Aux Avenirs d'Hyrule - ou comment réparer un futur

Chapitre 11 : Masques

6436 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/06/2021 15:53

  /!\ Un chapitre bonus a été ajouté, faisant suite au chapitre 8 de cette Histoire. Il est réservé aux adultes et est disponible ici :  /!\

https://fanfictions.fr/fanfictions/the-legend-of-zelda/14630_aux-avenirs-d-hyrule-chapitre-8-trois-quarts-fusion/51226_fusion/lire.html



‘’Le pendu, le beau masque et cet homme altéré

Descendent dans l'enfer que je creuse moi-même

Et l'enfer c'est toujours : Je voudrais qu'elle m'aime.’’

- Guillaume Apollinaire

 ***********

ZELDA

La ronde quotidienne des soupirants commença dès le lendemain. J’étais supposée en rencontrer deux le matin, deux autres en début d’après-midi et encore deux en fin d’après-midi, après le goûter. Ce défilé journalier serait ma nouvelle routine pour les trois mois à venir, à l’exception des deux derniers jours de chaque semaine, Hyltag et Raurtag*. Impa avait préparé les emplois-du-temps : elle m’avait prévu le vicomte en avant dernier pour qu’il ne gâche pas ma journée, et Link en dernier, pour décompresser et finir sur une note plus positive… Elle ne l’avoua pas directement mais je supposai qu’elle envisageait également Link comme un nécessaire réconfort après l’entrevue avec le Juge.

Les deux rencontres du matin devaient avoir lieu dans la Bibliothèque, que mon père n’occupait plus pour ses audiences depuis que les quartiers principaux avaient été remis en état. Les réparations du château avaient en effet bien avancé ces dernières semaines : même l’accès à mes quartiers avait été déblayé et étayé.

J’avais été heureuse de retrouver mon étude, et reconnaissante à l’idée de pouvoir ranger certaines de mes affaires à leur place. Je remis mon pendentif en écailles de Nedrac dans ma boîte à bijoux, auprès de mon lourd collier de cérémonie en or et d’un joli caillou bleu que Link avait trouvé dans une rivière lors d’une de nos excursions… Puisque je n’étais pas censée m’occuper des affaires politiques durant la cour, je laissai également mon Sceau Royal dans sa cachette secrète de ma bibliothèque. C’était un petit objet de métal doré gravé d’un symbole complexe: je l’utilisais pour authentifier les documents officiels, en tamponnant sa marque soit avec de l’encre soit sur de la cire à cacheter. Je le laissai dans cette chambre vide sans aucune inquiétude car il était protégé par un mécanisme astucieux et ne pouvait être déverrouillé que grâce à l’anneau dont je ne me séparais jamais: même si quelqu’un de peu scrupuleux mettait la main dessus, il ne serait pas capable de signer quoi que ce soit en mon nom sans me couper la main d’abord.

J’avais cependant refusé de réinvestir ma chambre : en premier lieu, la raison en avait seulement été que mes quartiers provisoires étaient plus proches de ceux de Link... Mais depuis l'Équinoxe, je n’arrivais plus à me sentir en sécurité dans une chambre si vaste disposant de tant d’ouverture… Aussi nous avions convenu d’installer un second lit pour moi dans la chambre d’Impa, et de partager ses quartiers pour les trois prochains mois.  


Le premier soupirant de la matinée serait le jeune Duc d’Akkala, Karl-Olef. Je réalisai vite que ce pauvre garçon de quinze ans n’avait pas plus envie que moi d’être là, et malgré son évidente timidité je n’eus aucun mal à lui faire avouer pourquoi.

« C’est que… Votre Altesse… Vous êtes une fille - euh, femme - magnifique et c’est un honneur d’avoir… L’honneur de vous courtiser… Mais en fait, il se trouve que… Je suis amoureux de quelqu’un d’autre. Voilà. Quelqu’un de chez moi... Ce sont mes parents qui ont insisté. Je crois qu’ils voudraient que… Enfin… Ils m’ont toujours appelé leur « Petit Roi », vous voyez? Mais en toute bonne foi, j’espère vraiment que vous n’allez pas me choisir...»

Il était adorable, et son aveu résonnait avec mes propres tourments. Je lui souris :

« Eh bien Karl-Olef, si tu peux garder un secret, il se trouve que moi aussi je suis déjà amoureuse de quelqu’un d’autre, alors n’aie aucune crainte : bien que tu m’ais l’air d’un garçon charmant, je ne vais pas te choisir. » 

Il sembla rasséréné un instant, puis de nouveau inquiet.

