Mythes et légendes de Skyrim
Le capitaine Farador marchait de long en large devant l’ambassade du thalmor de Bordeciel. Il avait froid. Le bas de son manteau noir traînait dans la neige qui lui arrivait à mi-mollet et s’imbibait par conséquent d’eau, ce qui l’alourdissait. De plus, les gros flocons tombés du ciel venaient frapper son visage et détrempaient le reste de sa tenue. Il haïssait le givre sur ses cils, le vent glacial du nord, le terrain glissant et plus encore les habitants de la région. Toujours en train de chercher à se battre ou à picoler ! En plus, ils ne buvaient rien d’autre que de l’hydromel. Une boisson forte, guère plus délicate que leurs créateurs. Il regrettait déjà d’avoir signé pour ce merdier, si loin du soleil de l’Archipel d’Automne, de ses jardins majestueux et de son vin délicat, au petit goût fruité… Ils ne fabriquaient rien de comparable, dans ce maudit pays aussi accueillant qu’une fosse à ragnars ! Et cet informateur, censé les accompagner… Un altmer, certes, mais né en Bordeciel et élevé par les nordiques. Et guère plus ponctuel que ces derniers ! Au nom de l’Oblivion, il l’attendait déjà depuis une heure !
— Capitaine ?
L’homme jeta un regard agacé à la femme qui s’était adressée à lui. Une simple soldate, haute-elfe elle aussi. Farador ne lui donnait pas plus de quarante ans. Une jeunette, pour les critères altmers, mais sa grande intelligence et ses pouvoirs en plein éveil lui avaient valu une place de choix pour cette mission. Un test, qui aboutirait à une formation de justiciar si elle le réussissait.
Pour l’instant, ses lèvres bleuies par le froid et ses joues blanches confirmèrent à son supérieur qu’elle n’avait pas plus chaud que lui. Son armure dorée devait même la refroidir davantage encore que son manteau. Un sourire discret étira les lèvres du capitaine. Leurs supérieurs savaient ce qu’ils faisaient en décidant de l’envoyer dans la contrée la plus septentrionale de Tamriel. Elle possédait les capacités requises pour survivre, il en était persuadé. Et le froid la forcerait à se surpasser.
— Soldat Faelwen ? demanda-t-il.
— On… on ne pourrait pas retourner attendre à l’intérieur ? suggéra-t-elle. C’est pas que j’ai f...froid, mais…
— Vous tremblez comme une feuille, la coupa-t-il. Ne venez pas me dire que vous n’avez pas froid.
La jeune femme reprit quelques couleurs.
— Non, avoua-t-elle. J’allais au contraire dire que…
— Que vous êtes frigorifiée, devina-t-il. Navré de vous décevoir, mais nous devons attendre ici. Et vous feriez mieux de vous en réjouir, car il fait chaud, comparé à ce qui nous attend une fois que nous serons partis.
— Mais capitaine…
— Il n’y a pas de mais. Vous allez devoir vous y faire, soldat. Après, vous pouvez aussi demander à retourner à l’Archipel. Il y fait plus chaud, mais votre bourse d’étude ira à quelqu’un d’autre.
— ça, c’est hors de question, grogna la soldate.
— Alors cessez de vous plaindre.
— A vos ordres, soupira-t-elle.
Le capitaine remarqua son air un peu déçu. Un rictus léger souleva le coin de ses lèvres. Rares étaient ceux qui osaient se plaindre à lui, et plus encore parmi les nouveaux. Elle possédait un fort caractère, et une personnalité affirmée qui lui permettrait de vite monter en grade, si elle se montrait assidue dans ses études. Il ne la réprimanda pas malgré son envie de le faire. Elle venait tout juste d’arriver, et lui-même sentait aux fourmillements dans ses orteils que le froid autour d’eux menaçait de les congeler s’ils ne se décidaient pas à bouger rapidement. Et comme, en plus, elle venait tout droit d’Auridia, où le soleil brillait à longueur d’année…
Il jeta un oeil aux autres soldats. Trois hommes et une femme, plus expérimentés et âgés que leur jeune camarade. Eux aussi grelottaient, mais s’efforçaient de ne pas laisser le froid les priver de leurs sens. Farador en fut satisfait.
Les minutes s’écoulèrent, se transformèrent en une autre heure. Le capitaine commença à perdre patience, surtout que le vent avait forci et le blizzard s’était épaissi. Faelwen, au bout d’une demi-heure d’attente, avait fini par s’entourer d’une aura enflammée pour ne pas geler sur place. Elle fut bien vite imitée par deux de ses collègues, qui trouvèrent son initiative assez intéressante. Les deux autres soldats s’étaient approchés d’eux pour bénéficier eux aussi de la chaleur des flammes. Seul Farador refusait de se réchauffer. Il avait peur que son informateur ne se sente menacé et s’éclipse à la vue de leurs sorts.
