Aux Avenirs d'Hyrule - ou comment réparer un futur

Chapitre 13 : Liens

7357 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/06/2021 00:29

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Ce chapitre est une des raisons pour lesquelles cette fiction est classée comme “MATURE”.

Merci de bien prendre en compte ce classement avant lecture.

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‘’ Tu es nœud de relations et rien d’autre. Et tu existes par tes liens.

L’amour véritable commence là où tu n’attends plus rien en retour.’’

- Antoine de Saint-Exupéry

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ZELDA

Le vicomte reprenait sa torture psychologique à chaque nouvelle entrevue ; trop subtilement pour justifier son éviction, mais pas assez pour que je puisse ne pas saisir les implications de ses récits. J’avais suivi le conseil de Saki et passais désormais chaque séance cachée derrière un livre, à feindre de ne pas l’entendre. Je me permettais même de le provoquer en retour en choisissant mes ouvrages : La Boucherie pour les Nuls, Potences et Gibets à travers les Âges, Traité Vétérinaire de la Castration des Animaux de Rente… Malgré tout, la présence de Link était toujours un nécessaire réconfort après ces durs moments.

Suppa n’avait pas mis bien longtemps à parfaire son imposture. C’était vraiment troublant de me tenir dans une pièce avec mon propre double : comme si mon reflet dans un miroir se mettait subitement à agir de son propre chef ! Sa performance fut mise à l’épreuve au sein de notre équipe. Ni Saki, ni même Impa n’étaient capables de nous différencier. Seul Link me reconnaissait systématiquement, et il s’étonnait que ça ne soit pas le cas des autres.

« Vous trichez, tous les deux ! » avait accusé Saki, vexé, «elle te donne des indices, c’est évident ! Des regards d’amoureux ou je ne sais quoi. »

« Mais pas du tout ! » jura Link, «Nayru m’en soit témoin, tu es aussi mauvais perdant qu’Impa !»

« Eh ! Me mêlez pas à ça ! » s’indigna Impa. Link continua :

« Si quelqu’un réussit là où tu échoues, c’est forcément qu’il triche, pour toi ! C’est ça?»

« Bah alors vas-y, » aboya Saki, « explique-le ton secret ! C’est pour ça qu’on fait ces tests à la base : leur seule finalité est d’aider Gosao à être le plus fidèle possible ; pas de laisser une occasion à Môsieur le Héros de montrer qu’il est plus fort que les autres ! »

« Mais j’en sais rien, justement ! Ça se voit, c’est tout ! L’une est Zelda et l’autre non : comment est-ce que je suis censé expliquer ça ?»

Les deux garçons se chamaillaient constamment. Mais plus le temps passait plus leurs disputes ressemblaient à un jeu. Un agacement moqueur avait remplacé la méfiance et la hargne ; et l’inimitié s’était adoucie en une rivalité presque bon-enfant.


Avant même que la semaine ne se termine, nous avions tenté de mettre notre plan à exécution. Princesse Suppa s’était retrouvée seule de longues minutes avec le Juge, mais ce dernier n’avait rien fait, n’avait rien tenté, n’avait rien dit ; rien du tout. Pas même n’avait-il tenté de franchir la distance de deux pas imposée par Impa en mon nom. Comment avions-nous pu être aussi naïfs ? A quoi nous attendions-nous au juste ? Nous avions basé notre plan sur le fait qu’il avait déjà tenté de m’enlever autrefois, mais qu’aurait-il pu  gagner en faisant cela aujourd’hui, pendant cette cour officielle ?

Aussi nous avions décidé de mettre à profit les jours qui suivirent pour observer notre ennemi. Impa devant rester avec moi à tout moment, et Link n’étant pas vraiment le roi de la filature, ce furent Saki et Suppa qui se relayèrent pour observer avec discrétion les allées et venues du Vicomte, prendre note d’avec qui et de quoi il parlait et nous notifier de tout comportement suspect. Nous n’avions rien relevé d’extraordinaire, à part que l’après-midi d’Hyltag - l’un des deux jours par semaine où la cour était suspendue - Suppa avait dit avoir perdu sa trace dans la bibliothèque...

Il me fallait trouver un moyen de le localiser via la tablette Sheikah, lui aussi… La difficulté étant qu’il ne portait rien de caractéristique sur lequel le détecteur aurait pu se focaliser. Cependant, après d’innombrables heures de manipulations sur l’appareil - jusque bien tard dans la nuit - j’avais réussi à pirater l’encyclopédie afin de pouvoir y ajouter d’autres entrées. J’avais pu notamment créer un onglet « personnes » et avais pu y enregistrer chacun de nous en prenant une sheikographie de nos visages. Le radar de la tablette était désormais capable de détecter les gens qui y étaient répertoriés, et il ne fut pas difficile de voler discrètement un cliché du Juge pour l’ajouter aux fichiers !

Ils étaient tous stupéfaits de ma découverte, mais seuls les yeux de Link brillaient de tant de fierté. L’expression pleine de confiance qu’il affichait me rappelait celle qu’il avait eue juste après que nous ayons scellé Ganon ensemble. Sa tête légèrement penchée, un sourire faussement détaché sur les lèvres et son regard bouillonnant d’un amour inconditionnel m’affirmaient sans un seul mot : « J’ai toujours su que tu en serais capable »… Cet homme croyait en moi comme un prêtre croit en ses Dieux. Chacun des regards et chacun des contacts que nous échangions étaient un baume pour mon âme. Peut-être était-ce à ce moment-là que je le compris : je pourrais endurer n’importe quelle épreuve dans ma vie pour peu qu’il soit à mes côtés.