« Vous allez me renvoyer chez moi, Votre Altesse ? Si je revenais avant le Solstice, mes parents seraient… »

« Non, ne t’inquiète pas : tous les prétendants sont censés rester - malheureusement pour certains- jusqu’au Solstice. Sauf s'ils décident de partir ou enfreignent une règle grave. Dis-moi… Est-ce que tu aimes les jeux de société ? »

Et c’est ainsi que nous passâmes notre créneau, ce jour-là et les trois mois suivants : Jeu d’Esheikhs, Jeu de Dames, Backgannon, Mérelle, Cul-de-chouette, mais aussi des jeux de cartes comme la Bataille ou le Bézigue, où Impa se joignait bon gré mal gré à nous. Une fois en confiance, le jeune Duc se révéla être un garçon sympathique et plein d’humour… Et au moins, contrairement à Impa, ce n’était pas un mauvais perdant!

 

Le second prétendant fut Saki. Il arriva avec son sourire habituel, comme si de rien n’était, visiblement ravi d’être accueilli dans cette bibliothèque qu’il affectionnait tant. Il portait comme bien souvent l’habit traditionnel Sheikah, et la longue écharpe de mousseline blanche dont il ne se défaisait quasiment jamais. Il se pencha bien bas lorsqu’il baisa ma main et je sentis mon cœur se pincer. Je n’avais aucune envie de tourner plus longtemps autour du pot.

« Saki… Pourquoi … ? »

« Eh bien Votre Altesse, cela me semble évident… Ce n’est certainement pas pour la couronne, en tous cas, si c’est là votre question… »

Il avait l’air tellement penaud en avouant ça : son éternelle joie avait disparu, remplacée par une sincère mélancolie.

« Et pourquoi n’en ai-je jamais rien su avant … ? »

« Eh bien, pardonnez-moi, Votre Altesse, mais je suis votre aîné de trois ans, cela aurait été inopportun. Je me sentais obligé d’attendre que vous soyez en âge pour ne serait-ce qu’évoquer le sujet... Mais après vos seize ans, vous n’avez plus souvent été là, puis votre chevalier est arrivé, puis un autre Fléau à sa suite… »

Comment osait-il comparer Link au Fléau que nous avions combattu au péril de nos vies ?! Furieuse, je détournai les yeux et lui assénai, doucement mais fermement :

« Arrête. Je ne tolèrerai plus un seul mot en ce sens ! Link n’est pas à blâmer pour tes sentiments ni pour les miens. Il n’est pas à blâmer pour ta déconvenue ! Tu n’es pas obligé de l’apprécier, mais tu lui dois le respect ! Avec tout ce qu’il a fait pour le Royaume et pour moi, c’est vraiment la moindre des choses. »

« Oui Madame, » cracha-t-il avec un regard oblique, « j’ai dépassé les bornes, je vous demande pardon. »

Ah ! Il n’avait pas l’air sincère du tout !

 « Et toi, alors : pourquoi ? Pourquoi t’es-tu ne serait-ce que présenté hier, si tu savais pour Link et moi? »

« Pour ne pas avoir à endurer toute ma vie  le regret de ne pas avoir essayé, Votre Altesse… »

Bien que ses deux yeux de saphir n’exprimaient que désolation, il avait raccroché son sourire habituel et j’en avais été désarçonnée. Quand bien même - cela ne changeait rien ! Je fixais encore le sol pour contenir ma rage quand il me demanda avec douceur

« Vous voulez vraiment l’épouser, alors, votre petit chevalier… ? »

Je plantai mes yeux dans les siens sans sourciller.

« Oui Saki. Plus que je n’ai jamais rien voulu pour moi. »

Il soupira dramatiquement et sortit un carnet qu’il gardait constamment sur lui, dans un pan de son kimono Sheikah.

« Soit ! Alors, puisqu’on va avoir du temps à perdre vous et moi, me feriez-vous l’honneur, Mesdames, de me raconter cette guerre ? En tant que Ménestrel Royal j’aimerais être le plus juste possible lorsque j’en composerai la chanson... »

 

LINK

J’avais vraiment besoin de me défouler ce matin-là. Et puis je perdais mon mordant à m'encroûter dans ce château : il était grand temps d’aller affûter un peu tout ça sur le camp d'entraînement. Malgré le fait que cette histoire de cour me donnait d’office 3 mois de permission, je rejoignis les troupes dans la salle d’armes pour les exercices du matin. L’ambiance y était meilleure et plus légère que dans le reste du château, surtout avec la fête de l'Équinoxe qui battait son plein à la Citadelle.

