Cure for Mankind (Book One : Winter)
Quand j’étais dans les pommes, c’était le noir. D’habitude, même quand je dormais, même vingt minutes, je voyais des images. Donc soit je dormais depuis moins de vingt minutes, soit le fait de tomber dans les pommes anesthésie le cerveau plus que je le pensais.
-Je suis un sale gosse, que veux-tu ?
J’entendais des voix discuter, depuis un petit moment. La dernière voix qui avait parlé me disait quelque chose, mais j’étais encore endormie.
-Mais il vous est arrivé quoi à tous les deux ? reprit la voix
-C’est une longue histoire. Que je te raconterai quand tu m’auras raconté la tienne.
Cette fois, c’était une voix de fillette. Qui ne me disait rien. Cela me fit douter sur la présence de la voix qui me semblait familière, mais mes doutes ne durèrent pas longtemps.
-Ouais soit. Je préférerais que Sherry soit réveillée, mais bon…
Soudain, tout me revint, alors que je faisais un effort incommensurable pour ouvrir lentement mes yeux. Je vis le visage de Jake au-dessus de moi, et je réalisais notre position. Mon dos était posé sur ses jambes, alors qu’il était à genoux, et il avait une main derrière ma tête. Je tournai le regard un peu plus à gauche, et je vis une jeune fille - sans doute celle à qui appartenait l’autre voix que j’avais entendue - qui me regardait d’un air curieux. J’avais le coude appuyé sur un matelas, et je réussis à regarder l’homme qui était allongé dessus. Il me regardait aussi, et la tendresse que je voyais dans son regard me désarçonna un peu, alors je me remis à regarder Jake, qui vit seulement à ce moment-là que j’étais réveillée.
-Ah, supergirl. Tu es réveillée. Tant mieux, dit Jake avec un petit sourire craquant, qui me fit rougir
-Ça fait longtemps que tu es là ? demandai-je d’une voix que j’entendais comme faible
Je ne savais pas pourquoi j’étais crevée comme ça, mais ça m’énervait déjà.
-Pas tellement. En tous cas, je vois que tu as eu à te défendre.
Je tournai mollement la tête vers les cadavres des deux monstres que j’avais tués, et acquiesçai tout aussi faiblement. La gamine toussota, et je la regardai.
-En tous cas, j’aimerais te remercier d’avoir veillé sur Joel, dit-elle
-Et moi pour avoir veillé sur Jake, lui répondis-je
-Genre j’ai eu besoin de cette insolente ! ricana Jake
-Ta gueule poil de carotte, marmonna la fillette
Jake rit, et je ne pus m’empêcher de rire aussi. Cette fille semblait avoir autant de répondant que lui, et je trouvai drôle d’essayer de les imaginer travailler ensemble. La respiration Joel près de moi était presque devenue une berceuse, et je luttai pour rester éveillée. Je ne savais pas pourquoi j’étais raplapla comme ça, mais ça me montait aux nerfs. Puis, je me rendis compte de quelque chose.
-Et toi ? Comment t’appelles-tu ? demandai-je à la fillette
-Je m’appelle Ellie. Et toi tu es Sherry, donc ?
-C’est ça. J’espère que Jake ne t’a pas trop causé de soucis.
Ce dernier fit une grimace, et Ellie eut un rire nerveux. Ou hystérique, je n’étais pas sûre.
-Si. Mais j’ai vu pire, ne t’en fais pas.
-Tant mieux. Je sais qu’il peut être assez dur à vivre, mais il a un bon fond, dis-je avec un petit sourire
-Je suis censé le prendre comment ça ? dit Jake avec un air sceptique
Je ris légèrement, et Ellie rit avec moi. Jake émit un grognement, qui ressemblait plus à un râle en fait. Et au final, nous nous mîmes à nous regarder les uns les autres sans savoir quoi rajouter. Je regardai encore Joel, qui avait la tête tournée vers Ellie. Ça me fit me souvenir que, pendant que j’étais dans les pommes, Jake et Ellie parlaient chacun de leurs expériences. Enfin, ils étaient partis pour. Je rappelai ce fait aux autres, et Ellie partit dans son récit.