Enfin, après trois heures d’attente dans la tempête, il perçut le froufrous des pas d’un cheval dans la neige profonde. Une silhouette se dessina devant lui, et Farador lança :
— Annaco ? C’est vous ?
— Oui ! répondit une voix masculine, affaiblie par le rugissement du vent.
Les soldats laissèrent échapper un soupir de soulagement. Le regard de leur chef les intima à davantage de discrétion, mais lui-même se sentait soulagé de savoir leur attente terminée. Il attendit que le nouveau venu soit à portée de voix avant de le réprimander.
— Trois heures ! s’écria-t-il. Trois foutues heures de retard ! Vous vouliez notre mort, c’est ça ? Et ne me dites pas que vous avez eu des problèmes pour venir, il n’y a qu’une heure entre ici et Solitude !
— Moins fort… grinça l’autre.
— Comment ça, moins fort ? rugit le capitaine. Vous avez mis nos vies en danger, espèce d’inconscient ! Si mes soldats n’avaient pas eu l’idée d’utiliser des sorts, nous aurions fini gelés, vous m’entendez ? Gelés !
— Je vous entend très bien… grommela l’altmer. Pas besoin de hurler, j’ai un mal de crâne terrible…
— Mal de crâne, ou gueule de bois ? se moqua Farador.
Le regard ahuri que lui lança son interlocuteur lui fit savoir qu’il avait vu juste, ce qui n’améliora pas son humeur.
— Espèce d’imbécile, siffla-t-il. Vous avez intérêt à nous emmener à destination très vite, ou je vous jure que je vous plonge dans le lac Ilinalta le mois prochain ! Et vous vous démerderez avec les poissons carnassiers et le blizzard !
— ça va, ça va… désolé, je pensais pas que ma soirée d’hier se finirait comme ça…
— Navrée de vous interrompre, capitaine, les coupa Faelwen, mais on pourrait y aller ? On a perdu beaucoup de temps, et Dame Elenwen sera furieuse si elle s’aperçoit qu’on n’est toujours pas partis.
Farador jeta un regard noir à sa jeune recrue, mais se sentit incapable de la réprimander. Elle avait raison. Ils avaient accumulé assez de retard. Et si le temps continuait à se dégrader, ils ne pourraient plus avancer. Quelle galère, ces missions où le moindre accroc causait toutes sortes de catastrophes en série… Il imaginait déjà la suite : rencontre avec un troll, puis une meute de loups. Avec un peu de chance, ils tomberaient même sur un dragon !
Le groupe se mit en marche, dirigé par Annaco et sa monture. Une bête rustique, courte sur pattes, grasse, aux os que Farador devinait épais. Elle ne présentait aucune grâce, aucune forme de noblesse ni même de beauté. Ses poils épais avaient tout juste le mérite de la protéger du froid, et ses lourds membres de tracer un chemin à peu près praticable dans la poudreuse épaisse. Le capitaine entendait Faelwen souffler derrière lui, tant de fatigue que d’agacement. Un rapide regard lui indiqua qu’elle peinait à avancer et devait parfois compter sur ses camarades pour l’aider. Il ricana.
— Un problème, soldat ?
— Je vais très bien, grogna-t-elle. Je me suis juste pris les pieds dans une congère et…
— Halte, lança Annaco.
Son cheval s’arrêta net. Il fixait le terrain devant eux d’un air inquiet. Une vaste plaine couverte de neige, glaciale, battue par un vent violent. Le capitaine s’agaça.
— Quoi encore ? demanda-t-il avec humeur.
— Tout ça, indiqua leur guide, c’est les restes d’une avalanche.
— Et ?
— Et vu comment les débris qu’elle a pu emporter ressortent, elle a eu lieu il n’y a pas longtemps. Quelques heures tout au plus.
— Et ? insista encore le capitaine.
Annaco désigna une forme, un peu plus loin.
— Là. Le cuir vert.
Farador plissa les paupières. Il ne distinguait rien de semblable à du cuir, surtout vert, jusqu’à ce qu’un mouvement léger n’attire son attention. Il remarqua alors une surface recouverte de neige, aux reflets verdâtres et tendue entre deux pics blafards. Des os, remarqua-t-il. Des os immenses, démesurément longs et fins. Il sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque.