Je descendis ensuite aux écuries soigner la jambe de Blizzard et m’occuper de ma pauvre Vermeille qui, tout comme moi, désespérait de retrouver les grands espaces. Il pleuvait à seaux dehors, aussi renonçai-je à sortir nos bêtes : que ce soit sur les pavés glissants ou dans le paddock boueux, rien n’était bien idéal pour faire marcher un cheval, surtout pas un cheval déjà blessé… Par habitude, je passais un coup de balai dans l’allée centrale avant de repartir, quand je vis soudain Zelda débouler devant moi par l’accès intérieur. Lâchant mon balai, je la fis tournoyer un instant dans mes bras après qu’elle m’ait sauté au cou.

Nous nous embrassions encore quand Impa arriva. Suivie de Saki… Zelda quitta mes bras et mes lèvres, emportant ma joie éphémère  avec elle. Je saluai de la main les deux Sheikahs.

« Impa, Saki. Je me disais aussi que c’était encore un peu tôt…»

« Désolé Link. La Princesse me parlait de ton énorme épée et elle tenait tellement à me prouver qu’elle peut suivre son énergie spirituelle à la trace que je n’ai pas su lui résister. Si je ne m’abuse, demain, cache-toi mieux que ça ! Te trouver dans l’écurie c’est un peu facile. Votre Altesse, cela ne prouve rien, désolé ! Il passe la moitié de sa vie ici ! Même moi j’aurais pu deviner qu’il serait là !»

Je n’avais jamais compris comment il faisait, mais ce type était toujours enjoué. Sa bonne humeur semblait avoir déteint sur Zelda et Impa : ce n’était pas déplaisant de les voir sourire, même si la jalousie piquait un peu. Beaucoup…

Je repris mon balai pour continuer ce que j’avais commencé. Zelda s’éloigna en direction de nos chevaux ; Impa la suivit comme une ombre… Mais Saki resta planté là à me regarder avec un sourcil levé et un sourire en coin...

« Quoi… ? »

« Non. Rien. Juste le Héros d’Hyrule, Chevalier Purificateur, Élu de l’Epée de Légende et à priori de la Prêtresse Royale aussi, donc probablement le futur Roi d’Hyrule… En train de balayer l’écurie, comme si rien. Non, vraiment, tout est normal. »

Alors qu’elle caressait encore la tête de Blizz, Zelda intervint, avec une moue malicieuse .

« Ah non Saki, tu ne vas pas t’y mettre aussi ! »

« Oh, vous, » réagit le poète, « je connais ce regard ! Vous avez une anecdote à raconter ! »

« Comme tu me connais bien ! » approuva-t-elle, les yeux pétillants. « Figure toi qu’hier, le baron m’a suivie jusqu’ici pour me parler. Il a pris Link pour un palefrenier et s’est offusqué lorsque ce dernier est intervenu dans notre conversation! Il était si furieux qu’il a essayé de frapper Link de sa canne ! Link l’a esquivé sans problème, mais sous le coup de la colère j’ai voulu lancer un seau d’eau au baron pour le calmer et c’est Link qui l’a reçu en pleine figure ! Il était trempé ! »

Zelda et Impa se mirent à glousser ensemble, le poète quant à lui semblait fasciné. Avec son éternel rictus  aux lèvres, il me demanda :

« Et alors, qu’est-ce que tu as fait ? »

Zelda répondit à ma place, la larme à l’œil :

« Il est venu me prendre dans ses bras pour s’éponger sur ma robe! »

Elles s’esclaffèrent de plus belle. Je décidai de porter le coup de grâce aux filles en leur racontant la suite.

« J’ai enlevé mes vêtements mouillés et j’ai couru torse-nu jusqu’à la caserne pour me faire prêter une chemise. Tu dois t’en souvenir, Saki, puisque tu as joué Les habits neufs du Roi Gustaf en mon honneur. »

Zelda et Impa n’en pouvaient plus, s’accrochant à l’épaule l’une de l’autre pour ne pas s’écrouler. Je me retenais tant bien que mal de rire avec elles : l’autodérision c’était habituellement mon dada mais ce mec, là… Il n’avait aucun besoin que je lui donne du grain à moudre. Alors que je posais mon balai pour rejoindre Zelda, il me semblât apercevoir une étincelle d’admiration dans les yeux de ce guignol qui se foutait de moi depuis des lunes.

« Je vous demande pardon, Héros d’Hyrule. Je réalise que je n’aurais jamais dû vous jouer cet air. »  J’étais étonné et dubitatif quant à ce remord soudain qui ne lui ressemblait pas, et la suite me donna raison : « Je vous promets solennellement de composer une chanson plus appropriée à cette aventure. Je l’intitulerai : « La Princesse Zelda et le Pouvoir du Seau ».

