Aux Avenirs d'Hyrule - ou comment réparer un futur
“La vie n'est pas que question de recevoir de bonnes cartes,
mais parfois, de bien jouer avec une mauvaise main.”
-Jack London
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SAKI
J’étais arrivé à la bibliothèque avec un peu d’avance, par le petit salon du haut. Depuis mon perchoir, j’observais discrètement la petite assemblée qui s’affairait en contrebas. La Princesse qui faisait à mon cœur battre la mesure de toutes mes chansons était en pleine partie de dames avec le jeune Karl-Olef. Ils riaient de bonne grâce à chaque fois qu’ils se prenaient un pion… C’était donc à ça qu’elle allait occuper ses séances avec lui, tandis qu’avec moi, elle allait les passer à raconter comment elle avait gagné la guerre aux côtés de son amant... Tu parles d’une cour : rien de plus qu’une gigantesque mascarade !
Au bout de la table, j’aperçus la fameuse tablette Sheikah dont Zelda m’avait parlé et qu’elle m’avait promis de me montrer aujourd’hui. Elle n’avait pas oublié… Juste à côté, Impa était avachie sur son bras, le regard perdu sur un sablier qu’elle grattait du bout d’un doigt comme pour faire s’égrener le temps plus vite. Ça ne devait pas être facile pour elle non plus, de chaperonner la Princesse à longueur de journées ; elle que d’ordinaire je voyais toujours courir tous azimut dans les couloirs du palais, à s’occuper des moindres tâches que Rhoam et Zelda lui déléguaient…
« Salut, Saki. »
Link. Il venait d’arriver dans le petit salon et m’avait surpris en train d’espionner sa fiancée... Il n’avait rien à faire là, ce n’était pas son heure ! Je remis mon masque de gai luron avant de me retourner.
« Link, quelle bonne surprise ! A-t-on échangé nos horaires ? J’aurais adoré être averti : j’aurais pu me lever plus tard !»
« Non, » soupira-t-il, déjà agacé, « je viens pour autre chose. Zelda et Impa allaient t’en parler mais puisqu’on est en avance tous les deux, on peut peut-être gagner un peu de temps…»
Aussi taciturne que je pouvais paraître jovial, il jeta un regard autour de lui pour s’assurer que nous étions seuls. J’eus presque peur un instant. Mais il se contenta de prendre une grande inspiration et me jeta :
« Le vicomte nous a menacés ouvertement hier soir. Il a laissé entendre qu’il était prêt à toutes les pires bassesses pour s’approprier Zelda et la Couronne. Il a passé sa séance à la torturer psychologiquement… »
« Eh bien… On pouvait s’y attendre avec un pervers avide de pouvoir comme lui. Pourquoi ne vas-tu pas simplement agiter ton épée magique? Deux ou trois petits coups et ce serait réglé, non ? »
«Tu n’as pas idée d’à quel point j’en crève d’envie, » gronda-t-il, la mâchoire serrée et le regard noir, « et si je n’ai plus le choix c’est avec une profonde jubilation que je trancherai sa vieille carne… Mais tu sais mieux que moi ce qu’il arrivera si je fais couler son sang sans procès ; surtout dans ce contexte de cour ! Il a déjà réussi à me faire virer de mes fonctions de chevalier servant juste parce que je l’ai « averti » de ce qui se passerait si « quiconque » faisait du mal à Zelda. »
Il s’était mis à faire les cents pas devant moi comme un Lynel en cage. A croire que les Royales Compulsions de Rhoam avaient déjà déteint sur lui. Il continua :
« Je passerais pour un tyran ! L’Histoire ne se rappellerait que du coup d’épée, pas de l’ignominie de celui l’ayant reçu. Je serais accusé d’avoir assassiné un concurrent ; et banni ! Quand Zelda tenterait de justifier mon geste, on m’accuserait d’avoir obtenu son soutien sous la menace, et si je trouvais tout de même une solution pour l’épouser, toute sa lignée serait souillée pour des siècles à cause de moi, Héros ou pas ! »
Il arrêta enfin ses allées et venues et me fit face.