— Ne me dites pas que c’est… commença-t-il.
— Un dragon, souffla Annaco.
Faelwen poussa une exclamation surprise.
— Un… un vrai ? s’étonna-t-elle. Ce n’était pas une légende ? Ils sont vraiment…
— Chut, la coupa le capitaine.
— Il ne doit plus être très vivant, confirma Annaco, mais nous devons être très prudents. L’un d’entre eux a rasé un village récemment, et seul l’Enfant de Dragon arrive à les tuer. Je doute qu’une avalanche ne vienne à bout d’une de ces créatures.
Les soldats opinèrent, et le groupe reprit sa route d’un pas méfiant. Tous les regards étaient tournés sur la membrane rivée au sol. Chacun s’attendait, nerveux, à la voir bouger à tout moment. A voir le dragon surgir de la couche de neige, furieux, pour les noyer sous un jet de flammes.
Faelwen, cependant, ressentait une certaine excitation à l’idée que la créature puisse être encore en vie. Ses professeurs lui avaient certifié que les dragons avaient disparu, soit tués, soit partis. La perspective qu’ils puissent toujours parcourir Bordeciel depuis les cieux, libres comme l’air, aussi majestueux et puissants que dans les livres, lui plaisait énormément. Elle serait prête à tout rien que pour pouvoir discuter avec l’un d’entre eux. Ils étaient intelligents, très sages, bien que fiers et dangereux. Elle voulait pouvoir s’imprégner de leur immense savoir. Et, peut-être, apprendre leur langue, si puissante d’après les légendes…
Le coeur de la jeune femme fit une embardée lorsqu’un frémissement léger parcourut l’immense membrane. Elle crut d’abord avoir rêvé, à force de la fixer à travers les flocons, mais un faible râle lui confirma que ses yeux étaient toujours fiables. Farador, quant à lui, ne fut guère ravi. Il lâcha d’un ton sec :
— Dépêchons, on dirait qu’il se réveille…
— Attendez, réclama Faelwen.
— Non, répliqua son supérieur. Ce monstre ne mettra pas plus de deux minutes à nous tuer si… Hé ! Soldat Faelwen ! Revenez immédiatement ou je fais sauter votre bourse !
La jeune femme l’ignora superbement et reprit son avancée vers le reptile. La neige gênait ses pas, menaçait de l’engloutir sous son épais manteau glacé. Le vent fouettait son visage, projetait des flocons dans ses yeux et sur ses lèvres bleuies par le froid. Les cris de son capitaine se perdaient dans le rugissement de la tempête, son souffle formait une épaisse buée devant son nez. Inquiet pour elle malgré sa colère, Farador s’élança à sa suite. Il continua à l’appeler, jusqu’à ce qu’elle ne disparaisse dans la neige. Il se mit alors à courir en pestant contre cette saleté blanche qui lui collait partout, entravait ses mouvements et l’empêchait de voir correctement. Et puis cette imbécile qui avait décrété de ne pas l’écouter… S’il n’avait pas été responsable d’elle, il l’aurait laissée sur place !
Il s’arrêta net lorsqu’il repéra à nouveau la jeune soldate, à genoux dans la poudreuse, à caresser d’une main l’immense tête de la créature pendant qu’elle cherchait quelque chose de l’autre dans sa poche. Il vit avec horreur le dragon ouvrir un oeil jaune, entrouvrir la gueule, mais celui-ci ne sembla pas vouloir croquer Faelwen. Un vague grondement parvint jusqu’aux oreilles de l’altmer, couvert par les mugissements des rafales. Il vit sa recrue sortir une fiole rouge de sa robe, qu’elle déboucha avec les dents. Elle versa ensuite le contenu dans la gueule du dragon sans la moindre inquiétude, puis se leva. Elle balaya ses ailes avec soin, tenta même de dégager son corps de la poudre blanche qui le couvrait. Ses mains étaient écarlates, ses gestes maladroits prouvaient qu’elles gelaient peu à peu. Sous ses yeux ébahis, il vit la jeune altmer allumer de petites flammes dans ses paumes et les passer au-dessus du corps du dragon pour faire fondre la neige et le réchauffer un peu. Un grognement satisfait parvint à Farador. Le monstre semblait apprécier l’aide de l’elfe.
Un cri de surprise résonna alors dans le vent. Faelwen s’était penchée sur le flanc du dragon avec mille précautions. Elle passa une main sur la peau écailleuse de la créature, qui lâcha un cri sourd. L’aile se souleva de quelques centimètres, puis retomba au sol. Faelwen pinça les lèvres, se redressa, puis rejoignit son supérieur. L’inquiétude éclairait ses iris dorés.
