d’avancer!!!!
Le brouhaha qui s’était transformé en véritable concert de cris de terreur et d’indignation augmenta encore en intensité à ces mots.
Les premiers coups de matraques volèrent autour, certains CRS repoussèrent brutalement un groupe d’une dizaine de personnes qui commençaient à avancer vers le barrage en scandant des protestations.
Quelques-uns de leurs coups furent carrément portés sur la tôle ou les vitres des voitures qui avaient voulu redémarrer et avaient commencé à enclencher les vitesses.
Louise entendit des bris de verre et d’autres vociférations venant cette fois-ci sans aucun doute possible des flics.
-Ne démarrez pas et restez dans vos foutues caisses bordel! On ne vous le répétera pas dix fois!!!!
De nouveau la voix sonore venant du barrage s’éleva.
-Nous allons vous demander de tous regagner vos véhicules et d’y rester barricadés!
Je répète regagnez vos véhicules et restez-y enfermés. Il n’y a aucune raison de s’affoler nous allons nous occuper de régler le problème, laissez-nous faire notre travail!!
-Ah ouais! Et vous allez vous en occuper aussi bien que vos collègues de Branly je suppose? Hurla une voix d’homme, partiellement couverte par les autres cris autour de lui mais qui restait audible. La vérité c’est que si on les laisse faire on va tous y passer nom de dieu!
-C’est vrai putain! Assez bavassé maintenant faut qu’on en finisse!!!!
-Reculez bordel!!!!!!!!!
De nouveaux coups de matraque et de boucliers, plus violents, accompagnèrent le cri de l’un des CRS de première ligne. Des cris étouffés retentirent, des gens s’effondraient à terre ou à genoux en se tenant le ventre ou les côtes. Des protestations et de nouveaux cris de peur fusaient de partout.
Louise, qui jusque-là avait observé la scène avec les autres sans trop savoir quoi faire, sentit soudain sa rage et sa révolte exploser en voyant une jeune fille d’à peu près son âge qui avait visiblement tenté d’escalader une voiture pour fuir sans se faire repérer se faire empoigner sans ménagement par un casqué et tomber lourdement au sol avant de se faire traîner sur trois mètres au sol, hurlant de douleur.
Sans réfléchir à ce qu’elle faisait ni au fait qu’elle n’avait absolument rien sur elle et qu’elle avait en face des CRS en tenue de protection et lourdement armés, obnubilée par la colère qui en cet instant était encore plus forte en elle que la peur qui lui prenait aux tripes, elle s’élança dans leur direction.
-Bon sang merde! Lâche-la enfoiré, ça va pas!
Les deux flics de l’intersection qui venaient d’être rejoints par quelques collègues n’eurent pas le temps de réagir pour la stopper, pris de court et ne s’attendant pas à ce qu’elle allait faire.
Elle atteignit en quelques secondes l’endroit où le CRS qui tenait toujours la fille à pleine main par les cheveux la rouait maintenant de coups de matraque.
-Lâche là espèce de taré!!!!
De toutes les forces que la colère lui donnait Louise poussa brutalement l’homme, qui se trouvant dans une position plutôt mal équilibrée et sous le coup de la surprise, car il n’avait absolument pas remarqué l’approche ni entendu les cris de la jeune femme, vacilla dangereusement et tenta de se redresser, mais tomba finalement à la renverse sur le côté droit, emporté par le poids de son équipement.
La seconde d’après elle se sentit violemment tirée en arrière par les pans de sa veste de manteau et une douleur cinglante à la jambe gauche la fit tomber à terre à son tour. Tout alla très vite et avant qu’elle ait pu faire quoi que ce soit ou même réaliser ce qui se passait elle sentit les coups cinglants qu’on lui portait et une violente douleur la frapper de plein fouet à différents endroits de son corps.
Elle entendit des cris, des pleurs à côté d’elle, des vociférations incompréhensibles criées dans le porte-voix, quelque chose qui ressemblait à des bruits de moteurs plus lointains et de nouveaux hurlements de panique qui s’amplifiaient puis elle sombra dans le trou noir tandis que juste avant de perdre connaissance le dernier son qui parvint à ses oreilles engourdies fut son nom hurlé d’une voix stridente et terrifiée.