« Tu es son ami… A Zelda. Son ami d’enfance. Elle a une très haute opinion de toi et elle pense que tu peux nous aider. Tu te doutes bien que ça ne m’enchante pas du tout, mais les filles ont raison: nous avons besoin de plus d’yeux, de plus d’oreilles, de plus de matière grise... Mais ne pouvons en parler qu’à des gens de confiance et ils sont rares. Je ne serai pas idiot et égoiste au point de nous priver d’un allié par fierté... Nous voulons faire tomber cette pourriture. Pour de bon : pas seulement ici, pas seulement pour Zelda... Et ça me fait mal au derche de l’admettre mais je pense aussi que dans le genre de bataille qui nous attend, tu es bien mieux armé que moi. Alors: est-ce qu’on peut compter sur ton aide, oui ou non ?»
J’étais stupéfait qu’il me le demande avec autant d’honnêteté, admiratif qu’il en ait l’humilité, et pourtant, bien malgré moi, je ressentais cela comme un outrage : j’étais éconduit d’office par la demoiselle en détresse mais je devais tout de même voler à son secours ! Risquer ma carrière et ma réputation, mais sans rien attendre en retour -non, non: juste pour qu’elle finisse dans les bras d’un autre ! Ça ne se passait jamais comme ça, dans les poèmes et les chansons d’amour ! Avait-il perçu ma colère ? Car il saisit ma manche et ajouta :
« Je sais que tu ne peux pas me voir. Crois-moi, je ne te porte pas dans mon cœur non plus… Mais il ne s’agit pas de toi ou de moi… Tu aurais vu l’état de détresse dans lequel j’ai récupéré Zelda hier... Il s’infiltre comme de l’eau dans son esprit pour essayer de la détruire de l’intérieur... On ne tiendra pas trois mois comme ça, ni elle ni moi. Et il est hors de question qu’on le laisse gagner. »
Je le toisai du regard, retenant une grimace. Était-ce humainement possible d’être aussi horripilant ? Ou est-ce que ça faisait partie de ses pouvoirs de prodige ? Je libérai mon bras d’un coup sec.
« Bien sûr que je vais vous aider, espèce d’abruti » grognai-je, « même pas la peine de poser la question. »
Je regrettai mon insulte à l’instant. Il ne la releva même pas, se contentant d’un hochement de tête et d’un « Merci » dont la sincérité m’agaça encore un peu plus.
IMPA
Si Zelda gardait la moindre contrariété vis-à-vis de son entrevue de la veille avec le Vicomte, elle n’en laissa rien paraître devant le jeune Duc. Ils s’amusaient comme deux gosses… Rien d’étonnant en soi, vu qu’au moins l’un des deux était encore un gosse, et que l’autre avait passé sa vie à souffrir de ne pas pouvoir en être une…
Malgré l’ennui, voir la Princesse pleine de gaieté et d’insouciance m’était précieux… Bientôt Saki arriverait et avec lui, nous allions devoir remettre le nez dans nos turpitudes. D’abord, le convaincre de nous aider et ensuite… Eh bien, aviser en fonction, je suppose...
Quand le temps fut écoulé, Karl-Olef rangea les jeux de société comme un bon petit garçon bien élevé, et Saki s’avança en haut de l’escalier. L’angoisse me saisit en le voyant : et s’il refusait ? S’il nous dénonçait au Roi ? Pire, s’il acceptait et nous trahissait ?
« Tu peux descendre, Saki.» l’informai-je. La nervosité avait fait trembler ma voix et je me maudis intérieurement pour ça.
Il regarda derrière lui et sembla hésiter. Puis il nous rejoignit, saluant le Duc d’un sourire amical en le croisant et la Princesse d’une révérence et d’un baisemain alambiqués.
