Les enfants de Bordeciel

Chapitre 21 : Escapade et Subterfuges

4649 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/10/2024 21:20

Chapitre 21 : Escapade et subterfuges

Le soleil peinait à percer la couche brumeuse qui étouffait Faillaise. L’automne s’était cette fois bel et bien installé, apportant avec lui une désagréable humidité glacée. Hroar frissonna et s’emmitoufla dans sa grossière cape de laine trop grande pour lui, rabattant la capuche sur sa tête. Devant lui, François Beaufort marchait d’un pas énergique, presque pressé. Ils s’éloignaient rapidement de l’orphelinat Honorem, en route pour une nouvelle escapade. Leur sortie d’aujourd’hui avait quelque chose d’étrange pour Hroar : c’était la première fois qu’ils s’aventuraient seuls en pleine journée dans la ville, et surtout, avec l’autorisation de Constance Michelle. Elle leur avait permis de quitter l’orphelinat à condition de rester près de la place du marché, de revenir avant midi et, surtout, de ne pas faire de vagues.

Hroar accéléra le pas pour ne pas se laisser distancer par son ami, mais ses pensées demeuraient obstinément tournées vers l’orphelinat. Le départ de Hunfen quelques jours plus tôt avait anéanti l’espoir de l’entraîner une nouvelle fois dans leurs aventures, et, surtout, de lui faire rencontrer Brynjolf. L’absence du jeune Nordique et de sa gardienne laissait un vide étrange, une absence que Hroar ressentait plus profondément qu’il ne l’aurait cru. Peut-être parce que, depuis la disparition de Grélod, ses tourments habituels s’étaient évanouis ; les nuits où Runa le consolait semblaient appartenir à un passé lointain. Était-ce ainsi que les choses étaient censées se passer, une vie normale, hors de l’emprise de la vieille mégère ?

François, en revanche, semblait encore plus excité qu’à l’accoutumée. Il ne cessait de jeter des regards en arrière pour vérifier que Hroar le suivait toujours, chaque coup d’œil accompagné d’un sourire qui s’élargissait à mesure qu’ils approchaient de leur destination. Ses yeux pétillaient d’impatience.

« Allez, traîne pas, Hroar ! » lança-t-il d’un ton enjoué. « Je parie que Brynjolf a quelque chose d’énorme pour nous aujourd’hui ! S’il veut nous voir en plein jour, c’est sûrement pour un truc important. Peut-être qu’il va enfin nous faire entrer dans la Guilde des Voleurs ! »

Hroar haussa les épaules sans répondre. Son ami semblait toujours emporté par ses rêves de grandeur, et ces derniers jours, il n’avait cessé de parler de liberté et d’aventures. Mais lui voyait les choses autrement : s’enrôler dans la Guilde, si jamais ils en avaient l’occasion, devait avant tout servir à protéger les autres. C’était bien plus risqué que François ne voulait l’admettre, surtout avec Maven Roncenoir dans les parages.

Quand ils arrivèrent sur la place du marché, celle-ci était déjà animée. À droite, un marchand Dunmer nommé Brand-Shei s’affairait à installer ses marchandises. Ses étals présentaient un assortiment d’objets hétéroclites.

« Bonjour, les garçons ! les interpella-t-il jovialement. Vous êtes de sortie, aujourd’hui ?

— Oui, on profite d’un peu de liberté, répondit François avec un sourire éclatant. On est censés rester sur la place du marché, mais… on verra bien ! »

Hroar sourit timidement au Dunmer. Il appréciait ce marchand. Même à l’époque de Grélod, lors de leurs trop rares sorties, Brand-Shei leur glissait souvent de petits objets, des babioles invendables, mais que les enfants voyaient comme des trésors. Malheureusement, ces trésors ne restaient jamais longtemps en leur possession, Grélod les confisquant à la première occasion. Brand-Shei était, aux yeux de Hroar, l’une des rares personnes en ville à se soucier du sort des enfants de l’orphelinat. L’enfant avait toujours soupçonné que le Dunmer eut lui-même été orphelin adopté, ce qui aurait expliqué son nom à consonance argonienne, mais il n’avait jamais osé lui poser la question.

Ils se frayèrent un chemin dans la foule, évitant les bousculades et les éclats de voix, jusqu’à apercevoir enfin Brynjolf. Contrairement à son habitude, le fripon ne se cachait pas dans une ruelle sombre ni ne murmurait à voix basse. Non, aujourd’hui, il trônait en pleine lumière, derrière un nouvel étal, jouant au marchand avec une assurance déconcertante.