Pour le coup, le fou-rire fut général. Zelda en pleurait de rire accrochée à mon bras tandis qu’Impa, pourtant toujours si sérieuse, renâclait tant elle peinait à retrouver sa respiration. Une ombre de tristesse passa pourtant sur le visage content du ménestrel. Je réalisai que si la jalousie me piquait, moi… Elle devait l’entailler, lui, bien plus profondément...

« Je vous envie. J’aimerais être assez proche de quelqu’un pour pouvoir donner ou recevoir une telle douche froide et en rire de si bon cœur…»

A peine eût-il fini sa phrase qu’il se retrouva mouillé de la tête aux pieds : Impa était derrière lui, se mordant la lèvre pour retenir son rire, tenant encore le seau d’eau qu’elle venait de vider au-dessus de sa tête. 

« Voilà déjà, en guise d'entraînement! »

Et la bonne humeur revint aussitôt dans l'Écurie.

 

RHOAM

Je fis convoquer Link en début d’après-midi, contrarié par les nouvelles reçues ce matin même ; alors que pas même une journée s’était passée depuis le début de la Cour officielle ! Quand il arriva je fis vider la salle pour m’entretenir seul à seul avec lui.

« Chevalier Purificateur. » Il se crispa à mon utilisation de son titre officiel. « Ce matin, deux prétendants sont déjà venus se plaindre à ton sujet, pour concurrence déloyale. J’aimerais avoir ta version des faits. Le premier fut le baron Hughie, qui dit t’avoir surpris hier matin dans l’écurie avec ma fille. »

« De fait, Majesté. Je soignais son cheval, qui s’est fait une entorse pendant notre voyage. Le Baron a suivi votre fille: il est arrivé quelques instants après elle alors que j’étais seul dans le box de Blizzard. Il m’a d’ailleurs pris pour un palefrenier et a essayé de me rosser quand j’ai eu l’outrecuidance d’adresser la parole à Zelda à propos de la santé de sa monture ! Comme vous pouvez le deviner au fait qu’il peut encore marcher, je me suis contenté de l’esquiver sans rendre les coups. Je suis étonné qu’il ait eu l’audace de venir vous rapporter ces faits après m’avoir insulté comme il l’a fait : je ne suis peut-être pas le seul idiot du Royaume à ignorer le statut de l’Elu de l’Epée, finalement !»

« Ma fille corroborerait-elle cette version ? »

« Au mot près Majesté. Je crois même que votre poète a l’intention de vous la chanter bientôt avec plus de détails. Il a adoré cette histoire quand votre fille lui a raconté ce matin même.»

« Je te crois, mon garçon… Quel dommage que cela se soit passé hier et non aujourd’hui : je me serais fait une joie d’exclure ce paltoquet prétentieux ! Je vais devoir me contenter d’un simple rappel à l’ordre… Le second est le Juge Turpan, qui t’accuse de l’avoir clairement menacé de mort, hier soir … »

Link grimaça, les yeux brillants d’indignation.

« Il ne se serait pas senti menacé s'il n’avait rien à se reprocher ! Je lui ai juste rappelé que j’étais le garde-du-corps de la Princesse et que je tuerais quiconque essaierait de lui faire du mal ! Quiconque! C’est bien la preuve que ses intentions ne sont pas claires ! Majesté, ce pervers terrifie votre fille, il a essayé de l’emmener Nayru sait où quand elle n’était encore qu’une enfant ! Et sauf votre respect, Votre Grandeur, il est assez âgé pour être son père ! Je ne comprends même pas que vous tolériez sa participation à cette stupide cour ! »

« Maîtrise tes émotions, Fils ! Il est évident que j’ai essayé de l’écarter : je n’ai malheureusement trouvé aucune raison légale de le faire! Je suis comme toi, une simple pièce rapportée dans cette famille royale ! Le rameau greffé de l’arbre généalogique ! C’est la mère de Zelda, la Reine, qui était porteuse du sang d’Hylia. Ce sale type est de sang plus noble que moi et vicieux comme il est… Je me dois d’être irréprochable si je ne veux lui laisser aucune chance de pouvoir m’évincer du trône ! Et quand je parle de m’évincer, cela inclut bien entendu Zelda aussi ! Et toi, probablement, par la même occasion! C’est la raison pour laquelle j’ai pris la lourde décision de te relever de tes fonctions de Garde du Corps dès aujourd’hui ! »

Link en fut sidéré, comme si je lui avais arraché des bras Zelda elle-même.  Affichant un dégoût profond que je n’aurais toléré de la part de personne il y a quelques semaines encore, il me jeta:

« Vous m’écartez pour plaire à ce… À ce satyre… ? »

« Non mon garçon ! Je t’écarte pour t’éviter de gâcher ta chance avec ma fille de par tes emportements chevaleresques ! Si quelques heures seulement après le coup d’envoi, deux soupirants viennent déjà se plaindre de toi, je suis fort préoccupé par ce qu’il peut encore arriver durant les trois prochains mois! »

Le garçon ne répondit rien, ses poings s’étaient crispés comme pour frapper quelqu’un. Voilà ! C’était exactement cette attitude qui m’avait poussé à cette décision !