« Link est là-haut,» murmura-t-il pour nous deux, « il m’a sommairement expliqué le problème. Vous pouvez évidemment compter sur mon aide. »
« Oh, » lui répondis-je, « c’est… Plutôt une bonne nouvelle, en fait… Merci, vraiment… Acceptes-tu qu’il se joigne à nous ? »
« Ah parce que j’ai le choix en fait? » Il souriait jusqu’aux oreilles sans chercher à dissimuler son ironie. Bien sûr qu’il avait le choix. Pendant les heures d’entrevue un autre prétendant ne pouvait rejoindre la Princesse que sur invitation de celui à qui appartenait l’horaire...
« Saki, s’il te plait… » s’impatienta Zelda.
« Oh c’est bon… Excuuusez-moi, Princesse. Bien sûr. Qu’il vienne... »
J’appelai Link qui descendit à son tour. La tension se lisait sur son visage. S’approchant de notre table, il hésita un instant avant de saluer sa bien-aimée d’une brève accolade et d’un sobre baiser sur le dessus de la tête. Puis il alla s’asseoir à l’exact opposé d’elle. Par respect pour Saki, peut-être ; ou peut-être par méfiance envers lui...
Tous les quatre réunis, nous commençâmes par résumer la situation. Link fut affolé en apprenant que le Seigneur Gosao était en fait notre ancien ennemi Suppa, mais Zelda réussit à le convaincre que le Yiga ne représentait plus aucun danger. Saki ne cacha pas sa désapprobation en comprenant que la Princesse avait déjà perdu son pucelage, invectivant Link de ne pas être capable de maîtriser ses pulsions... Prenant le ton le plus hautain que je n’avais encore entendu de sa bouche, Son Altesse le remis à sa place d’un grandiose :
« Dois-je te rappeler qu’il n’était pas seul quand cela s’est passé, Saki ? Et puisque tu veux tout savoir, Link est de loin celui de nous deux qui a le plus de retenue ! »
Je ne pus m’empêcher de glousser à la vue des deux garçons enfoncés dans leur chaise, finalement aussi penauds et écarlates l’un que l’autre.
Il nous fallait ensuite mettre en place un plan. L’idée générale était d’obtenir une preuve des mauvaises intentions du vicomte, mais cela impliquait de le prendre sur le fait, et donc de lui laisser l’opportunité de passer à l’acte... Un point sur lequel Link, Saki et moi étions unanimes, c’est qu’aucun de nous ne voulait que la Princesse elle-même soit utilisée comme appât…
Puisque les prétendants étaient censés être fidèles à la Princesse qu’ils courtisaient, Saki proposa d’embaucher une complice parmi les « professionnelles » qu’on pouvait trouver de nuit, dans les bas-quartiers de la Citadelle… C’était une mauvaise idée : premièrement parce qu’un tel plan nous permettrait au mieux d’obtenir son exclusion de la cour sans nous fournir de raison suffisante pour pousser les investigations ; deuxièmement parce qu’il y avait de fortes chances pour que le vicomte connaisse plus d’une de ces filles, ce qui pourrait retourner notre plan contre nous…
« Ces filles vendent leur corps pour de l’argent, » grommela Link, «ça ne t’a pas traversé l’esprit qu’elles vendraient volontiers des informations si on leur en donnait l’occasion ? Ça leur coûte sûrement beaucoup moins tout en leur rapportant beaucoup plus!»
« Oh mais je suppose que vous êtes bien placé pour être au courant, ô Votre Lubricité: vous devez bien les connaître!» accusa Saki.
« Quoi ? Jamais ! Je te rappelle qu’à la base c’est toi qui as suggéré d’en embaucher une ! Quelle conclusion devrait-on en tirer selon ta propre logique ? »
« On se CALME les deux coqs! » intercédai-je. « On aurait dû se retrouver dans l’écurie: vous mériteriez un bon seau d’eau sur la crête, tous les deux ! »
Saki se renfrogna au fond de son siège, désabusé; Link quant à lui m’ignora complètement et se tourna vers Zelda.