François accéléra le pas, tirant Hroar par la manche. « Viens ! Il nous attend ! »

L’interpellé avait marqué un temps d’arrêt, en proie à une soudaine confusion. Cette scène lui paraissait complètement incongrue. Brynjolf, ici, en plein jour, à découvert ? C’était tout sauf normal. En s’approchant, il capta l’éclat malicieux dans le regard de l’homme. Le roublard semblait parfaitement à l’aise, comme s’il contrôlait chaque détail de ce qui se passait autour de lui.

« Ah, les gars, vous voilà enfin ! leur lança-t-il avec un large sourire en les saluant d’un geste de la main. J’ai une petite mission pour vous aujourd’hui. Rien de bien compliqué, mais qui demande une certaine… discrétion. »

François bombait le torse de fierté, visiblement prêt à prouver qu’il était à la hauteur. Hroar, lui, garda le silence, observant le voleur avec prudence. Brynjolf se pencha vers eux, sa voix baissant légèrement pour ne pas être entendue par les passants.

« Vous voyez cet étal là-bas ? Celui de Madesi ? »

Hroar hocha la tête. Madesi, le joaillier argonien, était connu pour la qualité de ses produits, mais pas pour sa sympathie. Il leur jetait toujours des regards méfiants lorsqu’ils passaient près de son étal, comme s’il s’attendait à ce qu’ils lui dérobent quelque chose.

« Eh bien, disons que je lui ai… emprunté quelque chose de précieux ce matin. Un joli petit anneau. » Un sourire narquois étira les lèvres de Brynjolf. « Et pendant que j’attire l’attention de tout le monde par ici, j’aimerais que vous le placiez, ni vu ni connu, dans la poche de Brand-Shei. »

Hroar se figea. Il tourna instinctivement le regard vers le Dunmer, qui s’affairait toujours à son étal, souriant aux clients potentiels qui s’arrêtaient devant ses marchandises. Une vague de malaise monta en lui. Pourquoi Brynjolf voulait-il s’en prendre à Brand-Shei, de toutes les personnes ? François, lui, n’hésita pas une seconde.

« Pas de problème ! On va faire ça vite fait bien fait ! » s’exclama-t-il avec enthousiasme.

Mais Hroar, les lèvres pincées, ne pouvait se résoudre à approuver si facilement.

« Mais… pourquoi on fait ça ? Brand-Shei, il nous a jamais rien fait. C’est pas juste de lui jouer un coup pareil ! »

Brynjolf éclata d’un rire sec et moqueur, comme s’il trouvait l’hésitation du jeune garçon presque attendrissante.

« Ne t’en fais pas, p’tit gars, c’est rien de grave. Je connais des gens qui voudraient le voir s’éloigner du marché pendant quelque temps. Il va juste se retrouver coincé avec les gardes pour deux ou trois jours, le temps que tout ça se tasse. Rien de bien méchant, et après, tout redeviendra comme avant. C’est juste une petite farce qu’on lui fait ! »

Hroar acquiesça silencieusement, mais les paroles de Brynjolf étaient loin de l’apaiser. Une farce ? Quel genre de farce envoyait quelqu’un en prison, même pour quelques jours ? Il jeta un coup d’œil à François, qui n’avait pas l’air de partager ses doutes. Son ami n’hésitait jamais, et c’était l’une des raisons pour lesquelles il se laissait souvent entraîner dans ses aventures. Mais cette fois, c’était totalement différent.

François, pressé de commencer, l’entraîna vers l’étal de Brand-Shei. Hroar suivit, le cœur lourd. La foule du marché lui paraissait soudain lointaine, comme un murmure étouffé. Le Dunmer n’avait rien fait pour mériter cela. Et pourtant, le jeune garçon sentait qu’il n’avait guère d’autre choix que de suivre son ami, par loyauté, peut-être, ou par peur de le décevoir.

« C’est dégueulasse ce qu’on fait, François, murmura-t-il en approchant de l’étal. Il a toujours été gentil avec nous, Brand-Shei ! Comment on peut lui faire ça ?

— Écoute, Hroar, tu comprends pas, répondit François à voix basse en jetant des coups d’œil autour de lui pour s’assurer qu’ils n’étaient pas écoutés. Brynjolf, il nous teste, là. Si on fait ça bien, on entrera dans la Guilde. C’est notre chance !

