Rétribution Sanglante
Chapitre 3 : Le calme avant la tempête
2798 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 16/11/2024 17:37
Ils passèrent par la porte de derrière, l'air frais frappant le visage de Sharon. Elle cligna des yeux, essayant de rester éveillée alors que chaque pas fait vibrer la douleur dans son flanc blessé. Le monde autour d'elle devenait flou, les lumières de Blaine County se transformant en éclats lumineux indistincts.
Frank l’installa avec précaution sur le siège passager de sa voiture. « Tiens bon, » dit-il, sa voix basse mais assurée.
Sharon, malgré son état, trouva la force de murmurer, les mots à peine audibles : « Pourquoi… m’aides-tu ? »
Frank la regarda, une fraction de seconde, avant de refermer la portière sans répondre. Il monte rapidement côté conducteur et démarre en trombe, s’éloignant du bar et des potentiels renforts des Losts.
Le trajet se fit en silence. La respiration de Sharon devenait haletante, et elle étouffait un gémissement à chaque secousse sur le bitume usé. Pourtant, elle luttait pour rester éveillée. Autour d’eux, la ville disparaissait, laissant place à la route solitaire vers la campagne, où le motel isolé leur offrirait au moins un répit temporaire.
Le bruit constant du moteur semblait presque apaisant, une cadence qui masquait leur fuite silencieuse à travers la nuit.
Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent devant un petit motel isolé, un bâtiment à deux étages au néon délavé, au bord de la route. Frank gara la voiture rapidement, éteignant le moteur avant de descendre. Il jeta un coup d'œil à Sharon, dont les yeux clignaient, luttant contre l'inconscience. Il savait qu'elle ne tiendrait plus longtemps.
Le motel était désert, comme l’avait dit la tenancière. Il se dirigea directement vers la réception, où le vieil homme à l’accueil le fixa à travers ses lunettes épaisses, les sourcils froncés.
« J’ai besoin d’une chambre, » dit-t-il sans perdre une seconde.
Le tenancier, après un instant de méfiance en voyant Sharon à moitié allongée sur le siège passager, hocha la tête sans poser de questions inutiles. Il saisit les billets froissés que Frank posa sur le comptoir et lui tendit une clé.
De retour à la voiture, il ouvrit doucement la portière du côté passager et prit Sharon par les épaules pour l’aider à sortir. Ses mouvements étaient lents, presque mécaniques, mais il n’avait pas d’autre choix. Il attrapa son matériel de soin dans la boîte à gants et, tout en la soutenant, passa son bras autour de sa taille pour l’aider à marcher.
En se dirigeant vers la chambre, il observa chaque recoin du bâtiment d’un œil vigilant. Les issues de secours, la disposition des lieux… tout était enregistré par ses réflexes aiguisés. Sharon titubait à ses côtés, vacillante sous la douleur, mais elle tentait de se redresser, refusant de se laisser aller malgré la faiblesse qui la gagnait.
À l’intérieur de la chambre, il inspecta rapidement les fenêtres, s’assurant qu’elles étaient verrouillées, et la porte, dont il vérifia le verrou avec minutie. Une fois satisfait, il conduisit Sharon vers le lit avec précaution, la déposant doucement. Elle murmura quelque chose, un son faible et incompréhensible, et son visage se tordit brièvement sous l’effet de la douleur. Ses yeux, à demi ouverts, semblaient brumeux, perdus quelque part entre la conscience et l’épuisement.
Frank se tint près du lit, la boîte de soins en main. Il l’ouvrit d’un geste rapide et commença à sortir ce dont il avait besoin. Ses mouvements étaient précis et déterminés, comme s’il avait fait cela des centaines de fois. Il s’attela à désinfecter la plaie, ses gestes fermes mais étrangement délicats.
Sharon, les yeux mi-clos, luttait pour rester consciente. D’un mouvement soudain et fébrile, elle attrapa la main de l’inconnu, serrant ses doigts avec une faible force, comme pour l’empêcher de continuer son travail. « Qui… es-tu ? » Sa voix était rauque, presque un souffle, mais il y avait une urgence désespérée dans sa question.