Un jour, par ennui, mais aussi en me disant que ça me permettrait de la retrouver si jamais je l’égarais, je pris également une sheikographie de la vis de Terrako ; cette même vis que je gardais toujours sur moi depuis qu’il avait été détruit... Contre toute attente, l’Encyclopédie l’ajouta automatiquement dans l’onglet « personnes » au lieu de l’onglet « monstres » avec tous les autres gardiens : il ne s’agissait probablement que d’une erreur, mais mon cœur en fut submergé d’affection et de nostalgie.

Sous son entrée pouvait-on lire : « Nano Gardien Sacré : modèle de machine de guerre adapté à la protection et à la compagnie de l’incarnation terrestre de la Déesse Hylia. D’une résistance extrême, il possède la capacité de combattre à deux armes, et conserve le mécanisme de déplacement à plusieurs jambes ainsi que le rayon d’énergie caractéristiques des gardiens. Il est en outre doté d’une intelligence artificielle dépassant toute intelligence biologique, de la capacité à communiquer par la musique et de plusieurs autres fonctions de protection classées confidentielles. »

Terrako… Mon petit gardien dont j’avais trouvé et remonté les pièces par simple jeu avec ma très chère mère quand je n’étais qu’une petite fille, avait donc été créé pour une de mes anciennes incarnations, il y a plus de dix mille ans... Je n’en parlai pas aux autres, car ils ne partageaient pas notre deuil, mais je montrai ma découverte à Link qui en fut tout autant estomaqué que moi.

« Finalement, cela éclaire beaucoup de zones d’ombre,» murmura-t-il, «on le réparera, tôt ou tard, ma Luciole… Je te le promets. »

 

SAKI

Contrairement à Impa, qui avait grandi au Village Cocorico auprès de notre tribu, j’avais eu à la fois la chance et la malchance d’être élevé au château d’Hyrule où mes parents, de la petite noblesse, officiaient au service du Roi. C’est pour cela que j’avais pu partager la même classe et le même précepteur que Zelda, la brillante et douce Princesse dont j’avais fini par tomber amoureux, en grandissant… Mais ma jeunesse d’enfant curieux et impertinent, fils unique d’un espion et d’une scribe, me donnait aussi d’autres atouts. Comme une connaissance parfaite des passages secrets et couloirs dérobés du palais royal !

La remarque de Gosao concernant la disparition du Vicomte dans la bibliothèque nous avait interpellés, la Princesse et moi. Nous suspections le vicomte d’avoir rejoint l’embarcadère secret accessible derrière l’un des lourds pans de la bibliothèque. Mais lorsque je m’y rendis pour mener l’enquête, je ne trouvai rien de plus que des marquages au sol tracés à la craie dans une graphie inconnue. Je copiai les marques sur mon carnet, mais ni Zelda, ni Impa, ni Gosao ne surent reconnaître le système d’écriture utilisé. Je ne demandai même pas à Link, sachant d’ores et déjà qu’il ne connaissait que l’Hylien et quelques runes Sheikah. Il répliqua d’un regard sombre à la mimique condescendante dont je le gratifiai en passant devant lui.

Je dois admettre qu’il était touchant, ce petit chevalier. Complètement inculte, certes, éprouvant pour les nerfs aussi, et tellement exaspérant avec ses regards lugubres et sa mine renfrognée ! Mais touchant, et au final quand il daignait prendre la parole, ses remarques étaient souvent pertinentes : il n’était peut-être pas aussi inintelligent qu’il en avait l’air.

Pendant nos rendez-vous quotidiens, parallèlement à l’échafaudage d’un nouveau plan, Impa, Zelda et parfois également Link continuaient à me raconter cette guerre dont je n’avais été qu’un témoin distant. Les épreuves qu’ils avaient affrontées, ensemble et séparément. Le soutien indéfectible qu’il avait été pour elle et elle pour lui. Le réveil de l’Epée de Légende avant même qu’il ne la touche, juste par sa volonté sans limite de la protéger. L’Eveil tant attendu des pouvoirs de Zelda lorsqu’elle fut à son tour menacée de la perte imminente de l’être aimé. Comment pouvais-je encore espérer rivaliser avec cet  amour capable de gagner une guerre ? Le voulais-je encore seulement ? L’homme que j’étais le désirait encore peut-être, mais le ménestrel ne se pardonnerait jamais de gâcher les derniers vers d’une si belle geste…

 

IMPA

Hyltag et Raurtag étaient passés en un battement de cils. Sartag était arrivé et avec lui, une nouvelle semaine de cour avait commencé. Ou plutôt devrais-je dire : une nouvelle semaine de jeux de société avec le Duc, une nouvelle semaine de somnolence avec le Baron, une nouvelle semaine du sourire de Saki qui me rendait de plus en plus nerveuse sans que je ne comprenne pourquoi ; une nouvelle semaine de son comportement passif-agressif  à la noix mojo envers Link…

Aujourd’hui, ce dernier n’était passé qu’en toute fin de matinée, pour confier la tablette Sheikah à Zelda jusqu’au soir : nous suspections en effet deux membres du personnel d’être de mèche avec le Juge, et Zelda voulait les sheikographier pour les ajouter à son fichier. De toute façon, nous n’avions pas encore convenu d’un nouveau plan...