— Capitaine, implora la jeune femme, il est blessé… si nous ne faisons rien, il va mourir ici…
— Tant mieux, grogna Farador. Ca fera un monstre de moins à éviter dans le coin.
— Mais, capitaine…
— Il n’y a pas de mais, coupa-t-il. Vous savez combien de gens cette horreur volante a pu tuer ? Combien de personnes ont vu leur vie détruite par sa faute et celle de ses semblables ? Il…
— Il est intelligent et comprend parfaitement tout ce que vous dites, s’énerva la jeune soldate. Il…
— Il peut être le prochain archimage de l’Académie d’Alinor, je n’en ai rien à faire ! répliqua-t-il. C’est un parasite, au même titre que les givrepeires et les ragnars !
— C’est un dragon ! explosa Faelwen. Une créature noble, dotée d’une intelligence et d’une puissance bien supérieures à celles des hommes… et même des mers !
Farador sentit la colère l’envahir.
— Attention à votre façon de parler, soldat, la menaça-t-il.
— Je me fiche de ma façon de parler.
— Dois-je vous rappeler votre bourse ?
— Si je dois la perdre pour sauver ce dragon, je le ferai, lâcha-t-elle d’un ton catégorique.
Elle se détourna de son supérieur pour retourner auprès du dragon. Farador la rappela :
— Soldat Faelwen ! Revenez ici immédiatement !
La jeune femme l’ignora. Elle s’agenouilla à nouveau auprès de la créature, et déchira un pan de sa robe. Elle fit fondre de la neige, trempa le tissu dans la flaque ainsi formée. Elle le passa ensuite sur la plaie pour la nettoyer et s’assurer qu’aucun éclat de bois ou de roche n’y soit coincé. Le dragon gémit, mais se laissa faire.
Farador soupira. Il se sentait acculé, bloqué dans une impasse sans rien pouvoir faire. Tant d’insubordination le mettait hors de lui, mais il avait reçu des ordres. Faelwen était sous sa responsabilité. Il ne pouvait se permettre de la laisser seule, dans la tempête. Et si elle refusait de suivre, il lui fallait se plier à ses caprices. Pour l’instant, du moins.
Il rejoignit donc la jeune femme de mauvaise grâce. D’un coup d’oeil, il évalua la gravité de la plaie. Une longue balafre, profonde, de toute évidence causée par un long éclat de bois. Des échardes sortaient encore de la chair. Farador soupira.
— Il ne survivra pas, indiqua-t-il à Faelwen. La plaie est profonde.
— Elle n’a pas endommagé les poumons, ni le diaphragme, insista-t-elle. C’est possible de le soigner, j’en suis certaine.
— Soldat Faelwen… soupira le capitaine.
Le regard implorant de sa recrue le fit céder. Il s’agenouilla dans la neige auprès du reptile immortel et posa ses mains sur la plaie. D’un sort, il brûla les échardes bloquées dans sa chair. Il se concentra ensuite pour refermer la blessure d’un autre sort. Une puissante lueur dorée entoura ses doigts et la déchirure béante, éblouit Faelwen qui fut forcée de fermer les yeux. Quelques instants plus tard, lorsque l’éclat magique s’éteignit, tous deux remarquèrent que le saignement s’était arrêté et qu’une ligne grossière barrait désormais le flanc de la bête. Un sourire se dessina sur le visage de la jeune femme. Elle versa avec soin le contenu d’une fiole sur la plaie, puis posa un nouveau pan de tissu arraché à sa robe pour la protéger. Elle doutait toutefois que le pansement de fortune tienne. Elle ne pouvait l’attacher comme elle le souhaitait, à cause de la taille du dragon.
Celui-ci, soulagé de la douleur par l’action de la magie, remua son aile et ses pattes pour se redresser. Les deux elfes s’écartèrent, Farador avec crainte, Faelwen avec regret. Le dragon ne se leva toutefois pas totalement. Sa patte arrière gauche lui arracha un gémissement lorsqu’il tenta de prendre appui dessus. La jeune femme revint vers sa tête, inquiète. Farador tenta de l’en empêcher, mais le dragon s’adressa alors à eux :
— Merci, mortels. Vous m’avez sauvé d’une lente et douloureuse agonie.
Les joues de la soldate se teintèrent de rose.
— Ne nous remerciez pas, puissant dragon, répondit-elle avec modestie. Nous n’avons pas fait grand-chose…
— Ce que vous avez fait a suffi à m’épargner, insista le reptile ailé. Je me doute que de simples mortels comme vous n’ont pas la puissance nécessaire pour soigner un dragon de ma taille.