— Mais à tous les coups c’est Maven Roncenoir qui a dit à Brynjolf de faire ça ! Justement parce Brand-Shei, il est trop gentil avec nous ! On voulait l’empêcher de faire du mal, et là on fait exactement ce qu’elle veut ?! On trahit l’orphelinat !

— On sait pas si c’est elle. Mais si on entre dans la Guilde, on pourra déjouer ses plans de l’intérieur. Crois-moi, Hroar, c’est notre seule chance de faire bouger les choses ! »

Hroar soupira, incertain. Il voulait croire que François avait raison, que leur action aujourd’hui pourrait leur permettre de protéger ceux qu’ils aimaient. Mais tout cela lui semblait bien trop compliqué, bien trop incertain. Pourtant, il acquiesça, à contrecœur.

« D’accord, mais on fait vite. Et après, on s’en va. »

François sourit, satisfait, et donna une tape amicale sur l’épaule de son ami en le rassurant : « T’en fais pas, ça va bien se passer ! »

Ils s’avancèrent vers l’étal de Brand-Shei, les battements de cœur de Hroar s’accélérant à chaque pas. François se glissa habilement derrière le marchand, prêt à déposer l’anneau volé. Hroar, de son côté, resta un peu en retrait, guettant les alentours pour s’assurer que personne ne les observait. Quelques étals plus loin, Brynjolf les observait du coin de l’œil. Lorsqu’il vit le signe de François, il hocha la tête et se redressa, attirant l’attention des passants autour de lui.

« Mesdames et messieurs, approchez ! Approchez ! J’ai ici quelque chose de tout à fait exceptionnel, une véritable merveille de la nature ! Un remède unique, la Potion de sang de Falmer ! Oui, vous avez bien entendu, du sang de Falmer, les légendaires Elfes des Neiges, qui possède des propriétés curatives incroyables ! »

Il leva une petite fiole à la lumière, la faisant scintiller dans le soleil filtré par les nuages. Les curieux s’attroupèrent rapidement autour de lui, captivés par sa voix autoritaire et son ton enjôleur. Tout était calculé, pensé pour attirer l’attention de tout le monde, y compris de Brand-Shei qui s’approcha de quelques pas, sans pour autant perdre de vue son propre étal. C’était le moment.

François lança un regard à son ami avant de s’éclipser discrètement en direction du Dunmer. Hroar le suivit de près, son souffle s’accélérant. Sa gorge était sèche, ses mains tremblaient légèrement, mais il savait qu’il devait rester concentré. François se glissa habilement derrière le marchand, tandis que Hroar bloquait la vue et observait les alentours, prêt à alerter son ami si une paire d’yeux venait risquer de les surprendre. Un détail attira son attention : l’une des poches de la tunique de Brand-Shei était légèrement déchirée, un mince fil dépassant et formant un petit trou à peine visible. Un plan désespéré se forma en un éclair dans son esprit, et il tira doucement sur la manche de François pour attirer son attention, avant de lui murmurer précipitamment : « Mets-le dans cette poche-là ! ».

François haussa un sourcil, fixant brièvement son ami d’un regard interrogateur, mais il s’exécuta sans poser de questions. D’un geste habile, il glissa l’anneau dans la poche désignée, puis s’éloigna aussitôt, jetant un regard rapide en direction de Brynjolf. Celui-ci, tout en continuant son numéro théâtral sur les merveilles du sang de Falmer, lui adressa un discret signe de tête approbateur, un sourire en coin sur les lèvres. François lui rendit son sourire avant de se fondre dans la foule.

Mais Hroar ne bougea pas. Il resta un instant, le regard fixé sur la poche déchirée. Il devait suivre son idée maintenant : parvenir à agrandir discrètement ce trou. Si l’anneau tombait avant l’arrivée des gardes, Brand-Shei n’aurait pas d’ennuis. Peut-être qu’il pourrait encore éviter cette injustice.

Une montée d’adrénaline le parcourut. Il devait agir vite. Il s’approcha d’un pas retenu tout en calmant tant bien que mal sa respiration et sortit discrètement de sa poche un crochet, présent de Bryjnolf pour parfaire leur éducation dans l’ouverture des serrures. L’outil n’était guère tranchant, mais il suffirait peut-être pour défaire encore la couture.

