Rétribution Sanglante
Frank posa sa bière, prenant une longue inspiration comme pour se préparer mentalement. Il se leva ensuite, en titubant légèrement, feignant l’ivresse. Ses pas mal assurés le menèrent vers le couloir étroit où se trouvaient les toilettes, un endroit suffisamment caché du reste du bar pour que la plupart des clients ne voient pas clairement ce qui s'y passait. Les deux hommes postés devant l’entrée se retournèrent vers lui alors qu'il approchait.
« Eh, c’est privé ici, vieux. T’es perdu ou quoi ? » lança l’un des motards en croisant les bras, une expression moqueuse sur le visage.
Frank émit un ricanement ivre, exagérant son balancement comme s’il peinait à rester debout.
Le deuxième motard éclata de rire, secouant la tête avec amusement. « Dégage d’ici, t’as pas à être là.»
Tout en parlant, ils avaient inconsciemment baissé leur garde. Ce fut l’ouverture parfaite pour Frank. D’un mouvement rapide, il se redressa et décocha un coup de poing en plein visage du premier motard, qui s'effondra sous l’impact, sonné. Le deuxième tenta de réagir, mais Frank l'attrapa par le col de sa veste et le plaqua violemment contre le mur, lui assénant un coup dans l’abdomen qui le plia en deux. Avant qu'il ne puisse reprendre son souffle, Frank l’acheva d’un revers du poing au niveau de la tempe, l’envoyant rejoindre son camarade au sol.
Il se baissa pour ramasser l'une de leurs armes, un pistolet glissé dans un holster. Le métal froid dans sa main était un rappel familier des situations où la violence était la seule issue. Frank jeta un coup d’œil rapide autour de lui, s'assurant que personne n'avait vu la scène. Le couloir était toujours à l’abri des regards indiscrets.
Sans perdre de temps, il ouvrit la porte des toilettes.
À l’intérieur, Sharon se battait avec une détermination farouche contre les deux femmes des Losts, bien plus fortes qu’elle. Chaque coup échangé lui rappelait la dure réalité de ses limites physiques, mais c'était sa rage contenue, née de chaque coup bas qu'elle avait subi ces dernières années, qui l’empêchait de céder complètement.
Chaque mouvement était instinctif, plus un rejet de l'impuissance qu’une réelle maîtrise du combat. Malgré la douleur lancinante dans ses côtes, elle utilisa la bouteille de whisky comme arme improvisée, frappant violemment l’une des femmes à la tête. Mais avant qu’elle ne puisse se relever, la deuxième femme, farouche et déterminée, l’attaqua avec une brutalité déconcertante, la projetant contre le mur.
Frank franchit les quelques mètres qui le séparaient des deux femmes d’un bond. Son mouvement était rapide et précis, sans la moindre hésitation. Il saisit la première femme, encore sonnée par la bouteille, et la plaqua au sol avec une force qui la laissa immobile. La seconde adversaire, plus alerte, se jeta sur lui, mais il esquiva d’un pas fluide avant de lui envoyer un coup de poing net au visage. Elle chancela et s’écroula contre le mur, inconsciente.
Sharon le regarda, encore adossée au mur, ses yeux parcourant rapidement la silhouette de cet homme qui avait mis à terre ses assaillantes sans même sembler y penser. Son allure impassible, ses gestes précis et contrôlés… Il y avait quelque chose chez lui, une impression de calme inébranlable qui contrastait avec le chaos qui l’entourait. Elle prit une inspiration malgré la douleur, et cette seconde d’observation lui fit presque oublier l’élancement dans son flanc.
Frank se tourna vers elle, remarquant sa blessure d’un œil froid mais calculateur. Pas de pitié, seulement une évaluation pragmatique, directe. « Tu ne tiendras pas longtemps comme ça », lança-t-il d’une voix basse, faisant glisser son regard sur la plaie visible.
Sharon esquissa un sourire, ou du moins, ce qui restait d’un sourire malgré la fatigue. « J’ai connu pire », répondit-elle. Pourtant, son souffle court et le tremblement dans sa voix trahissaient plus qu’elle n’aurait voulu.