Ça ne faisait que quelques mois que Joel et Ellie se connaissaient. La mission de Joel était d’amener Ellie dans un hôpital à l’autre bout du pays, appartenant à une sorte de secte appelée les Lucioles. Ellie n’a pas voulu nous dire pourquoi, cependant. Je devinai que c’était parce que c’était important, alors je n’insistai pas. Elle nous dit ensuite que Joel avait eu un accident, quelques jours plus tôt, et qu’il était gravement blessé. Depuis, elle s’occupait de lui comme elle pouvait. Bon sang, une enfant aussi jeune qui a déjà une telle responsabilité ? Elle ne devait pas être beaucoup plus vieille que moi lorsque j’ai perdu mes parents, et pourtant, elle évoluait déjà dans un monde envahi de monstres.
Jake coupa Ellie dans sa dernière phrase, et se lança à son tour dans le récit de nos aventures.
Nous avions aussi eu le droit à une infection localisée, Jake et moi. Sauf qu’elle avait été provoquée par un homme, Derek Simmons. Homme pour lequel j’ai travaillé pendant des années sans me douter de rien. J’éludai le fait que Jake avait un sang qui lui permettait de ne subir aucune infection, expliquant seulement que Simmons voulait Jake pour quelconque raison et que j’ai failli lui livrer. En fin de compte, heureusement que Leon avait été là. Ensuite, il y a eu l’histoire avec l’Ustanak, et Jake et moi nous en sommes sortis de justesse. Et après que Jake ait refusé son paiement, ou plutôt diminué jusqu’à un prix raisonnable, nous nous sommes retrouvés juste pour apprendre qu’un virus d’origine inconnu décimait déjà la moitié est des Etats-Unis. Ellie avait bien résumé notre situation actuelle :
-Retrouvailles de merde, a-t-elle dit avec un rire sans joie
Je ne pus qu’accuser le coup. J’avais espéré que mes retrouvailles avec Jake auraient été un peu plus… Un peu moins… La vache, je n’arrivais même pas à le penser. D’ailleurs, même Jake a confirmé avec une repartie si particulière qui était la sienne. C’est par la suite que nous avons décidé de nous entraider à partir de ce moment.
La priorité d’Ellie était bien sûr de guérir Joel, ou du moins de l’aider à guérir, et elle comptait bien sur notre présence pour pouvoir se diversifier dans ses tâches. Pendant qu’elle chercherait de quoi le soigner et faire des points de suture en bonne et due forme, Jake et moi on alternerait nos rôles dans la recherche de vivres et dans la tâche de garde du corps de Joel. J’avais fait une remarque sur le fait que je n’étais pas trop pour laisser une enfant se balader toute seule dans la nature, mais elle m’a bien fait comprendre qu’elle n’était pas née de la dernière pluie et qu’elle allait très bien s’en sortir toute seule. Je la crus sur parole, peut-être parce que son comportement était trop similaire à celui de Jake pour que ce soit une coïncidence. Elle fanfaronnait, mais je voyais bien qu’elle était très attachée à Joel. Et je voyais à la tête de ce dernier quand Ellie partait toute seule qu’il pensait comme moi.
L’espèce de flèche empoisonnée que j’avais reçue dans l’épaule continuait de me faire du tort. Ma blessure était guérie depuis longtemps, et j’avais une bonne constitution, assez bonne sans doute pour que ce ne soit pas un poison mortel, mais mes crises de fatigue ponctuelle faisaient que j’étais souvent celle qui restait au chevet de Joel, pendant que Jake et Ellie risquaient leur vie dehors. Je savais que Jake était débrouillard, il avait grandi pour ainsi dire sans parents après tout, mais je ne pouvais m’empêcher de m’inquiéter pour Ellie. A chaque fois qu’elle revenait bredouille, elle donnait de grands coups de pied dans le premier truc qu’elle voyait, puis se calmait d’un seul coup pour aller voir Joel et lui demander comment il allait.