Il leva les yeux vers elle, ses traits marqués par l’habitude du combat, mais quelque chose dans ses yeux semblait adouci, presque protecteur.
« Je m’appelle Frank. »
Il retourna à son travail, désinfectant la plaie avec rapidité et précision, les gestes empreints d’une efficacité militaire, mais d’une étrange délicatesse, comme si le monde autour de lui n'existait plus. Pourtant, dans ses yeux, il y avait une tension invisible, un écho de souvenirs qu'il ne parvenait pas à enterrer. Il se souvenait des nuits où il s'était retrouvé dans des situations similaires, seul face à des blessures qui racontaient des histoires qu'il ne voulait plus revivre.
Sharon, à moitié consciente, fixait le plafond, essayant de chasser la douleur, pas seulement celle de ses blessures, mais celle plus profonde qui la hantait depuis des années. Chaque mouvement de Frank, chaque coup d'œil qu'il lui lançait sans qu'il s'en rende compte, lui rappelait des fragments de son propre passé, des batailles solitaires qu'elle avait menées, et des visages qu'elle avait perdus.
« Pourquoi tu fais ça ? » murmura-t-elle, sa voix à peine audible, brisant le silence lourd de la pièce. Ses yeux cherchèrent les siens, mais il évitait son regard, concentré sur sa tâche.
Frank serra les mâchoires, continuant à nettoyer la plaie. « Parce que tu en avais besoin. » répondit-il, sa voix grave mais chargée d’une note qu’il n’avait pas l’habitude de montrer. « Les Losts s'en prennent à des innocents chaque jour. » Mais ce n’était pas seulement une question d’innocence.
Il y avait plus dans cette réponse qu'il ne voulait bien l'admettre, mais il ne pouvait pas mettre de mots sur ce qu'il ressentait. En elle, il voyait une ombre de lui-même, cette même lueur de détermination désespérée. Sharon insista, la voix faible mais résolue. « Je ne suis pas si innocente… » Elle baissa les yeux, comme si cette simple phrase portait un poids plus lourd qu'elle ne voulait l’admettre.
Il s'arrêta, son regard se durcissant un instant. « Personne ne l'est. »
Il n’ajouta rien d’autre, laissant planer ses mots dans l’air lourd de tension. Sharon se sentait tiraillée entre la méfiance et un sentiment qu’elle n’arrivait pas à identifier. Peut-être était-ce le fait qu'il ne lui demandait rien, qu'il agissait avec une sorte de code qu’elle n’avait jamais connu auparavant. Ou peut-être était-ce son regard, ce regard sombre et déterminé, mais jamais hostile. Quelque chose en lui l'attirait, malgré elle.
Alors qu’il terminait de bander ses blessures, il s’arrêta un instant, les mains encore en suspens. Il sentait son regard sur lui, lourd de questions silencieuses.
« Ça devrait tenir pour le moment. Pas aussi bien que l’hosto, mais ça fera l’affaire, » dit-il, la voix calme. Elle acquiesça faiblement, son regard toujours fixé sur lui.
Il reposa les bandages et rassembla le reste du matériel et se levant. « Repose-toi, j’vais te laisser un peu tranquille, » dit-il, désignant la salle de bain d’un léger mouvement du menton. Sharon suivit son geste du regard, ne répondant pas, simplement absorbée par une fatigue palpable.
Frank entra dans la salle de bain et laissa couler l’eau froide, se passant le visage sous le robinet pour dissiper l’intensité de l’instant. Dans cette pièce austère, ses pensées tournaient en boucle. Qu’est-ce qui l’avait poussé à l’aider, lui, d’ordinaire si détaché ? Il avait croisé des âmes perdues, mais Sharon semblait différente.
Il reconnaissait en elle une souffrance qu’il connaissait bien. Quelque chose dans sa façon de se tenir droite malgré la douleur, cette lueur farouche qui perçait dans ses yeux malgré l’épuisement, lui rappelait sa propre lutte. Une colère sourde, familière, qu’il comprenait trop bien.