Juste après le déjeuner, alors que j’appréhendais d’entamer un nouvel après-midi d’ennui mortel, les cloches du château sonnèrent l’alarme. Bientôt, une clameur se répandit le long des couloirs: des monstres ! Des monstres avaient envahi le palais. Je croisai le regard de la Princesse : elle était livide.

«Non… Ce n’est pas possible ! Pas encore ! Pas déjà !»

… Quoi ?

« Votre Altesse ! Allons vous mettre à l’a… »

« Hors de question ! Je vais me battre ! Allons-y !»

Elle ôta son gant droit : sur son poing serré, les triangles sacrés des Déesses flamboyaient aussi intensément que la détermination au fond de ses yeux. Je hochai la tête à contrecœur, et nous partîmes en hâte vers la source du vacarme. Je pouvais déjà entendre le fracas des armes : il semblait nous guider vers la bibliothèque, que nous avions quittée une heure plus tôt seulement… La garde était arrivée avant nous. Je pressai le pas pour franchir le seuil de la salle suivante et ouvrir le chemin pour la Princesse. Quand je jetai un œil vers elle pour vérifier si elle me suivait toujours, la lourde porte de bois s’était refermée derrière moi.

 

ZELDA

J’étais tombée par terre. Avais-je trébuché sur ma robe ? Non… Alors que j’essayais de me relever, quelqu’un s’assit à califourchon sur mon dos, m’écrasant violemment contre le sol. Une main empoigna ma chevelure pour me faire courber la nuque en arrière, tandis qu’une autre pressa un morceau de tissu sur ma bouche et mon nez.

Une puanteur âpre se déversa dans mes poumons, m’envoyant subitement dans les limbes. Dans une dernière étincelle de conscience, je perçus la voix mielleuse du Vicomte :

« Êtes-vous perdue, Votre Altesse ?

Laissez-moi vous emmener en sécurité… »

 

LINK

Je sortais à peine de table quand les cloches sonnèrent : ce rythme et cette tonalité indiquaient une attaque de monstres. Je m’attendais à tout sauf à ça ! Mon esprit bondit instantanément sur les visions que Zelda avait eues à Lanelle : ses visions de cette momie de Ganondorf pourrissant dans les sous-sols du Royaume et y déversant sa rancœur... Etais-ce cela qui réveillait déjà les monstres ? Ou s’agissait-il seulement des derniers survivants de la guerre, lançant une ultime offensive pour partir en beauté ? Épée à la main, je me précipitai vers le combat.

« Link ! » Saki courrait à ma rencontre, pantelant. Entre deux inspirations rauques, il souffla : « Où sont les filles ? »

« Aucune idée, mais les connaissant, elles vont vouloir se battre : elles y sont peut-être déjà ! »

J’étais pressé, j’espérais que mon ton le lui avait fait comprendre et je tournai les talons. Il s’accrocha à ma manche, secouant la tête, montrant les dents. Il peinait encore à retrouver son souffle.

« Link, ATTENDS ! … Les monstres viennent de la bibliothèque… Sûrement arrivés par l’embarcadère… Les marques de craie… »

« Tu crois que ça a un rapport avec… »

« ÉVIDEMMENT! … La Tablette : cherche Zelda. »

Ses mots me firent l’effet d’une draco-batte Moblin en pleine tête. J’avais confié la tablette à Zelda juste avant le repas. Je paniquai.

« Saki, c’est Zelda qui l’a. C’est Zelda qui a la tablette ! »

« NON… !! Putain de merde, Link ! C’est tout c’qu’on te demandait ! »

« Elle en avait besoin pour … »

« J’EN AI RIEN A FOUTRE, espèce d’abruti ! Allons-y ! »

Nous partîmes en hâte vers la bibliothèque, terrifiés tous les deux. Pas besoin de m’insulter, je m’en voulais déjà assez pour me traiter de noms bien plus grossiers qu’abruti. Je dévalais les allées en implorant les Déesses: que Zelda soit toujours en sécurité avec Impa, et qu’on les retrouve vite…

Si seulement j’étais capable de la traquer, comme elle le faisait avec l’épée! J’étais si hermétique à tous ces trucs spirituels ! Je n’avais jamais eu de ma vie ne serait-ce qu’un pressentiment, je n’étais pas capable de sentir les auras - encore moins de les voir ; je n’avais aucun souvenir du tout d’aucune de mes vies antérieures, ne pouvais pas communiquer avec mon épée à part pour trancher du monstre et quand elle, elle essayait de me parler, je ne comprenais rien du tout ! Quelle blague que mes tordus de parents m’aient appelé Link parce que ça voulait dire « Lien » : de tous les benêts de ce fichu royaume, j’étais sans aucun doute le moins apte à me connecter à qui ou quoi que ce soit!


Gosao nous rejoignit au détour d’un couloir. Il n’avait aucune idée non plus d’où étaient les autres mais, bien qu’habillé en civil, il était armé jusqu’aux dents. Bien. Nous vîmes bientôt arriver Impa en face de nous. Elle était seule et avait l’air aussi affolée que moi. Comprenant immédiatement, mon moral s’effondra… Saki attrapa Impa par les épaules.