« Ma Luciole, je préfèrerais encore me déguiser en Vaï et jouer l’appât moi-même que le laisser te toucher ne serait-ce qu’un instant…»
« Il n’y a pas d’alternative Link. De toute façon, c’est moi qu’il veut, c’est moi sa proie…»
« Attends… En parlant de déguisement et de vaïs, » bafouilla Link à la hâte, les yeux écarquillés, « Suppa! Avec ses techniques de Yiga il pourrait parfaitement se faire passer pour toi, non ? Si Kohga a pu se faire passer pour Urbosa… !»
Link n’avait pas tort… Les arcanes d’infiltration Yigas surpassaient de loin celles des Sheikahs, et nous avions justement l’un des meilleurs Yigas sous la main ! Balayer cette opportunité d’un revers de la main aurait été d’une stupidité sans nom !
« Oh… Bien vu, mon Cœur, » s’étonna Zelda, « mais au niveau de la voix, leur pouvoir d’imitation a des limites, non... ? »
« Justement, Princesse ! » raisonnai-je, « Vous avez déjà décidé de ne plus adresser la parole au vicomte ! C’est parfait ! Suppa pourrait rester complètement silencieux que ça ne paraîtrait même pas louche ! »
« Vous marquez un point tous les deux, » concéda Zelda, « il faudra en discuter avec lui, tout-à-l’heure. Présentons-lui ça comme une mise à l’épreuve de son allégeance - dont en outre je ne doute pas, » s’empressa-t-elle d’ajouter pour Link, « et mettons-le dans le secret…»
« Secret contre secret, Votre Altesse ! Il vous doit bien ça ! » conclus-je avec un clin d’œil.
LINK
Le plan prenait forme : Suppa devrait se faire passer pour Zelda pendant un entretien. Impa serait appelée au-dehors de toute urgence pour une raison qui restait à déterminer : ordre du Roi, début d’incendie au château, peu importait tant que cette excuse pouvait justifier le départ d’Impa de manière à ce que la fausse Zelda se retrouve sans chaperon. A partir de là, il nous fallait un moyen de les retrouver n’importe où dans le château, au cas où le vicomte aurait voulu l’enlever comme il avait tenté de le faire quelques années plus tôt…
« Si seulement Terrako était là,» maugréai-je en attrapant la tablette Sheikah, « quand je pense que pendant la guerre, on pouvait parfaitement voir la position de chaque personne, allié ou ennemi, en temps réel sur cette foutue carte… »
Zelda et Impa s’échangèrent un regard peiné à l’évocation de notre ami, et retournèrent à leur réflexion.
Contrarié, inutile et déprimé, je me promenai sans but dans les menus de la tablette. Plus aucun module de combat n’était actif. La carte fonctionnait toujours, mais à part les balises et repères fixes que l’on pouvait placer soi-même, elle était désespérément vide. L’album d’images me fit sourire : je supposai que c’était Pru’ha qui avait pris en douce cette «sheikographie » de Zelda et moi pendant l’inventaire…
L’encyclopédie était aussi complète que je l’avais toujours connue, par contre.
Entrée numéro neuf : Ecureuil Dresse-Panache… Vachement utile, vraiment…
Je continuai à faire défiler les entrées.
Entrée cent-vingt-six : Lynel à Crinière Bleue* - c’est quoi leur problème à ces foutus Sheikahs ? La crinière des Lynels Bleus est mauve, pas bleue! Bon sang ...
Entrée deux-cent-quatre : Princesse de la Sérénité… Oh, comme Zelda m’avait sermonné il y a quelques Lunes de cela, quand j’en avais cueillie une pour elle… Je ne savais pas encore à l’époque, que c’était une espèce menacée… Mais elle l’avait tout de même gardée précieusement, séchée entre les pages de son journal… Ma Luciole…
Entrée deux-cent-vingt-deux, Petit Sabre de la Défiance… hmm… N’étais-ce pas l’autre nom du Kodachi de Cocorico ?
Je sélectionnai cette entrée et lus:
Cette épée Sheikah, blah blah blah,
forgée selon des techniques antiques, blah blah…
Efficacité 15… Blah…
Rechercher …
Attends… Quoi ? « Rechercher » ?
J’appuyai sans trop y croire sur la commande.