Quand il revint dans la chambre, Sharon s’était assoupie. Il s’arrêta un instant, son regard captant les détails d’un visage enfin apaisé. Elle paraissait absorbée dans un calme si complet que Frank devina ce qu’un sommeil pouvait effacer, même pour un court instant.
Elle n’avait pourtant pas l’air si sereine. Frank savait reconnaître ce calme-là, celui qu’on porte comme un masque ; les traits relâchés qui cachent les combats qui se poursuivent même sous la surface.
Frank s’installa finalement sur le canapé, son regard fixé sur la porte de la chambre. Son corps réclamait du repos, la fatigue s’insinuant dans ses muscles, mais son esprit refusait de céder. Il restait en alerte, son attention constamment rivée aux bruits étouffés de l’extérieur, chaque grincement, chaque murmure devenant une menace potentielle. La lumière tamisée jouait avec les ombres, dessinant des formes éphémères qu’il analysait machinalement, prêt à agir en une fraction de seconde. Même ici, entre ces murs minces qui offraient une illusion de sécurité, le danger ne disparaissait jamais.
Un murmure brisa le calme de la pièce. Frank tourna la tête, les sens en alerte, pour voir Sharon bouger dans son sommeil, comme si elle luttait contre un ennemi invisible. Ses mains agrippaient les draps, ses lèvres laissaient échapper des gémissements entrecoupés, peut-être des mots, peut-être des supplications. De la sueur perlait sur son front, témoignant de la violence du cauchemar qui la tourmentait.
Son hésitation dura un instant, tirée par la certitude qu’interrompre ce genre de cauchemars pourrait être un mauvais choix. À une époque, lui aussi s’était débattu contre des fantômes ; il savait qu’un réveil trop brusque ne faisait qu’ajouter une couche à cette lutte silencieuse.
Il observait ses mouvements agités, devinant les contours de son combat intérieur. Il pensa brièvement aux siens, ces cauchemars qui le hantaient, bien plus implacables que tous ses ennemis. Une vague de compassion le submergea, inattendue et déroutante, créant un lien qu’il n’avait jamais cherché à nouer. Cette proximité silencieuse adoucit, pour un instant, sa vigilance.
Enfin, Sharon sembla retrouver une certaine paix. Ses traits se détendirent, son souffle reprit un rythme plus apaisé. Frank, toujours silencieux, se redressa pour vérifier une dernière fois la porte, son instinct de protection refusant de s’endormir complètement. Il jeta un coup d’œil à Sharon, endormie, et une vague de culpabilité familière le traversa. Elle n’était plus juste une inconnue rencontrée par hasard ; il voyait en elle quelque chose de familier, une douleur qui résonnait avec la sienne, une existence marquée par des batailles impossibles à oublier. Cette femme était un miroir de ses propres échecs et pertes, et cela l'affectait bien plus qu’il ne voulait l’admettre.
Lentement, il laissa son corps se relâcher, se permettant de sombrer dans un demi-sommeil. Ce n’était pas une vraie sécurité, mais une trêve fragile, un répit précieux. Et pour le moment, c’était suffisant.
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La lumière du matin filtrait lentement à travers les rideaux. Sharon ouvrit les yeux, ressentant la douleur lancinante dans son flanc. Elle tourna la tête vers Frank, assoupi sur le canapé, ses traits encore tendus. Malgré la méfiance, il y avait cette étrange sensation de sécurité en sa présence.
Elle se leva avec précaution, évitant de trop le regarder, et se dirigea vers la salle de bain pour se rafraichir. Elle s’aspergea d’eau pour nettoyer les dernières traces de sang sur son visage, son cou et ses bras. Le t-shirt noir s’en était imprégné et ils ne faisaient qu’un.
Elle fit face à son reflet dans le miroir. La lumière, crue et froide, éclairait chaque trace sur son visage, chaque ligne tracée par les nuits blanches et les épreuves. Elle regarda les pansements appliqués sur son flanc. Ses doigts effleurèrent la gaze, consciente que c’était Frank qui les avait posés, qu’il avait pris ce temps sans poser de questions.