Farador ouvrit la bouche pour protester, mais fut devancé par Faelwen.
— Justement, puissant dragon, demanda-t-elle, comment avez-vous été blessé ?
— Je me battais, révéla son interlocuteur. Un autre Dovah m’avait provoqué en duel. Il m’a blessé à la patte, puis a déclenché une avalanche pour m’ensevelir sous la neige et ainsi me tuer. Un lâche, qui mériterait de mourir.
— Oh… souffla la jeune femme, sous le choc.
Son capitaine ne dit rien, mais la soudaine pâleur de son visage indiquait qu’il ne restait pas indifférent au récit du dragon. En fait, il venait de penser à la chance incroyable qu’ils avaient eue de ne pas se trouver là au mauvais moment. A en croire Annaco, l’avalanche s’était produite plus ou moins au moment où ils auraient dû traverser la zone s’il était arrivé à l’heure. Sans son retard, ils auraient trouvé la mort, soit entre les feux des deux dragons, soit dans la chute de neige dévastatrice.
— Vous pensez qu’il serait possible de le tuer ? demanda alors Faelwen.
Sa question tira Farador de ses pensées. Le dragon ricana, mais un grondement de douleur remplaça vite sa moquerie.
— N’essayez pas, conseilla-t-il. Vous êtes de simples mortels, guère préparés pour affronter un puissant Dovah. Vous vous feriez tuer avant même d’avoir pu le provoquer en duel.
— Et avec votre aide ? proposa Faelwen.
— Nous avons d’autres choses à faire, soldat, lui rappela son supérieur.
— Et votre aide me serait inutile, déclina le dragon à regret. D’une part, parce que vous êtes mortels, et minuscules. Vous ne pourriez vous approcher sans risquer de mourir écrasé ou percuté par l’un de nous. D’autre part, même si votre proposition est noble, je ne peux l’accepter. Il m’a humilié et a failli me tuer, c’est à moi de prendre ma revanche, seul. Une fois que je serai guéri, bien sûr… Mais merci pour votre proposition, mortels. Si, un jour, vous avez besoin d’aide, appelez-moi. Mon nom est Graagahsil. Si vous êtes en difficulté, criez juste de toutes vos forces mon nom. Où que je sois, je vous entendrai, et je viendrai.
Il leva la tête vers le ciel et ouvrit la gueule. Trois mots résonnèrent dans l’air, puissants, presque assourdissants. Aussitôt, les nuages s’écartèrent, le vent se calma, et la neige cessa de tomber. Un soleil pâle vint réchauffer les elfes frigorifiés. Faelwen regarda le dragon d’un air émerveillé, tandis que Farador plissait les yeux sous la soudaine luminosité.
— Il est temps pour moi de m’en aller, gronda Graagahsil. Puissiez-vous, mortels, vivre encore quelques années.
Ses ailes se tendirent de chaque côté de son corps. D’une impulsion énergique, il se propulsa dans les airs. Les fines membranes le soulevèrent dans les cieux, et, bien vite, sa silhouette imposante se transforma en un simple point qui disparut à l’horizon. Les elfes restèrent de longues minutes immobiles, le regard rivé sur la direction qu’il avait prise. Enfin, Farador sortit de sa contemplation.
— Soldat Faelwen, lança-t-il à sa recrue d’un ton froid, j’espère que vous vous rendez compte du risque inconsidéré que vous venez de nous faire courir à tous pour simplement satisfaire votre curiosité ?
— Il était blessé ! se défendit la soldate. Et en plus, grâce à lui, on a un beau temps dégagé, maintenant. Et n’allez pas me dire que l’aide potentielle d’un dragon ne vous plaît pas, capitaine…
— Soldat. Un peu de respect.
— Désolée, souffla aussitôt la jeune femme, le regard baissé.
— Vous raconterez vous-même tout cela à Dame Elenwen lorsqu’on rentrera, décida finalement Farador. Maintenant, dépêchez-vous. Nous avons encore de la route.
Faelwen hocha la tête. Elle se doutait que l’ambassadrice n’allait pas la féliciter, mais elle ne s’en souciait guère pour l’instant. Elle jeta un dernier regard à l’est, là où le dragon avait disparu. Un sourire fugace étira ses lèvres. Elle regagna ensuite le groupe, pensive. Et déterminée, aussi. Déterminée à parler à nouveau avec Graagahsil. Déterminée à découvrir d’autres dragons, et à percer le secret de leur magie.