« Impa ! Où est Zelda ? »

« Je n’en sais rien, » couina-t-elle à travers sa gorge serrée, « elle était juste derrière moi ! Une porte s’est refermée entre nous ! Impossible de l’ouvrir : solidement barrée! J’ai fait le tour par un autre couloir et je ne l’ai pas trouvée ; mais  il y avait un filin par terre :  ils ont dû le tendre pour la faire tomber! Ces monstres, c’est un coup monté ! Je suis tellement désolée !! Oh, Votre Altesse…!»

Je me sentais aussi impuissant qu’à Lanelle, à brandir une épée inutile contre un ennemi insaisissable. J’aurais dû trancher ce vicomte de mes deux quand j’en avais l’occasion!  Saki me surprit par son sang-froid. Il tenait toujours les épaules d’Impa :

« Où est le Roi ? »

« Dans la bibliothèque : il affronte les monstres auprès de sa garde.»

« Bien. Écoute-moi, Impa. Écoute-moi ! » Il la secoua doucement et attendit qu’elle le regarde dans les yeux. « Je veux que tu ailles le rejoindre. Tu es le meilleur combattant que Cocorico ait jamais connu. Aide-le à se débarrasser des monstres, aussi vite que possible et conduis-le jusqu’à nous. Il t’écoutera. Je te laisserai des indices pour que tu puisses nous pister.  Je sais que tu peux le faire ! »

Le poète maintenait délicatement le menton de la guerrière vers le sien tandis qu’il lui parlait, pour l’empêcher de détourner le visage. Elle opina douloureusement et accepta d’une voix brisée :

« Compte sur moi ! »

Impa s’élança comme une flèche vers la bibliothèque. Saki fit volte-face et, d’une voix évoquant plus celle d’un capitaine que d’un poète, il rugit :

« Les gars ! Le nouveau plan est l’ancien plan ! On les retrouve, on le surprend et on le fait pendre ! »

« Doit-on se séparer pour les chercher ? » demanda Suppa.

« Inutile! Link va nous guider. »

Saki saisit mon épaule comme il l’avait fait avec Impa et me foudroya du regard avec aigreur.

« J-je... J’en suis pas capable Saki ! Ces trucs spirituels, c-c’est son truc à elle ! J’ai essayé des dizaines de fois ! »

« Ouaip. Mais tu n’avais aucun enjeu en essayant. C’est comme ça que vous fonctionnez, tous les deux, non ? Monsieur et Madame Le Syndrome de l’Extrême Limite. » Tenant toujours mon épaule, il me donna une secousse. « Tu es tendu comme une corde de harpe ma parole ! Donne ta main. »

Il attrapa ma main gauche et enfonça son pouce profondément dans ma paume. La douleur fut vive mais, comme par magie, mon bras se détendit en quelques secondes, suivi de mon épaule et du reste de mon corps. L’Epée de Légende pendait mollement au bout de mon autre bras.

« C’est mieux. Maintenant, fais le vide dans ton esprit. Ça ne doit pas être trop compliqué pour quelqu’un comme toi. »

Il lâcha ma main ; je n’en revenais pas qu’il arrive encore à être aussi cinglant dans un moment pareil.

« Ton Epée est connectée à ta femme. Et ton épée est dans ta putain de main ! Fais corps avec elle. Laisse-la te guider. »

Faire corps… Je pris une profonde inspiration et fermai les yeux.

Lorsque j’étais en plein combat, la Lame Purificatrice était un prolongement de mon corps. Nous ne faisions plus qu’un : comme si nos âmes se mettaient à vibrer en résonance. Suivant les conseils du Sheikah, j’essayai de retrouver cet état d’esprit.

Lorsque je chevauchais Vermeille dans le vent tiède des plaines d’Hyrule, nous ne faisions qu’un : comme si mon cœur battait au rythme du martèlement de ses sabots. Peut-être n’étais-je pas aussi infoutu de me connecter que je ne le croyais…

Quand je m’étais enfouis en Zelda dans l’ivresse de notre Amour, nous ne faisions qu’un, fondus ensemble par notre passion l’un pour l’autre…

Je repensai à ce sentiment de complétion qui m’avait saisi dans ces moments-là. Et je me rappelai ce que j’avais ressenti dans la forêt, en sortant l’Epée de la pierre : c’était comme retrouver une vieille amie... Comme ce cliquetis satisfaisant quand deux pièces d’une relique s’emboîtaient parfaitement entre elles, reformant le mécanisme qu’elles étaient censés être…

La lame émit un son familier et se mit à briller.

« Oui ! C’est ça, gamin ; continue ! » chuchota Saki.

« Guide-moi, je t’en prie. Zelda a des ennuis. Guide-moi…» pensai-je à l’intention de la Lame.

« Maître… » l’entendis-je seulement répondre.