Frank haussa un sourcil, l’air de dire qu’il n’était pas dupe, et elle détourna légèrement les yeux. Il lui tendit une main ferme, solide, sa présence imposante et paradoxalement rassurante. « Laisse-moi t’aider à sortir d’ici. Si tu veux rester en vie, il va falloir me faire confiance. »
Elle l’observa un instant, sa silhouette légèrement voûtée dans la pénombre, et un frisson étrange remonta le long de sa nuque – pas celui du danger, mais quelque chose d’autre, de presque déroutant. Ses instincts lui criaient de ne faire confiance à personne, surtout pas dans un endroit comme celui-ci. Pourtant, elle savait aussi reconnaître l’intention de quelqu’un qui n’attendait rien en retour. Derrière la douleur et l’épuisement, elle sentit une lueur d’intérêt s’éveiller en elle, quelque chose qu’elle pensait éteint depuis longtemps. La scène, aussi brutale et inattendue qu’elle était, lui semblait presque irréelle. Elle étira les doigts pour saisir la main tendue, tentant de contenir le frisson qui s’y glissait.
« D’accord », finit-elle par dire, tendant la main pour saisir la sienne. Ses pensées restaient confuses, un tourbillon d’adrénaline et de douleur brouillant son esprit.
Lorsqu'ils sortirent des toilettes, Sharon remarqua les corps inanimés de deux Losts dans le couloir. Le bar, quant à lui, semblait s'être vidé, à l'exception de quelques membres des Losts restés près de la porte. Le chef du groupe, un homme imposant aux yeux perçants, balayait la pièce du regard, cherchant clairement Sharon. Son expression était celle d'un prédateur prêt à bondir.
« Sors de ta cachette, Sharon ! On sait que t’es là ! » Sa voix résonnait, grave et menaçante, rompant le silence tendu.
Sharon se sentit vaciller, la fatigue l’envahissant. Elle se redressa à peine, s’appuyant contre l’homme qui l’avait aidée, consciente de l’intensité de la situation.
« Ça va être compliqué de sortir, » murmura-t-elle, cherchant du regard une issue.
Frank resta silencieux, son visage impassible malgré l’urgence. Puis, d’une voix calme, presque détachée, il répondit : « Il va falloir forcer le passage. »
Sharon le fixa du coin de l'œil, ses instincts tiraillés entre la méfiance et cette étrange impression de sécurité qu’il dégageait. Il ne semblait rien attendre d’elle en retour, pas même un mot de gratitude. Cela la déstabilisait plus qu’elle ne voulait l’admettre. Mais pour l'instant, elle n’avait pas d'autre choix que de lui faire confiance. Elle resta derrière lui, résolue à survivre, tout en se demandant ce qui pouvait bien le motiver à prendre autant de risques pour elle.
La tenancière, une femme d’une soixantaine d’année, sortit un fusil à pompe de sous le comptoir, le tenant d’une main tremblante. « Vous n’avez rien à faire ici, les Losts ! » lança-t-elle d’une voix qui se voulait ferme, mais trahie par une pointe de panique. « Dégagez avant que ça ne tourne mal ! »
Le chef des Losts éclata d’un rire rauque. « Tu crois vraiment que tu nous fais peur ? » cracha-t-il avec mépris en s’avançant plus près du bar.
C’est alors qu’il repéra Sharon avec un homme armée, abrités derrière le mur menant aux toilettes. Il remarqua les corps de ses camarades étendus sur le sol, visiblement abattus par ce mystérieux intervenant. La colère monta dans ses yeux, et il leva la main pour donner le signal d’assaut.
La tension monta d’un cran. Sharon sentit l’adrénaline parcourir son corps. Elle se redressa légèrement, prête à intervenir. Mais avant même qu'elle n'ait le temps de réagir, une détonation retentit, déchirant le silence. La fusillade éclata, les éclats de verre et de bois volant dans toutes les directions.
Sharon se mit à couvert derrière une table renversée, luttant pour ne pas céder à la douleur qui irradiait dans son flanc. À côté d’elle, l’homme qu’elle ne connaissait pas encore se mit en position. Chaque tir qu’il décochait était calculé, précis, implacable. Sharon l’observait en silence, fascinée malgré elle. Sa maîtrise du combat, son calme sous le feu ennemi… il n’avait rien d’un amateur. Elle n’aurait jamais avoué cela à haute voix, mais elle ressentait une étrange admiration pour sa manière d’agir.
Qui était cet homme pour être aussi efficace dans un tel chaos ? Chaque tir semblait parfait, chaque geste contrôlé. Cet homme n’était pas juste un sauveur de circonstance. Il savait exactement ce qu’il faisait.