Il y a eu ce jour où Ellie a finalement trouvé du fil et une aiguille, ainsi que des antidouleurs. Je m’en souviens bien car c’était aussi le deuxième jour où nous avions mangé du cerf. C’était étonnamment bon. Le procédé de couture des plaies dégoûtait Ellie, mais elle savait qu’elle devait le faire pour sauver son ami. Je lui ai même proposé de le faire, mais elle a refusé en prétextant que je risquais de tomber dans les pommes au pire moment. Je savais qu’en fait, c’était parce qu’elle voulait faire ça elle-même, à cause d’une espèce de fierté déplacée. Elle n’avait pas tort aussi, mais je pense que c’était surtout ça. Plus j’apprenais à connaître Ellie, et plus je lui trouvais des points communs avec Jake. Ça ne m’étonnerait même pas qu’on apprenne, un jour, qu’ils étaient frères et sœurs.
Quelques jours après le début de sa cicatrisation, Joel montrait quelques signes de début de rétablissement. Il paraissait un peu moins fatigué, il respirait mieux et il faisait des phrases entières, désormais. Cependant, Il était quand même encore faible, et Ellie le forçait à rester allongé tant qu’il ne serait pas au meilleur de sa forme. Joel râlait, mais il obéissait. Soit parce qu’il savait qu’il n’irait pas bien loin de toute façons, soit parce qu’il voulait rassurer Ellie. Ou les deux. Quand je les vois interagir ensemble, comme ça, je me dis, en regardant Jake, que vivre ensemble dans un monde apocalyptique a vraiment le don de rapprocher les gens. C’est bien le seul point positif, d’ailleurs.
Un jour, alors que j’étais de nouveau assigné à la garde de Joel, je me sentis capable d’engager la conversation, sur un sujet qui m’avait passé par la tête la première fois qu’on s’était rencontrés.
-Joel ?
Il tourna la tête vers moi. Il pouvait parler, mais ce n’était pas un réflexe chez lui. Je l’avais compris, depuis le temps.
-Qui est Sarah ? demandai-je
Joel fronça franchement les sourcils, et je faillis ne pas voir l’éclat de douleur qui a traversé son regard. Je compris tout de suite que c’était un sujet sensible, alors j’essayai de me rattraper comme je pus.
-Si tu ne veux pas en parler, je comprendrais, ajoutai-je rapidement
-Je me demande surtout où tu as entendu ce nom, me dit-il d’un ton sérieux
Trop tard. Je sentais clairement que je m’engageais dans une pente glissante.
-Lorsque je t’ai trouvé, la première fois, tu as dit ce nom quand tu m’as vue, admis-je
-Je ne m’en souviens pas. Tu en es sûre ?
-Oui. C’est d’ailleurs la seule fois que je t’ai entendu dire autre chose que le nom d’Ellie.
-Ah bon.
En réalité, il y avait aussi la fois où il avait dit mon nom à Ellie. Mais je ne jugeai pas nécessaire de lui rappeler ça. Sans doute était-il seulement à moitié conscient à cause de son manque de sang. Ça me paraissait bizarre, mais en même temps, je n’avais jamais été dans un tel état. Jamais eu le temps.
-Et je n’ai effectivement pas envie d’en parler, ajouta Joel après une courte pause
-D’accord. Comme tu veux.
Joel me tourna le dos, j’ai compris que la conversation était terminée. C’était assez facile de deviner que Sarah était sans doute quelqu’un qu’il aimait et à qui il était arrivé quelque chose. J’éprouvai une espèce de curiosité morbide, qui fit que je décidai que la prochaine fois que je serais seule avec Ellie, je lui poserai la question. En espérant qu’elle ne soit pas aussi fermée que lui.
En fin d’après-midi, Ellie et Jake furent revenus avec quelques vivres pour le soir. Ce nouveau système avait pas mal d’avantages, bien qu’un peu long. Mais Ellie ne voulait pas laisser Joel tout seul trop longtemps, malgré la santé méliorative de ce dernier, qui ne se gênait pas pour râler de temps en temps. Le dîner se fit sans trop de commentaires, mis à part les railleries habituelles entre Jake et Ellie. Elles avaient le don de m’amuser et de blaser profondément Joel, qui n’arrêtait pas de les traiter de gamins. En parlant de ça, je me demandais quel âge ils avaient, tous les deux. Ellie était sûrement très jeune, et Joel paraissait assez marqué, du coup ça me paraissait assez rude de demander.