Mais à ce simple mot, tout se remit en place. Je compris… Non… Je sus que j’avais déjà été guidé sans le savoir. Une force m’avait mis sur le chemin qui me conduirait vers elles : vers Zelda, vers l'Épée de Légende, vers ma Destinée... Avant même que je ne sorte la Lame Purificatrice de son socle, nous étions liés : c’est grâce à ce lien que son éclat avait vaincu les illusions d’Astor dans la Forêt. C’est grâce à ce lien que je différenciais si facilement Zelda de Suppa déguisé. Et grâce à ce lien, je pouvais retrouver Zelda ; mille fois plus naturellement qu’avec n’importe quel détecteur ou carte. Nous étions tous les pièces d’un même mécanisme qui n’aspirait qu’à s’assembler de nouveau.

Je rouvris les yeux, glissai mon Amie dans son fourreau avec foi et me ruais dans les couloirs. Mes deux anciens ennemis, à qui j’avais donné ma confiance, m’emboitèrent le pas sans un mot.  

 

ZELDA

Je me réveillai dans mon propre lit. Dans ma propre chambre ; celle que je n’occupais plus depuis des semaines. J’essayai de me relever, mais j’étais attachée, poignets et chevilles, aux quatre montants du baldaquin. Je forçai sur les liens, mais ils étaient robustes et serrés. J’essayai d’appeler à l’aide, mais j’étais solidement bâillonnée.

De l’autre côté du lit, le vicomte s’approcha, affichant un rictus sordide. Il prit la parole de sa voix douceâtre :

« Ah, la voilà réveillée ! Ne vous inquiétez pas, ma douce nièce. Je ne vous ai pas touchée …  Cela fait si longtemps, Zelda, que j’attends ce moment. Même si vous n’êtes plus la jeune et délicieuse vierge que vous étiez alors, cela aurait été un énorme gâchis de ne pas savourer pleinement une occasion tant espérée… Et puis, voyez-vous, il se trouve que j’avais autre-chose à faire avant…»

Sa voix s’éteignit tandis qu’il s’éloignait de nouveau. J’étais confuse : ma tête bourdonnait encore de son poison. Je levai les yeux vers lui, peinant à comprendre ce qui était en train de se passer. Une arbalète chargée et armée reposait sur son bras alors qu’il regardait par la fenêtre.

« Quel temps magnifique ! Et que c’est prévenant de la part de votre ex-chevalier d’avoir mis vos deux chevaux dehors ! Était-ce également son idée d’avoir leur petit enclos visible de vos quartiers ? Maintenant dites-moi, Princesse : où rangez-vous votre Sceau Royal ? »

Toujours dans ma torpeur et distraite par son histoire de chevaux, mes yeux se tournèrent brièvement vers ma bibliothèque avant que mon cerveau ne puisse les en empêcher.

« Merci beaucoup, très chère; c’est un réel plaisir d’avoir votre pleine coopération. J’ai cru comprendre à vos choix de lectures que ce n’était peut-être pas votre cas, mais j’ai pour ma part une sainte horreur de devoir m’en prendre à d’innocents animaux. »

Il posa l‘arbalète sur mon bureau et se dirigea vers l’étagère à laquelle j’avais jeté un coup d’œil. Inspectant soigneusement les traces dans la poussière du meuble, il choisit un épais volume bleu. Je fermai les yeux tandis qu’il en ouvrait la couverture. Les pages de ce livre avaient été creusées pour que je puisse y cacher mon sceau. Il lui aurait fallu des heures pour mettre la main dessus si je n’avais pas moi-même trahi son emplacement. Alors que dans ma colère, mon poing se serrait sur du vide, je réalisai qu’il m’avait déjà pris ma bague également.

«Aaah… Le voilà! Vous n’avez pas menti, je suis si fier de vous! Peut-être vais-je laisser la vie sauve à votre petit chevalier, en guise de récompense. En vérité, il a déjà été empoisonné deux fois cette semaine mais on dirait que ce drôle de petit bonhomme peut digérer absolument n’importe-quoi! Alors… Nous avons la lettre - j’ai eu des années pour m’entraîner: je peux imiter votre écriture à la perfection. Ollie a été une si gentille fille en me fournissant régulièrement tant d’échantillons... Nous avons de l'encre, eeeet nous avons la bague ... »

Reprenant doucement mes esprits, je regardais frénétiquement autour de moi, à la recherche de quoi que ce soit qui pourrait m’être utile. J’aperçus par terre la tablette Sheikah : mon sang ne fit qu’un tour quand je compris que mes amis n’avaient aucun moyen de savoir où j'étais. J’essayai de pousser le bâillon avec ma langue afin de pouvoir crier et manquai de m’étouffer lorsque ma salive coula vers mes bronches.

« Voyez-vous, douce enfant, c’est aussi par votre femme de chambre que j’ai su la date de votre dernière Lune de Sang. Vous, les femmes, êtes toutes faites sur le même modèle… Aussi je vous sais dans votre période fertile, en ce moment même. C’est pourquoi je ne suis pas tombé dans votre piège ridicule la semaine dernière : ce n’était pas le bon moment ! De toute façon j’ai l’impression que je suis bien meilleur pour poser des pièges ; je pourrais vous apprendre, si vous voulez… »

Sa façon doucereuse de s’adresser à moi était encore plus effrayante que tout le reste. Il venait de réussir à déverrouiller mon sceau à l’aide de l’anneau et j’entendis la frappe sourde du tampon sur mon bureau.