« N’aie crainte pour Zelda: Impa sera avec elle et la protègera à tout moment. Il ne s’agit que d’hommes, pas de Lynels! Quant à toi, si tu arrives à te contrôler jusqu’au Solstice… Croyais-tu que tu resterais son Chevalier Servant encore longtemps ? Non, fils : tu devras être instruit pour te préparer à régner ! Je n’ai fait qu’avancer de quelques mois l’inévitable, autant pour calmer les esprits de ces gripsous grincheux que pour te protéger de ta propre impétuosité ! Là ! Ton Roi a parlé ; tu peux disposer! »

Il s’inclina et fit quelques pas avant de se retourner :

« Majesté, quelque soit le titre que l’on me donnera, je serai toujours son Chevalier Servant. »

 

IMPA

Le premier prétendant de l’après-midi fut le Baron Hughie, qui fut reçu dans un petit salon du palais. Il passa tout son temps à parler de lui-même et à énumérer ses richesses... Je ne savais pas si ce genre de techniques de séduction fonctionnait avec les filles de la campagne mais, bon sang ! Ça aurait quand même pu lui effleurer l’esprit que ça ne risquait pas d’impressionner l’unique héritière d’un Roi ! Zelda l’écouta déblatérer d’une oreille distraite mais polie : le regard perdu au loin, je la vis sourire plusieurs fois sans raison apparente.  Peut-être repensait-elle à notre fou rire de ce matin dans l’écurie, avec son palefrenier préféré et … Cet idiot de Saki…

Après un temps qui me parut interminable, ce fut le tour de l’impressionnant Seigneur Gosao. Il me choqua presque par son physique extrêmement grand et musculeux. De près, je remarquai qu’une impressionnante cicatrice traversait son front d’un long trait oblique, de la naissance de ses cheveux à la base de son nez. Malgré ses allures de guerrier et son cou tatoué, cet homme ombrageux d’une trentaine d’années tout au plus se montrait fort courtois et élégant. Contrastant de manière fort plaisante avec le gars précédent, il parlait très peu… Bon, connaissant les goûts de Zelda, c’était plutôt un bon point pour lui. Mais contrairement à Link, dont les phases de mutisme étaient la plupart du temps dues à ses bouderies ou à son effroyable timidité, mes instincts de Sheikah m’assuraient que Gosao avait quelque chose à cacher… Sa voix, peut-être… Une voix grave et profonde, presque caverneuse...

Pour combler cet embarrassant silence, la Princesse demanda à ce que le goûter soit servi : un assortiment de gâteaux et de fruits fut apporté en plus du thé. Ce ne fut que lorsque je vis cet homme jusque-là si poli se jeter sur l’unique banane du plateau - sans même attendre que la Princesse se soit servie - que je compris.  Je dégainai mon kodachi et d’un bond, m’interposai entre ma protégée et lui.

« Votre Altesse !  Restez derrière moi ! »

Zelda - qui s’ennuyait à mourir depuis un moment déjà - sembla se réveiller en sursaut. Gosao avait pris par réflexe une posture de combat qui ne laissa plus aucun doute sur sa véritable identité - même pour Zelda.

« Attends une minute… Suppa??? » s’écria-t-elle.

« Oui, Votre Altesse. » Il s’agenouilla respectueusement en ignorant la menace de mon arme. « Pardonnez-moi de vous avoir caché mon identité : je vous assure que je n’avais pas de mauvaise intention, je suivais juste les préceptes de mon clan. »

« Pourquoi nous avoir menti sur ton nom, alors ? » intervins-je.

« Je n’ai pas menti. Il s’agit de ma véritable identité civile. Au sein du clan, nous demeurons masqués et anonymes. Les noms que nous utilisons ne sont que des titres transmis d’une génération à l’autre. En tant que Suppa, je suis censé devenir le prochain Grand Kohga à la place de mon Maître, à sa mort. Du moins l’étais-je... »

« Kohga ! » hurlai-je, « Il te croit mort ! Il en a été si affecté qu’il a prêté allégeance à la famille Royale pour pouvoir te venger…! Ne te méprends pas, nous sommes tous heureux qu’il l’ait fait, mais comment as-tu pu l’abandonner à son deuil en pleine guerre ? »

« Je ne l’ai pas abandonné ! Pas plus que je ne suis mort, de toute évidence ! Le Grand Kohga… Il avait tendance à tout reléguer à ses subordonnés, ces derniers temps. Il n’avait plus confiance en ses incroyables arcanes. Lorsque j’ai été laissé pour mort après la trahison d’Astor, et qu’il n’a plus pu compter que sur lui-même, je l’ai vu se surpasser et retrouver sa puissance légendaire. C’est seulement pour qu’il se retrouve lui-même que j’ai continué à feindre la mort !»