D’une main tremblante, il approcha le crochet des fils qui dépassaient de la poche déchirée et tira doucement pour élargir le trou. Chaque geste le rapprochait de son but, mais aussi du danger d’être découvert. Il jetait de rapides coups d’œil autour de lui. Brynjolf semblait toujours concentré sur son spectacle, mais Hroar savait qu’il ne devait pas être vu. Et puis, il y avait aussi les passants, des curieux qui pouvaient à tout moment le surprendre.

Le trou s’élargissait lentement, assez pour que l’anneau puisse y passer, mais pas encore suffisamment pour garantir qu’il tomberait de lui-même. Hroar tira encore une fois sur le fil, mais il faillit perdre l’équilibre : un passant venait de le bousculer légèrement en massant un peu trop près. Il sentit une montée de panique. Le temps pressait, et Brynjolf était en train de mettre fin à son numéro.

Hroar serra les dents et tira une dernière fois. Le trou s’agrandit juste assez pour que l’anneau puisse probablement tomber au moindre mouvement de Brand-Shei. Il devait maintenant partir, et vite. Son cœur tambourinant, il rangea le crochet dans sa tunique et recula rapidement, jetant un dernier coup d’œil autour de lui. Personne ne semblait l’avoir remarqué. Pas même François, qui l’attendait déjà un peu plus loin, visiblement impatient de quitter les lieux.

Le jeune garçon s’éclipsa finalement, jetant un dernier coup d’œil à Brand-Shei, et rejoignit François, le souffle court, espérant de tout cœur que ce qu’il avait fait suffirait à protéger le Dunmer sans éveiller de soupçons.

« Qu’est-ce que tu faisais ? demanda le blond dans un chuchotement paniqué. J’ai cru que tu allais nous faire repérer ! »

Hroar secoua simplement la tête, tentant de cacher l’angoisse qui lui nouait l’estomac.

« Rien, je… Je vérifiais juste quelque chose. C’est bon maintenant. On peut partir. »

François le regarda avec suspicion, mais ne posa pas d’autres questions. Ils se glissèrent ensemble dans les ombres du marché, s’éloignant rapidement de la scène, tandis que Brynjolf, satisfait, mettait fin à sa démonstration et s’occupait de fournir ses fioles aux quelques jocrisses qu’il avait convaincus.

Les garçons retrouvèrent Brynjolf, qui, tout en servant ses derniers clients, gardait son sourire assuré. Hroar, le cœur encore battant de sa tentative désespérée, tentait de se fondre dans l’ombre de son ami François, qui lui semblait presque rayonner d’excitation à l’idée d’avoir accompli leur mission.

« Ah, vous revoilà, les gars ! », lança le roublard en les voyant approcher, tout en glissant une dernière fiole à un client crédule. « Bien, bien… J’ai vu que vous avez fait votre part du travail. »

François bomba le torse, fier. Hroar, lui, garda le silence, incertain de ce qui allait suivre.

« Venez, on va voir ce que les gardes vont faire », dit Brynjolf d’un ton presque amusé, désignant discrètement l’étal de Brand-Shei d’un geste du menton.

Tous trois se déplacèrent légèrement afin de bénéficier d’une meilleure vue, surveillant avec attention la scène qui se déroulait à quelques pas de là. Le marchand, inconscient du piège, continuait de vendre ses babioles à quelques passants curieux. Mais bientôt, deux gardes de Faillaise, lourdauds et visiblement mécontents, s’approchèrent de son étal avec une démarche assurée. Concentré sur son travail, Brand-Shei n’avait pas remarqué leur approche. Quand l’un des gardes lui posa une main lourde sur l’épaule, le marchand sursauta, surpris.

« Que… que se passe-t-il ? » demanda-t-il d’une voix mal assurée.

Le garde, un Nordique à la carrure imposante, jeta un regard dédaigneux à Brand-Shei avant de répondre d’un ton bourru :

« Un petit bijou a mystérieusement disparu d’un étal ce matin, un anneau. Tu as des choses à nous dire là-dessus ? »

Brand-Shei ouvrit de grands yeux, clairement perplexe. Il recula d’un pas, levant les mains en signe de protestation.

« Je… je ne sais rien de tout ça ! Je suis ici depuis l’ouverture du marché, je n’ai rien volé ! »

Le deuxième garde, plus petit mais tout aussi menaçant, se rapprocha de l’étal, scrutant chaque recoin des marchandises étalées devant lui.

« On va bien voir », grogna-t-il. « On va devoir fouiller tes affaires. »

Hroar retint son souffle. Les gardes s’emparèrent sans ménagement des effets personnels de Brand-Shei, renversant quelques objets sur le sol, ignorant ses protestations.