« Très ingénieux, vraiment très ingénieux. Eh bien ma douce Zelda, vous venez de signer et authentifier une lettre déclarant que Nayru vous a fait grâce de sa Sagesse : vous avez compris que j’étais le plus apte de vos prétendants à devenir Roi. Malgré vos sentiments et votre peine, vous me choisissez car bien sûr, le Devoir d’une Princesse doit primer sur ses désirs égoïstes. Vous êtes impatiente de porter mon enfant, parce que vous savez qu’une nouvelle menace plane déjà sur Hyrule, et vous avez la certitude qu’un nouveau descendant d’Hylia, porteur du plus pur des sangs possible, sera la clef pour sauver notre Royaume. Oui, j’ai eu des rêves aussi : je sais que ce n’est pas encore fini. Au moins nous avons tous les deux conscience qu’une partie de toute cette comédie est vraie. »

Tirant de toutes mes forces sur les liens, je ne faisais que les resserrer davantage. Je sentais mes mains enfler et s’engourdir sous l’effet du garrot.

 « Je vais vous faire mienne ici et maintenant et vous mettre enceinte. Vous porterez mon enfant : le plus pur des héritiers d’Hylia. Vous n’oserez le dire à personne : d’abord parce que vous vous sentirez honteuse et souillée, et par expérience cela suffit généralement à vous maintenir la bouche fermée ; ensuite parce que je tiens les vies de tous ceux qui vous sont chers entre mes mains ; et enfin, parce que je vous aurai droguée jusqu’à l’apathie. Chut, chut… Tout va bien. Il n’y a pas de regret à avoir : personne, pas même votre petit chevalier, ne voudras plus de vous vu l’état dans lequel je vous aurai mise après m’être occupé de vous... »

Des grosses conneries !! Comme si j’allais le laisser s’en tirer comme ça ! Je le tuerai moi-même, droguée ou pas ! Link ne croirait jamais une seule des foutaises de cette lettre, jamais ! Il comprendrait à la première seconde si je n’étais pas dans mon état normal ! Je le savais avec une certitude si absolue que l’espace d’un instant, j’eus l’impression que c’était Link lui-même qui le hurlait dans ma tête… ce type était fou, encore plus fou que ne l’avait été Astor ! Sa propre sensation de toute-puissance, nourrie par un long passé à abuser de la faiblesse de pauvres gens, le dévorait désormais tout comme Ganon avait dévoré le Voyant! Il continua son monologue abject en débouclant sa ceinture.

« Oh, vous ne me croyez pas, n’est-ce pas ? Ce n’est pas nécessaire. J’ai douze amis à la citadelle prêts à attester sur leur propre vie que je suis en ce moment même avec eux en train de jouer au cul-de-chouette. Alors si quelqu’un doit être accusé de l’état déplorable dans lequel vous serez après que je vous aie droguée, ce sera votre chevalier. Je trouverai aussi des témoins pour ça : c’est mon métier. Je n’ai pas besoin que les gens m’apprécient ou croient en moi ; j’ai juste besoin des lois et de preuves incontestables. J’ai des témoins, votre propre témoignage écrit, signé et scellé, et des lois qui me protègeront en tant que père de notre enfant… »

Il ne cessait de s’approcher de moi. Je pouvais désormais discerner chaque goutte de sueur sur son front. Je tentais d’invoquer mon Pouvoir Divin pour le repousser, mais s’il ressentit quoi que ce soit, il n’en montra rien.

« Vous savez que je partage votre sang, » ria-t-il, « votre pouvoir ne peut pas m’atteindre ! En parlant de choses qui pourraient échouer… Une partie de moi espère vraiment que cette saillie échouera : ainsi devrai-je réessayer à la prochaine Lune… D’ici là votre petite équipe ne sera plus un problème. Et je vous aurai détruite si profondément que je serai devenu votre unique option si vous ne voulez pas que la lignée d’Hylia s’éteigne avec vous…»

Il avait baissé son pantalon et était monté sur le lit, rampant entre mes jambes. Je tentai de lui donner des coups de genoux mais ne fis que me heurter aux liens qui retenaient mes chevilles. Un rire guttural s’échappa de sa gorge, suivi d’un râle de plaisir : il se délectait visiblement que je me débatte ainsi. Il souleva ma robe et mon jupon au-dessus de mes hanches et continua à avancer en écartant mes cuisses de ses genoux. Ça ne pouvait pas arriver ! Pas question ! Je hurlais silencieusement dans mon bâillon, rejetant cette pourriture de chaque fibre de mon être.

La porte de ma chambre vola en éclat dans un immense fracas.

 

SAKI

Le petit chevalier avait couru avec de plus en plus de précipitation dans les couloirs, comme poussé par un sentiment d’urgence grandissant. Sans la moindre hésitation, il avait explosé la porte de la Suite Princière d’un seul formidable coup de son épée et s’était figé, tressaillant de rage, n’osant pas faire un pas de plus.

Plus rapide que la foudre, Gosao mis en pratique l’Arcane de Fumée pour s’engouffrer dans la pièce : disparaissant juste derrière moi, je l’entendis réapparaitre quelques enjambées devant nous, dans un nuage de poudre grise, de papiers d’incantation et d’éclats de bois. Nous ne pûmes voir ce qu’il se passait que lorsque la fumée se dissipa : Gosao se tenait alors derrière le vicomte, le maintenant droit de sa serpe autour de la gorge et d’un shuriken pointé dans le dos.