Ce qu’elle ressentait la prit au dépourvu. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas connu cette sensation – un vague sentiment de confiance, même ténu, qui réveillait en elle un étrange mélange de gratitude et de malaise. Ses yeux fixaient la bandelette, comme si elle cherchait à y lire un message qu’elle n’avait pas envie d’entendre. Frank lui avait tendu la main sans attendre de retour, sans l’obliger à rien.
Elle détourna enfin le regard, brisant cet instant de faiblesse. Ce n’était pas le moment pour ces sentiments. Si elle avait appris quelque chose, c’était que les attaches devenaient des chaînes. Elle ne pouvait pas risquer de le mêler à sa fuite – elle portait trop de dangers derrière elle pour ça. Un dernier coup d’œil au miroir et elle s’endurcit, reprenant sa carapace habituelle. Elle devait se souvenir que, pour ceux comme elle, s’attacher n’était jamais une option.
Sortant de la salle de bain, elle s’immobilisa en apercevant Frank. Il était assis sur le canapé, réveillé, et son regard accrocha le sien avec une intensité calme mais pénétrante. Elle sentit une légère gêne monter en elle.
« Salut, » murmura-t-elle, presque malgré elle.
Frank la dévisagea quelques secondes, jaugeant son état. « Ça va ? »
Elle hocha la tête, incertaine de ce qu’elle ressentait vraiment. « Mieux. Merci… pour tout. »
Les mots lui échappèrent, discrets mais sincères. Elle se détourna aussitôt, comme si leur poids lui échappait maintenant qu’elle les avait prononcés. Elle ramassa son sac, rassemblant ses affaires en silence, mais elle sentait le regard de Frank qui ne la quittait pas, une question muette dans ses yeux.
« Tu pars déjà ? »
Elle hésita avant de répondre, cherchant ses mots avec soin. « J’ai besoin de récupérer ma voiture. Je t’en dois une, mais je ne peux pas m’attarder. »
Elle savait que les mots semblaient froids, mais il lui était impossible de les formuler autrement. Elle n’était pas ici pour rester, pour se laisser aider plus que nécessaire. C’était sa règle, et elle devait s’y tenir.
Alors qu’elle s’approchait de la porte, il la laissa presque partir, en silence. Il aurait pu la laisser sortir sans un mot, la laisser s’éclipser comme elle semblait le vouloir. Mais un instinct, plus puissant que sa méfiance habituelle, l’empêcha de la voir disparaître aussi simplement. Il se redressa, feignant un air détaché.
« T’as pas l’intention de partir le ventre vide, quand même ? »
Elle s’arrêta net, jetant un regard vers lui, méfiant, calculant ce qu’il essayait de faire. Frank haussa les épaules, comme si tout cela n’avait pas d’importance.
« J’dis ça comme ça, mais j’avais justement l’intention d’aller choper un petit déjeuner. Et même dans ce coin pourri, il doit bien y avoir une cafetière pas trop déglinguée. »
Il lui laissait un choix, libre et léger, mais elle devinait quelque chose d’autre derrière cette offre. Elle hésitait, consciente qu’elle jouait à un jeu dangereux – la distance était son bouclier. Cependant, elle ne put s’empêcher de le fixer, cherchant une intention cachée derrière ce regard tranquille.
« Je sais que tu veux tracer ta route, et ça te regarde, » reprit-il, un brin plus doux. « Mais pour être franc, t’as l’air d’avoir connu de meilleurs jours. Un vrai petit déjeuner pourrait te remettre d’aplomb. Ça n’engage à rien. Juste un café, un truc rapide, avant de reprendre ta route. »
Il la laissa dans son silence, lui offrant l’espace nécessaire pour décider sans pression. Elle soupira, résistant encore, puis hocha la tête, presque résignée.
« Ok, un café, » murmura-t-elle, comme si elle n’avait jamais été moins sûre d’elle.
Frank ne fit aucun commentaire, il se contenta de prendre les clés sur la table et lui fit signe, sobre et sans insistance. Dans ce geste, il lui offrait une sorte de trêve, un moment de calme avant le retour à leurs vies séparées.