Rechercher cet élément. Allons-y…
La tablette répondit d’un accord bruyant qui résonna plusieurs fois et attira l’attention de toute la tablée. Puis elle vibra une fois, signe que l’objet recherché était tout proche et enfin, deux notes rapprochées se répétèrent indéfiniment. Je n’étais pas peu fier de moi. Je tournai la tablette vers Saki, dont j’avais malgré moi emprunté le sourire narquois, et la fréquence des sons s’intensifia.
« Ma petite tablette me dit que quelqu’un cache un kodachi de la défiance dans sa ceinture… Voyons si quelqu’un porte un petit sabre de la Clairvoyance…» Je retournai dans les menus pour définir la recherche sur le Kodachi d’Impa. Sans surprise, c’est quand je tournai cette fois ci la tablette vers elle que la tablette s’emballait.
« Link ! Le module de détection fonctionne ? » s’enquit ma jolie blonde, admirative.
« Absolument, ô ma mieux aimée ! » lui répondis-je, déposant la tablette entre ses mains dans une courbette.
« Alors il nous suffit de choisir chacun un petit objet, si possible atypique, qu’on ne trouve pas habituellement dans un château, et qu’on puisse porter sur nous… Et nous pourrons localiser n’importe lequel d’entre nous ! C’est formidable ! »
Je me régalais de la voir si enthousiaste. Elle se mit à parcourir les menus qu’elle connaissait par cœur : ses doigts semblaient courir sur la tablette comme un petit écureuil... Elle s’arrêta un instant, attendrie, et serra fort ses paupières avant de tourner son doux regard vers moi. Je ne savais que trop bien ce qu’elle avait vu.
ZELDA
Cette image avait été prise au moment où Link et moi discutions des runes Sheikah, au laboratoire... Elle me toucha en plein cœur. A cause de la distance imposée par cette cour, j’avais l’impression que notre relation avait régressé jusqu’à ce qu’elle était alors... Il y a moins d’une semaine, nous étions enlacés nus dans le même sac de couchage, partageant nos âmes et la chaleur de nos corps et aujourd’hui, je n’osais pas faire le tour de la table pour le remercier d’un baiser... Il était là, à moins de trois pas de moi et pourtant, il me manquait terriblement.
Impa me sortit de ma rêverie :
« Bon, pour le moyen de retrouver la fausse Zelda, on est bons. Pour la suite, comment ça se passe ? Saki, il me semble qu’en tant que ménestrel royal ton témoignage a valeur de preuve, tout comme le mien en tant qu’Adjointe de Sa Majesté. Mais c’est aussi le cas de Turpan de par sa fonction de Juge et son ascendance royale... Dans l’idéal il faudrait que nous soyons tous les deux témoins en plus de Zelda - vraie ou fausse - pour être sûrs de le surpasser à ce jeu-là. Avec un lézalfos pareil on n’est jamais trop prudent. »
« Mon témoignage ne compterait pas ? » demanda Link.
« Normalement, si… Mais le Vicomte a trop de moyens de le faire contester, surtout que tu l’as déjà menacé. Le plus on aura de témoins, le mieux ce sera. Bien sûr le meilleur témoin de tous serait Sa Majesté lui-même, mais ça risque d’être compliqué à goupiller et on ne peut pas le mettre dans la confidence. Oh non : notre petite magouille ne lui plairait pas du tout... Tu garderas la tablette Sheikah, Link. Tu es celui qui la maîtrise le mieux avec Son Altesse, mais vu qu’elle devra restée cachée... Si tu peux, sers-t-en pour prendre des images comme preuves supplémentaires. Et puis avoir les mains occupées ça t’évitera peut-être de faire une bêtise… »
Impa avait raison. Comme nous en avions discuté ensemble la nuit précédente, notre plus grande menace était que Link perde son sang-froid et s’en prenne au Juge. Il pourrait être exilé pour plusieurs années voire pour toujours selon la gravité des blessures infligées. Il fallait l’en empêcher à tout prix…
Le temps de l’entrevue était terminé depuis longtemps. Nous rangeâmes nos parchemins et nos notes avant de partir vers la grand-salle pour le déjeuner. Par soucis de justesse comme par nécessité, Saki et peut-être également Suppa nous rejoindraient ce soir pendant le tour de Link. Ils n’arriveraient pas tout de suite pour ne pas trahir notre coalition, mais je n’aurais que quelques minutes à passer seule avec Link, et cette idée me démoralisait déjà.