« Estimez-vous chanceux que la Princesse m’ait demandé de ne pas faire couler le sang, » cracha le Yiga, « sans ça, vous seriez déjà mort. »

Zelda était allongée sur le lit devant eux. Attachée et bâillonnée. Je détournai les yeux de ses jambes nues et fis face à Link. La fureur que je lisais sur son visage et que je sentais dans son aura brûlante surpassait en intensité tout ce dont j’avais été affligé ou témoin dans ma vie. Il n’allait pas résister à massacrer Turpan. Il allait tout gâcher : la possibilité d’une enquête poussée et de jugements, ses chances de fiançailles ...

Et merde ! Pas moyen! Si je ne m’autorisais pas moi-même à gâcher leur chanson, il était hors de question que lui en ait le droit !

J’empoignai son épaule tremblante et fixai mon regard dans le sien. Je voulais qu’il puisse voir ma propre colère et mon propre dégoût en miroir ; qu’il sache qu’il n’était pas seul à les ressentir. Son épée tremblait dans son poing crispé. Je concentrai mon esprit sur son chi: rouge et noir, embrasé de la haine qui s’insinuait dans chacune de ses veines, envahissant tous ses méridiens… Il n'existait pas de rapide technique d’acupression pouvant calmer une telle tempête... J'ouvris mon propre flux vital, dans le but d’éponger autant de son énergie corrompue que possible : il fallait l’en soulager avant qu’il ne perde la tête. Mon estomac se souleva face à l'intensité de cette Rancœur intangible, qui se déversait en moi comme une coulée de boue.

Jetant un coup d’œil par-dessus la tête de Link, j’aperçus Impa arriver : je n’avais jamais été aussi heureux de voir un visage de toute ma vie. Rhoam et la garde royale étaient derrière elle… Je dis tout haut, peut-être autant pour moi que pour lui :

« C’est bientôt fini, mon ami. Le Roi arrive avec Impa. Plus que quelques secondes à tenir… »

Son regard avait viré de la frénésie à la supplication alors que ses yeux s’étaient tournés vers le visage de Zelda. A la seconde où Rhoam mit un pied dans la pièce, Link me poussa de côté pour lui emboîter le pas. Il fit virevolter son épée ; non pas pour tuer le juge mais pour couper les cordes qui retenaient notre Princesse. Libérée, Zelda s’arracha elle-même son bâillon et se jeta dans les bras de Link... Je n’arrivais même plus à être jaloux.

Rhoam était sans voix: la bouche entre-ouverte dans sa barbe blanche, il observait avec épouvante le juge dressé sur ses genoux sur le lit de sa fille. Comprenait-il seulement ce qu’il voyait ?

« Le Vicomte Turpan a tenté de violer votre fille, Votre Majesté. Il a également orchestré l’attaque des monstres pour faire diversion et la subtiliser à la surveillance de son chaperon. Link, Gosao et moi-même sommes arrivés juste à temps. »

Je crus un instant que le roi allait vomir.

« Il s’agit là d’une grotesque mise en scène, Votre Majesté ! Je suis sûr que vous n’allez pas croire ces enfants ! J’ai une lettre de la main de Zelda prouvant que j’avais son consentement !» Gosao resserra ses armes sur lui.

«Je n'ai écrit ni signé AUCUNE lettre! Il m'a droguée et a volé ma bague et mon sceau pendant que j'étais ligotée! Vous avez TOUS pu constater que je l'étais! »

La voix de Zelda était si rauque… Elle se leva, échevelée et avec ses entraves encore suspendues à ses poignets meurtris; pourtant, elle avait plus que jamais l’air d’une Reine. Elle continua:

«Ce n’est pas seulement une tentative de viol : c’est du vol, de la falsification et de l’usage de faux… De la haute trahison! Et deux tentatives de meurtre par empoisonnement, qu’il a avouées lui-même, envers le Héros! »

Elle regarda Link qui s’était levé à sa suite et se tenait juste derrière elle. Ils échangèrent un regard inquiet avant que Zelda ne reprenne la parole.

«Gardes! Ne laissez rien de ce que vous avez vu s’ébruiter et bouclez le château jusqu'à ce que nous ayons tiré les noms de tous ses complices de sa répugnante bouche! J'ai déjà des doutes concernant Rashell, le nouveau commis de cuisine ; Bellan et Weyson qui travaillent tous les deux pour le Contrôleur Général des Finances, ainsi que ma propre femme de chambre Ollie. Je veux qu'ils soient tous placés en garde à vue aujourd’hui même et ce jusqu'à ce que nous ayons eu le temps de les interroger! »

Le capitaine de la garde royale s’inclina respectueusement et envoya la moitié de ses hommes exécuter les ordres de leur Reine. Le véritable Roi s'avança vers Turpan, le saisit par le col et le souleva au-dessus de son poing de sa force colossale. Le juge et sa nouille disgracieuse pendouillaient aussi misérablement l’un que l’autre désormais.

Zelda expliqua, peut-être plus pour nous que pour le Roi:

« Il attendait ma période de fertilité ! Il ne voulait pas seulement me profaner, il avait prévu de me mettre enceinte ! Il croyait pouvoir nous lier par un héritier et se mettre sous la protection des Vieilles Lois ! »

A ces mots, le Roi lança le Vicomte de toutes ses forces : l’odieux personnage heurta violemment le mur et tomba au sol comme une poupée de chiffon.