Elle jeta un regard furtif autour d’elle. Le chaos s’était intensifié. Des clients du bar tentaient désespérément de se défendre, d’autres étaient déjà à terre, blessés ou morts, victimes des tirs impitoyables des Lost. La tenancière s’effondra derrière le comptoir, touchée par une balle perdue. Tout cela semblait irréel, comme si la réalité se diluait autour d’elle.
Sharon sentait le poids des années peser sur ses épaules, chaque coup reçu réveillant en elle des douleurs plus anciennes, des trahisons jamais oubliées. Johnny, Liberty City... Tout cela tourbillonnait dans sa tête, menaçant d’éclater à tout moment. Ce n’était plus une simple question de survie. Elle avait fui trop longtemps, encaissé trop de coups. Ses poings se serrèrent malgré la douleur, son esprit s'embrumait, et elle ne pouvait plus fuir. Quelque chose en elle se brisa, une digue céda sous la pression. Elle ne serait plus jamais une victime.
Frank, qui se battait avec une efficacité clinique, ne put que la regarder avec une stupeur incrédule lorsqu’elle se leva brusquement, ignorant la douleur dans son flanc. "Qu’est-ce que tu fais ?" essaya-t-il de l'appeler pour la remettre à couvert, mais ses mots se perdirent dans le tumulte de la fusillade.
Les membres des Losts, armés de battes et de pistolets, s’avançaient vers elle, mais Sharon les accueillit avec une froide fureur. Elle se jeta sur le premier assaillant, évitant avec une fluidité déconcertante ses tirs. D’un geste vif, elle saisit son bras et d’un mouvement sec le désarma, récupérant son arme. Le coup partit aussitôt, son adversaire s’effondrant dans un bruit sourd, sa vie quittant son corps en un instant.
Le deuxième Lost, armé d'un pied-de-biche, tenta de l’attaquer, mais Sharon esquiva son coup avec une grâce surnaturelle. En un éclair, elle désarma son adversaire avant de frapper violemment son crâne avec l'arme qu'il venait de perdre. Le bruit du choc résonna dans la pièce, et l’homme s’écroula sans un mot.
Frank observait la scène, sidéré par la métamorphose qui se jouait sous ses yeux. Sharon n’était plus une victime, mais une arme vivante. Ses coups étaient d’une précision dévastatrice, ses mouvements calculés comme s'ils faisaient partie d'une danse macabre. Il n’avait jamais vu quelqu’un se battre avec une telle intensité, un tel abandon. Une partie de lui était émerveillée, incapable de détourner les yeux de cette tempête humaine. Mais il savait aussi que quelque chose de sombre l'animait à cet instant.
Chaque coup résonnait dans ses tempes, le goût métallique du sang dans sa bouche. Sharon sentait son souffle devenir rauque, ses mouvements plus lents, mais elle ne pouvait pas s'arrêter. Le bruit sourd d’un crâne frappant le sol se mêla aux éclats de verre et de bois. Autour d’elle, le chaos. Mais tout ce qu’elle voyait, c’était cet ennemi qui avançait, lentement, implacablement.
Un autre Lost se précipita sur elle, mais avant que Sharon n’ait pu réagir, Frank s’interposa, abattant l’assaillant d’un tir net et précis. Ils se retrouvèrent côte à côte, leurs mouvements s'accordant avec une synchronisation surprenante, comme s’ils avaient combattu ensemble toute leur vie. Lui, méthodique et imperturbable, ses gestes calculés et efficaces. Elle, un tourbillon de rage et de puissance, frappant avec une intensité presque surnaturelle. À cet instant, ils formaient un duo improbable mais terriblement efficace, une alliance forgée dans le chaos de la bataille.
Chaque coup porté, chaque balle tirée était précis, mortel. Ils se couvraient mutuellement, se protégeant sans un mot, mais avec une compréhension tacite. Sharon n’avait jamais connu ce genre de partenariat. Cet inconnu se battait à ses côtés avec la même intensité, comme s’il comprenait, comme s’il partageait sa rage.
Les corps des Losts tombaient autour d’eux, désarticulés, marionnettes sans vie entre les mains de ces deux combattants. Sharon, le souffle court, ne ressentait plus que la fureur qui pulsait dans ses veines. Et pourtant, malgré la violence autour d’elle, une étrange sensation de contrôle l’habitait. Pour la première fois depuis des années, elle n'était pas seule à affronter le danger.