 « C’est malheureusement un sentiment auquel je peux m’identifier, » consola Zelda, l’air méditatif, « et si je puis me permettre, ta décision a porté ses fruits : le Kohga qui a combattu vaillamment à nos côtés face à des gardiens et des hinoxes n’est pas le même homme nous avions affronté quelques mois auparavant dans le désert… »

Suppa acquiesça avec reconnaissance. Ses yeux d’obsidienne luisaient d’affection et de fierté à l’évocation de son maître, et le coin de ses lèvres tressaillit comme s’il cherchait à retenir un sourire. Il continua.

« Je ne l’ai pas abandonné pour autant. Je me suis simplement débarrassé des fioritures de mon rang, et j’ai récupéré un masque neutre sur le cadavre d’un de mes frères Yigas assassiné par Astor. J’ai intégré votre armée sous l’identité d’un simple officier Yiga. Un avantage d’un clan où l’anonymat est généralisé... Dame Impa, vous vous rappelez peut-être de ce moment sur le plateau du Prélude, où un officier a fait exploser un gardien volant en un seul coup, avant même que vous ne sortiez de son fourreau l’arme que vous pointez sur moi en ce moment même? »

« Oui, je m’en souviens. »

« Cet officier, c’était moi. »

« Prouve-le. »

« Vous m’avez crié dessus que c’était votre proie et m’avez accusé d’être… « un gros ramenard de lèche-cul», si je puis reprendre vos propres termes devant Son Altesse. »

Je me détendis et rengainai mon kodachi : il avait été parmi nous depuis tout ce temps, et aurait pu nous tuer un million de fois s’il l’avait voulu… Toujours à genoux, il reprit :

« Je vous demande Grâce, Votre Altesse pour avoir essayé de vous tuer à maintes reprises durant la guerre. Je ne faisais qu’obéir aux ordres de mes supérieurs. La fin de la guerre m’a permis d’ouvrir les yeux en tant que Yiga sur l’absurdité de nos haines ancestrales, mais aussi d’ouvrir les yeux en tant qu’homme sur votre mérite… Et sur votre beauté. »

Ah ! Lèche-cul…

Zelda se laissa tomber sur son siège en soupirant, massant son front de sa main dans un geste de profonde consternation. « C’est bon, relève-toi et mange ta banane, Suppa… Pardon : Seigneur Gosao… Impa, je t’en prie, prends une chaise et sers toi aussi. Mais par pitié, laissez-moi le baba-au-rhum: je crois que j’en ai besoin. »

 

ZELDA

Je n’eus pas beaucoup de temps pour ruminer le fait que Suppa faisait partie de mes prétendants. Après une courte pause, le suivant allait être l’effroyable Vicomte Turpan. Lorsque ce dernier entra, j’aperçus Link par la porte ouverte, adossé au mur d’en face. Je savais qu’il voulait que je puisse voir qu’il était là, pour me rassurer et me donner un peu de son courage… Le Courage c’est d’avoir peur mais d’y aller quand même. Ses mots résonnaient en moi comme un mantra désormais.

Le Vicomte referma la porte et s’approcha de moi comme s’il glissait sur le sol, sans jamais me lâcher des yeux. Il était si semblable à un serpent que je n’aurais pas été étonnée une seconde si une langue bifide était soudain sortie d’entre ses lèvres. Impa le fit stopper comme convenu à deux enjambées de moi, d’un ton sec et menaçant.

« Vous êtes assez près comme ça. »

« Voyons chère Princesse, » miaula-t-il, feignant d’être affecté,  « vous me connaissez depuis si longtemps ! Comment pouvez-vous avoir de telles réticences envers moi alors que je vous ai vue grandir ! »

Je connaissais son numéro : se faire tout sucre et miel pour me faire baisser ma garde, exactement comme ces plantes carnivores que je cultivais dans mon étude. Faire mine d’être la réelle victime pour susciter la sympathie... Impa répondit à ma place, un autre détail dont nous avions convenu. C’était un prédateur : la crainte qu’il serait susceptible d’entendre dans ma voix ne pourrait que l’exciter davantage.

« Justement. Vous l’avez vue grandir. Son Altesse n’a aucune envie de se marier avec un homme de trois fois son âge, aussi gentil et influent qu’il puisse être. Elle espère que vous aurez la compassion de renoncer à votre cour.»