Alors que les deux Sheikah, pris dans leur conversation, prenaient un peu d’avance, je fis ralentir Link et me pressai contre lui. Il m’enlaça un instant, soupirant dans mon cou. J’aurais voulu que le temps s’arrête là. J’aurais voulu être de retour dans notre grotte juste sous le toit du Monde. Il ne dit pas un mot, il fit seulement « RRRrrr » à mon oreille. J’acquiesçai vivement, frottant ma tempe contre la sienne, comprenant sa référence à l’image qu’il avait dû voir dans la tablette, lui aussi. « RRRrrr », lui répondis-je.
Les mots deviennent bien superflus quand les cœurs battent à l’unisson… Et puis j’avais de bien plus doux projets pour nos lèvres…
SUPPA
Moi qui pensais que retrouver mon identité et ma vie de gentilhomme m’éloignerait des affres de la guerre, je m’étais lourdement trompé. Un jour un Yiga, toujours un Yiga. La Princesse que je courtisais et à laquelle mon clan et moi-même avions prêté allégeance était menacée au sein même de son palais, par un noble sans honneur.
Je lui proposai immédiatement de la débarrasser de l’inopportun de manière propre et discrète. Elle sembla considérer cette option quelques instants, mais finit par refuser : elle préférait si possible éviter de faire couler le sang. Des menaces avaient été proférées par quelqu’un cher à son cœur et elle craignait que la responsabilité ne lui en soit attribuée… En outre, elle souhaitait faire de ce cas un exemple, pour que son Royaume entier sache qu’elle ne tolérerait pas de tels agissements sous son égide...
Je fus tenté de lui expliquer que mon clan avait connaissance de poisons indétectables, dont les empoisonnements ressemblaient à une mystérieuse maladie; apportant la mort en quelques jours... Mais je ne pus me résoudre à le faire, car je savais que sa propre mère, la Reine d'Hyrule, avait péri d'un tel venin une dizaine d’années auparavant. Je n'étais qu'un officier à l’époque et mon Maître n'était encore que le Suppa : je n'avais jamais vraiment su si notre clan était responsable de son assassinat ou non. Vraisemblablement, nous avions seulement fourni la toxine au Prophète... Je ne pouvais pour autant pas me résoudre à la laisser arriver à cette conclusion par elle-même, de peur que cela remette en question notre paix retrouvée : je choisis lâchement de ne pas insister face à son refus...
La Princesse me confia donc une mission d’infiltration en coopération avec son chaperon et deux autres prétendants, et même si dans le détail cette mission me semblait pour le moins déstabilisante, j’acceptai promptement.
L’un des prétendants était le minuscule mais féroce chevalier qui l’avait protégée maintes fois contre mes propres lames. Je réalisai vite qu’elle y était très attachée et supposai qu’il était celui même qui avait proféré des menaces à l’ennemi. J’avais une dette envers ce garçon : durant la dernière bataille, il avait sauvé la vie du Grand Kohga par deux fois alors que ce dernier était pris en étau par les monstres de Ganon… Mon honneur de Yiga m’interdisait de le trahir d’une quelconque manière...
Qu’à cela ne tienne. Mon Clan et mon Maître me manquaient plus que je ne désirais quelconque présence féminine. Il était temps pour moi d’aller confronter le Grand Kohga avec la nouvelle de ma survivance… Mais avant cela, j’allais aider cette Reine qui avait pardonné et honoré mon peuple après dix mille ans de haines mutuelles.
Pour le reste de ma vie, je me contenterai de vénérer à distance ses beaux cheveux couleur de banane lame…
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