À ses côtés, François observait la scène avec une excitation nerveuse, persuadé que tout se passait comme prévu. Hroar pouvait presque sentir son impatience grandir à l’idée de réussir leur mission, mais il espérait que les choses allaient prendre une autre tournure que ce à quoi son ami s’attendait.

Le garde continua de fouiller l’étal sans rien trouver. Farfouillant dans les poches de la tunique du Dunmer, il s’arrêta, fixant son doigt qui ressortait par la déchirure dans le tissu. Il écarta le trou avec un rictus méprisant et fit un signe de tête à son collègue :

« Hé, regarde ça ! Même pas foutu de repriser ses fringues, celui-là ! »

L’autre garde éclata d’un rire gras.

« Ouais, et il veut nous faire croire qu’il est honnête… »

Mais après quelques minutes de recherches supplémentaires, ils durent admettre qu’ils avaient fait chou blanc. Le plus grand des deux s’avança vers Brand-Shei et le regarda droit dans les yeux.

« On ne trouve rien. Peut-être que t’es pas le voleur cette fois… Mais fais attention à toi, l’elfe. On t’a à l’œil ! »

Le Dunmer hocha la tête, conservant tant bien que mal un visage impassible. « Je vous le dis, je n’ai rien fait. » grinça-t-il.

Les gardes lui lancèrent un dernier regard noir avant de s’éloigner, visiblement frustrés de ne pas avoir trouvé ce qu’ils cherchaient. Brand-Shei, quant à lui, se hâta de remettre son étal en ordre, visiblement troublé par ce qui venait de se passer.

Hroar jeta un coup d’œil furtif à François, son cœur battant encore à toute vitesse. Son ami, qui jusqu’à présent rayonnait d’excitation, se figea. Son triomphe s’effaça vite, remplacé par la confusion et la déception. Les gardes avaient fouillé Brand-Shei sans rien trouver, et s’étaient contentés de quelques menaces avant de s’éloigner, laissant le marchand intimidé mais libre.

François croisa les bras, ses sourcils froncés de frustration. « Mais… mais comment ça a pu rater ? » murmura-t-il, en regardant fixement la scène, comme s’il attendait encore que quelque chose se produise, une révélation de dernière minute. « J’ai fait exactement ce qu’on m’a dit de faire ! »

Hroar, lui, gardait la tête basse, tentant de dissimuler la montée de culpabilité qui le rongeait. Il savait que François n’avait pas remarqué son petit stratagème avec la poche déchirée. C’était pour le bien de Brand-Shei, mais malgré tout, une petite voix en lui l’accusait de trahison vis-à-vis de François.

Brynjolf, qui observait les enfants d’un coin de l’œil, haussa les épaules avec fatalisme. Il ne semblait ni contrarié ni déçu par le déroulement des événements. « Eh bien, parfois, les choses ne se passent pas comme prévu, les gars. » Il tapota gentiment l’épaule de François, son ton étrangement compréhensif. « Il faut croire que la chance n’était pas de notre côté aujourd’hui. »

François tourna des yeux suppliants vers lui. « Mais… j’ai fait ce que vous avez dit ! Je… j’ai mis l’anneau dans sa poche ! Je l’ai vraiment fait ! » Il paraissait maintenant inquiet. Hroar pouvait presque sentir la peur monter chez son ami : il craignait que Brynjolf ne les considère comme des incompétents, incapables de mener à bien même une tâche aussi simple.

Brynjolf éclata d’un petit rire sec. « Je sais, je sais, tu l’as fait, gamin. Je t’ai vu. » Il baissa la voix, son ton se faisant plus sombre, plus grave. « Mais regarde-moi cette fichue poche ! Elle était trouée. Encore un coup du sort ! » Il secoua la tête d’un air résigné, comme si le fait que la poche déchirée ait empêché le plan de fonctionner le confirmait dans quelque sombre prédiction. « Ça fait un moment que moi et mes collègues, on joue de malchance. Et cet incident… eh bien, ça ne fait que s’ajouter à cette série d’infortunes. On croirait une malédiction. »

François sembla soulagé de ne pas être accusé d’incompétence, mais il n’était pas pour autant satisfait. Il croisa de nouveau les bras, boudeur. « C’est à cause de ça que ça n’a pas marché ? » demanda-t-il avec une lueur d’incrédulité dans les yeux.