Le lendemain, avant qu’Ellie et moi fûmes parées à partir à l’aventure quotidienne, elle crut entendre quelqu’un approcher. Au début, je me demandais ce qui lui faisait dire ça, et elle me répondit tout simplement que son cheval paraissait nerveux. Après avoir demandé à Jake de veiller sur Joel, et sans écouter la réponse désobligeante de mon compagnon, Ellie alla vers l’entrée, son arc tendu au maximum, et je la suivis avec mon arme à la main. A l’entrée de la maison, il y avait deux hommes. L’un d’eux semblait jeune, sans doute à peu près du même âge que Jake, habillé tout de gris, gilet et jean, avec un bonnet bleu marine et un pistolet presque caché, mais que je repérai tout de suite, dans sa poche latérale. Qui plus est, son visage était méfiant. L’autre semblait plus vieux, avec ses débuts de rides et sa grosse barbe, mais son expression était plus cordiale. Il portait un gros blouson vert et un pantalon marron, et une lanière était accrochée autour de lui. La crosse d’un fusil dépassait de son épaule. Je devinai qu’il s’agissait d’autres survivants, et je me demandais sincèrement ce qu’ils nous voulaient. Ce ne fut que lorsqu’il leva les mains en regardant Ellie que l’autre fit de même.
-Bonjour, nous dit l’homme au blouson vert. Vous allez bien ?
-Vous êtes qui ? demanda Ellie un ton plus haut
-Je m’appelle David, et voici mon ami James, nous dit-il d’un ton courtois. Nous venons en paix.
-Développez, dit Ellie, toujours aussi méfiante
-Ça fait un moment que je vous vois faire des allers-retours entre ici et la forêt, dit David en nous regardant tout à tour, Ellie et moi. Je suis venu vous proposer mon aide. J’ai un groupe, de l’autre côté de la prairie, qui ne demande qu’à accueillir de nouveaux membres. Nous avons de la nourriture, des armes, et des médicaments. Dites-nous ce qu’il vous faut et…
-Des médicaments, le coupa Ellie. Je voudrais des médicaments.
-Pour ton amie ? demanda David en me montrant du regard
Ellie me regarda à son tour, s’attardant sur mon épaule encore couverte de sang, et se retourna vers David, un air apparemment un chouïa plus détendu.
-Ouais, finit par dire Ellie. Elle fait sa dure, mais je serais plus tranquille si elle prenait des médocs.
Je ne compris ce qu’elle faisait qu’à ce moment-là. Elle ne voulait pas que David et James sachent qu’il y avait encore deux personnes dans la maison, au cas où. Alors je rentrai dans son jeu.
-Ellie, je vais bien, dis-je en soupirant
-Ta gueule Sherry, me dit-elle d’un ton énervé. Ce n’est pas un choix que je te donne. Laissez-nous deux minutes, ajouta-t-elle à l’intention de nos invités
-Je ne suis pas pressé, dit David, toujours aussi poli
Ellie se tourna vers moi et me fit signe de la suivre dans la maison. Lorsque nous fûmes assez loin, dans la cuisine, elle s’adressa à moi, à voix basse quand même.
-Je ne sais pas ce que ces deux enfoirés veulent vraiment, mais je trouve que ça pue.
-Ils sont altruistes, dis-je simplement
-Franchement, tu crois à ces conneries ?
Je ne répondis rien. C’est vrai que c’était trop beau pour être vrai, en y repensant. Je me souvins de certaines remarques de Jake face à mon optimisme, mais j’étais comme ça. Je n’y pouvais rien.
-Je vais chercher quelques chargeurs à la cave, et prévenir les deux autres, reprit Ellie. Je reviens.
Ellie descendit à la cave, et je l’attendis dans la cuisine. Si ces deux hommes voulaient vraiment des problèmes, je préférais encore ne pas avoir à les affronter seuls. Je ne pus m’empêcher de regarder par la fenêtre, je réussissais à les voir, vaguement. David me vit, et me fit un sourire, qui me gêna un peu, il faut le dire. Ellie reparut près de moi, un sac à dos avec elle, auquel était accroché son arc et son carquois. Elle avait l’air de beaucoup aimer cette arme. Elle me tendit deux chargeurs que je mis dans ma poche.
-Allons-y, me dit-elle après avoir soufflé un bon coup
J’opinai, et ressortis de la maison avec Ellie.