Alors que le dernier des Losts s’écroulait, Sharon et Frank, debout dans le silence soudain, se tournèrent légèrement l’un vers l’autre, juste assez pour croiser leurs regards, sans quitter des yeux l’ombre mouvante de l’arrière-salle. Leurs respirations haletaient, l’adrénaline résonnant dans leurs corps comme une brûlure vive. Sharon vacilla légèrement, sa main appuyée contre son flanc blessé, le sang tiède s’infiltrant entre ses doigts. Elle sentait ses forces faiblir, la douleur se faisant de plus en plus insistante, prête à la faire fléchir.
Frank balaya la pièce du regard, s'assurant que personne ne se relevait. Les corps inertes gisaient autour d’eux, témoins muets de l’altercation brutale. Malgré les marques du combat, les coupures et les ecchymoses, il restait imperturbable. Ses yeux revinrent sur Sharon, notant ses tremblements, le sang qui se mêlait à la sueur sur sa peau. Il percevait sa faiblesse, mais elle soutint son regard, farouche et déterminée, refusant de céder.
Un éclat de respect passa entre eux, une reconnaissance silencieuse, sans mots superflus. Frank, sans un mot, se tourna enfin et se dirigea d’un pas assuré vers le comptoir, le regard fixé sur la tenancière, comme pour s'assurer qu'elle allait bien après l'échange de tirs.
La femme se tenait déjà debout, le fusil de chasse toujours en main, bien qu'un peu ébranlée par la violence soudaine. Un léger sourire apparaissait sur son visage fatigué, et elle lança, d'une voix encore essoufflée :
« Bien joué, vous deux. J'aurais jamais cru qu'on réussirait à leur flanquer une râclé comme ça. »
Frank inclina légèrement la tête, le regard sombre, mais son attention resta partagée entre la tenancière et Sharon, qui vacillait près de l’entrée. Il la surveillait, un froncement de sourcils marquant son inquiétude grandissante. Elle ne disait rien, les yeux fixés sur la porte grande ouverte, comme si elle s'attendait à voir surgir d'autres membres des Losts à tout moment.
Mais personne ne vint. Le silence s’étendait, seulement perturbé par les gémissements étouffés des blessés. Sharon sentait l’adrénaline quitter son corps, la laissant aux prises avec la fatigue et la douleur de ses blessures qui s’intensifiaient. Elle percevait ses genoux faiblir, son équilibre vaciller.
Frank, déjà en alerte, la rattrapa d’un geste sûr, glissant un bras ferme sous son épaule pour la soutenir avant qu’elle ne s’effondre. « Accroche-toi, » murmura-t-il, d’une voix ferme et posée, qui contrastait avec la tension du moment.
À demi-consciente, Sharon se laissa guider, sa respiration rapide et peu profonde. Les blessures jusque-là reléguées au second plan par l’adrénaline se rappelaient à elle avec une violence écrasante. Frank l’allongea doucement contre une table renversée, son regard analysant la gravité de ses plaies sans un mot superflu.
La tenancière, toujours secouée mais reconnaissante, s'approche lentement avec un regard inquiet. « Vous pouvez pas rester ici. Si d'autres arrivent… ils vont en finir avec elle c’est certain. Prenez la sortie arrière. »
Frank acquiesça, conscient de l’urgence. Rester ici était trop risqué, mais la conduire à l’hôpital n’était pas envisageable non plus. Trop de questions, des regards indiscrets… et il doutait qu’elle-même ait envie de se retrouver dans un tel endroit. Quelque chose dans sa manière de se battre, cette posture tendue mais disciplinée, lui parlait d’un passé chargé. Ce genre de regard, celui qu’il avait croisé sur bien des visages, ne laissait aucun doute : cette femme avait ses propres démons, et pas le genre à attirer l’attention. Il serra les dents, cherchant une solution rapide et discrète.
« Y a un motel à trois miles d’ici, presque toujours vide, » murmura la tenancière en croisant son regard. « Discret et assez paumé pour que personne vienne poser de questions. »
Frank hocha la tête, un peu plus sûr de son plan. Il savait qu’ils devaient bouger, et vite. Jetant un coup d’œil à Sharon, il remarqua sa pâleur, ses paupières à moitié closes, luttant pour garder conscience. Il n'y avait pas de temps à perdre. Il s’accroupit et la souleva, ses gestes naturels et fermes, comme s'il était habitué à ce genre de situation. Son silence et son calme face à la situation sont presque effrayants, mais Sharon, bien qu'à moitié consciente, ne ressent aucune peur. Cet homme est là pour l’aider, elle le sent.