Brynjolf acquiesça avec un sourire en coin. « Exactement. Rien à voir avec toi, gamin. Juste la chance, ou plutôt son absence. » Il farfouilla dans une petite bourse attachée à sa ceinture et en sortit quelques septims. « Tenez, les gars. Vous avez fait votre part. Voilà de quoi vous acheter quelque chose pour vous réchauffer. » Il leur tendit les pièces avec un clin d’œil.

François attrapa les pièces avec un sourire, oubliant aussitôt sa déception. « Merci, monsieur Brynjolf ! » dit-il avec enthousiasme, retrouvant presque immédiatement son habituel air confiant. Mais Hroar, lui, ne put s’empêcher de ressentir une pointe d’amertume. Il accepta les septims d’une main hésitante, évitant le regard de Brynjolf. Tout cela lui laissait un goût amer dans la bouche. La manière dont François s’excitait à l’idée de rejoindre la Guilde des Voleurs, la façon dont Brynjolf parlait de la malchance comme si c’était une excuse acceptable pour leurs actions… Tout sonnait faux. Et ce qui l’inquiétait le plus, c’était qu’il n’était pas sûr de pouvoir en parler à François sans risquer de s’attirer ses foudres.

Brynjolf observa les deux garçons avec une lueur amusée dans les yeux, comme s’il évaluait leur potentiel pour une tâche plus grande encore. Il croisa les bras et se pencha légèrement vers eux, comme s’il allait partager un secret.

« Eh bien, les gars, malgré ce petit contretemps, vous vous êtes bien débrouillés. Et je pense qu’il est peut-être temps que je vous montre des choses… plus intéressantes. Mais ça ne se passe pas ici, sur la place du marché. »

Les deux garçons échangèrent un regard curieux. François, plein d’enthousiasme, hocha vivement la tête, prêt à tout ce que Brynjolf avait à proposer. Hroar, quant à lui, se sentait toujours troublé par les événements de la journée, mais une partie de lui était curieuse de ce que le roublard avait à dire.

Brynjolf se pencha un peu plus vers eux, sa voix devenant presque un murmure. « Si vous voulez voir où mes amis et moi faisons vraiment nos affaires, rendez-vous demain soir, vers minuit. Allez jusqu’à l’entrée de la Souricière. Vous savez où c’est, pas vrai ? »

Hroar frissonna légèrement. Il connaissait cet endroit de réputation : l’ancien réseau d’égouts sous Faillaise, maintenant peuplé par des individus peu recommandables. Une entrée existait depuis les canaux, en contrebas, mais l’endroit n’était jamais évoqué sans un ton d’avertissement ou de méfiance.

François, cependant, se redressa, excité par l’idée. « Ouais, on sait où c’est. Et qu’est-ce qu’on y fera ?

— Disons que vous y verrez des choses que vous ne verrez nulle part ailleurs. C’est là où mes amis et moi nous réunissons et… faisons nos affaires. Si ça vous intéresse, retrouvez-moi là-bas demain soir, vers minuit. »

Bryjnolf redressa sa posture, s’époussetant la manche d’un air désinvolte. « Mais attention, les gars, ce n’est pas un jeu. Si vous faites affaire avec nous, ça pourrait bien changer vos vies. À vous de décider si vous êtes prêts pour ça. »

François acquiesça vivement, tandis que Hroar restait à nouveau silencieux, les sourcils légèrement froncés. Brynjolf leur envoya un dernier clin d’œil avant de s’éloigner, s’intégrant à nouveau dans la foule dense du marché.

Les deux amis observèrent quelques instants Brynjolf disparaître dans la foule. Hroar se tourna vers François qui sautillait presque sur place d’excitation, serrant les septims dans son poing, comme s’ils représentaient un premier pas vers une grande aventure.

« Tu te rends compte, Hroar ? Ca y est ! Demain, on entre dans la Guilde des Voleurs ! » s’exclama-t-il, le visage illuminé d’un large sourire.

Hroar hocha la tête, mais son enthousiasme n’était pas aussi débordant. Oui, il voulait entrer dans la Guilde, tout comme son ami, mais après ce qu’il venait de faire pour sauver Brand-Shei, il sentait que les choses allaient être bien plus compliquées que prévu. Ils allaient devoir se montrer encore plus malins, plus que les membres de la Guilde eux-mêmes, s’ils ne voulaient pas se faire manipuler en chemin.

Laisser un commentaire ?