« Malheureusement … La Loi est de mon côté : si les candidats ne peuvent avoir moins de quinze ans, nulle limite supérieure d’âge n’est imposée. Ceux qui ont rédigé ces lois devaient savoir qu’il faut du temps pour mûrir un homme, tout comme un bon vin. Comme on dit, « Plus âgé l’étalon, plus forts les poulains ». Et si j’ose dire, « plus seraine la jument », en outre. »

Il avait encore avancé vers moi. Mon chaperon tira son kodachi pour la seconde fois de la journée.

«Je ne vois aucune jument dans cette pièce. Reculez d’un pas, » dit Impa, « je connais moi aussi les lois, et je me sens obligée de vous rappeler qu’en tant que Chaperon de la Princesse, je suis le seul Juge dans cette Cour. Je serais ravie de faire appliquer la règle qui veut que désobéir à une de mes injonctions est passible d’exclusion. »

Le Vicomte se plia non sans tordre la bouche aux ordres d’Impa. Il se tint plus ou moins à carreaux pendant le reste de la séance, soliloquant pour compenser mon silence... Il raconta les sentences ignobles qu’il avait rendues en tant que Juge : comment il avait fait envoyer un homme à l’échafaud pour que sa sublime femme puisse trouver « quelqu’un de décent » parmi ses amis ; comment il avait condamné un autre à une telle amende qu’il n’eût pas d’autre choix que de mettre en vente sa maison de famille ; comment il avait acheté lui-même la dite maison pour une bouchée de pain, par pure générosité bien sûr, juste pour l’aider. Comment il avait réussi à faire placer deux petites filles chez des « amis » à lui  pour « soulager leurs parents d’une telle charge » : « comment auraient-il pu s’occuper d’enfants convenablement alors qu’ils étaient trop pauvres ne serait-ce que pour payer leurs impôts … ? »

Il étalait sa toute-puissance comme le baron avait étalé son argent. J’avais honte qu’un monstre comme lui officie dans mon Royaume, sous le règne de mon propre père. A quel point la Citadelle s’était-elle donc teintée de corruption ces dernières années, pendant que toute l’attention de l’Etat était focalisée sur la menace d’autres forces du Mal ?

La séance touchait bientôt à sa fin. Le Vicomte se leva et s’inclina poliment. De sa voix douceâtre, il conclut la « conversation ».

« A l’heure qu’il est, votre Altesse, votre favori a déjà été renvoyé de son poste de Chevalier Servant. Pour m’avoir seulement menacé. Il peut se considérer chanceux s’il n’a pas été exclu de cette cour également. Peut-être devrais-je demander que votre vertu soit vérifiée, histoire d’écarter ce tout petit problème plus… Définitivement ? »

Il prit le temps de savourer l’affolement qui devait se lire sur mon visage.

« Je vous veux, Princesse. Et j’obtiens toujours ce que je désire. Toujours. »

 

LINK

La cloche du château sonna l’heure : je toquai à la porte sans attendre ne serait-ce qu’une seconde et Impa ouvrit presqu’immédiatement pour me laisser entrer. Le Vicomte prit son temps pour partir. Dès qu’il eut refermé la porte, je rejoignis Zelda. Elle avait l’air encore plus bouleversée que la veille, au point qu’elle ne réagit même pas quand je voulus la prendre dans mes bras. Elle fixait le sol, catatonique, et aussi aphasique que je pouvais l’être parfois. Je me mis à genoux devant sa chaise et pris ses mains dans les miennes pendant qu’Impa me racontait ce qu’il s’était passé avec le Vicomte. Quand elle arriva à la fin, et à la menace à peine dissimulée de me faire exécuter pour avoir volé la virginité de la Princesse, Zelda fondit en larmes.

« C’est ma faute, Link, c’est moi qui ai insisté ! Je me sentais si invulnérable à ce moment-là ! Et maintenant il va essayer de te faire mourir pour ça ! Je suis tellement désolée... »

« Pfff… Comme si j’allais le laisser faire… Calme-toi ma luciole…»

« Comme si le Roi allait le laisser faire ! » ajouta Impa. « Allons, Votre Altesse… Votre Père a plus d’indulgence envers Link qu’envers tout le reste de ce fichu Royaume… Il n’est pas dupe vous savez : il se doutait bien que cela arriverait. Ne pas vous faire chaperonner pendant votre petite balade à Lanelle est quasiment une bénédiction en soi si vous voulez mon avis… »

Je me sentis rougir à cette remarque qui me paraissait fort sensée. Gêné ; je choisis de continuer comme si je n’avais rien entendu.