« QU’ON LE METTE AUX FERS !!! » hurla le Roi. Deux de ses gardes emportèrent l’homme à moitié assommé sans prendre la peine de lui remonter son pantalon. Gosao les suivit avec dévotion. Rhoam fit un pas vers sa fille :

« Ma chère Zelda, je… »

« Laissez-moi,» rétorqua-t-elle, « admirez bien la belle protection que vos chères traditions m’ont apportée, à moi et à ma lignée, et laissez-moi avec des gens capables de penser par eux-mêmes ! »

Elle se tourna vers son chevalier qui l’enveloppa de ses bras alors qu’ils se rasseyaient ensemble au bord du lit. Vaincu, Rhoam fit un signe de tête à Link avant de partir et le garçon le lui rendit, acceptant sans un mot la mission de prendre soin d’elle.

 

Au départ du Roi, Zelda se mit à sangloter dans le cou de son amant tandis qu'Impa s’écroula par terre en larmes, cachant son visage dans les paumes de ses mains. Hyrule était bénie avec ces filles si fortes, qui avaient attendu de se sentir parfaitement en sécurité avant de laisser paraître le moindre signe de faiblesse. Je me sentais béni également, d'une certaine manière : de faire partie de leur refuge...

Zelda venait de traverser l'enfer même, sans vaciller… Les larmes d'Impa, quant à elles, ne découlaient que d'un immense soulagement, d'une bonne dose de compassion féminine et peut-être d'une pincée de culpabilité; du moins le supposai-je. Je m'assis en tailleur à côté d'elle et posai amicalement une main sur son épaule.

"Eh là, c'est fini! On a tous super bien géré, et on a réussi ! ». En guise de réponse, elle vint appuyer son front sur ma poitrine en pleurant de plus belle...

"Hopopopo, un peu de tenue, mademoiselle… Un tel comportement est inapproprié pour une Dame de votre rang!"

Je n'en pensais pas un mot, tout fasciné que j'étais de découvrir un côté sensible à l'impitoyable Impa. Mes doigts s'emmêlaient avec bonheur dans ses longs cheveux platine et mon pouce, vagabondant entre ses omoplates l’invitait à rester.

«Mais quel cœur d’artichaut, » murmurai-je, « non mais regarde-toi: qui pourrait croire que c’est toi la guerrière entre nous deux, hein?»

Eh merde… Mieux valait qu'elle reste là encore un peu… Juste au cas où je me mettrais à pleurer aussi.

 

LINK

Par-dessus l’épaule de Zelda, j’avais regardé le Roi fracasser cette pourriture contre le mur. Il allait payer pour ce qu’il avait tenté de faire, il allait payer pour ce qu’il avait fait, et le fait qu’il soit encore en vie nous permettrait de démanteler tout son réseau de salopards avec lui. Ensuite, il serait pendu : ainsi mourra-t-il sans que le sang d’Hylia ne soit versé.

Je le savais. Et pourtant rien au monde ne m’avait jamais semblé aussi insurmontable que de rester planté là sans le mettre en pièces.

Pendant que je courais vers Zelda guidé par nos liens, je pouvais sentir ce qu'elle ressentait, de plus en plus clairement, comme si mon âme avait pris un peu d’avance et se tenait déjà à ses côtés. Ma colère avait grandi en même temps que sa terreur... Si j'avais été seul dans cette épreuve, j'aurais détruit beaucoup plus que cette porte ...

Mais seul, je ne l’étais pas : l'Épée de Légende répugnait à faire couler le sang de sa créatrice, je n’entendis plus sa voix ce jour-là mais sa réticence était comme une force qui retenait mon bras ; Saki avait été un soutien également, au sens propre, et de par sa sagesse. En fait, nous ne serions même pas arrivés à temps sans son infaillible sang-froid et ses conseils. Je ne savais pas si il avait été sincère en m’appelant « ami » mais pour ma part, j’étais tout à fait prêt à le compter parmi les miens ; aussi cynique qu’il puisse être… Mais plus que toute autre chose, ce fut le courage qui brûlait dans les yeux de Zelda, même dans ce moment d’angoisse et d’humiliation, qui m’avait retenu… Je pouvais sentir dans ma propre poitrine sa volonté de mettre un terme à tout ça… Elle… Non : nous ne tolèrerions pas ce genre de choses sous notre règne.

Quand ses pleurs se calmèrent, je l’éloignai de moi pour l’aider à se débarrasser du bâillon qui pendait encore à son cou, et des liens tranchés encore attachés à ses chevilles et ses poignets. Sa peau était profondément éraflée et une nouvelle bouffée de colère m’envahit. Comme pour étouffer les flammes de ma haine, elle se blottit de nouveau contre moi.

« Ça me rappelle les lanières de mes sandales… Tu te souviens ?»

Bien sûr que je m’en souvenais. C’est ici même, de l’autre côté de ce lit, que je l’avais aidée à se soigner après le combat contre Ganon… Surmontant enfin l’état de choc qui m’avait une nouvelle fois rendu muet, je répondis :

« Oui… Je suis content d’avoir fait plusieurs pots de ma pommade à Necluda : le premier est déjà presque fini… Je vais prendre soin de tes blessures, ma Grenouille… Je vais prendre soin de chacune d’elles.»

 

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