« Et comme si Mipha allait laisser son frère de sang se faire exécuter...  Et Daruk ! Et Urbosa qui volerait à ta rescousse au moindre claquement de doigt de sa petite Reine*… Me condamner à mort, ce serait déclencher une guerre contre les Gerudo, les Gorons et les Zoras… »

« Pas seulement eux, » claironna Impa, « le peuple Hylien a le Héros en adoration ! Il y aurait des émeutes dans tout Hyrule ; la moitié de l’armée se mutinerait pour Link ! Et de toute façon, pas d’inquiétude : seul le futur Prince peut demander à ce que l’hymen de sa fiancée soit vérifié. Et même ça, c’est une loi obsolète qui n’a pas été invoquée depuis des siècles ! »

Elle marqua une pause, donnant quelques secondes à Zelda pour saisir ses paroles, et continua sur un ton plus calme.

« Et même en admettant que vous soyez enceinte - et Hylia m’est témoin, j'espère que vous ne l’êtes pas parce que ce serait un scandale que je n’ai aucune envie d’avoir à gérer… Mais au-delà de ça, l’Enfant porterait le Sang de la Déesse… Les Lois d’Hyrule le protègeraient et cette protection s’étend à ses deux parents ! Tant que vous pourrez prouver que Link ne vous a pas forcée, il ne risquerait rien du tout ! Turpan voulait juste vous faire peur, votre Altesse, et regardez à quel point il a réussi... »

Les sourcils froncés, Zelda leva enfin les yeux, d’abord vers Impa puis vers moi, réalisant l’absurdité de ses craintes. Le regard qu’elle nous lança était plein de perplexité, comme si elle se réveillait juste d’un mauvais rêve. C’était dire l’emprise psychologique que ce pervers pouvait avoir sur elle…

« Link, il a dit qu’il t’avait fait renvoyer… ? »

Je lui souris tant bien que mal. J’avais eu le temps de digérer les paroles de Rhoam…

« C’est vrai… Ton père a joué la complaisance pour lui donner un os à ronger… Mais comme il m’a fait remarquer, ça ne change absolument rien pour nous: mes fonctions étaient déjà suspendues pour les trois mois de cour, et après…. Eh bien je serai ton fiancé puis ton époux, plus ton chevalier servant… »

Je lui fis un clin d’œil tendre et elle me sourit enfin. Enroulant son buste sur moi, elle enfonça dans ma crinière ses doigts si délicats, pour blottir ma tête contre son ventre, dans une étreinte presque maternelle. Je lui répondis en enlaçant sa taille de mes bras, la tête posée sur le plat de ses cuisses. Je n’avais pas réalisé à quel point j’avais eu besoin de réconfort moi aussi.

« Il a l’air tellement sûr de lui, » hoqueta Zelda, « il a l’air de tellement avoir l’habitude d’arriver à ses fins, par tous les moyens… Oh, Link… Il va faire en sorte de nous pousser à bout, ou de te faire sortir de tes gonds. Il va chercher à se débarrasser de toi d’une manière ou d’une autre, ou bien te menacer pour me faire plier... Il paiera des gens pour mentir s’il le faut, ou pour te faire assassiner…»

« Il peut toujours essayer, » répondis-je entre mes dents serrées alors qu’une nouvelle résolution s’ancrait dans mes tripes, « mais on ne se laissera pas faire. On ne le laissera plus faire de mal, ni à toi ni à personne d’autre. On ne va pas attendre qu’il nous coince : c’est nous qui allons le coincer.»

 

***********


Trivia:

- Les 7 jours de la semaine font référence aux 7 sages: Raurtag (Rauru), Sartag (Saria), Darutag (Darunia), Rutag (Ruto), Imtag (Impa), Naboortag (Nabooru) et Hyltag pour le 7eme sage (Hylia et Zelda ayant la même racine germanique "Hild"). Les deux jours correspondants à des sages "de lumière" sont chômés, soit le dernier jour de la semaine Hyltag et le premier jour de la semaine Raurtag. Je n'ai rien trouvé dans le Lore canon en référence aux jours de la semaine alors j'ai imaginé ça comme ça.

- Dans la version japonaise, Urbosa n’appelle pas Zelda « Madame » comme en français, ni « little bird » comme en anglais, mais « Ouhi-sama » : Ouhi signifiant « Reine ». Avec ça en tête certains dialogues d’AoC prennent une toute autre saveur, comme lorsque Urbosa lance un grandiose «Nous attendons vos ordres, Ouhi-sama» au nez et à la barbe du roi avant la dernière bataille.

- Les cannes à sucre existent à Hyrule, et les pirates existent aussi. DONC le Rhum ( et le baba au rhum) existent à Hyrule aussi. CQFD.



Laisser un commentaire ?